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Braquage sur la Nationale 1 : "On l’a échappé belle"

Publié le vendredi 15 octobre 2004 à 07h03min

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Je venais à peine de téléphoner à ma famille et à mon meilleur ami pour leur dire que je venais de traverser Houndé pour Ouaga, que je comptais rallier vers 23h 30. Le temps de déposer mon portable sur le tableau de bord du véhicule, que j’aperçus, à la faveur de la lueur des phares, des gens assis à même la route et des véhicules garés à leur côté.

Croyant que c’était un accident, je demandai au chauffeur de ralentir. Et pendant qu’il manœuvrait, je vis alors quelqu’un courir vers nous, en nous faisant des jeux de torche. "Arrêtez-vous ! Arrêtez-vous ! Coupez le moteur ! Descendez !" , cria-t-il dans un français approximatif. Nous venions de tomber dans un bracage. Il était 20h et nous étions à 8 km de Houndé. "Donnez l’argent vite vite. Vide ton poche de en haut et de en bas. Vite vite !" En un clin d’œil, billets de banque, pièces de monnaie et portables furent transférés de nos poches aux leurs.

Et c’est couchés sur le goudron, le cœur battant la chamade, que nous les regardions fouiller minutieusement tous les véhicules (apparemment une vingtaine), et déverser le contenu des différents sacs de voyage et autres bagages sur le bitume. "Celui qui lève la tête aura chaud", nous lançaient-ils de temps en temps.

Qui étaient-ils ?

Certains trouveront que la question est saugrenue. Pourtant, elle vaut la peine d’être posée, dans la mesure où avant de me retrouver allongé sur la voie, j’avais eu le temps de voir que mon braqueur portait un treillis militaire. Et puis de la dizaine ou quinzaine d’éléments qui constituaient ce gang, un nom revenait sans cesse. Celui de "sergent", qui semblait être le chef de la troupe. Lui aussi aimait interpeller un autre qui se nommait "Jo", et qui devait être le numéro deux. Ce sont ces deux qui donnaient les ordres et répartissaient les tâches aux autres durant les deux heures de temps qu’aura duré l’opération.

Une opération au cours de laquelle aucun coup de feu n’aura été tiré, pas même au moment où un gros camion, malgré les cris de sommation des braqueurs, força le barrage et continua sa route. "Comment vous a fait pour laisser camion-là partir ?", tonna "sergent". Il n’aura pas de réponse. Et au lieu de paniquer à partir de ce moment, ils repartirent au contraire de plus belle pour leurs interceptions de véhicules.

L’enfant braillard

Parmi nous, se trouvait un enfant d’environ 3 ans et demi. Avec ses parents, il voyageait à bord d’un mini car. Durant tout le bracage, il ne cessait de brailler à gorge déployée, en ajoutant ainsi aux angoisses des autres. "Je veux mon argent. Où est mon argent ?", mamonnait-il dans un dioula difficilement compréhensible. "Où est maman de n’enfant là ? Faut donner lui tété sinon je vais zouffler toi hein !", lâcha un des "coupeurs" visiblement excédé par les cris du gosse. "Il ne tête plus", répliqua la maman en dioula également. "Mais pourquoi lui pleurer ?", questionna l’élément. "Il dit qu’il veut son argent qui est tombé" , répondit la mère.

Le braqueur, étonné, repartit alors vers ses compagnons, non sans avoir auparavant et à voix basse traité l’enfant braillard de "salaud". Pauvre petit ! S’il savait que c’était à cause de cette histoire d’argent que papa, maman, les tontons et autres tanties étaient couchés sur le goudron, les uns prêts à pisser dans leurs pantalons ou pagnes, les autres respirant ou ouvrant à peine les yeux, de peur de se faire remarquer !

Pourtant, à y regarder de près, c’est aussi grâce à ce petit homme que beaucoup d’entre nous avaient fini par remarquer que ces bandits avaient tout de même un petit côté "humain", puisque non seulement ils n’avaient à aucun moment fait usage de leurs armes composées de fusils et de coupe-coupe, mais aussi ils n’avaient torturé personne à mort. Et c’est environ 20 mn après qu’ils se sont volatilisés dans la nature que tout le monde comprit que les braqueurs étaient partis.

