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"Métier de pilote, une lourde responsabilité". Maurice Sanogo, commandant de bord d’Air Burkina

Publié le jeudi 8 janvier 2004 à 10h22min

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Maurice Sanogo exerce les fonctions de commandant de bord
à Air Burkina depuis 1990. Il se prononce sur les crashs des
Boeings qui se sont produits dernièrement à Cotonou au Bénin
et à Charm el-Cheikh en Egypte.

En essayant d’expliquer ces
crashs, il parle bien entendu sous réserve que les boîtes noires
révèlent exactement les causes des différents drames. Il profite
de l’occasion pour nous parler du métier de pilote qui, pour lui,
" n’est pas un métier. C’est une vocation. On aime ou on n’aime
pas ". L’homme nous parle aussi de ses moments de frayeurs.
Il ne manque pas non plus d’attirer l’attention sur la
responsabilité du pilote. Car pour lui, " la vie d’un homme ne
s’achète pas dans les boutiques ".

" Le Pays " : Le 26 décembre dernier, le Boeing 727 de la
compagnie UTA (Union des transports africains), à destination
de Beyrouth s’écrasait au décollage de Cotonou. Le 4 janvier
dernier, un autre Boeing (de la compagnie égyptienne Flash
Airlines) qui se rendait à Paris, via le Caire, s’abîmait, quelques
minutes après son décollage de l’aéroport de Charm el-Cheikh.
Dans tous les deux cas, la thèse de l’accident dû à des
problèmes techniques a été privilégiée. En tant que technicien,
comment expliquez-vous ces drames ?

Maurice Sanogo : Dans le milieu aéronautique, l’aspect
technique est très important. Il y a un minimum de précautions
à prendre. Et ces précautions nous permettent de garantir non
seulement l’exécution de la mission, mais aussi la sécurité des
passagers. C’est le premier paramètre. Le second paramètre,
c’est que les techniciens ont l’habitude de suivre un
entraînement dans lequel il y a une préparation psychologique
et une préparation technique. Cela nous permet de trouver
toujours une solution en cas de situation désastreuse. C’est ce
que nous appelons le maintien de compétences. Il est effectué
tous les 6 mois. Les deux cas ont peut-être une approche
similaire, mais ils sont totalement différents. Selon les
informations que nous avons reçues, le premier crash serait lié
à une faute humaine et le second à une faute technique.
Dans l’exécution d’un vol, les paramètres suivants sont
essentiels : le type d’appareil utilisé, l’exploitation que l’on fait de
cet appareil, la maintenance de l’appareil et les compétences
de l’équipage. S’il n’y a pas une concordance dans tous ces
paramètres, en cas de situation dégradée, il peut y avoir des
catastrophiques comme ce qui est arrivé au Bénin.
La piste de l’aéroport de Cotonou (capitale du Bénin) a une
longueur assez réduite. Aussi est-elle dans un état tel que la
distance utilisable au décollage est réduite au moins d’un quart.
L’avion était plein de carburant. Il venait, semble-t-il, de Conakry
avec des chargements de mangues, selon les informations
que nous avons recueillies, puisque nous exploitons la ligne.
Ensuite, il y aurait eu un excédent de passagers. Il était, au
départ, à la limite de son poids maximum au décollage.
Le Boeing 727 a une particularité : c’est un avion très pointu.
Evidemment, s’il n’a pas atteint la vitesse de décollage, il ne
peut pas s’élever. Les vitesses étant calculées par rapport à
un poids, (ndlr : au poids de l’avion), si ce poids n’est pas
respecté en réalité, même si vous effectuez l’action en rotation
qui est la vitesse à laquelle nous agissons sur le manche pour
permettre à l’avion de prendre l’altitude de décollage, il ne va pas
décoller, dans la mesure où il n’a pas atteint la vitesse critique
qui lui permet de changer de la position sol à la position air.
On peut donc retenir premièrement que le Boeing 727 est un
avion pointu. Deuxièmement, que la piste de Cotonou est très
limitative et troisièmement, il n’y a pas eu réellement de devis
de masse, c’est-à-dire l’état de charge réelle (ndlr : de l’appareil).
Quatrièmement, je ne mettrai pas en doute les compétences de
l’équipage, mais je me demande s’il avait conventionnellement
subi un entraînement. Car comme je l’ai dit, le maintien des
compétences de l’équipage est essentiel. Il est d’autant
important que tous les six mois, nous subissons des
entraînements qui remettent en cause l’exercice de notre
fonction. Pendant ces entraînements, nous subissons toutes
sortes de situations : situations dégradées, pannes-moteurs,
incendies, pertes de train d’atterrissage... L’on vous crée un état
de choc pour observer votre comportement. C’est à partir de ces
épreuves que l’on vous donne compétence d’être commandant
de bord ou pas. Il y a des gens qui pilotent bien mais qui n’ont
pas une bonne maîtrise d’eux-mêmes. Ceux-là ont des
difficultés à passer de copilotes à commandant de bord. Ils
restent copilotes jusqu’à ce qu’ils acquièrent l’expérience et
l’assurance de pouvoir exercer. J’ai été copilote pendant 9 ans
avant de passer en 1990 commandant de bord. Ces
simulations sont une reproduction du réel. Dès qu’on rentre
dans un simulateur, le cadre est tel qu’on a l’impression qu’on
est dans l’avion.

