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Danse contemporaine : Rideaux sur les 6e Rencontres de Paris

Publié le vendredi 5 mai 2006 à 07h38min

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Du 22 au 30 avril 2006, l’Afrique dansait à Paris, en France à l’occasion des 6e Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’Océan Indien.
Organisées par l’AFAA (Association française d’action artistique) ces rencontres ont permis à des compagnies venues d’Afrique et de l’Océan indien de rivaliser dans cette discipline qu’est la danse contemporaine.

Pour la 6e fois, le ministère des Affaires étrangères françaises par l’action de l’AFAA, a donné l’occasion au monde de la danse contemporaine africaine et de l’Océan indien de compétir dans la danse contemporaine. Non pas en Afrique, mais à Paris. Plus d’une trentaine de compagnies issues de 17 pays du continent, de la Mozambique à l’Afrique du Sud en passant par le Burkina Faso ont débarqué dans la capitale française. Onze compagnies sur 98 sélectionnées étaient en compétition. Pendant plus d’une semaine, la fête de la danse contemporaine a drainé du monde. Les jeunes du continent ont pris la parole pour exprimer, avec leur corps les maux qui minent leur pays.

L’Affiche des 6e Rencontres

Plus qu’un concours, ces rencontres chorégraphiques sont un véritable cadre d’expression des corps, des souffrances, des joies, bref des évènements de la vie. Elles offrent l’occasion aux danseurs de parler autrement, de traduire par le mouvement des corps, l’Afrique dans son quotidien. Pour la président du jury Aminata TRAORE du Mali, ancienne ministre de la Culture, « Danser, c’est dire, c’est écrire, de penser avec son corps ».
Onze compagnies étaient à l’affiche dans cette compétition. De celles-ci, il fallait en retenir 3. Grande fut la difficulté du jury à désigner les vainqueurs, tant toutes les œuvres étaient de fort belle facture. Au finish le jury composé de nombreuses célébrités : (Sotigui KOUYATE, Opyo Okach Robyn ORLIN, etc...) ont désigné la compagnie premier temps de Andréya OUAMBA du Sénégal qui a présenté Impro-visé-2 comme le meilleur spectacle.
Le deuxième prix est revenu à la Compagnie Culturate de Panaïbra Gabriel du Mozambique avec sa pièce Dentro de mim outra ilbu (une autre île à l’intérieur de moi-même ».
La compagnie Li-Sangha de Orchy Nzaba contre toute attente comme il en est de même pour Gabriel Panaïbra a raflé le troisième prix. Toutes ces trois compagnies bénéficieront d’une tournée en France, en Europe pendant trois mois et certainement en Afrique courant 2007.

La déception était perceptible
Longue et pénible fut l’attente des résultats au siège de l’AFAA situé à quelques pas de « la Place des invalides ». Elles étaient nombreuses les compagnies à croire en leur chance eu égard à la qualité de leurs œuvres. Sont de celles-là, la Compagnie Sombo de notre compatriote Léwy KOAMA qui a présenté « Où allons nous ? ». Il en est de même de la Compagnie Mhayise Productions de Muser Hlatshwaya avec son spectacle « Umthombi » ou « jeune garçon » et bien d’autres encore. A la joie des vainqueurs se mêlait la déception des perdants qui n’ont pas du tout démérité.

Mais comme le disait quelqu’un « l’essentiel c’était de participer ». Il faut s’armer de courage, d’abnégation et de travail pour affronter les 7es Rencontres de Tunis. Les rideaux des 6e Rencontres chorégraphiques sont tombés à Paris. En attendant que se lèvent ceux du Tunis en 2008, chorégraphes et danseurs ont été renvoyés à leurs planches.

Et comme l’a si bien dit Aminata TRAORE, « C’était gai, beau, émouvant, mais seulement des questions restent posées. Vous dansez pour qui ? Qui danse pour l’Afrique ? L’Afrique danse pour qui ? ». A toutes ces questions comme à celles qui n’ont pas encore trouvé de réponses, il appartient aux danseurs et aux chorégraphes d’y répondre, en 2008 peut-être ?

