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Démocratie : « De l’urgence d’interdire les partis politiques »

Publié le lundi 5 août 2019 à 23h59min

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Démocratie : « De l’urgence d’interdire les partis politiques »

"Il faut souvent changer d’opinion pour rester dans son parti" écrivait, visionnaire, le Cardinal de Retz (1613-1679), trois siècles avant la naissance des partis politiques modernes. Cette affirmation n’en demeure pas moins intelligible dans l’architecture actuelle du système partisan, omniprésent dans les Etats démocratiques. Elle interroge sur la raison d’être de ces outils que constituent les partis politiques, considérés à leur naissance dans les années 1850 en Allemagne comme des avancées majeures pour la vie démocratique, mais aujourd’hui de plus en plus contestés quant à leur fonctionnement interne notamment.

Un parti, c’est une structure qui rassemble des citoyens, électeurs ou élus, qui partagent une communauté de valeurs et d’opinions politiques. Cela nous conduit à nous demander si les bienfaits du système partisan en matière de pluralisme politique ne sont pas éclipsés par ses caractéristiques fonctionnelles lorsqu’il est confronté à la réalité du système démocratique, jusqu’à le dénaturer.

Il convient tout d’abord de montrer en quoi le système partisan est un vecteur contesté de la légitimité démocratique, avant de voir qu’ils demeurent un moyen d’expression démocratique incontournable, et enfin de passer en revue les possibilités de refondation du système partisan qui pourraient la condition de sa survie sur le long terme.

Les partis politiques font face à des critiques de plus en plus vives de la part de la société civile ainsi que des experts. Le système partisan apparait aujourd’hui comme un levier obsolète de la légitimité démocratique.

Tout d’abord, les partis politiques sont régulièrement accusés de monopoliser la vie politique au détriment des citoyens. Les primaires, s’il y en a, c’est à dire les élections qui se tiennent au sein des partis pour choisir le candidat de telle ou telle formation aux élections présidentielles, ne sont en règle générale ouvertes qu’aux seuls adhérents ou sympathisants de la formation en question, ce qui constitue une restriction majeure des leviers par lesquels les citoyens peuvent participer in fine au choix de leur président.

Quant aux élections législatives, le choix des candidats dans les différentes circonscriptions relève souvent de la décision arbitraire des partis en lice, quitte à proposer dans certains cas un candidat vu comme déconnecté de ses électeurs et des enjeux territoriaux qu’il est supposé défendre. Passé le temps des élections, l’exercice du pouvoir repose aussi étroitement sur les partis politiques, car ils sont les seuls à pouvoir, via les groupes parlementaires, déposer une motion de censure pour faire tomber un gouvernement en place.

Par ailleurs, en agrégeant les opinions de larges pans du corps électoral, les partis sont également sujets à ce que Tocqueville appelle la "tyrannie de la majorité", qui pousse les électeurs ayant des opinions minoritaires au sein de leur parti à accepter des compromis. Ainsi, la volonté de conquérir le pouvoir et d’accéder aux responsabilités pousse les partis à se détourner fréquemment des citoyens qui forment pourtant leur terreau sur le plan électoral.

Au-delà de leur caractère monopolistique, une autre forme de contestation est apparue plus récemment, en l’occurrence le manque de transparence. En Europe, des scandales particulièrement médiatisés comme l’affaire Bygmalion ou l’affaire Karachi sur fond de soupçons de financement illégal de campagnes ont fait éclater au grand jour cette accusation récurrente qui pèse sur les formations politiques.

L’Europe n’est d’ailleurs pas le seul continent touché, puisque des partis américains, africains ou encore océaniens ont également été exposés à de telles critiques, parfois dans le cadre de campagnes d’instrumentalisation à des fins politiques, mais le plus souvent par les citoyens eux-mêmes se sentant trahis par leurs représentants. La transparence quant à l’utilisation des ressources financières par les partis politiques, une large part de ces ressources étant issue des adhérents eux-mêmes, est désormais au cœur des débats.

En dépit de ces fragilités, le système partisan conserve des avantages qui concourent à en faire un moyen d’expression démocratique incontournable.
Acteurs centraux du pluralisme politique, les partis opèrent un agrégat des opinions qui permet à des citoyens de faire entendre leur voix dans les instances représentatives jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, ce qu’ils ne pourraient pas faire s’ils agissaient seuls.

