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Edouard Ouédraogo : « La démocratie burkinabè se porterait mieux si les partis politiques jouaient bien leur rôle »

Publié le mercredi 14 septembre 2005 à 08h28min

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Monsieur Edouard Ouédraogo, président de GERRDES-Burkina et directeur du groupe de presse L’Observateur évoque ici les faits politiques majeurs qui ont marqué le septennat 1998-2005 de Blaise Compaoré : le renforcement de la démocratie au Burkina, et la participation des partis politiques.

Les Cahiers de la Présidence du Faso (LCPF) : Quels sont, selon vous, les faits politiques qui ont marqué le septennat 1998-2005 ?

Edouard Ouédraogo (EO) : Sept ans, ce n’est pas sept jours. Je pense qu’il y a un événement qui s’impose de lui-même, puisque le 2ème septennat de Blaise Compaoré a été inauguré quelque temps après le drame de Sapouy. Et c’est vraiment un truisme que de dire que le drame de Sapouy et ses développements ultérieurs constituent certainement un des faits marquants de ce septennat, en tout cas d’un point de vue journalistique. Les journalistes s’intéressent beaucoup plus aux trains qui viennent en retard qu’aux trains qui viennent à l’heure.

Un autre élément majeur, à mon avis c’est la crise ivoirienne, compte tenu de ses conséquences immédiates, plus visibles et plausibles sur la vie économique et sociale au Burkina Faso. Compte tenu de la proximité de notre pays avec ce pays frère, compte tenu de l’importante communauté burkinabé qui vit en Côte d’Ivoire et qui est de très loin la plus nombreuse de toutes les nationalités qui y sont, compte tenu enfin des accusations qui ont été portées contre le régime burkinabé à tort ou à raison, qui sont revenues de manière récurrente dans l’analyse de la crise ivoirienne ou dans l’argumentaire du régime ivoirien, je pense que cette crise figure aussi parmi les événements marquants du septennat de Blaise Compaoré.

On peut dire qu’elle a été plus ou moins annoncée par l’assassinat de Balla Keïta, un opposant ivoirien en août 2002, à Ouagadougou. Quand j’analyse cet événement et toute la littérature qui a été développée après cet assassinat, il n’y a peut-être pas un lien de cause à effet, mais en tout cas, cet assassinat n’est pas tellement innocent, selon moi, des événements qui se sont par la suite déclenchés en Côte d’Ivoire et qui continuent malheureusement d’hypothéquer gravement et l’avenir des Ivoiriens, et l’avenir des Burkinabé, et la sous-région. Ce sont des éléments évidemment journalistiquement accrocheurs, incitateurs.

Mais ce septennat n’a pas été marqué que par des événements douloureux. A l’actif, on peut aussi relever un certain nombre de faits et pour commercer par le tout dernier, ça été quand même le lOe Sommet de la Francophonie que notre pays a abrité et qui a été le couronnement de pas mal d’autres rencontres de caractère interafricain, de dimension internationale, qui n’ont fait que ajouter à la dimension internationale et au rôle géopolitique que joue le Burkina Faso dans notre sous région et dans une certaine mesure même en Afrique.

Donc il y a eu beaucoup d’événements heureux au titre desquels je peux aussi, sur le plan purement intérieur, ajouter les réformes politiques qui ont été menées et qui ont été une des conséquences heureuses de la crise née de l’affaire de l’assassinat de Norbert Zongo. Ces réformes politiques ont contribué à asseoir un cadre institutionnel consensuel, à commencer par la révision de la Constitution qui a ramené l’Article 37 à sa situation ante, c’est-à-dire, la situation de 1991, à l’adoption de la Constitution qui est que le Président ne peut pas cumuler plus de deux mandats consécutifs. Non seulement on est revenu à cette impossibilité de briguer trois mandats successifs, mais le mandat présidentiel a été écourté de deux années. Ce qui est un élément favorable pour l’alternance des hommes au pouvoir.

Il y a eu également la révision du Code électoral qui a introduit un mode de scrutin qui favorise la représentation au parlement de l’essentiel des sensibilités politiques de notre pays. Et le résultat palpable et indéniable a été les élections législatives de
2002 qui ont permis non seulement de rééquilibrer un peu les forces au niveau de l’Assemblée nationale du point de vue nombre, puisque par rapport à la législature passée, où la mouvance présidentielle écrasait le reste par 100 députés sur 111, aujourd’hui, ce nombre a été vraiment révisé de façon drastique, puisque mises bout àbout, ces forces de la mouvance présidentielle font presque jeu égal avec les autres.

