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Le mariage forcé : Une pratique persistante dans le Soum

Publié le lundi 24 septembre 2007 à 07h31min

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Mariage forcé ou mariage précoce, l’on ne saurait retenir un terme précis tellement les deux notions s’imbriquent et se côtoient. A 290 km de Ouagadougou, Djibo, une cité, un phénomène : le don de femme. Les services de l’Action sociale, comme des sapeurs pompiers, sont constamment appelés à la rescousse. Enquête sur une situation gênante en ce début du XXIe siècle.

Le soleil se lève sur la bourgade. Les populations s’affairent à leur quotidien, des travailleurs s’empressent de prendre qui à la maison, qui dans les kiosques de la ville, leur petit déjeuner, et de retrouver leur lieu de travail. Des charretiers alignent leur pousse-pousse autour des points d’eau à la recherche de l’or bleu. Des ménagères s’attellent à rendre leur cour propre. Des coups de Klaxons retentissent par ci et par là, rappelant la proximité d’une gare routière.

Une ambiance quotidienne que n’importe quel observateur ne peut s’empêcher de constater a Djibo, ville située a 290 km au nord de Ouagadougou, la capitale burkinabè.
Un tour dans le quartier traditionnel, couramment appelé Bangoss du fait de l’architecture ancienne en place. Un quartier qui aujourd’hui connaît un début de viabilisation avec le lotissement intervenu. ces dernières années. Difficile d’avoir des renseignements. Ici, l’on est plutôt réservé sur la question du mariage forcé. Peut-être un fait culturel en ce quartier peulh. Le jeune Tamboura est du quartier. Sa réaction est subite : "le mariage forcé c’est surtout chez les mossi et les foulsé (maransé). Chez nous les peulh, il n y a pas de mariage mariage forcé". Et de poursuivre : « chez nous les peulh, le mariage est simple. Les enfants de deux frères peuvent se marier ».

Voilà qui est lâché ! Le mariage en milieu Peulh est consanguin. Un mariage qui ne suppose pas forcement consentement des futurs époux. En effet, chez les peulh, le mariage doit préserver les biens et les liens familiaux. Des cousins germains peuvent consentir le mariage et souvent les promesses se font dès le bas âge. Entre 5 et 7 ans, des filles peuvent être destinées. Une situation qui tout de même crée de nombreux désagréments avec ses cortèges de mariages précoces, de privations de liberté, de mariages forcés, etc. Toutefois selon Tamboura, l’évolution des mentalités est en train de prendre le pas sur ces considérations.

De plus en plus les jeunes peulh s’opposent au choix de leurs parents. « Moi, on m’a donné une fille en mariage. J’ai refusé et je vis aujourd’hui avec celle que j’ai choisie », précise Tamboura. Pour la responsable du centre de formation de l’Action sociale de Djibo, Mme Tamboura (au moment du reportage) les peulh ont maintenant compris : « les dons de femmes, s’ils réussissent, c’est bien mais s’ils échouent, les familles sont disloquées. Des frères peuvent ne plus se communiquer ». Avant donc de contracter le mariage, la fille ou le garçon peut refuser. Chez les peulh on ne bannit pas. Ça peut toujours s’arranger. Mais une fois les liens de mariage scellés, toute séparation a des conséquences incalculables et les tensions demeurent vives entre les deux familles. Quelques échanges avec des personnes avisées ont suffi pour comprendre que le problème réside beaucoup plus du côté des Mossé et des Maransés que chez les peulh. Les cas sont légion.

Un phénomène plus récurrent en milieu mossé et maransé

En 2003, M.S., 17 ans, une fille du village de Bélédé est donnée en mariage à un jeune ne jouissant pas de toutes ses facultés mentales. Après des menaces et brimades de toutes sortes, M.S. prit la fuite et se réfugie chez le préfet du département. Nous l’avons rencontrée dans un foyer qu’elle s’efforce de bâtir malgré l’opposition de ses parents. C’est avec amertume qu’elle raconte sa mésaventure : « Mon oncle à qui j’ai été confiée me battait tous les jours. On me privait de repas et on me menaçait même de mort.

Si je continue à refuser de rejoindre mon foyer. Je passais la plupart de mon temps dans les buissons. Souvent j’y passais même la nuit. Je n’en pouvais plus et j’ai dû les dénoncer. C’est ainsi que j’ai trouvé refuge chez le Préfet du département qui accepta de m’héberger. Celui-ci a tenté de les ramener à l’ordre mais c’était peine perdue. Après l’affectation du préfet, mon oncle a envoyé des gens pour me chercher. C’est là que j’ai fui pour me retrouver à Djibo au service provincial de l’Action sociale. J’ai trop souffert. Aujourd’hui, je vis avec un homme que j’aime ». M.S. est actuellement mère d’une fillette et attend l’assentiment de ses parents pour sceller le mariage.

