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Coup d’Etat au Burkina : « Tous ceux qui ont galvaudé les objectifs nobles que ce peuple réclamait ont fini par le payer », rappelle Serge Bambara du Balai Citoyen

Publié le vendredi 28 janvier 2022 à 12h00min

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Coup d’Etat au Burkina : « Tous ceux qui ont galvaudé les objectifs nobles que ce peuple réclamait ont fini par le payer », rappelle Serge Bambara du Balai Citoyen

Serge Bambara alias Smokey est le porte-parole du mouvement le ‘’ Balai Citoyen ‘’ qui est l’une des organisations de la société civile ayant contribué à la chute de l’ex-président Blaise Compaoré. Aux nombres des sujets abordés avec lui, le coup d’Etat militaire, le bilan de l’ex-président Roch Kaboré et les attentes du Balai Citoyen vis-à-vis du nouveau pouvoir. Entretien !

Lefaso.net : Selon vous est-ce que la situation que vit le Burkina actuellement était prévisible ?

Serge Bambara : En ce qui concerne le coup de force, tous les indicateurs étaient au rouge. De nombreux spécialistes auraient pu prévoir un mouvement au niveau des forces armées. On a longtemps craint qu’une telle issue ne se mette en place. Et effectivement c’est ce qui est arrivé ce 24 janvier 2022.

Quel est le bilan que vous faites par rapport au mandat de Roch Kaboré ?

Tout le monde a fait le constat amer d’une gestion catastrophique. Pendant six années, on a espéré qu’à tout moment le navire puisse changer de direction et de boussole. Malheureusement, on a pu faire le constat, à l’instar des autres organisations de la société civile, de la corruption, de la gabegie. Le problème le plus important était l’incapacité à ramener la sécurité dans le pays. Je crois que c’est cela qui a valu la situation qu’on vit aujourd’hui. Je déplore qu’on en soit arrivé là. Un coup de force c’est un regret quand on sait que cette gestion calamiteuse nous a mené à être tiraillé finalement entre notre devoir de démocrate, de républicain et le constat d’un coup de force. On pensait avoir contribué avec l’ensemble du peuple burkinabè à mettre en place un appareil démocratique vrai sur les rails. Tout cela avec des sacrifices intenses pendant l’insurrection populaire et la résistance au coup d’Etat. On pensait au moins avoir remporté une bataille. Je crois que là, on est obligé de partir avec d’autres moyens que nous espérons bons et sincères.

Aucune action positive de la gouvernance de Rock Kaboré ?

Il y a probablement des choses positives qui ont été mises en place. Ne serait-ce que le fait d’entériner au moins les acquis de l’insurrection populaire au niveau de la Constitution qui était en rédaction. C’est déjà quelque chose. Par contre sur l’essentiel, là où les Burkinabé l’attendaient, il était malheureusement aux abonnés absents. D’un gouvernement post insurrectionnel, le peuple attend beaucoup. Il attend que de nombreux objectifs soient atteints notamment la question de la faim, du gaspillage des ressources, du clientélisme, de la mal gouvernance. Il attend la paix, la sécurité et certains engagements que l’Etat n’a pas su prendre. C’est tout à fait normal que la population ait été déçue de ce mandat. On pouvait s’attendre à mieux au regard de ce que le peuple a consenti comme sacrifices.

Qu’est-ce que vous pensez de la junte militaire ?

On fait juste le constat d’un coup de force. On n’a pas suffisamment d’éléments pour pouvoir analyser cette junte militaire et juger de leur sincérité. Mais on espère que ce ne sera pas une formule creuse et qu’effectivement les actes suivront. Encore une fois, nous regrettons qu’on n’en soit arrivé à sacrifier les règles et principes d’un Etat dit démocratique pour changer les choses. Je crois aussi que c’est au peuple burkinabé de le faire, soit par les urnes, soit par le contrôle citoyen. Mais malheureusement, le gouvernement est resté très longtemps sourd à ses appels de détresse et est allé même jusqu’à sacrifier la question des libertés individuelles et collectives avec la coupure des réseaux, ce qui n’a fait qu’envenimer les choses. On ne peut pas jeter la pierre aux nouveaux arrivants, mais on peut attendre d’eux qu’ils respectent leurs engagements et que, très vite, l’ordre constitutionnel soit rétabli. Le seul gage d’un Etat de droit et d’un gouvernement normal, c’est qu’il y ait au moins une Constitution qui fonctionne et que le pouvoir soit rendu aux civils.

Des bruits de couloirs disent que certains membres du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) seraient des anciens membres du RSP, avez-vous reçu ces informations ?

Nous n’allons pas les juger par rapport à leurs origines. Quelles que soient leurs origines, nous partons du principe que s’ils ne sont pas à l’écoute de la volonté de la population, les mêmes causes reproduiront les mêmes effets. Je crois qu’on doit savoir tirer des leçons du passé ; ne pas recommencer les mêmes gestes d’histoire ; comprendre que le peuple burkinabè est en droit d’attendre que les choses bougent véritablement et qu’il faut se mettre du bon côté de l’histoire. Tous ceux qui ont galvaudé les objectifs nobles que ce peuple réclamait ont fini d’une manière ou d’une autre par le payer. Ces dirigeants devraient tenir compte des aspirations des masses populaires et surtout ne pas dévoyer cette lutte. Je crois aussi que c’est un appel à l’union sacré de tous les Burkinabè. Que chacun puisse se débarrasser de ses chapelles individuelles et ses intérêts personnels pour comprendre qu’une nation, c’est l’intérêt général. Je crois qu’il faut avoir un discours sage dans la situation que nous traversons aujourd’hui.