Mais indépendamment même du quantitatif, il y a le qualitatif, c’est-à-dire que désormais l’essentiel des sensibilités politiques qui n’étaient pas représentées au gouvernement et qui s’étaient retrouvées dans la rue, à la faveur de la crise née de l’affaire Norbert Zongo, toutes ces sensibilités se sont retrouvées à l’Assemblée et je pense que c’est tant mieux pour notre processus démocratique.

LCPF : Les différents acteurs politiques (majorité, opposition) jouent-ils convenablement leur rôle pour le renforcement de la démocratie ?

E 0 : Moi, j’insisterai surtout sur le rôle de l’opposition. Bien sûr, la majorité a un rôle de bonification de notre processus démocratique, mais ceux qu’on attendait surtout au tournant, c’était l’opposition, surtout depuis la nouvelle configuration de l’Assemblée nationale. Beaucoup de gens avaient caressé l’espoir d’un débat parlementaire beaucoup plus nourri, beaucoup plus fourni. Nous sommes un peu restés en deçà de ce à quoi nous étions en droit de nous attendre.

Mais peut-être aussi que beaucoup de nouveaux venus à l’Assemblée avaient d’abord à se familiariser avec les méthodes de travail d’un Parlement, parce que le Parlement, c’est quand même différent de l’amphithéâtre, du campus, de la Bourse du travail, ou de la rue où vraiment on s’exprime un peu plus librement. La procédure n’est pas aussi contraignante qu’au niveau de l’Assemblée où il faut d’abord suivre un certain nombre de règles, il faut maîtriser le règlement intérieur de l’Assemblée, il faut maîtriser un certain nombre de critères, un certain nombre d’aléas, avant de pouvoir vraiment se faire valoir.

Vous pouvez avoir les idées, mais si vous ne connaissez pas les procédures de saisine du bureau de l’Assemblée, des commissions, etc., vous êtes un peu handicapés. J’imagine que ceux dont c’était les premiers pas au niveau de l’Assemblée ont mis d’abord une bonne année à se familiariser avec tous les rouages de la vie politique parlementaire avant de pouvoir vraiment conséquemment se
jeter à l’eau.

Mais l’opposition, ce n’est pas seulement au niveau parlementaire. L’opposition, c’est d’une manière générale sur la scène politique. C’est dans les medias, c’est dans les meetings, c’est sur le terrain. De ce point de vue évidemment, ce qui est en train de se passer aujourd’hui est un peu désolant. Je ne dis pas autre chose que ce que tout le monde dit, je ne déplore pas autre chose que ce que tout le monde déplore, à savoir, l’incapacité de l’opposition à se retrouver autour d’une plateforme commune pour présenter des candidatures d’alternance.

C’est dire d’abord, les hommes, un ou deux, choisis parmi eux, qui peuvent porter haut le flambeau de l’alternance. C’est sûr qu’un cadre a été créé avec Alternance 2005, mais même dans ce cadre, ils n’ont pas pu dégager une candidature commune. Cela devait être possible. Si on s’entend sur les idées, on peut s’entendre sur un ou au maximum deux candidats. Pourquoi ne pas procéder éventuellement par le système des primaires pour dégager un seul candidat derrière lequel les autres se rangeraient selon une discipline républicaine bien connue de toutes les démocraties vraiment dignes de ce nom ? Cela aurait donné une campagne électorale beaucoup plus relevée, et aurait mobilisé davantage les gens à voter pour un tel candidat.

Malheureusement, si les candidatures sont émiettées, j’ai bien peur que nous n’ayons même pas la joie d’un second tour. Ce n’est pas normal, dans un pays qui avait donné au monde entier en 1978 l’exemple étonnant d’un civil mettant en ballotage un Général, qu’un quart de siècle après, la classe politique soit incapable de rééditer un tel exploit.

Cela m’amène à poser le problème de la qualité du personnel politique. Du point de vue qualité, il est aujourd’hui en deçà de ce qu’était ce personnel politique il y a un quart de siècle. Cela est peut-être dû aux différents bouleversements et à l’instabilité politique que notre pays a connus depuis les années 80 qui n’a pas permis la continuation et la consolidation d’un vrai personnel politique de qualité.

Il Y a eu beaucoup de bouleversements, des générations entières ont même été mises entre parenthèses, puis il y a eu la période révolutionnaire, et finalement à partir de 1991 on a repris à zéro, mais cette fois-ci non pas avec un personnel politique parti des villages pour émerger à Ouagadougou, mais qui a été finalement imposé du sommet, c’est-à-dire de Ouagadougou pour descendre vers les villages. Alors que dans le temps, c’était le contraire, avant que les gens s’imposent à Ouagadougou comme homme politique ils étaient d’abord connus dans leur village, leur ville, leur région avant de monter à Ouagadougou.