En 2005, S.D., une fille de 16 ans est donnée en mariage à un vieillard de 65 ans à Bougué dans le département de Pobé Mengao. Après avoir tenté en vain de faire comprendre à ses parents les dangers d’une telle filiation, elle prit la fuite et se réfugia également à l’Action sociale. Les cas du genre sont multiples. Des témoignages pathétiques à couper le souffle. Des filles qui aujourd’hui souffrent dans leur âme. Le phénomène est tellement ancré dans les consciences que même les élèves ne sont pas épargnées.

En mai 2006, juste avant les examens du Certificat d’études primaires CEP), T.A., 14 ans est donnée en mariage à un jeune de 20 ans alors qu’elle était en classe de CM2. Malgré les cris de détresse de la jeune fille, malgré l’opposition de sa mère, de ses frères, le père, ex-délégué et conseiller municipal de son village, maintient sa décision. T.A. est sommée de consommer le mariage. Elle dut son salut au directeur de l’école qui alerta l’Action sociale. Un véritable chemin de croix. Le père refusa toute approche de médiation. Il a fallu avoir recours au maire de la commune pour qu’enfin, il accepte de laisser la malheureuse poursuivre sa scolarité. Aujourd’hui, T.A. est en classe de 6ème au Lycée provincial de Djibo. Elle a réussi, brillamment au CEP en se classant 1re de la province. Nous l’avons rencontrée afin d’en savoir davantage.

Lycée provincial du Soum, à quelques encablures du centre ville. Il est 10 heures 15 minutes. La récréation bat son plein. En uniforme Kaki par-ci, tenues ordinaires par là, les élèves en petits groupes d’amis ou de camarades, animent à leur manière la cour de l’école sans se soucier des professeurs assis, non loin de là, sous un hangar faisant office de parking. « Le proviseur est en classe », fait remarquer le surveillant général.

Peu de temps après, le proviseur nous reçoit dans son bureau en présence de ses principaux collaborateurs. Visiblement, le sujet préoccupe beaucoup le chef d’établissement. Monsieur Ibrahim Bancé (à notre passage) évoque sans complaisance quelques cas qui ont sérieusement perturbé et souvent écourté la scolarité de quelques filles de son établissement. Une situation qu’il déplore dans la mesure où le phénomène, dira-t-il, concerne le plus souvent des enfants assez intelligents. « Ce sont des situations qu’on ne peut plus tolérer. Il faut intensifier la sensibilisation par l’implication de tous ».

Peu de temps après nous réussirons à rencontrer T.A. Avec peine, elle raconte son calvaire : « Mon papa voulait me donner en mariage à un jeune du village. Je lui ai dit de me laisser continuer l’école. Il a refusé malgré l’opposition de ma maman et de mes frères. C’était difficile pour moi. Mais il a fini par accepter. A Firguindi dans mon village, beaucoup de filles sont victimes du mariage forcé. Ce n’est vraiment pas une bonne chose ». Il a fallu de si peu pour arrêter la scolarité de cette jeune fille pourtant intelligente alors que l’éducation des filles demeure une priorité au pays des hommes intègres. Au-delà de ces cas d’espèces que nous nous sommes fait le devoir de citer, les mariages forcés et/ou précoces sont légion dans le Soum. C’est un véritable fléau social dans la province.

Sirgadji, Bougué, Kelbo, Soffi, Arbinda, Bélédé... des villages qui sont dans le cercle rouge des services sociaux. Pour peu que ces innocentes essaient de naviguer à contre courant, elles sont systématiquement bannies, exclues de la communauté et coupées ainsi de leur cordon ombilical. Les conséquences sont énormes : suicides ou tentatives de suicide, climat de viol permanent, risques d’IST ou d’infection à VIH, prostitutions, veuvage précoce, dislocation de liens familiaux, perturbation de scolarité, etc. pour la jeune fille.

Des pesanteurs socioculturelles persistantes. . .

Les tantes sont souvent les derniers recours quand elles ne partent pas vers l’Action sociale. 11 heures, le marché de Djibo, en ce jour ordinaire, grouille de monde. On négocie des prix par-ci, on achète par-là. Quelques malades mentaux préoccupés par leur monde propre, semblent indifférents à tout cet environnement. Mme Djénéba Ouédraogo, commerçante est tutrice d’une fille victime de mariage forcé. « On a promis la fille que j’héberge, en mariage à 14 ans alors qu’elle allait à l’école. Elle a refusé. Les parents l’ont bannie parce qu’ils tenaient à conserver les liens avec ses futurs époux. Elle était obligée de trouver refuge chez moi. Cette année (NDLR : 2006) elle est en classe de 4ème. Pour ma part, le mariage forcé est vraiment une pratique déplorable. Il est très fréquent dans nos villages et contribuent à bouleverser la vie des filles. Il faut que les mentalités changent ».