Ils avaient disparu à pied (peut-être avaient-ils camoufflé des engins ou des véhicules quelque part ?) après avoir placé leurs dernières victimes au milieu de la voie comme boucliers humains, tout en prenant néanmoins le soin de positionner en amont et en aval une grosse moto et un véhicule, histoire d’éviter qu’on ne vienne les écraser.

Forces de l’ordre invisibles

Les bandits partis, chacun après s’être rassuré que le danger était totalement écarté, s’empressa vers son véhicule pour aller constater les dégâts. Bien entendu, les premiers gestes allèrent vers là où on avait laissé de l’argent ou quelque chose d’autre de très précieux. Mais il fallait se remettre à l’évidence. Ces brigands étaient de véritables spécialistes qui n’avaient pas fait dans la dentelle.

"Ne partez pas. Attendez que la gendarmerie vienne faire le constat", cria quelqu’un dans la foule encore sous le choc. Peine perdue. C’était le sauve- qui-peut. En un temps deux mouvements, c’était les rugissements et vrombrissements de moteurs toutes puissances confondues, les uns vers Boni, les autres vers Houndé que mon chauffeur et moi regagnâmes vers 23h. Quelque deux minutes après, j’étais chez le représentant de notre société dans cette ville et qui, après m’avoir écouté et reconnu que nous avions eu beaucoup de chance, se mit en devoir d’informer par téléphone certains de nos responsables, avant de commencer à faire le tour des gendarmeries et commissariats de police, toujours par téléphone.

Gendarmerie de Boromo : "La ligne de votre correspondant n’est pas en service actuellement", s’entendit-il dire par le répondeur automatique de l’ONATEL.
Gendarmerie de Ouessa : "Nous avons été saisis par un douanier et nous avons passé l’information à Dano. Rassurez-vous, nous allons prendre les dispositions pour mieux contrôler les voyageurs qui seront de passage ici. Merci d’avoir appelé", lui expliqua le très aimable et courtois agent trouvé au bout du fil.

Numéro vert de la gendarmerie de Bobo : "Nous avons été informés du bracage à 20h 55 et nous avons repercuté l’information à la hiérarchie", lui annonça le chef de poste. Mais le cas le plus caucasse restera celui de Houndé. "Nous avons été saisis par Dano et même au moment où je vous parle, il y a des gens qui sont là pour ça, pour nous signaler le braquage. Mais nous, on ne peut rien faire, puisqu’il n’y a rien comme moyen de déplacement. Moi-même j’étais obligé de mettre de l’essence dans ma mobylette ce matin pour aller faire le constat d’un accident de la circulation qui a eu lieu à quelques kilomètres d’ici", nous raconta-t-il d’un ton qui laissait percevoir le découragement.

Pour un chef-lieu de province, situé de surcroît à une centaine de kilomètres de Bobo et sur la nationale n°1, avouons qu’il y a de quoi perdre son latin. Pourtant, si j’ai bonne mémoire, le ministre Djibril Bassolet de la Sécurité avait commandé du matériel pour près de 800 millions de FCFA, dans un marché passé de gré à gré avec SOPAM, compte tenu de la spécificité dudit matériel et de l’urgence qu’il y avait à sécuriser nos villes, nos campagnes et nos routes.

Aujourd’hui, la triste réalité est toujours là. Difficile en effet de croire qu’après tous ces bla-bla qu’on nous sert à longueur de journée par interviews ou points de presse interposés, des démembrements comme la gendarmerie de Houndé soient encore là à se ronger les freins, parce que démunis de l’essentiel pour mener à bien leur mission de sécurisation.

Et c’est parce qu’aussi les bandits le savent certainement, qu’ils ont eu le culot d’opérer tranquillement vers les 19h 30, à moins de 10 km de la ville. Alors dans ces conditions, pourquoi ne pas être tenté de donner raison à ces mauvaises langues qui disaient que ce matériel commandé en urgence et dont une partie avait été présentée à la télévision était venu beaucoup plus pour autre chose que pour ce qui a été dit dans les discours. Peut-être que les jours à venir me démentiront cela. Mais d’ici là, combien de bracages seront encore signalés sur nos routes ? Des bracages desquels certains n’auront peut-être pas la chance de sortir indemnes comme nous ?

Gilbert

Observateur Paalga

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