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Terrorisme : « Il ne faut pas que les pays côtiers oublient que le Burkina constitue un bouclier pour eux » (Dr Pierre-Claver Hien sur la création de l’Alliance des Etats du Sahel)

Publié le lundi 2 octobre 2023 à 11h03min

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Terrorisme : « Il ne faut pas que les pays côtiers oublient que le Burkina constitue un bouclier pour eux » (Dr Pierre-Claver Hien sur la création de l’Alliance des Etats du Sahel)

Quels sont les enjeux de la création de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) ? C’est à cette principale interrogation que Dr Pierre-Claver Hien, maître de recherche en histoire des relations internationales au Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST) a répondu à travers cette interview en cet après-midi du mardi 26 septembre 2023. Au-delà des rappels historiques et des perspectives, le spécialiste Pierre-Claver Hien interpelle.

Lefaso.net : Avez-vous été surpris par la création de cette organisation tripartite, l’Alliance des Etats du Sahel (AES) ?

Dr Pierre-Claver Hien : La compréhension de cette alliance convoque l’histoire. Ai-je été surpris ? Pour une fois, je dirai non, parce qu’on voyait venir. Il vous souviendra que le Premier ministre du Burkina, Apollinaire Kyelem de Tambèla, avait déjà évoqué l’idée d’une Fédération entre le Burkina Faso, le Mali et la Guinée. Seulement en son temps, j’ai eu le sentiment qu’il était le seul à en parler avec force et conviction ; parce que je n’ai pas entendu les hautes autorités (sauf si je me trompe) du Mali ou de la Guinée en faire écho. En réalité, ces deux pays, la Guinée et le Mali, ont un souvenir très amer en matière de Fédération. Le Mali a connu ce qu’on a appelé en son temps, dans les années 1958-1959, la Fédération du Mali, qui regroupait le Soudan français (actuel Mali), le Sénégal, la Haute-Volta et le Dahomey.

La capitale de la Fédération du Mali devrait être Bobo-Dioulasso. Mais, une fois que le président Félix Houphouët-Boigny a soustrait le président Yaméogo (de la Haute-Volta) et le président du Dahomey Apity pour former ce qui va devenir le Conseil de l’Entente, la Fédération du Mali, réduite à deux (le Sénégal et le Mali), a lamentablement échoué par suite de conflit de leadership, d’hégémonie entre notamment Modibo Keïta et Léopold Sédar Senghor. Quant à la Guinée, il a existé en 1960, ce qu’on a appelé l’union Ghana-Guinée, qui était une sorte de Fédération également, qui liait, sur la base idéologique et politique, deux Etats qui n’étaient même pas frontaliers. Ils ont été rejoints, en 1961, par le Mali, et en 1962, ça s’est effondré. Donc, le Mali comme la Guinée, n’étaient pas pressés véritablement, à mon sens, de s’engouffrer dans une expérience fédérale après ce qu’ils ont connu.

Cela pourrait expliquer un peu la méditation de leurs autorités. Pour revenir au sujet à proprement dit, on peut dire qu’on voyait venir, mais on ne savait quand, ni sous quelle forme cette organisation entre les pays en transition actuellement allait prendre. Maintenant, avec la création de l’AES, on se rend compte que ce n’est pas une Fédération, pas non plus une organisation internationale confédérale ; c’est une alliance.

Les raisons qui ont prévalu à l’échec des tentatives précédentes ont-elles disparu ?

On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve ; les expériences aussi ne sont pas dans les mêmes contextes. Ce n’est pas parce qu’on a échoué une fois qu’il ne faut pas recommencer. Et comme je le précise d’ailleurs, là, il ne s’agit pas d’une fédération, non plus d’une confédération, mais d’une alliance. Elle peut évoluer vers autre chose, mais pour le moment, c’est une alliance, et ce n’est pas à comparer avec les tentatives passées.