A l’instar des syndicats, les partis agissent comme un remède à l’éclatement, à l’atomisation de la société en matière d’opinions politiques. Bien sûr, l’offre partisane n’est pas uniforme dans les Etats démocratiques : certains systèmes sont bipartisans, comme le système américain ; tandis que d’autres reposent sur une fragmentation plus ou moins poussée du paysage politique, à l’image du pouvoir législatif israélien.

A cet égard, le mode de scrutin, selon qu’il soit majoritaire ou proportionnel, influence considérablement la composition partisane du parlement. En effet, plus le mode de scrutin est proportionnel, plus les petits partis ou de chances d’être représentés. Le corollaire de cette affirmation est que les citoyens ont plus de chance de s’identifier pleinement aux idées défendues par un parti politique lorsque l’offre partisane est nombreuse, alors qu’à l’inverse un système bipartisan ne correspond que grossièrement à la réalité sociale puisque les opinions politiques - et même les systèmes de valeurs - sont rarement binaires.

Les formations politiques permettent également à l’opposition de jouer un véritable rôle de contrepoids et de contrepouvoir. Au Burkina, plusieurs leviers constitutionnels et législatifs permettent aux partis d’opposition de faire entendre la voix de la minorité face à la majorité parlementaire, notamment à l’article 13 de la Constitution : " Les partis et formations politiques se créent librement. Ils concourent à l’animation de la vie politique, à l’information et à l’éducation du peuple ainsi qu’à l’expression du suffrage. Ils mènent librement leurs activités dans le respect des lois. Tous les partis ou formations politiques sont égaux en droits et en devoirs…" et les prérogatives des groupes d’opposition dans les règlements de l’assemblée.

Logiquement, la commission des finances de l’Assemblée nationale doit être présidée par un parlementaire issu d’un parti d’opposition, et de nouvelles règles de pluralisme devront été instituées au sein des commissions d’enquête et des missions d’information. Enfin, les partis politiques jouent également un rôle de contrepouvoir, puisqu’ils contrôlent l’action du gouvernement et en pointent les éventuels dysfonctionnements à l’extérieur de la sphère parlementaire.

Dès lors, il convient de s’interroger sur les outils qui permettraient de mettre fin à ce paradoxe et de redonner de l’oxygène au système partisan, afin qu’il soit plus proche d’un équilibre entre représentativité et efficacité.

De nouvelles modalités d’expression partisanes peuvent être envisagées. Le sociologue Ostrogorsky, dans son ouvrage de 1902 intitulé La démocratie et les partis politiques, affirme par exemple que le parti est une machine qui n’a plus pour rôle de rendre réels les objectifs affichés à ses électeurs, mais de perpétuer l’organisation en tant que telle, et que la seule solution pour éviter cet écueil serait de créer des "partis ad hoc", c’est-à-dire temporaires et qui regrouperaient plusieurs citoyens autour d’un enjeu spécifique et non pas autour d’une communauté d’idées.

Cette logique d’opportunité est aujourd’hui plébiscitée dans les démocraties modernes, qui connaissent une crise du parti traditionnel. En revanche, un tel fonctionnement nuirait à la stabilité politique qui est une condition sine qua non de l’efficacité d’un gouvernement.

Toutefois, ce sont les concepts de démocratie participative et de démocratie délibérative qui se démarquent particulièrement dans le contexte actuel. La démocratie participative repose sur le postulat que le citoyen ordinaire doit avoir un rôle actif dans la prise de décision, tandis que les tenants de la démocratie délibérative estiment que ce processus doit s’effectuer dans le cadre d’une délibération libre, juste, et si possible informée et publique. Les budgets participatifs, imaginés dans plusieurs villes brésiliennes dans les années 1960, sont emblématiques de la démocratie participative.

On peut également citer l’exemple des jurys citoyens, apparus dans les années 1970 en Allemagne et au Danemark, similaires aux jurys d’assises dans la mesure où un groupe de citoyens tirés au sort est invité à débattre de manière informée sur une question controversée et à émettre un avis à l’issue du processus. A l’heure du numérique, les licences libres Creative Commons offrent une autre illustration de ce modèle.