Changement de mentalités, oui. Mais comment faire ? Il faut nécessairement passer par des actions d’envergure. Sensibiliser surtout. En zone mossi, foulsé et maransé, la tradition garde toujours tout son poids. Et souvent, cette tradition se confond à l’Islam, une religion bien dominante dans la localité. De nombreux parents justifient leur acte par la foi. Plusieurs noms de leaders musulmans sont cités. Beaucoup reste à faire. Un tel état de fait nécessite la contribution de tous. Déjà les services sociaux font des pieds et des mains pour parer à l’essentiel. Certaines victimes sont accueillies dans le seul centre de formation que compte la ville de Djibo.

Mais les capacités d’accueil sont limitées. Pour la tutelle, les services sociaux sont obligés de recourir à des personnes de bonnes volontés, Michel Romba en charge de l’intérim de la Direction provinciale souligne : « le phénomène est très courant dans la localité. Souvent nos agents sont menacés par certains parents. C’est une question de mentalité. Il faut intensifier la sensibilisation. Mais les moyens dont nous disposons sont insuffisants et ne nous permettent pas de couvrir les différentes localités. Si le projet Code des personnes et de la famille pouvait être reconduit et s’intéresser au Soum, ça sera d’une utilité publique pour la localité ».

Pour M. Romba, les solutions judiciaires n’arrangent pas les filles. Elles contribuent au contraire à les exclure de leur communauté. « Nous préférons toujours la négociation pour ramener les parents à la raison. Une fois le problème posé devant les tribunaux, les liens familiaux sont bouleversés. La fille est accusée de vouloir du mal à ses parents et cela ne se pardonne pas. Souvent même la mère récolte les pots cassés. Nous préférons alors négocier, souvent faire appel à des leaders d’opinion pour résoudre le problème et chercher la réintégration de la victime. Nous appelons donc à l’implication de tous ».

Du côté des « défenseurs » du mariage forcé

Difficile d’amener les défenseurs du mariage forcé à témoigner. Toutefois, les raisons de sauvegarde d’un certain honneur, d’une certaine dignité prime sur les questions matérielles.

Pour l’octogénaire Boureima Komi dit « Connaît », le mariage forcé tend à disparaître. Les filles sont consultées d’une façon ou d’une autre soit directement par le père ou par l’entremise de sa tante ou sa mère. Elles acceptent souvent l’homme à elles proposé et au moment de consommer le mariage, elles refusent. Alors que les parents ont accepté la « cola » (NDLR : la dot). « Une fois la cola acceptée, nous ne pouvons plus reculer. C’est une question de parole, d’honneur et ça engage toute la famille.

Très souvent la fille est chassée de la cours et même bannie ». Une vision partagée par la plupart des interlocuteurs que nous avons rencontrés à Titao. "Ce sont les filles qui nous obligent à user parfois de la pression. Elles veulent rester dans la cour et s’adonner à un certain libertinage, Beaucoup finissent par prendre des grossesses dans la cour paternelle. Certaines accouchent des enfants dont elles ignorent exactement le père.
C’est souvent cette raison qui nous amène à leur trouver un toit contre leur gré", soutient Salam Maïga.

Pour certaines personnes, la femme n’a pas de choix. Il faut l’en imposer. « Si vous dites à une femme de choisir son mari, si elle ne choisit pas un lépreux, c’est un aveugle qu’elle vous présentera », dira un père au cours d’un entretien qui nous a été rapporté par des agents de l’Action sociale au sujet d’une affaire de mariage forcé.
C’est dire que le mariage forcé à Djibo tout comme à Titao, loin d’être une question de religion est un état d’esprit. Le phénomène va au delà des frontières du Soum et même du Sahel. C’est un véritable fléau qui constitue une sérieuse entorse à l’éducation de la jeune fille et qui freine considérablement le développement du pays. Il faut une implication conséquente de tous.

Des autorités administratives, politiques en passant par les leaders d’opinions, chacun se doit de jouer sa partition. Une forte implication de la société civile s’impose également. Au nom de la liberté de la femme, au nom du droit équitable à l’éducation, bref au nom de la promotion de la jeune fille et de la femme, chacun se doit de soutenir ces filles et femmes qui souffrent dans leur âme et qui se battent au quotidien pour échapper au diktat de leurs parents en quête d’une sauvegarde tous azimuts de liens familiaux.

Abdoul Salam OUARMA
AIB/Titao

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