Aujourd’hui, c’est un personnel politique secrété technocratiquement à partir du sommet à Ouagadougou et les gens ont maintenant commencé à travailler pour aller à la base, si jamais ils vont à la base, s’ils ne se contentent pas seulement de rester à Ouagadougou et de parler au nom du peuple.

LCPF : Qu’en est-il du parti au pouvoir et de la mouvance présidentielle ? Comment se sont-ils comportés ?

E 0 : Le parti au pouvoir, la mouvance présidentielle, je ne dis pas qu’ils se laissent vivre, mais disons qu’il y a eu des moments où on se serait attendu à ce que le parti au pouvoir et la mouvance présidentielle s’affirment en tant que tels, aient le courage. Je ne suis d’aucun parti mais par exemple au plus fort de la crise Norbert Zongo, moi je n’ai pas du tout vu la mouvance présidentielle. Je n’ai pas vu le CDP. Je crois que chacun était dans ses petits souliers, peut-être même calculant et en se disant : « Ecoutez, est-ce que ça vaut le coup de trop sortir la tête, on ne sait pas comment ça
va se terminer. Si ça se termine par la démission ou Le renversement du Président, moi je préfère garder mes cartes ». C est en tout cas l’impression que j’ai eue.

Je n’ai pas vu du tout l’engagement du CDP et de la mouvance présidentielle derrière le régime qui était en difficulté. Normalement, les gens auraient dû faire front. Même au niveau de l’Assemblée, il n’y a pas eu de débat autour de la question. Sur la scène publique, il y a eu peut-être quelques déclarations, mais des déclarations simplement incendiaires, mais pas analytiquement bien construites qui montraient justement que vraiment il y a un parti qui est là, qu’il y a un régime qui est en butte à des difficultés et qu’il faut vraiment faire front, de façon intelligente et courageuse.

LCPF : A votre avis, que faut-il aujourd’hui pour renforcer la démocratie au Burkina ?

E 0 : Pour renforcer la démocratie, il faut une opposition forte. Une opposition beaucoup plus responsable, moins émiettée en des chapelles finalement qui ne ratissent pas nationalement, souvent réduites à une coterie d’amis ou d’admirateurs, mais qui n’ont pas vraiment un impact politique avancé, prononcé, sur le corps social dans son entier. Je pense que nous devons évoluer vers ce que nous vivons dans les grandes démocraties comme les Etats-Unis. Les Etats-Unis ont près de 200 millions d’habitants mais il y a seulement deux partis : Les Démocrates et les Républicains. Il y a beaucoup de sensibilités, il y a même des Communistes aux Etats-Unis, des partis d’extrême droite, mais chacun choisit de s’allier à l’un des deux partis, selon les idéaux.

Je ne dis pas qu’il faut bipolariser la vie politique burkinabé, mais il n’y a quand même pas 70 projets de société. Il faut une opposition mieux structurée qui puisse vraiment se présenter comme une alternative. L’alternance ne viendra pas par les incantations, mais par un travail conséquent et sérieux sur le terrain. C’est très facile d’accuser chaque fois le parti au pouvoir de casser toutes les tentatives d’union. Il faut y résister.

Et cela m’amène à reparler de la qualité de notre personnel politique. Pourquoi il y a 25 ans, ce n’était pas facile de casser le PRA, de casser le RDA, ou de casser le MLN ? C’est parce que c’était des partis dirigés par des hommes qui valaient vraiment leur pesant d’or, leur pesant politique. Ces partis étaient dirigés par des hommes qui tiraient leur légitimité historique de leur engagement pendant de nombreuses années sur des idées, sur des projets de société, et qui avaient aussi chacun un certain ancrage national. C’était difficile de casser ce genre de partis. Il faut dire qu’il y avait aussi à la base des militants conséquents. Aujourd’hui, nous sommes loin d’un tel tableau.

LCPF : La presse contribue-t-elle véritablement à la consolidation de la démocratie ?

EO : Je pense que la presse a été le premier auxiliaire de notre processus démocratique, à telle enseigne d’ailleurs que le plus souvent, les journaux se sont retrouvés à jouer le rôle non seulement de contre-pouvoir qui est le leur sur le plan professionnel, mais souvent même, à jouer le rôle qui était normalement dévolu aux partis politiques. Le plus souvent d’ailleurs, les partis politiques ont tellement démissionné qu’ils attendent que la presse se subroge à eux, pour jouer un rôle qui est le leur.

