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Côte d’Ivoire : Mandat d’arrêt international contre l’ambassadeur Kessié Raymond Koudou.

Publié le lundi 4 juillet 2011 à 14h07min

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Avec Charles Blé Goudé, Ahoua Don Mello et Philippe Attey, il fait l’objet d’un mandat d’arrêt à la suite des procédures ouvertes pour « infractions sur les biens » et « infractions relatives à la sûreté de l’Etat ». Mais il n’est pas le plus connu de la bande des « gbagboïstes ». Il avait été pourtant le premier ambassadeur nommé à Paris par Laurent Gbagbo. Et ce n’était pas un hasard. Il était jusqu’alors ambassadeur en Israël ; et ce n’était pas un hasard non plus, compte tenu des relations entre Jérusalem et Abidjan : Koudou est un ambassadeur « subversif » !

28 février 1990. Marcel Etté, secrétaire général du Syndicat national de la recherche et de l’enseignement supérieur (Synares), convoque une assemblée générale extraordinaire. Elle se tiendra à 18 heures, le jeudi 1er mars, à l’amphithéâtre Léon Robert de la faculté des lettres. Ordre du jour : « Analyse des événements actuels à l’université ». Le Synares, allié objectif du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, va s’engouffrer, avec toute l’ampleur de ses moyens humains et politiques, dans la brèche ouverte par les étudiants. Le jeudi 15 mars 1990, Félix Houphouët-Boigny annoncera d’importantes mesures d’austérité. Les leaders syndicaux vont appeler à la grève générale. Le Synares publiera une brochure qui va faire date dans l’histoire des luttes politiques en Côte d’Ivoire : « Autopsie de l’économie ivoirienne ». A la « une », après avoir dit « Non à toutes les réductions des salaires », le Synares affirmait que « les Ivoiriens posent désormais la question de la démocratie, c’est-à-dire de l’abolition du système du parti unique ». Six semaines plus tard, le multipartisme était officialisé !

Au Synares, aux côtés de Etté, un homme est en pointe dans le combat contre le régime du « Vieux » : Raymond Kessié Koudou. Il est né le 31 janvier 1953, à Korokuia, à une trentaine de kilomètres au Sud de Gagnoa, en pays bété. C’est à Gagnoa, d’abord, au collège catholique Saint-Jean, puis au lycée classique de Cocody, à Abidjan, que le jeune Koudou va débuter ses études. En 1972, bac en poche, il gagne la France. Destination : université de Toulouse-Le-Mirail. Koudou accumule les diplômes : psychologie clinique et pathologique, sociologie et sexologie, psychophysiologie. Il obtiendra un poste de chargé de cours. En 1980, il soutiendra une thèse de doctorat de 3ème cycle en psychologie génétique et sociale.

La réussite universitaire ne freine pas son action militante. En Côte d’Ivoire, il avait été un des responsables de la Jeunesse estudiantine catholique (JEC-CI), à Gagnoa et à Abidjan. A Toulouse, il présidera l’Union nationale des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire en France (UNEECI), section ivoirienne de la fameuse FEANF. De retour en Côte d’Ivoire, il va débuter une carrière d’enseignant et rejoindra, dès son arrivée, le Synares, prenant des responsabilités au sein de la section de l’Ecole normale supérieure (ENS) d’Abidjan où il est, tout d’abord, nommé responsable pédagogique de l’Unité de psychologie de l’éducation au département des sciences de l’éducation, puis enseignant-chercheur. Au sein du Synares, il va s’imposer comme un des proches collaborateurs de Marcel Etté. Il s’engage également dans la lutte politique au sein d’un groupe clandestin qui, par la suite, donnera naissance au Parti ivoirien des travailleurs (PIT) de Francis Wodié.

Au plan universitaire, Koudou va poursuivre ses recherches sur la psychologie clinique. Compte tenu de la montée de la délinquance juvénile à l’école, dans les familles, au sein de la société…, il va porter ses préoccupations sur la psychologie criminelle. Il travaillera avec le Centre de recherche interdisciplinaire de Vaucresson (CRIV) et préparera un doctorat d’Etat en psychologie génétique et différentielle. Responsable scientifique et de la formation doctorale à l’UFR Criminologie de l’université de Cocody, à Abidjan, il sera nommé enseignant-chercheur en psychologie juridique du délit et délinquance juvénile.