Et où se font ces simulations ?

Les entraînements se font dans les organismes qui en ont les
moyens. Nous, nous faisons nos entraînements à Dinar au
centre de TAT qui s’appelle CIM. Il y a un aussi le centre de
Virginis en France pour les Airbus. Et puis aux Etats-unis, pour
tout ce qui concerne l’aspect Boeing. Certaines compagnies ont
aussi leur centre de simulation.
Pour ce qui est de l’accident qui s’est révélé catastrophique en
Egypte, il semble que la perte de contrôle est liée plutôt à
l’appareil. Le 737 a ce problème que les moteurs sont d’une
puissance phénoménale. Il y a une direction de poussée,
lorsque les deux moteurs sont utilisés à 100 %. L’avion a un
moteur à droite et un autre à gauche. Dès qu’il y a perte de
poussée dans un sens ou dans l’autre, il va évidemment y avoir
un décalage dans la ligne de vol de l’avion. Ce décalage est
d’autant plus important que la distance qui sépare le centre du
moteur au centre de gravité de l’avion est grande. Comme la
phase de décollage est la plus critique - c’est là où l’attention
de l’équipage est la plus demandée-, lorsque l’équipage ne
réagit pas promptement à la situation dégradée en utilisant la
procédure normale, l’avion passe très facilement sur le dos. A
priori, c’est ce qui est arrivé au Boeing 737 de la compagnie
égyptienne Flash Airlines. Lorsque l’avion a perdu un moteur, la
ligne de vol a été simplement déplacée dans le sens inverse du
moteur qui est tombé en panne. Et c’est peut-être à ce moment
que l’avion est passé sur le dos et le pilote en a perdu le
contrôle.

On imagine que les pilotes devaient être préparés à ce genre de
situations...

C’est pourquoi j’ai parlé de maintien de compétences. La
simulation nous permet d’avoir l’esprit disponible pour telle ou
telle action. Mais c’est vrai que rien ne vaut la réalité des
choses. Une situation à l’entraînement ne peut pas être
reproduite à 100% dans les faits. Les statistiques de l’OACI
indiquent que plus de 70% des accidents proviennent du
facteur humain.

Qu’entendez-vous exactement par facteur humain ?

C’est la gestion humaine de l’exercice de la fonction de navigant.
Elle implique l’état d’esprit, l’état de santé, la connaissance des
procédures adéquates à une situation donnée. En situation
normale, c’est le comportement, la manière de gérer
humainement le cockpit. On peut avoir un cockpit autocratique
où le commandant de bord reste le seul maître à bord et donc
prend tout seul toutes les décisions. Tout comme on peut avoir
un cockpit synergique où il y a une équirépartition des tâches.
De telle sorte que chaque fois que les pilotes sont face à une
situation critique, ils n’hésitent pas à se concerter. Si entre les
deux membres d’équipage, il y a discordance dans l’exécution
des procédures de traitement des pannes, automatiquement,
cela conduit à la catastrophe s’ il y a panique (état d’esprit) ou
dégradation de l’état de santé. C’est pourquoi d’ailleurs nous
subissons une visite médicale semestrielle. Tous les six mois,
nous faisons donc un entraînement de simulation en situation
dégradée, des contrôles en vol et une visite médicale. Au-delà
de six mois, nos compétences humaines ne sont plus à jour.

Quelles sont les maladies que l’on recherche en général ?