Quant aux procédés délibératifs, la création en 2004 dans la province canadienne de Colombie-Britannique d’une Assemblée citoyenne formulant des propositions soumises au référendum en est emblématique. Notons cependant que ces deux modes de fonctionnement, participation et délibération, ne sont pas tant envisagés comme un substitut au système partisan mais davantage comme un complément qui introduirait davantage de représentativité, de pluralisme, de souplesse et de créativité à ce dernier, permettant ainsi aux partis de survivre à la crise qu’ils traversent actuellement.

Fondée sur des motifs tant philosophiques que politiques et moraux, la contestation du modèle traditionnel du parti mérite néanmoins d’être relativisée à l’aune des différents leviers qui permettent aux formations politiques d’opposition de jouer un rôle de contrepoids et de contrepouvoir vis-à-vis du gouvernement.

Solution extrême, l’interdiction des partis politiques apparait peu pertinente comparativement aux nombreuses possibilités d’équilibrage, de médiation et de revivification démocratique offertes par exemple par les modèles participatifs et délibératifs, qui offrent une alternative au vote agrégateur d’opinions, ou encore l’instauration de nouvelles règles instaurant davantage de proximité entre les partis des citoyens tout en conservant l’architecture globale du système partisan.

Banakourou BK
*(S. Weil)

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Vos commentaires

  • Le 6 août 2019 à 07:21, par DIALGA Wendbénédo En réponse à : Démocratie : « De l’urgence d’interdire les partis politiques »

    Bonjour,
    A mon avis, cette notion de partis politiques n’est pas mauvaises dans son dessein premiers. Mais avec l’évolution du temps, ce dessein a été utilisé par les uns et les autres comme un moyen de réaliser leur intérêt égoïste. Prenons l’exemple du Burkina Faso où nous avons plus d’une centaine de partis politiques. Dans cette centaine de partis, nous avons des partis socialistes et des libéraux. Mais pourquoi pourquoi ces partis ne se réunissent pour former des grands groupes qui auront un poids dans la prise des décisions ?
    Dans une première approche, il va s’en dire que chacun guidé par ses intérêts personnels va créer son parti. Disons nous que le socialisme ou le libéralisme ont chacun une idéologie de base à partir de laquelle que ce soit les libéraux ou les socialistes pourraient se réunir autour d’un camps pour chaque groupe, le parti politique étant un groupe dans lequel on devrait débattre des solutions afin de trouver celle appropriée pour le bien commun. Cependant si un parti politique n’offre de cadre d’expression à ces membres alors cela voudrait simplement dire que c’est de la mascarade pour servir les intérêts de quelques personnes.
    Outre cela, disons que dans le contexte africain le problème de leadership est un problème majeur. En effet, les "intellectuels africains" pensent que seul leurs idéaux à eux pourraient être une solution aux problèmes des pays (lorsque la création du parti politique n’est pas guidé par des intérêts particuliers) d’où le pullulement de partis politiques un peu partout.
    Enfin pour finir je dirai que si dans un pays, les partis politiques sont aussi un moyen d’obtenir de l’argent, il ne faut s’étonner qu’il y ait plusieurs partis politiques qui naissent. En effet, prenons les aides qui sont apportées aux partis politiques et analysons leurs utilisations par ces derniers. Disons que malgré les aides reçues par les partis politiques on ne les voient que durant les élections. Je ne me permettrais pas de faire des déductions ou conclusions mais je vous laisserai vous faire une analyse de la situation.
    En conclusion, je dirai que l’enjeu n’est pas d’interdire ou non les partis politiques mais de trouver un moyen vraiment efficace de les amener vers l’atteinte de l’intérêt commun.

  • Le 6 août 2019 à 11:36, par Kôrô Yamyélé En réponse à : Démocratie : « De l’urgence d’interdire les partis politiques »

    - Banakourou, merci pour l’effort. Mais je m’excuse de dire qu’il y a trop de verbiage théorique dans ton écrit et qui n’en facilite pas l’appropriation, sans oublier que le reflet du titre n’est que très peu perceptible dans le contenu. Merci de revoir la prochaine fois.