Quelle est la leçon à tirer de ce coup d’Etat ?

La leçon à tirer est celle que nous avons toujours prônée, celle de la bonne gouvernance. Cette gouvernance n’est pas seulement un droit mais un devoir pour tous les dirigeants. Il faut gouverner bien et honnêtement ; être sincère dans les moyens mis en œuvre pour satisfaire les besoins de son peuple ; rendre fier son peuple ; éviter de gaspiller les fonds publics dans un pays qui reste l’un des pays les plus pauvres du monde ; éviter d’insulter la mémoire des gens ; les sacrifices des gens en continuant à gérer de façon calamiteuse sans tenir compte des aspirations légitimes du peuple.

Le peuple burkinabè doit-il s’attendre à des sanctions de la communauté internationale comme celles du Mali ?

Dans un ensemble de pressions socio-politiques liées à des pressions de toutes parts -que ce soit des grandes puissances comme des institutions internationales - il est clair que les pressions ne manqueront pas. Mais je pense que la situation du Mali n’est pas comparable à celle du Burkina et ces pressions dépendront des engagements pris par cette junte militaire au pouvoir actuellement, des ouvertures qu’ils feront pour la sortie de la crise. Ils ont dit vouloir bien faire les choses. Ils ont dit vouloir ramener l’ordre constitutionnel dans un délai raisonnable et travailler pour le bonheur de tous les Burkinabè. Nous attendons que cela se traduise dans les actes. Et je crois, que ce soit les Burkinabè, les institutions internationales ou la fameuse opinion publique dite internationale, ils ne pourront que constater des choses. Quand le peuple est persuadé que vous travaillez pour son bonheur peut lui chaut les sanctions qui sont prises à gauche ou à droite. Il faut de l’exemplarité dans la gestion du pouvoir politique.

Quels sont les attentes du Balai citoyen face à cette junte ?

Nos attentes sont très simples, que rapidement l’on puisse revenir à un ordre constitutionnel normal. On a une histoire qui est très riche en coups d’Etat au Burkina Faso. Une grande partie de ces coups d’Etat ont finalement échoué puisqu’ils n’ont pas atteint l’objectif premier, le cahier de charges n’a pas été rempli. Pendant plus de 50 ans, nous avons connu des gouvernances militaires. Je crois que le monde entier nous regarde, on a une leçon d’intégrité, de moralité et de droiture à montrer au reste du monde. Aussi, qu’on travaille à ce que la sécurité des Burkinabè soit garantie. Qu’effectivement ces objectifs dans l’immédiateté puissent se mettre en place très rapidement pour que le peuple se sente soulagé. Si ce n’est pas le cas, il y aura encore des critiques. La défense et les intérêts du peuple doit être la première boussole qui doit les guider.

Si la junte appelait le Balai citoyen à des concertations, l’accepteriez-vous ?

Nous disons que si c’est pour faire en sorte que l’appareil d’Etat puisse fonctionner avec de meilleurs atouts, règles, principes et de bonnes volontés, des patriotes qui vont diriger ce pays, pourquoi pas. Mais nous devons les attendre sur les faits. Nous n’avons jamais été fermés au dialogue et aux échanges, il y a des conditions au minimum qu’il faut remplir. Ils ont dit vouloir les remplir, nous leur concédons cela. Nous n’avons pas de raison de douter de leur volonté de ramener la normalité d’un Etat de droit. Bien entendu, nous échangerons avec eux si besoin est, et si nous sommes écoutés. Mais nous restons des démocrates et des républicains convaincus. Nous pensons que la solution ne peut pas être militaire. La solution militaire doit être réservée pour la défense du territoire et des citoyens. Je crois en la solution politique, il faut laisser le pouvoir aux civils.

Quels conseils avez-vous pour la population burkinabè en particulier la jeunesse ?

Moi, je n’ai pas de conseils à donner à la population. Je pense que la population dans son ensemble sait ce qu’elle veut. On a une jeunesse qui est dynamique et d’une certaine façon, sait se positionner dans le bon courant de l’histoire. Mais je pense que chaque Burkinabé doit garder un minimum de vigilance et de prudence, surtout lorsqu’il s’agit d’un pouvoir d’exception. Il ne faut pas devancer l’iguane dans l’eau. Il faut dire qu’on est extrêmement sous informés sur la qualité de ces hommes et femmes et de leur agenda. Au fur et à mesure que les jours vont passer, de nouvelles informations viendront et nous permettrons de nous positionner plus fermement par rapport à leurs convictions.

Quel est votre mot de fin ?

Mon dernier mot est de lancer un appel à la vigilance au peuple burkinabé. Il faut exercer un contrôle citoyen et ne pas penser que c’est gagné d’avance, mais par contre d’avoir un esprit d’unité. Je crois que l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts des uns et des autres. L’intérêt général est la réunification de cette nation qui est suffisamment en péril pour très vite repartir sur des bases saines, propices à une démocratie vraie, en phase avec les aspirations des masses populaires.

Germina Pierre Louis et Samirah Bationo
Lefaso.net

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