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Ballets diplomatiques pour la RCI : La solution est peut-être ailleurs

Publié le samedi 29 novembre 2003 à 13h02min

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De toutes les facultés de l’homme, la raison est celle qui se développe le plus difficilement et le plus tard. Cette réflexion de Jean-Jacques Rousseau colle bien avec les comportements des hommes politiques en Côte d’Ivoire.

Ce pays, qui souffre depuis plus d’un an d’une crise qui le ronge et l’affaiblit de partout, recherche des tissus de communication sous-régionaux et régionaux pour réconcilier les points de vue de ses filles et de ses fils.

Tout aurait été fait. De Marcoussis à Libreville en passant par Accra et Ouagadougou, les bonnes volontés n’ont pas manqué et les bonzes politiques du continent africain, appuyés par des compétences diplomatiques logiques comme la France et de droit comme les Nations unies, ont mis le paquet pour arrêter les dégâts dans ce pan de la sous-région ouest-africaine qu’on surnommait "la perle du continent".

Aujourd’hui, le constat est que rien n’est plus comme avant et que rien ne sera plus comme avant. Après le rendez-vous de Marcoussis, les Africains ont voulu se flatter d’avoir définitivement résolu un très gros problème sous le couvert de l’ancienne métropole, contrainte par de vieux traités d’intervenir et de courir sur toutes les pistes, même où elle ne devrait pas être présente au regard de la sévère leçon tchadienne. Les accords de Marcoussis n’ont donc pas été respectés. D’où les dérives qui ont conduit aux nombreux charniers et à l’esquisse d’une guerre sous-régionale qui a certes nui à la sous-région mais qui a surtout causé des dégâts économiques en Côte d’Ivoire.

A Marcoussis, le président Laurent Gbagbo avait promis de parler à son peuple dès son retour au pays pour calmer les ardeurs xénophobes et régionalistes.
Le discours prononcé quelques jours après son arrivée au pays ne fut pas celui qu’on attendait. Pillages, vols, viols et meurtres suivirent le discours nationaliste du chef de l’Etat ivoirien. Les étrangers trinquèrent et la Côte d’Ivoire se balkanisa.

L’important n’était pas vraiment d’arranger les choses mais de sauvegarder les intérêts d’un camp. Après Marcoussis, on créa d’autres rencontres pour éviter l’implosion de certaines frontières comme celle électrique qui sépare le Burkina et la Côte d’Ivoire. D’Abidjan à Dakar, d’Accra à Libreville, les ballets diplomatiques succédèrent aux ballets diplomatiques, mais peine perdue.

Comment arrêter cette crise qui chaque jour fait des victimes ? Quelques jours après le meurtre du journaliste français Jean Hélène, c’est au tour de 500 Burkinabè d’être chassés de leur domicile à Gagnoa. Ces centaines de Burkinabè n’ont dû leur salut qu’en prenant leurs jambes à leur cou en direction des forêts et plantations voisines. Eux aussi, ils viennent de tout perdre : argent volé, autres biens pillés et maisons brûlées. L’équipe de l’ONU envoyée sur place pour mesurer les dégâts afin de décider de l’aide à apporter aux infortunés s’est vu refuser l’accès à la ville.

A quoi servent donc les entretiens dans les salons feutrés de Ouagadougou, Dakar, Accra, Paris et Libreville quand la plus grande organisation du monde ne peut pas se faire respecter en Côte d’Ivoire ? Quel sens peut avoir un communiqué final quand il est froissé et jeté aux chiottes de l’avion avant l’atterrissage à Abidjan ?

A Ouagadougou, le président Blaise Compaoré a promis à Romani Prodi, président de la Commission européenne, et au Premier ministre ivoirien, Seydou Diarra, de contribuer à une sortie de crise chez les voisins. Mais cette disponibilité déclarée suffira-t-elle à contribuer à l’apaisement des ardeurs guerrières ayant accouché d’une pagaille sociale et d’un bafouement généralisé des valeurs morales primaires, et ce dans une nonchalance, voire une négligence, posée sur un tissu de démesures ?

La semaine dernière à Accra, les ex-rebelles auraient fait montre d’une réelle volonté de recomposer, mais... quelles garanties de l’autre côté qui exige avant tout la démobilisation des forces militaires de la rébellion ? Ce serait comme inviter quelqu’un à un duel à armes inégales. Qui est fou ?