Par Frédéric ILBOUDO (depuis Paris)


Aminata Traoré

Aminata TRAORE, Présidente du jury :“Le financement extérieur dans le culte ne doit pas être l’arme de l’uniformisation dans ce domaine”

C’est emblématique combattante dans l’altermondialisme et ancienne ministre de la culture d Mali Mme Aminata TRAORE qui a présidé les 6e rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’Océan Indien qui se sont découlées du 22 au 30 avril 2006 à Paris. Dans l’interview qu’elle a accepté nous accorder après la proclamation des résultats le 29 avril 2006 au siège de l’AFFA (association Française de l’Action Artistique) Mme TRAORE n’a pas mâché ses mots quant à la tendance à une uniformisation de la danse.

« L’Afrique qui danse à Paris », qu’est-ce que ça vous fait vous femme de culture ?

Aminata TRAORE (A.T.) : L’Afrique danse partout déjà à travers le monde. Peu importe le lieu où elle danse, c’est le temps, c’est l’événement que l’on cherche. Mais la question qui reste poser, c’est quelle est cette Afrique qui est sur scène. C’est ça qui m’importe.

Pour qui dansons nous ? Est-ce que nous puisons comme nous savons le faire dans nos propres patrimoines ? Est-ce que nous rendons compte de la diversité, de la richesse de ces danses ? Où alors essayons-nous d’entrer dans des moules préétablis avec des critères prédéfinis qui tue la danse ? Je me devais donc de rappeler le souci de la diversité culturelle, qui exclut le mimétisme chorégraphique et une forme d’uniformisation. C’est extrêmement important qu’on le dise et qu’il y ait aussi dans ce domaine un débat. Comme je l’ai dit, les organisateurs de ces 6e rencontres ont porté leur choix sur moi, c’est aussi une plate-forme qu’ils m’ont offerte pour que je puisse dire ce que je pense.

J’aurais pu garder mes distances en disant, ça ne me concerne pas, mais moi je sais que ces centaines de jeunes qui sont impliqués dans ce processus ont besoin que des gens qui sont dans ma position en tant qu’ancien ministre de la culture, mais aussi, critique de la mondialisation, je questionne ce type d’événement en quoi ces rencontres sont uniformisations ou globalisations, ou alors il est possible pour l’Afrique dans ce domaine aussi de se frayer une voie, de s’affirmer et de s’imposer. Et ce défi, je ne dis pas qu’il est relevé, mais c’est cette question qu’il fallait posé et qu’il faut continuer à poser.

Ce qui est bien, nos interlocuteurs français ne sont pas contre, c’est dire qu’il faut que nous africains nous cessions d’être frileux, timides et complaisants. Nous devrons dire les choses telles quelles sont. On a vu 11 compagnies, qui par rapport aux autres années en tout cas ceux qui suivent ce festival depuis longtemps, on a tous estimé qu’il faut qu’on insiste d’avantage sur la qualité.

Quant vous demandez à quelqu’un de créer et que la personne ne peut pas se référer à ses propres repères, vous lui posez un problème. Et c’est pour ça que moi je dis, allons donc vers une danse contemporaine qui rend compte de l’Afrique contemporaine, dans ces difficultés certes, mais aussi dans ses richesses.

Pensez-vous qu’on peut parlez aujourd’hui d’identité culturelle ou artistique, quant on est assujetti aux subventions et autres aides pour développer sa propre culture ?

A.T : c’est à nous de le rappeler, parce que le fait d’en débattre la montre et le donateur sait qu’on sait, qu’on a compris. Et que d’un côté, vous ne pouvez pas verrouiller vos frontières et demander aux gens de rester chez vous et danser selon vos pas. Il s’agit de la danse, mais j’aimerais vous dire qu’en économie aussi nous dansons selon leur pas puisque c’est eux qui donnent le rythme l’orchestre, et nous, nous dansons selon leurs normes et leurs valeurs.

C’est pour cela que je dis que dans le domaine de la culture, nous devrions avoir d’avantage de liberté, de marge de manœuvre et d’espace d’affirmation et de revendications. Je me devais de la dire aux jeunes, en disant qu’ils ont le droit de dire non en dansant et pas seulement face aux régimes africains, aux réalités du continent, parce que généralement on préfère que toute la critique, toute la contestation soit contre nous-même. Dans le théâtre, le chant et la danse, moi je le veux bien, mais il faut aller au-delà et se demander si le financement extérieur doit être l’arme de l’uniformisation dans ce domaine aussi ?

