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Etienne Traoré, député PDP/PS : “Je suis déçu de nos forces morales, nos cadres et intellectuels”

Publié le jeudi 9 novembre 2006 à 17h36min

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Etienne Traoré

Le député Etienne Traoré, connu pour ne pas avoir sa langue dans sa poche, a été reçu en entretien par Sidwaya. Des législatives à venir aux réformes politiques et institutionnelles en passant par la vie chère au pays des hommes intègres, le nouveau député a abordé toutes les questions dans le franc parler qu’on lui connaît.

Sidwaya (S). : Vous effectuez vos premiers pas à l’hémicycle en remplacement du professeur Ki- Zerbo. Quelles sont vos premières impressions ?

Député Etienne Traoré (E.T.) : J’arrive au moment où la session est en train de s’achever. C’est un peu tard parce que les députés sont déjà en campagne électorale, ce qui pose un problème du point de vue des débats. Actuellement, c’est la session budgétaire, une des sessions les moins directement politiques. Il s’agit de parler du budget de l’Etat, de répartir les fonds selon les ministères, etc.

Ce qui est différent de la session de mars où le Premier ministre intervient pour des questions assez importantes. Je pensais pouvoir faire mieux que cela, mais comme il y a encore les questions orales, je pourrais peut-être apporter ma touche. Sinon, j’arrive au mauvais moment.

S. : Vous étiez très critique vis-à-vis du PDP/PS. Maintenant que vous êtes à l’hémicycle, est-ce que la fronde est finie ?

E.T. : Ah non ! Nous continuons à vouloir redresser la situation. En tant qu’observateurs extérieurs, si vous comparez le PDP/PS des années 1997, 2002 à celui d’aujourd’hui, vous vous rendrez compte qu’il y a un recul sérieux de la base électorale. Nous avons de moins en moins d’électeurs. En créant le courant des rénovateurs, nous allons essayer de trouver des solutions à quelques problèmes que nous avons posées. Il s’agit par exemple, de la nécessité de rajeunir la direction. Dans un pays où la moyenne d’âge est de vingt (20) vingt cinq (25) ans, il est difficile que pour être responsable, il faille avoir soixante quinze (75) ans.

Je dis que ce n’est pas bon. Et nos amis du Parti socialiste et de l’Internationale socialiste l’ont reconnu. En plus de cela, je pensais que le mandat 2002-2007 allait être un mandat de transition faisant en sorte que sur la liste électorale, soient mis à des postes d’éligibilité, 40% des jeunes pour assurer une transition pacifique. Ce n’est pas ce qui s’est passé et vous voyez l’âge de nos députés.

Ce n’est pas un handicap mais, les jeunes sont frustrés même s’ils ne l’expriment pas. Le troisième problème important, c’est qu’il y a une tendance au rajeunissement de l’électorat et à sa féminisation. Mais au sein du PDP/PS, il n’y a pas une politique des femmes. A nos journées parlementaires dernièrement, il n’ y avait qu’un seule femme sur soixante (60) participants. Il faut donc faire en sorte que le parti qui avait créé un certain espoir puisse renouer avec un certain électorat parce que c’est important pour l’alternance dans notre pays.

S. : Lors des élections présidentielle et municipales, le PDP/PS n’a pas du tout décollé. Qu’est-ce que vous envisagez pour insuffler un peu de dynamisme à votre parti ?

E.T. : Il faut d’abord faire le point pour voir ce qui n’a pas marché afin de trouver des solutions. Les solutions, comme je l’ai dit, ne sont pas difficiles à trouver pour peu qu’on responsabilise davantage les jeunes. Il faut qu’on se donne une politique d’attrait des jeunes. On nous montre comme un parti de vieux. Mieux, des vieux qui sont hostiles à la promotion des jeunes. Il faut avoir un langage qui accroche les jeunes.

Il faut pouvoir aller vers l’électorat dans les provinces. Depuis que le Pr Ki-Zerbo est parti, je n’ai pas encore vu la direction aller vers la base en dehors de la période électorale. Ce n’est pas normal. Toutes ces choses peuvent être changées pour redonner l’espoir à ceux qui ont cru un moment au PDP/PS.