Dans la nuit de vendredi à samedi à Libreville, au Gabon, la concertation Bongo-De Villepin-Gbagbo aurait engendré un communiqué final dont la teneur a été tenue secrète. Au chapitre des déclarations cependant, le ministre De Villepin, dont le pays commence à se sentir à l’étroit dans le bourbier ivoirien, a déclaré que Laurent Gabgbo est disposé à faire un pas dans le sens d’une sortie de crise. C’est une façon polie de dire qu’on n’a rien à dire à la presse. Il faut se dire qu’on se méfie maintenant des déclarations après les rencontres avec le président ivoirien.

Le chef de l’Etat gabonais, connu pour ses sorties verbales sans détour et sans économie, a lui aussi fait dans la sobriété en sortant le même refrain que le ministre français des Affaires étrangères, avec une nuance de taille cependant : "Attendons que le président Gbagbo se soit adressé à son peuple." Après Marcoussis, le président ivoirien, comme nous le mentionnions plus haut, avait promis de parler à son peuple. Il l’a effectivement fait mais pas dans le sens où toute l’opinion internationale l’attendait. Au lieu d’un discours destiné à apaiser, c’est de l’huile qui a été jetée sur le feu. Depuis lors, l’Ivoirien tue de l’Ivoirien, mange de l’étranger sans regarder l’inhumation de l’économie nationale qui se passe dans son dos.


Avec un discours différent aujourd’hui, contenant tous les parfums d’apaisement, le président Laurent Gbagbo peut-il encore faire pression sur qui que ce soit, sur quelque mécanisme que ce soit dans la machine de guerre sans frein qu’il a lui-même lancée au plus haut sommet de l’ambition ? "Un homme n’est pas malheureux parce qu’il a de l’ambition mais parce qu’il en est dévoré." Cette séduisante réflexion de Montesquieu cadre bien avec la situation difficile dans laquelle se trouve aujourd’hui le président Laurent Gbagbo. Il a profité des forces, il a utilisé tout un monde qui l’a aidé à se maintenir au pouvoir malgré les bourrasques ; on peut affirmer aujourd’hui avec très peu de risques d’erreur que c’est ce monde-là qui gouverne à sa place. C’est ce même club de partenaires qui dicte des lois, des actes et les discours du président.

Au regard des discordances entre les actes, et les discours ces derniers temps, quelque chose ne tourne pas bien rond.
Nous sommes certes habitués aux revirements spectaculaires du chef de l’Etat ivoirien, mais de petits signes montrent autre chose. Il y a de sérieux décalages dans certains événements. Laurent Gbagbo se sait coincé et il est allé chercher solutions à Libreville. C’est à ce moment là précisément que les Bété, ses parents, chassent des centaines de Burkinabè. En période de crise, des événements de ce genre sont légion, mais là, il y a de plus en plus de coïncidences. Trop de coïncidences qui viennent confirmer ce qui apparaît tristement évident : la Côte d’Ivoire n’a plus de gouvernail.

Aux grands maux, les grands remèdes. Comme l’actuel gouvernement transitoire n’en est plus un et que Laurent Gabgbo ne maîtrise plus sa machine, il est donc urgent que l’ONU, l’UA, la CEDEAO entrent sur le terrain militaire et politique. Et massivement. Ces institutions mettront sur pied un nouveau gouvernement de transition avec un chef d’Etat comme Seydou Diarra par exemple, puis sécurisant le pays avant de relancer un nouveau processus démocratique dans lequel interviendront des scrutins transparents.

Quand l’opinion internationale se rendra compte que le dossier ivoirien est un Irak en miniature sans l’invasion, quand on se rendra compte de l’inefficacité des ballets diplomatiques, quand les soldats et les forces de police et de gendarmerie vont se transformer en bandes armées pour dilapider en quelques mois les richesses, il sera sûrement trop tard pour rectifier le tir, trop tard pour sauver ce qui aurait été un beau pays. Et il n’ y a pas de miracle à attendre d’un tête-à-tête Compaoré-Gbagbo dans l’état actuel des choses.

Journal du jeudi

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