On nous décortique de la tête au pied. Il y a l’ examen
ophtalmologique (vision), celui de l’audition. Le sang est
également analysé. Radiographies pulmonaires,
électrocardiogramme, électroencéphalogramme, mesure de la
tension, mesure de l’activité musculaire... C’est là, tout une
batterie d’examens qui constituent le check up du navigant. Il est
assez sévère.

Les statistiques indiquent que 86, 4% des accidents d’avion
surviennent en phase de décollage ou d’atterrissage. Comment
peut-on expliquer la survenue d’un crash en phase d’
atterrissage ?

Les accidents à l’atterrissage proviennent en général des
mauvaises conditions météo. Lorsqu’elles sont très mauvaises,
on effectue une approche aux instruments, c’est-à-dire une
approche liée uniquement aux installations, sans repère visuel.
Mais il va bien falloir qu’à un moment donné, on ait la piste en
vue pour pouvoir exécuter la phase d’ atterrissage. Lorsqu’il y a
difficultés, il peut arriver qu’on perde le contrôle de l’avion à
l’atterrissage dû soit à un vent très fort, un orage très violent, une
pluie ou soit même à une tempête de poussière.

Dans quelle mesure un crash peut-il survenir à la phase de
croisière ?

La phase de croisière est la plus relaxante pour le personnel
navigant car en croisière, le pilote automatique maintient
l’altitude et la vitesse en fonction des paramètres que nous
affichons sur les moteurs. C’est en général la phase pendant
laquelle nous surveillons l’évolution du vol et effectuons les
communications et les rapports de position. Il se peut qu’il y ait,
en croisière, des pannes de pressurisation. A ce moment,
nous sommes obligés de descendre à une altitude
suffisamment basse pour permettre au métabolisme humain de
fonctionner.

Les avions qui se sont écrasés sont tous des avions charters.
L’on en vient à se demander finalement, si les charters ne sont
pas dangereux...

Lorsqu’ un avion est affrété, l’affréteur est obligé de faire
confiance au fréteur. C’est seulement sur la base de documents
qu’on peut juger des compétences de l’équipage. Mais si c’est
la compagnie elle-même qui exploite ses propres avions, elle
connaît ses avions, ses pilotes, ses hôtesses, ses stewards et
ses mécaniciens. Mais lorsque les appareils sont loués, nous
sommes obligés de faire confiance aux documents qui nous
sont remis parce que nous n’avons pas d’expertise pour pouvoir
contrôler. Certes il y a des services techniques qui sont chargés
de vérifier les compétences lorsqu’un vol fait l’objet de location.
Mais lorsqu’on est propriétaire d’un avion, qu’on a son propre
équipage, le contrôle est plus facile à effectuer. Pour revenir au
Boeing , les indications penchent plutôt pour une faute
technique. Mais il demeure que le 737 est un avion qui n’est pas
facile à piloter. Etant donné qu’il est surmotorisé, dès qu’il perd
un moteur au décollage, cela entraîne automatiquement un
dérapage de la ligne de vol.

Y a t-il des appareils sûrs ?

Les appareils les plus sûrs sont ceux qui sont bien entretenus.

C’est-à-dire ?

Ceux qui respectent les protocoles de maintenance. Je ne peux
pas affirmer que certains sont plus sûrs que d’autres. Moi, je
vole avec un Fokker 28 depuis 22 ans. Nous avons eu des
explosions en vol, des pannes-moteur, mais par la grâce de
Dieu, nous avons toujours pu nous poser. Pour moi, le Fokker
28 est un appareil sûr parce que je le connais bien. Comme le
protocole de maintenance est bien respecté, lorsqu’ on fait
appel à un besoin dans des circonstances dégradées,
l’appareil répond. Du reste, il y a des appareils qui sont réputés
pour leur résistance, le Boeing 747 notamment. C’est un avion
qui a fait toutes ses preuves. Il fait du long courrier, peut voler
pendant 15 heures.

Quel est le genre d’appareil que vous n’aimeriez pas du tout
piloter ?

Les hélicoptères. J’en ai une peur bleue.

L’avion qui s’est écrasé à Cotonou était surchargé. Beaucoup
d’avions décollent, dit-on, à la charge maximale autorisée.
Qu’en dites-vous ?