Dans le même temps, la physionomie de la Côte d’Ivoire à changé. Deux ans après les affrontements de février 1990, les « démocrates » seront à nouveau dans la rue pour une marche de protestation. Il y a là Gbagbo, le patron du FPI, Simone Ehivet-Gbagbo, René Dégni Ségui, président de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme, Koudou, secrétaire général adjoint du Synares, Laurent Akou et Gnaoré Oupoh, secrétaires exécutifs du PIT, etc. Ce 18 février 1992, les manifestations seront durement réprimées. Arrestations, jugements, condamnations. Plus de deux cents personnes seront mises en cause dans ces « événements ».

Le « Vieux » meurt en 1993, Henri Konan Bédié prend sa suite, se fait élire en 1995 et perd la présidence en 1999 à la suite d’un coup d’Etat qui ressemble à un coup de bluff. C’est l’intermède du général Robert Gueï et l’élection « dans des conditions calamiteuses » de Gbgabo en octobre 2000. Alassane Salif Ndiaye est ambassadeur à Paris, nommé par Gueï. Gbagbo attendra la stabilisation du nouveau régime avant de confier la représentation diplomatique de la Côte d’Ivoire dans la capitale française à un nouveau titulaire. Ce sera Koudou (qui est aussi, je le rappelle, le nom du père de Gbagbo : Paul Koudou).

Il a été, pendant deux mandats (il prenait la suite de Marcel Etté), secrétaire général du Synares. Il est membre du conseil exécutif de la Fédération mondiale des travailleurs scientifiques (FMTS). Il a rejoint, au lendemain de la chute de Bédié, le FPI de Gbagbo et s’est retrouvé, courant 2000, directeur de sa campagne présidentielle à Gagnoa. « J’ai toujours été à la recherche de la jonction de tous les noyaux de l’opposition, m’expliquera-t-il par la suite. Compte tenu des difficultés pour y parvenir, après une analyse froide et sereine de la situation, j’ai alors rejoint le FPI au sein duquel j’ai milité à la base, au sein de la fédération de Gagnoa. C’est dans ce cadre que Laurent Gbagbo m’a confié un certain nombre de missions ».

Koudou est un homme solide. Physiquement et intellectuellement. Politiquement aussi : c’est un militant de longue date, rompu au débat contradictoire et à la négociation. Il est très proche de Gbagbo. Sa nomination à Paris (il est également ambassadeur auprès du Portugal et de l’Unesco) n’a pas été une décision administrative mais l’aboutissement d’une longue discussion sur ce « qu’il y avait à faire, ce que l’on pouvait faire, comment on pouvait le faire ». Autant dire que Koudou a débarqué à Paris avec un certain nombre de certitudes et des convictions politiques qui lui ont servi de fil rouge diplomatique. « J’ai accepté de venir ici, m’expliquera-t-il, parce que je crois en ce que nous avons décidé de faire. Quand je n’y vois pas clair, je n’y vais pas ». Il y va. Carrément. Avec un seul objectif : « présenter le nouveau régime ivoirien en rupture avec le passé » ; il sera plutôt convaincant dans le discours (cf. LDD Côte d’Ivoire 022/Mercredi 5 juin 2002). Sur le terrain, c’est autre chose.

Mais nommé en France moins d’un an avant les événements du 18-19 septembre 2002, Koudou va alors connaître bien des difficultés avec Paris, Abidjan et les militants parisiens du FPI. Les accords de Marcoussis vont tendre les relations entre la France de Jacques Chirac et la Côte d’Ivoire de Gbagbo. Koudou s’efforcera, dira-t-il, de « travailler dans l’ombre à défendre les intérêts de la Côte d’Ivoire ». Mais ce n’est pas un point de vue partagé par tout le monde. Il est rappelé à Abidjan après dix-huit mois en France et se retrouvera en stand-by. Ce n’est que le 16 novembre 2005 qu’il sera nommé ambassadeur à Tel-Aviv (avec accréditation pour Ankara). Il prendra son service le 1er mars 2006 et présentera ses lettres de créance le 22 mars 2006. Mais c’est une autre histoire : celle des relations entre la Côte d’Ivoire de Gbagbo et Israël.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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