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Proverbe du Jour : “Avec de la persévérance et de l’endurance, nous pouvons obtenir tout ce que nous voulons.” Mike Tyson

Trente ans après que l’écrivain Léopold Sédar Senghor ait contribué à la création de la Francophonie, c’est un autre Sénégalais qui devient son premier secrétaire général africain.

Abdou Diouf, qui avait d’ailleurs amorcé sa carrière politique au cabinet de Senghor en 1963, a été élu secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie à Beyrouth en octobre dernier.

Géant de deux mètres de haut, Abdou Diouf symbolise à lui seul la diversité culturelle de l’Organisation. Musulman, marié à une catholique, il a une belle-fille juive et dit lire chaque jour le Coran, de même que l’Ancien et le Nouveau Testament. Le symbole est d’autant plus fort qu’après 20 ans de pouvoir, Abdou Diouf est un des rares leaders politiques africains à avoir abandonné pacifiquement la présidence de son pays après un échec électoral aux mains de son adversaire de toujours, Abdoulaye Wade. La transition pacifique qui a suivi est devenue un exemple sur tout le continent. Voilà pourquoi Jacques Chirac est allé le tirer de sa retraite alors qu’il coulait des jours paisibles à Paris.

Mais la Francophonie ne vit pas que de symboles. Le nouveau secrétaire général est à peine nommé que l’organisation est interpellée sur la question de la diversité culturelle et sur le cas de la Côte-d’Ivoire. Au moment aussi où l’Amérique débute son aventure irakienne. En prévision du 20 mars, Journée internationale de la francophonie, nous l’avons rencontré dans son bureau à Paris.

Le Sommet de Beyrouth a appelé à la démocratisation des pays membres. Comment entendez-vous donner des dents à cette volonté ?

Beyrouth a été un temps fort pour l’engagement de nos pays à plus de démocratie. La question a pris une dimension plus grande à Beyrouth car le Sommet a entériné les résolutions de Bamako, qui ont établi des critères de démocratie et de respect des droits de l’homme.

Nous allons mettre en place une fonction d’observation. Nous préférons ne pas agir seulement quand il y a rupture de la démocratie et violation des droits de l’homme, mais de façon préventive.

Nous mettrons en place un observatoire de la démocratie qui nous permettra de suivre en permanence son état dans certains des États membres, de réagir, mais surtout de prévenir.

Pense-t-on à la création d’un groupe d’action comme il en existe au sein du Commonwealth ?

Nous voulons créer une fonction d’observation. Cela peut se faire à partir de la délégation chargée des droits de l’homme. Nous recrutons actuellement du personnel pour renforcer notre action dans ce domaine. Il est certain aussi que le Comité permanent de la francophonie devra se sentir plus responsable, ainsi que la conférence ministérielle.

Lorsque vous étiez étudiant, vous avez rédigé un mémoire sur l’islam. L’islam est-il compatible avec la démocratie ?

Bien sûr. Ce mémoire, que j’ai rédigé à 23 ans, fustigeait une certaine conception de l’islam. Je m’insurgeais contre l’instrumentalisation d’une religion au nom du fanatisme et de l’obscurantisme. Mon islam est une religion de lumière et de paix. Toutes les sourates du Coran, à l’exception d’une seule pour des raisons historiques, commencent par « Au nom de Dieu, le clément, le miséricordieux ».

Ceux qui prônent un autre islam ne sont pas mes coreligionnaires. Je lis le Coran tous les jours. Mais je lis aussi l’Ancien et le Nouveau Testament. Je vis un oecuménisme permanent puisque je suis musulman et que ma femme est catholique. J’ai même une belle-fille juive. Déjà en 1991, lorsque j’ai tenu un sommet islamique à Dakar, une minorité était partisane d’un islam dévoyé. Il ne faut pas se contenter de la tolérance, il faut aller jusqu’au respect mutuel. Le Sénégal en est un exemple. Son premier président était catholique dans un pays à majorité musulmane. Moi, j’y suis devenu président avec une épouse catholique sans que ça pose problème.

La démocratie doit-elle être considérée comme la priorité de la Francophonie ?

Il est certain que c’est une priorité essentielle. Mais il ne faut pas oublier la consolidation et le rayonnement du français dans le monde. Je veux me concentrer aussi sur l’enseignement du français et son statut dans les organisations internationales. Il devrait être normal que tous les pays de l’espace francophone sentent l’obligation morale de s’exprimer en français dans les organisations et les conférences internationales. Or, on voit souvent le contraire.