S. : Sont-ce ces « guerres » de générations qui ont entraîné le départ de certains cadres du parti ?

E.T. : C’est bien possible. Il y a eu le Dr Zéba, le Dr Paré et récemment le Dr Zoubga. C’est évident, beaucoup de jeunes sont frustrés et ils le manifestent souvent de façon violente en quittant parce qu’ils pensent que leur avenir politique est bloqué.

S. : Une centaine rumeur faisait état du fait que vous ne vouliez pas siéger à l’Assemblée nationale. Cela est-il fondé et quelles sont les raisons de cette réticence ?

E.T. : Il ne dépend pas de moi de siéger ou de ne pas siéger à l’Assemblée nationale. Personnellement, au-delà d’un certain temps, j’étais prêt à ne plus y aller parce que je ne peux plus apporter quelque chose au point de vue débat. Mais il y a ces militants qui pensent que votre placement au niveau du parti est leur travail. Si vous refusez de siéger, ils ne vont pas comprendre. En plus de cela, nous allons aux élections en mai prochain, il serait donc incompréhensif que je refuse de siéger maintenant pour après me présenter aux élections. C’est donc dans cet esprit que je suis obligé de suivre ce que les militants disent. Et je le ferai de mon mieux même si je trouve cela tard.

S. : Le PDP/PS prépare-t-il les législatives à venir en coalition avec d’autres partis d’oppositions ou seul ?

E.T. : Je souhaiterais qu’on puisse faire des alliances les plus larges possibles, mais le parti en décidera. Pour le moment, on n’en a pas parlé mais je dis aux responsables politiques que notre salut se trouve dans les larges alliances.

Si chaque parti d’opposition va individuellement, les dix (10), quinze (15) députés dont je parlais, on ne les aura même pas. Pour maximiser les chances de l’opposition, on a tout intérêt à faire les listes les plus larges possibles.
Je m’inquiète que jusqu’à présent, rien de concret n’ait été mis en place. Dans les partis bien organisés, un an avant, les listes sont déjà faites. Les mécontents, on a le temps de trouver une solution pour les appaiser un peu. Mais ici, même le jour des dépôts, on fait toujours des listes. Et quand quelqu’un est fraîchement mécontent, le lendemain, il sabotte votre campagne. Pour ne pas être ridicule aux élections, il faut qu’on fasse les unions les plus larges.

S. : Vous comptez vous présenter aux élections. Dans cette perspective, comment entrevoyez-vous les débats autour du code électoral ?

E.T. : Je suis un des rédacteurs d’une proposition de loi pour essayer d’harmoniser les chances. Il y a une dysharmonie entre le mode de scrutin proportionnel au plus fort reste et le fait que certaines circonscirptions n’aient qu’un seul député.

Parce que dès qu’il y a un seul député, cela devient une sorte de scrutin majoritaire à un seul tour. Il faut revenir à un système où il n’y a pas de circoncrisption qui n’a qu’un seul député pour être en conformité avec les textes. En plus de cela, on est revenu à la province dans le découpage. Cela pénalise les partis de l’opposition. Mais, si on doit revoir pour qu’il n’y ait pas une seule circonscription qui n’ait qu’un seul député, cela va entraîner soit la supression de la liste nationale, soit l’augmentation du nombre de députés. Je suis pour qu’on supprime la liste nationale pour ne pas augmenter la charge de l’Etat.

Mais, même si on augmentait le nombre de députés, il faut que l’enveloppe budgétaire reste la même pour ne pas peser sur l’Etat. Cela va entraîner nécessairement une réduction des avantages des députés. Si on diminue les charges tout en augmentant le nombre de députés, on aura donné l’exemple au gouvernement, à la primature pour qu’ils diminuent eux-aussi leur niveau de vie.

