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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (17)

Publié le mardi 9 décembre 2014 à 09h33min

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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (17)

Le Burkina Faso a enterré ses morts. Avec ce dignité et recueillement. Morts anonymes. Les guerres civiles, les révolutions, les insurrections tuent des anonymes. Jamais des leaders politiques, des chefs militaires ; ni même les « grandes gueules » de la société civile. Il faut des coups d’Etat ou des crimes d’Etat pour que la mort fauche des personnalités publiques. Ou que la mort d’un anonyme soit le facteur déclenchant d’un mouvement social d’ampleur.

C’est ainsi que Justin Zongo, simple élève de Koudougou, est venu rejoindre, en février 2011, la cohorte de ceux qui avaient un nom et qui ont été abattus au Burkina Faso par le pouvoir d’Etat. Friedrich Nietzche disait que « l’Etat est le plus froid des monstres froids. Il ment froidement ». Il tue tout aussi froidement. Et, en la matière, le Burkina Faso n’est pas un cas d’espèce.

La journée des martyrs se déroule alors que le président du Faso, Michel Kafando, a signé, le 4 décembre 2014, le décret de création auprès du Premier ministre d’une Commission de la réconciliation nationale et des réformes. Il faudra du temps pour y parvenir. Et plus que cet acte de contrition de l’ADF-RDA, ex-parti de la majorité présidentielle. Ses responsables (Mamadou Diao Koné, premier vice-président, et Mathieu Hien, président des cadres libéraux) viennent de présenter leurs « sincères excuses » pour « l’erreur politique » commise en « décidant finalement de soutenir le projet de modification de l’article 37 de la Constitution ». On notera l’hypocrisie du « finalement » qui laisse penser que l’ADF-RDA a hésité dans son soutien et ne s’y est résolu qu’au bout du compte. Le plus ancien des partis voltaïques entend jouer désormais la carte de « l’inclusion » inscrite dans la « charte de la transition » pour ne pas rester « indésirable ». Que l’ADF-RDA se rassure, le Burkina Faso étant le « Pays des hommes intègres », ses leaders ne seront pas déportés dans un camp de travail de la vallée du Sourou pour y cultiver le riz… !

Il faudrait pourtant y penser : la conjoncture économique du pays n’est pas brillante. Or chacun sait que les révolutions prônent bien plus le changement social que l’alternance politique. Ceux qui ne sont pas morts lors de l’insurrection déclenchée le 30 octobre 2014 veulent mieux vivre. Et vite. Il ne sera pas facile de satisfaire leurs exigences. Le pays est confronté à des difficultés budgétaires : 405 milliards de francs CFA de recettes fiscales et douanières à fin septembre 2014 alors que la prévision portait sur plus de 600 milliards. « L’émergence », dont le précédent régime avait fait son leitmotiv, n’est plus à l’ordre du jour.

Blaise Compaoré, en 1987, avait inventé la « rectification » politique, Jean-Gustave Sanon, le ministre de l’Economie et des Finances, propose le « réajustement économique », autre nom de l’austérité. La chute des prix du pétrole et le recul du cours du dollar ne compenseront pas la détérioration des cours du coton et de l’or, uniques ressources du pays. Ajoutons que les investisseurs (qui en ont pris « plein la gueule » en marge de l’insurrection) sont refroidis par l’évolution de la conjoncture. L’agence de notation financière Standard and Poor’s (S & P) a abaissé, le 5 décembre 2014, la note du Burkina Faso à « B ». La croissance ne dépassera pas 5 % en 2014 (contre 6,8 % prévus) et seulement 4,5 % en 2015, du fait du recul des investissements publics et privés ainsi que des exportations. « Nous estimons aussi, écrit S & P, que le gouvernement de transition aura la tâche difficile de répondre aux pressions sociales qui vont sans doute affecter l’équilibre budgétaire ».