Je ne crois pas que ce soit vrai. Lorsque les avions décollent, il y
a un état de charge établi par le service des opérations de vol.
Toute compagnie normalement constituée, tout équipage
normal, fait l’état de charge de tout ce qui doit être transporté à
bord. L’équipage détermine la charge maximum que l’avion
peut transporter en fonction du type d’appareil, des conditions
opérationnelles, c’est-à-dire la longueur de la piste, la
température extérieure et le poids maximum au décollage. A
partir de tout cela, il détermine une charge maximum à
transporter. Et lorsqu’elle est atteinte, automatiquement, on
arrête de prendre toute marchandise. C’est la responsabilité du
commandant de bord de faire débarquer toute marchandise
illicite ou dépassant la charge au fret maximum. Elle est
déterminée pour chaque type de vol, de destination...

Est-il arrivé que vous fassiez débarquer des marchandises
parce que la charge maximum était dépassée ?

On le fait tout le temps. On essaie de jouer sur l’aspect
commercial certes, mais on ne joue pas sur l’aspect sécurité.
Un kilo de plus est un kilo de plus. Dès que nous constatons
que nous sommes en dehors de nos limites, nous ne
décollons pas. Nous avons une responsabilité civile et morale.
Lorsque les passagers montent dans l’avion, ils font confiance
à l’équipage de conduite. C’est une responsabilité lourde à
porter. Il ne faut donc pas décevoir. Comme je l’ai toujours dit,
seul Dieu a le pouvoir de donner ou d’ ôter la vie.

A Cotonou, l’avion a heurté un bâtiment situé en bout de piste, a
ensuite pris feu avant d’achever sa course dans la mer. Cela
montre quelque part qu’il y a des risques engendrés par le
survol des quartiers peuplés. Pensez-vous qu’en Afrique, il y ait
un plan d’urgence prenant en compte d’éventuels drames ?

(Ndlr : Après quelques moments de silence, il lâche qu’il ne
répondra pas à la question). Les conditions de sécurité restent
à améliorées.

Quels sont vos moments de grandes frayeurs ?

Je suis un survivant de crash. Le 24 juillet 1998, un avion d’Air
Burkina s’est écrasé à Aghadès suite à la perte d’un moteur,
lors d’une tempête de sable. J’étais aux commandes. Nous
avons dû nous poser en catastrophe. J’ai eu une triple fracture
de la colonne vertébrale. J’ai aussi eu des moments de frayeurs
au mois de mars de l’année dernière. C’était à Abidjan où nous
avons eu une explosion- moteur quand deux oiseaux sont
entrés dans un moteur. L’avion a pu être maîtrisé et nous nous
sommes posés par la grâce de Dieu. Comme je le dis toujours,
c’est un métier qui demande de l’humilité. Tous les bons
pilotes sont au cimetière. Nous, nous cherchons à atteindre
l’âge de la retraite.

Avez-vous peur à chaque fois que vous montez dans un avion ?

Tout le monde a peur. Je suis un être humain. Mais, je travaille à
maîtriser cette peur afin qu’elle ne se transforme pas en
panique. Vous ne pouvez pas déceler la peur sur mon visage.
Mais si vous entrez au fond de moi, vous découvrirez peut-être
que j’ai 4000° de température (ndlr : quand il monte dans un
avion). Du reste, quand je voyage, je pars toujours avec
l’assurance que j’ai confié mon vol à l’Eternel. Parce qu’il est
l’Alpha et l’Oméga.

Quelles sont vos plus grandes joies ?

Mes deux enfants (ils étaient présents dans son bureau). C’est
ce que Dieu m’a donné.

Finalement, aimez-vous ce métier ?

J’ai commencé à voler à l’âge de 17 ans, année à laquelle je
suis entré à l’école de l’air. J’ai aujourd’hui 41 ans. Je consacre
au moins 40% de mon temps à l’aéronautique que j’ai
découverte quand j’avais l’âge de 9 ans. Mon frère est né dans
un avion.

Propos recueillis par Cheick Beldh’or SIGUE

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Vos commentaires

  • Le 3 décembre 2006 à 23:04, par moulaye chérif En réponse à : > "Métier de pilote, une lourde responsabilité". Maurice Sanogo, commandant de bord d’Air Burkina

    je cherche à joindre maurice sanogo et voici mon mail : cherifmoulaye@hotmail.fr, je suis un ami d’enfance de jean-georges, son frère, dit jojo et j’aimerais entrer en contact avec lui ; nous nous sommes pas vus depuis 1977 et ce serait une grande joie de renouer contact avec lui ; je vis aujourd’hui à St.Etienne dans la Loire et suis marié ; merci d’avance de votre réponse

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