    Par Kôrô Yamyélé

  • Le 6 août 2019 à 12:21, par AMKOULEL En réponse à : Démocratie : « De l’urgence d’interdire les partis politiques »

    Le drame Africain c’est qu’il est 100% euro-centrique. Tout notre monde, mode de pensée, modèle de société, tous nos rêves, nos prières, tout notre quotidien du berceau à la tombe est 100% euro-centrique et/ou arabo-centrique. Quelque soit la justesse des thèses présentées, avec brio, dans cette analyse, elles ne sauraient bâtir le bonheur des Africains, le bonheur du Noir. Que ce soit le modèle délibératif ou le modèle participatif, tel présenté par l’auteur, cela résulte d’une sédimentation multi-séculaire de traditions et de visions européennes. Nos sociétés africaines ont dirigé le monde des millénaires durant avec des modèles d’organisation propres à nous, sortis de l’intelligence de nos ancêtres, il revient à nous, de les vivifier, de les faire évoluer par une pratique, de les valoriser comme on le fait, très bien déjà, avec ces thèses de DÉMOCRATIE OCCIDENTALE. Tant que nous ne reviendrons pas à NOUS, sans complexe, avec sincérité, à nos pratiques, à nos réalités AFRO-CENTRIQUES, nous continuerons à être des étrangers à nous-mêmes et incapables à entreprendre le moindre développement et à défendre ce moindre développement quoique cela nous coûte, car le moindre vent levé viendra balayer tous nos efforts. La preuve, le petit vent levé a balayé la plus belle expérience révolutionnaire et anéanti tous les efforts entrepris dans ces 4 ans.

  • Le 6 août 2019 à 13:03, par Benjamin OUEDRAOGO En réponse à : Démocratie : « De l’urgence d’interdire les partis politiques »

    Très belle analyse politico-historique sur cette question du meilleur régime politique dont on trouve les prémisses dans la République de Platon.
    Cette question qui a tant divisé les Anciens que les Modernes, ne cessse d’agiter aujourd’hui nos institutions politiques et montre bien que nous sommes loin d’avoir répondu à la question posée.
    Ne faudrait-il pas envisager l’art de la gouvernance comme un subtil équilibre entre la voie participative et la voie délibérative ? En ce sens votre article apporte une pierre à la réflexion sur la question de la res publica

  • Le 6 août 2019 à 14:30, par Bernard Luther King ou le Prophete Impie En réponse à : Démocratie : « De l’urgence d’interdire les partis politiques »

    Merci Banakourou pour cet article.J’aurais pouvoir vous lire et repondre. Mais helas ! Continue ! Le titre de ton article est dejà un MERITE, selon moi. Ne baisse pas les bras : il nous faut des reflexions originales pour sauver l’Afrique.
    "Dieu est Burkinabè"

  • Le 6 août 2019 à 14:41, par le citoyen En réponse à : Démocratie : « De l’urgence d’interdire les partis politiques »

    interdire la création d’un parti politique est un acte anti démocratique.
    qu’est ce qui dérange dans un parti ?
    décider de limiter les partis, c’est aussi limiter les libertés et les initiatives.
    vous juger de l’opportunité, ce qui n’est pas vos prérogatives dans un état de droit.
    Donc votre réflexion est inadapté au contexte et ne saurait être une idée d’un démocrate.

  • Le 6 août 2019 à 22:31, par jeunedame seret En réponse à : Démocratie : « De l’urgence d’interdire les partis politiques »

    Nous avons choisi démocratie ? C’est de notre responsabilité. Nous pouvons bien regretter le flux des partis ; mais nous devons l’assumer. Car en démocratie la liberté est une primauté ; et le leadership une simple nécessité.

  • Le 7 août 2019 à 14:34, par tanga En réponse à : Démocratie : « De l’urgence d’interdire les partis politiques »

    Pour le moment c’est bien en afrique il faut du temps a notre democracy car elle vient de naitre et avec le temps nous on atteindra le sommet comme en France la gauche et la droite aux. Etat unis les Democrat et les republiquais doucement on arrivera pas plus de deux. Partis .

  • Le 10 août 2019 à 15:59, par Jean-Paul En réponse à : Démocratie : « De l’urgence d’interdire les partis politiques »

    Au Burkina, il est évident de constater que la création des partis politiques va dans le même sens que la création des églises, c’est-à-dire, leur objectif premier c’est l’intérêt personnel. Des individus partageant les mêmes valeurs, pourquoi ne pas alors s’associer. Mais non, une simple virgule en trop ou en moins est sujet à la séparation, pas de débat possible, aucun compromis pour sauver l’essentiel. Chacun veut devenir chef, gérer sa propre affaire, plutôt sa propre combine, pour "marmmailler" le peuple comme le diraient les Ivoiriens.

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