La « transition » a pris le large, mais avec un équipage restreint. Contrainte de débarquer ceux qui avaient participé aux précédentes croisières et avaient acquis la maîtrise des manœuvres à accomplir, elle « rame » à recruter des hommes neufs qui soient aussi non seulement compétents mais aptes à s’engager dans une aventure où il y a plus de coups à prendre que de sous à gagner. Et les délais sont courts. Le premier véritable conseil des ministres, le mercredi 3 décembre 2014, a duré longtemps : de 9 h à 14 h 30 alors que, sous le précédent régime, il s’achevait entre 11 h 45 et 13 h. Long et peu enclin à informer : le communiqué est particulièrement laconique et les nominations se font au compte-gouttes. Mathieu Tankoano remplace Sanné Mohamed Topan dégagé le 27 novembre 2014 comme directeur de cabinet du PF. Il est, nous dit-on, « consultant et directeur de société ». C’est Job Ouédraogo, technicien supérieur d’imagerie médicale, qui est nommé directeur de cabinet du PM en remplacement de Charles Zango. Jacob W. Pasgo est nommé ambassadeur, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale en remplacement de Marc Somda. Là, c’est plus simple puisqu’il s’agit d’un diplomate de carrière sorti de l’ENAM et diplômé de l’Institut international d’administration publique (IIAP) à Paris (à cette occasion, il a publié un mémoire de 22 pages sur les « régimes présidentialistes et proclamatoires africains face à l’Etat de droit : cas du Burkina Faso »). Pasgo avait été accrédité comme consul général au Gabon par le conseil des ministres gabonais le 20 janvier 2011. Il a été auparavant en poste à Copenhague et à Washington (sous l’autorité de Tertius Zongo qui lui remettra la médaille de chevalier de l’Ordre national le 29 décembre 2006 ; Pasgo a été élevé à la dignité d’officier le 9 décembre 2012).

Mais la nomination qui, sans doute, fera beaucoup parler dans la nébuleuse militaire, c’est celle de Théophile Nikiéma comme chef d’état-major particulier du président du Faso, ce qui en fait le patron du Régiment de sécurité présidentielle (RSP). C’est que Nikiéma, qui prend la suite du général de brigade Gilbert Diendéré, limogé le 27 novembre 2014, n’a que le grade de commandant et était un des adjoints de Diendéré au sein du RSP. Notons cependant que depuis août 2013, il était détaché à l’état-major particulier du PF (EMP-PF) et y avait été nommé directeur de la documentation extérieure, autrement dit en charge du renseignement, un job pour lequel il a été formé à Munich et à Taipei notamment après avoir suivi les cours de l’Ecole de guerre au Cameroun en 2011-2012. A noter que sa formation initiale est celle d’ingénieur des techniques en agronomie, spécialisé en bionomie (étude des rapports des êtres vivants avec leur milieu et entre eux, autrement dit : l’écologie), formation assurée au Canada.

Dans un corps fondé sur la soumission disciplinée à la hiérarchie, on assiste à un drôle de méli-mélo au sein des Forces armées nationales (FAN). Les généraux sont blackboulés par les colonels, les colonels par les lieutenants-colonels, les lieutenants-colonels par les commandants... C’est ainsi que Boureima Kiéré, colonel-major, chef de corps du RSP, a vu son adjoint le lieutenant-colonel Isaac Zida être nommé, tour à tour, chef de l’Etat puis Premier ministre et ministre de la Défense nationale et des anciens combattants. Et voilà que le commandant Nikiéma, qui a mené sa carrière militaire au RSP, se retrouve chef d’état-major particulier du PF et patron de fait du RSP.

Après les « mutineries » de 2011, des frustrations pourraient ainsi apparaître au sein de la hiérarchie militaire alors que, déjà, la politisation de l’armée est source de préoccupations. Des frustrations déjà apparentes dans la haute administration, coupable d’avoir été en poste et « d’avoir fait tourner la boutique » sous le régime précédent. Mais c’est le lot des révolutions : 1983 et 1987 avaient déjà été des moments d’exclusion pour des raisons idéologiques, politiques ou historiques. Les hommes « d’avant » la « Révolution » et la « Rectification » avaient été éradiqués. Depuis les éradicateurs ont demandé pardon et érigé des monuments à la réconciliation. La « transition » a décrété, d’emblée, cette « réconciliation » qui est un refus, tout à la fois, de l’exclusion et de la stigmatisation. Mais comme le dit le Burkinabè Jean-Baptiste Natama, directeur de cabinet de la présidente de la Commission de l’Union africaine, « pour une révolution, c’en était une ». Et les révolutions sont là pour révolutionner avec les « approximations » que cela implique.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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