Dans la presse, il y a plusieurs sortes de journaux ; il Y a des journaux d’opinion, des journaux satiriques, mais il y a des journaux d’information générales comme L’Observateur qui, dès sa naissance il y a trois décennies, avait comme ligne éditoriale, de ne jamais prendre parti et d’essayer d’être le plus objectif et le plus impartial possible. Or l’impartialité n’arrange pas toujours les gens. Il y a des moments où qu’on soit au pouvoir ou dans l’opposition, on veut que les journaux tranchent.

Il y a des journaux qui peuvent trancher parce que c’est leur vocation éditoriale, mais il y a des journaux qui sont impartiaux et qui s’arrogent le droit de dire à chacun son fait. Et le plus souvent, il est plus facile, dans le cas du Burkina, à un journal de critiquer le parti au pouvoir, de critiquer ceux qui gouvernent. Là, le journal est encensé, il joue bien son rôle.

Mais quand de temps en temps, il dit leurs faits aux partis d’opposition, là on trouve que ce n’est pas normal, le journal roule pour le pouvoir, parce que normalement son rôle c’est de critiquer le pouvoir. Je dis non ! Le rôle d’un journal d’informations est d’abord de critiquer tous les acteurs de la vie politique.

Bien sûr, ceux qui gouvernent ont plus de responsabilités, mais ceux qui ne gouvernent pas aussi et qui aspirent à gouverner n’ont pas de responsabilités moindres, parce que c’est de cette capacité justement que nous allons construire et asseoir des oppositions vraiment capables de se montrer et d’offrir aux électeurs des forces d’alternance capables effectivement de prendre un jour la relève et d’assurer notre destin commun.

La presse, c’est l’un des tout premiers baromètres de la santé démocratique d’un pays. Je pense qu’au niveau du Burkina, si on devait juger notre démocratie par la vitalité et la diversité de la presse, on arriverait àla conclusion que notre démocratie se porte bien. Mais elle pourrait mieux se porter si vraiment les partis politiques jouaient bien leur rôle et surtout si l’opposition en était vraiment une, c’est-à-dire une force capable de s’organiser et de dégager non seulement des plate-formes de gouvernement mais aussi des hommes.

Entretien réalisé par Béatrice Tiendrébéogo

Les Cahiers de la Présidence du Faso

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Vos commentaires

  • Le 14 septembre 2005 à 15:47, par Idris En réponse à : > Edouard Ouédraogo : « La démocratie burkinabè se porterait mieux si les partis politiques jouaient bien leur rôle »

    En vous lisant, on voit de quel côté vous êtes : celui du régime de Blaise. Ce n’est pas mauvais en soi. Seulement, ne nous faites pas croire que vous êtes un observateur impartial de la politique nationale. Votre journal a bien une ligne éditoriale qui est de défendre bec et ongle le régime, surtout la famille présidentielle. Cela ne veut pas dire que vous ne critiquez pas souvent le pouvoir. Mais quand vous le faites, c’est aux individus que vous attribuez toutes les tares du régime. Surtout ceux qui ont activement milité dans la révolution. En fin de compte, la formule du Pr Nindawa vous convient très bien : vous êtes la périphérie imprimante du régime Compaoré.

    • Le 14 septembre 2005 à 17:10 En réponse à : Oh là là monsieur Idris !!!!

      goudesfr2000@yahoo.fr alias Idris, votre réflexion appartient à ceux qui n’arrivent plus à respirer ou à (rous)péter qu’en fonction de Blaise ! Le Burkina n’est pas que çà ! Il y a des gens qui sont encore capable de penser Nation ! Essayez vous aussi !

      • Le 14 septembre 2005 à 23:50, par iboul En réponse à : > Oh là là monsieur Idris !!!!

        ça se voit que critiquer Blaise ça fait très mal aux amis de gerard l’ami de la famille présidentielle il ça les pousse forcement à une réaction épidermique. gerard tout le monde le sais est forcement un pouri !!!

  • Le 15 septembre 2005 à 05:16 En réponse à : > Edouard Ouédraogo : « La démocratie burkinabè se porterait mieux si les partis politiques jouaient bien leur rôle »

    S’il y’a des partis politiques que ne se reveillent qu’à la veille des éléctions, il y’a aussi des structures de la société civiles qui en font de même. Est de cela GERRDES-BURKINA. Cet ONG et sont président ne sont la que pour valider les dérives du régime de cette République. l’observatoire paalga est défini rien qu’un tabloid de Blaise. Édouard fait un jeu fort, Proche de Blaise Compaoré, il est distant du CDP. Il prend le plaisir de sécoué celui-ci avec des pics. Edouard, son GERRDES et son Observateur de journal ne sont que des périphéries comme l’a si bien dit le professeur.

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