Les institutions nous coûtent exessivement cher. Comment se fait-il qu’un député bénéficie d’une indemnité journalière qui soit supérieure au SMIG de notre pays ? Si on diminue ces avantages, on pourra mieux répartir le bien public. Il ne faut pas que 10% de la population se retrouve avec 90% du grenier et les 90% se contente des 10%. On nous parle de paix, c’est très bien. Mais, tant qu’on ne va lutter contre les injustices et inégalités sociales, le mot paix n’aura pas de sens. Le vrai nom de la paix, c’est la justice.

S. : Etes-vous de ceux qui pensent qu’avec toutes ces relectures du code, on aura une Assemblée monocolore avec « in fine » une retouche de la Constitution ?

E.T. : Oui je le pense. Je l’ai déjà dis, si on n’y prend garde, si on ne revoit pas les campagnes électorales avec l’argent qu’on y verse à gogo, l’opposition risque d’avoir quinze (15) ou vingt (20) députés au maximum. D’une cinquantaine, si on revient à vingt (20), c’est un recul.

S. : Pensez-vous que le CDP a rompu le concensus politique de 2000 suite aux réformes politiques et institutionnelles ?

E.T. : J’ai l’impression que beaucoup de gens autour du chef de l’Etat ont des intérêts. Il y a une personne du CDP qui m’avait dit qu’ils sont là pour au moins quatre vingt (80) ans, comme le PRI au Mexique. Nous sommes dans un système démocratique, mais souvent nous ne sommes pas suffisamment convertis à la démocratie. Nous venons d’Etats d’exception, il y a une reconversion à faire. Si on revient avec une Assemblée moncolore, cela va ouvrir la porte à tous les changements possibles au niveau de la constitution. Ce qui va être un motif très important de troubles sociaux et même de guerre civile.
Si effectivement Blaise doit rester ad vitam eternam et puis passer le pouvoir à son frère où à un autre, il y aura nécessairement la guerre civile.

Toutes ces personnes, que ce soient les autorités coutumières et religieuses qui parlent de paix, si elles n’ont pas le courage de mettre en cause l’absence d’alternance et les injustices sociales qui se développent, elles ne sont plus crédibles.

S. : Comment jugez-vous les mesures que le gouvernement a prises pour lutter contre la vie chère ?

E.T. : Les syndicats disent qu’ils sont partiellement satisfaits, je souhaite qu’ils n’aient pas de mauvaises surprises. C’est vrai que la vie est chère, mais le problème sérieux c’est que pendant que certains se serrent la ceinture, d’autres déserrent les leurs. Il y en a qui vont en Europe pour faire des cures d’amaigrissement. Nous crions que la vie est chère, mais dès qu’une voiture sort nouvellement en Europe, une semaine après, on la voit circuler au Burkina. C’est cela qui est beaucoup plus grave. Les gens souffrent. Mais ce qui les fait souffir davantage, c’est qu’ils voient une minorité qui vit au rythme des Américains. C’est très frustrant. Et quand quelqu’un souffre et il est frustré, la révolte suit.

S. : D’aucuns disent que c’est parce que l’opposition est « gâteau » qu’il y a toutes ces dérives. Qu’en pensez-vous ?

E.T : C’est vrai que l’opposition n’a pas suffisamment de poigne. Mais je dis aussi que l’opposition, ce n’est pas seulement au parlement. Elle se plaint souvent du fait que ses points de vue ne sont pas pris en compte. Il faut prendre l’opinion à témoin. L’opposition doit donc revoir sa stratégie. La société civile doit également jouer sa partition parce qu’elle doit être à l’avant-garde de certaines luttes sociales. Au Niger, c’est la société civile qui est à l’avant-garde de la lutte contre la vie chère. Il y a un problème général au Burkina. Tous ceux qui se battaient dans le cadre du Collectif ont subi un retassement lié au retassement du Collectif. Que ce soit les organisations politiques ou civiles, chacun paie le fait que le Collectif soit pratiquement en hibernation.

S. : Quelles perspectives d’avenir voyez-vous pour le Burkina Faso ?

E.T : Malheureusement, les perspectives dans l’immédiat, sont assez sombres. Au niveau de la classe politique, ceux devaient apporter la contradiction et le débat sont dans le parti au pouvoir.