Comme en matière de politique économique, ou alors les acteurs culturels du nord et du sud vont trouver que la culture c’est d’abord un espace de liberté, un processus de libération et revendiquer leur rôle dans un contexte où notre continent souffre considérablement. Alors moi je ne veux pas souffrir aussi dans le domaine de la culture. Je sais que toute recherche est souffrance, de remise en question, mais ces repères-là, il faut les chercher, et c’est pour cela que je disais à Salia SANOU qu’il est urgent qu’on répertorie aujourd’hui les danses.

On est ici à Paris pour parler de à chorégraphie, mais même quant on regarde, nos télévisions aujourd’hui, c’est pathétique. La danse du ventre et des fesses, je m’excuse, tout le continent d’un bout à l’autre danse de la même manière. Si nous voulons nous plaindre avec les normes européennes, nous devons nous poser la question aussi de la transmission et du partage en Afrique même. Quant nous essayons de partager en matière de danse entre africain ce sont les danses de l’Afrique centrale qui formatent le reste.

Et quant je vois des griottes maliennes dépigmentées avec trois ou quatre gars derrières en train de gesticuler, je me demande ce que cela vient faire avec ce que moi je sais de l’épopée Manding et de l’épopée Bambara. Alors donc, c’est un grand débat et je pense qu’on a eu l’avantage de l’aborder ici au cours de ces 6e rencontres chorégraphiques et les premiers responsables de l’AFFA en occurrence M. Olivier Poivre D’ARVOR semblent être ouvert au débat.

Moi je fais des combats et je sens qu’ils se sentent concerner et c’est pourquoi je leur ai demandé de faire au moins bon usage de leurs ressources, et ne pas contribuer à créer une Afrique marginale. Parce que la marginalisation vient du fait que vous voulez absolument vous moulez dans le moule de celui qui vous regarde et c’est lui qui vous juge, vous sanctionne, qui fixe les prix, comme en économie. Alors il faut sortir de ce craquant.

Nous vous savons très engager dans le combat de l’altermondialisme, qu’elle est la place de la culture dans cette lutte ?

A.T : Si je vous parle comme ce la c’est précisément parce que dans le domaine de la lutte pour l’autre Afrique possible, nous avons suffisamment mâchés ces questions. Et c’est dans ce domaine que nous avons énormément de possibilités. Autant on ne peut pas faire plier les institutions de Bretton Woods (FMI, Banque Mondiale etc.) autant, dans ce domaine, on peut leur dire au moins d’avoir la décence de ne pas inter-ferrer. Mais cela veut dire que nous-même africains, on ose. Hors, moi, c’est cela qui me fais de la peine parce que la nouvelle génération est pressée d’avaler cette pilule d’une globalisation qui l’exclue.

Regarder ce qui s’est passé à Ceutta Mellila, tout ce qu’on voit aujourd’hui, le dossier de l’immigration est l’illustration la plus parfaite du mensonge, de l’institutionnalisation du mensonge. On nous ment de manière éhontée en nous disant qu’on est un seul monde, que toutes les frontières doivent s’ouvrir. Les nôtres s’ouvrent à leurs marchandises et à leurs déchets, mais eux ils rejettent nos enfants.

A partir de ce constat, je pense que nous sommes à un tournant, à un tournant grave, mais qui est salutaire dans la mesure où il devrait permettre à l’Afrique de se ressaisir. Nous ne devons en aucun cas perdre la riche diversité de notre culture africaine, il faut au contraire la retravailler. Il faut certainement la moderniser et la contemporanéité car elle doit porter sur ces réalités-là, mais il ne s’agit pas d’y renoncer ou de les transformer de fonds en comble et de les rejeter sous prétexte que c’est ethnique ou traditionnel.

Les cultures dont nous avons le plus besoin aujourd’hui sont des cultures vivantes, des cultures de transformation, des cultures qui doivent nous permettre de vivre. L’initiative des spectacles doivent venir de nous, c’est nous qui devons pouvoir créer nos spectacles les vendre, les exporter. Mais il faut d’abord en parler. Si l’Europe veut nous accompagner dans ce sens-là, elle est libre et doit pouvoir le faire si elle est sincère et conséquente avec elle même. Mais l’initiative de la politique et de l’orientation, l’à où nous devrons aller, ce n’est pas à d’autres de nous le dire, personne ne doit nous le dicter. Il faut aussi que nous sachions revendiquer et proposer.

Par Frédéric ILBOUDO (depuis Paris)

L’Opinion

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