Ce n’est pas nécessairement par mauvaise volonté. C’est souvent un phénomène de mode. Mais il faut réagir à ces manquements qui peuvent altérer grandement l’image du français et sa progression dans le monde. Je compte m’investir personnellement pour que les États — membres à part entière, associés et observateurs — privilégient le français dans les instances internationales.

Quel rôle doit jouer la Francophonie en Côte-d’Ivoire où la démocratie est justement en panne ?

Je crois qu’on a évité le pire. Mais la situation est encore fragile. Les protagonistes se sont réunis à Marcoussi et sont arrivés à un accord. Son application a rencontré des difficultés, mais il faut que les protagonistes continuent à se parler. Il faut appuyer les efforts du premier ministre de consensus, Seydou Diarra, qui a été nommé pour mettre en place un gouvernement de réconciliation nationale. Le comité de suivi, où il y a un membre de la Francophonie, est en train d’aider le président Gbagbo et le premier ministre Diarra à appliquer cet accord. Le gouvernement de réconciliation nationale doit créer un climat apaisé et préparer résolument les élections de 2005.

Sitôt après votre élection, vous avec souligné que la Francophonie devait s’occuper d’économie. Il me semble que l’on dit ça depuis longtemps.

Si la Francophonie n’arrive pas à démontrer que la solidarité est une de ses valeurs fondamentales, nous aurons raté le virage. C’est pourquoi j’insiste sur cette dimension.

La Francophonie ne construira pas des routes, mais elle peut jouer un rôle de catalyseur. Le NEPAD (Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique adopté par le G-8) est une idée neuve parce qu’on passe de l’assistanat au partenariat. La Francophonie doit aider les pays africains à définir des programmes viables. Elle doit aussi veiller, avec la France et le Canada, au respect des engagements souscrits par le G-8 et à ce que l’entreprise privée investisse en Afrique.

Cela veut-il dire que l’Afrique a rompu avec l’idée selon laquelle sa pauvreté serait la seule responsabilité des étrangers ?

Bien entendu. C’est un changement d’esprit. Je crois que les torts sont partagés. L’Afrique a conscience qu’après 40 années d’indépendance, elle doit prendre son destin en main.

Vous avez souvent défendu l’idée d’une confédération africaine. Pourquoi ?

Ce n’est pas dans le cadre de nos petits marchés que nous pourrons assurer le développement du continent. Un investisseur doit pouvoir vendre dans tout l’espace africain. Pour cela, nous devons créer de grands espaces économiques. Il ne faut pas se faire d’illusions, il faudra procéder à des abandons de souveraineté.

J’ai toujours défendu l’idée qu’il fallait créer en Afrique cinq grands marchés communs. Il faut créer des fédérations en Afrique de l’Est, du Nord, de l’Ouest, centrale et australe. Certaines compétences doivent aussi s’exercer au niveau de l’Union africaine.

Le Canada est un pays fédéral, les États-Unis et le Mexique aussi. Vous avez aussi créé l’ALENA. Si on laisse la petite Gambie toute seule, on ne pourra jamais développer le continent. C’est ce que nous avons commencé à faire en Afrique de l’Ouest en nous donnant une monnaie commune.

La Francophonie a été la première organisation internationale à se prononcer pour un traité international sur la diversité culturelle. La question sera bientôt soumise à l’Unesco. La Francophonie a-t-elle encore un rôle à jouer ?

Mon premier geste comme secrétaire général a été de mettre sur pied un groupe de travail sur la diversité culturelle. Ce groupe a pris contact avec l’Unesco. Notre ambition est d’obtenir que la question soit inscrite à l’ordre du jour du prochain conseil exécutif, que la prochaine conférence générale en discute et qu’un traité puisse être signé en 2005 avant la fin des négociations de l’Organisation mondiale du commerce.

Il semble pourtant y avoir confusion sur l’objet d’un tel traité. Certains parlent de protéger les aides à la culture, d’autres de protéger les langues en voie de disparition.

Je sais que l’Unesco poursuit l’objectif de préserver le patrimoine culturel mondial. Mais je crois que l’Unesco peut faire les deux. Elle peut à la fois protéger les cultures en difficulté dans le monde, mais aussi se donner un traité qui permette aux pays de soutenir leurs industries culturelles.

Prenez le Québec. Aujourd’hui, 20 % de vos exportations sont représentées par les industries culturelles. C’est une réalisation extraordinaire. Il faut que les pays africains et les autres suivent votre exemple. Ils n’y parviendront pas s’ils sont envahis par les produits du Nord et s’ils ne peuvent pas aider leurs industries culturelles comme vous l’avez fait.

Par Christian Rioux
www.ledevoir.com (20/03/03)

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