Nous sommes le seul pays de la sous-région où plus de 95% des cadres et des intellectuels sont dans le parti au pouvoir. Nous savons comment cela se passe en Afrique. Quand vous êtes dans le pouvoir, bien qu’intellectuel, il vous est interdit de réfléchir. Tout ce qu’on vous apprend à faire, c’est de dire oui. Il n’y a même pas de oui mais, de oui si, c’est un oui tout court.

Cela est un grand malheur pour notre pays. C’est pourquoi je dis que dans l’immédiat, je ne vois pas de perspective du point de vue de la classe politique.
En outre, le fait que l’opposition n’arrive pas à dégager un leader autour d’un programme, je ne vois pas comment on va faire mieux dans l’immédiat. Il y a aussi que nos forces morales ne sont plus des repères.

Il faut le dire franchement, les autorités religieuses et coutumières ne jouent pas leur rôle. Au lieu de sonner la cloche pour dire que la morale s’en va, on les voit tout le temps dans les cérémonies en train de « bénir » les gens du pouvoir. Dans un pays où il n’y a pas de repères, on ne peut pas empêcher les jeunes de faire n’importe quoi. Au lieu d’aller faire du sport, du scoutisme, les jeunes se promènent dans les boîtes de nuit pour faire des atalacoup et acheter des boissons à cinquante mille (50 000) F CFA quatre vingt mille (80 000) F CFA.
Avec toutes ces raisons, on ne peut pas être optimiste. Je suis déçu de nos forces morales, de nos cadres et intellectuels.

S. : Votre dernier mot ?

E.T : Je voudrais attirer l’attention des autorités morales qui sont des recours quand ça ne va pas, pour qu’elles se rassaisissent. A toutes les cérémonies, on voit des bonnets rouges. Pareil pour nos autorités religieuses. Il n’y a aucun recul par rapport à ce qui se fait. Aucune critique comme cela se fait ailleurs. Au nom de leur foi, de leurs coutumes, ils devraient avoir un peu de recul.

Ce n’est pas bon. Ceux qui sont dans le Collège de sages seront difficilement acceptés parce qu’on sait ce que les uns et les autres ont fait par rapport au pouvoir. Je ne pense pas qu’ils soient suffisamment crédibles pour servir d’interface. Aux intellectuels, aux cadres, je leur demande également de se ressaisir. Chacun est libre d’avoir son opinion, mais les gens fuient leur intellectualité et il réfléchissent par le ventre.

Interview réalisée par Pauline YAMEOGO

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 11 novembre 2006 à 14:27, par Mohamed(étudaint) En réponse à : > Etienne Traoré, député PDP/PS : “Je suis déçu de nos forces morales, nos cadres et intellectuels”

    Je voudrais savoir s’il m’est possible d’avoir l’adresse e.mail de Pr. Etienne Traoré

  • Le 12 novembre 2006 à 13:49 En réponse à : > Etienne Traoré, député PDP/PS : “Je suis déçu de nos forces morales, nos cadres et intellectuels”

    Voici au moins quelqu’un qui dit tout haut ce que les intellectuels devaient penser tout bas. Le problème, mon Cher Etienne, c’est qu’à l’heure actuelle, Monsieur Le Président COMPAORE est le seul à incarner le développement du Burkina. Il ne faut donc pas être surpris que tous les intellectuels le suivent, pas forcément d’ailleurs, pour des raisons de "ventre". Personnellement, je soutiens le Président COMPAORE mais je ne lui ai jamais rien demandé et Dieu merci, suis à l’abri du besoin et vivant hors du sérail politique du Burkina. Tant que nous n’aurons pas trouvé une personne capable d’organiser, sérieusement, une alternance politique(nécessaire et souhaitable même par le Président du Faso), il en sera toujours ainsi. Le Prochain Président du Faso risque d’être son épouse qui a assisté au 3ème congrès du C.D.P. et, ainsi, ira le Burkina. Nous en reparlerons dans quelques années...Je serai du débat. Ange TAMBSOBA, France.

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