Ce n’est pas une fédération, non plus une confédération, mais une alliance. Cela ne confère-t-il pas un caractère conjoncturel à l’AES ? Etait-ce vraiment l’idée du Premier ministre ? N’est-ce pas plutôt, au regard de l’atmosphère qui entoure les pouvoirs au Mali, au Burkina puis au Niger, une union pour la survie des trois pouvoirs ?

Le contexte actuel a rendu cette alliance-là urgente. Urgente, parce qu’au lendemain du coup d’Etat au Niger, la CEDEAO ayant dit qu’elle allait intervenir militairement, le Burkina Faso et le Mali ont fait une déclaration conjointe pour dire que toute intervention au Niger équivaudrait à une déclaration de guerre contre le Mali et le Burkina Faso. Alors, quand on a dit cela, on ne s’assoit pas en attendant l’intervention ; on s’organise. Ce contexte a accéléré donc la marche vers cette alliance (il s’agit même de donner un cadre légal à une éventuelle intervention au Niger). C’est donc une alliance pour la vie et non pour la survie, parce que pour survivre, il faut vivre.

Lire aussi : Burkina, Mali, Niger : Les trois pays mettent en place une « Alliance des États du Sahel »

Faut-il y voir la mort du G5 Sahel ?

Si le G5 Sahel venait à mourir, c’est qu’il est né moribond. Le G5 Sahel avait pour vocation de lutter contre le terrorisme, mais sa composition était telle qu’il pouvait difficilement atteindre ses objectifs ; parce que cette organisation qui a été instituée en 2014 a pour siège la Mauritanie, qui, à mon avis, n’a pas trop souffert du phénomène terroriste (je crois qu’ils se sont bien pris, ils ont su anticiper). Mais, entre nous, comment voulez-vous lutter contre le phénomène terroriste sans intégrer l’Algérie, qui a une longue expérience en la matière et dont les frontières sud peuvent constituer des zones de refuge pour les terroristes en cas d’attaque ? Comment peut-on lutter efficacement contre le terrorisme, en excluant un pays comme le Nigeria (où le phénomène a commencé avec Boko haram) ?

Donc, il y a ces calculs géopolitiques inavoués, qui sont tels que le G5 Sahel avait très peu de chance d’aboutir à ses fins. Sinon, quand on parle de la mort du G5 Sahel, ce n’est pas la création de l’AES qui sonne le glas, c’est le départ du Mali. Lorsqu’on a empêché le Mali d’accéder à la présidence tournante du G5 Sahel, le 17 mai 2022, il s’est retiré. Et en se retirant, le G5 Sahel, sur le plan territorial, est coupé en deux : on a un morceau qui est la Mauritanie et le reste (parce que le Mali fait frontière avec le Burkina et le Niger). Le G5 Sahel vivote encore, parce qu’il y a toujours un secrétaire exécutif. Donc, on ne peut pas mettre sa mort sur le dos de l’AES, on dira qu’il est mort de ses propres turpitudes (surtout après le départ du Mali, il battait de l’aile).

Ces deux structures pourront-elles exister en même temps ?

Pratiquement, ça va être difficile. C’était cinq pays, vous enlevez trois pays (Burkina, Mali, Niger), il reste le Tchad et la Mauritanie. Mais comme les Africains ont le secret d’avoir des institutions qui fonctionnent ainsi, rien ne surprend. Sinon, le G5, réduit en G2, ça va être difficile, surtout avec l’actualité telle qu’elle se présente, caractérisée par le départ annoncé des troupes françaises du Niger. Qui va accompagner le G5 Sahel du point de vue matériel, renseignement, etc. ?

La charte ouvre la porte à tout Etat qui partagerait les mêmes réalités géographiques, politiques, socio-culturelles acceptant les objectifs de l’alliance. Faut-il comprendre ici un clin d’œil fait aux Etats africains, notamment de la sous-région ouest-africaine, à opérer un nouvel ordre, révolutionnaire ?

Révolution ? Je concède, en prenant la révolution au sens large du terme, à savoir un changement radical dans un contexte donné ; parce que si on entre dans les détails, ça devient plus complexe que cela. Les situations ne sont pas les mêmes, d’un pays à l’autre. C’est vrai qu’il y a une situation révolutionnaire avec la transition au Mali, au Burkina Faso, c’est plus clair parce que je me souviens que le président Ibrahim Traoré a reçu le flambeau du Mémorial Thomas Sankara, pour poursuivre l’œuvre du président Sankara. Et au regard également d’un certain nombre d’actes qui sont posés, on peut être amené à dire qu’il agit dans les sillons du régime de la Révolution démocratique et populaire. Le Niger vient d’opérer son coup d’Etat, je pense que la CEDEAO et le peuple ont, d’une certaine manière, imposé au général Tchiani d’être révolutionnaire. Quel que soit ce qu’il voulait faire, dès lors que vous imposez des sanctions inimaginables, vous menacez d’intervention et que le peuple se lève pour dire non à telle ou telle chose, il se trouve forcé à poser des actes révolutionnaires.

Concernant le droit d’adhésion, l’article 11 de la charte est à la fois ouvert et fermé. Ouvert, parce que d’autres Etats peuvent adhérer. Mais quand on se réfère à ce qu’il dit, à savoir les conditions géographiques, politiques et socio-culturelles, alors c’est un peu fermé. Aussi, quand on se réfère à la dénomination de la Charte, Charte du Liptako Gourma, on fait allusion à un ancien Emirat, qui a pour capitale Dori. Et qui dit Gourma, désigne également la rive droite du fleuve Niger.

Si clin d’œil il y a, ça concerne surtout la Guinée, et dans une moindre mesure le Bénin ; parce que le fleuve Niger prend sa source en territoire guinéen, traverse le Mali. Il a servi de frontière entre la Haute-Volta et le Niger de 1919 à 1926 avant d’intégrer le Niger, effleure le Bénin dans sa partie frontalière avec le Niger et traverse le Nigéria pour se jeter dans le Golfe de Guinée. Donc, pour moi, le clin d’œil, c’est surtout à la Guinée, qui remplit à mon avis également, les critères géographique, politique et socio-culturel actuels. Aussi, le Bénin, à partir du critère fleuve. Donc, c’est pour dire que ce n’est pas très ouvert.

Quelle pourrait être la réaction des institutions africaines comme la CEDEAO et l’Union africaine ?

Je ne vois pas comment elles réagiraient, parce que quand vous prenez la charte, elle réaffirme son attachement à l’ONU, à l’Union africaine et à la CEDEAO. Par ailleurs, l’intégration à l’échelle continentale ou régionale n’exclut pas les formes d’organisations à de plus petites échelles. Il y avait bien la CEDEAO, mais aussi le Conseil de l’Entente. Donc, tout dépend des organes qui seront mis en place par l’AES. La CEDEAO par exemple ne peut pas agir actuellement, sinon ce serait en méconnaissance de cause. Contrairement par exemple au G5 Sahel, où les organes étaient très clairement décrits par la Convention qui institue l’organisation, l’AES dit que les textes seront complétés. Donc, pour le moment, c’est difficile de dire quoi que ce soit.

Le G5 Sahel a été critiqué d’être une fabrique de la France, l’AES (Alliance des Etats du Sahel) n’est-elle pas non plus une inspiration de la Russie, quand on se réfère à l’actualité ces dernières années et à tous les ballets de délégations russes, notamment à Bamako et Ouagadougou auprès de Goïta et de Traoré ?

Il faut toujours situer les choses dans leur contexte. Comment le G5 Sahel est-il né ? Le G5 Sahel est né après l’Opération Serval, en 2013, qui a stoppé la progression du MNLA, qui s’était allié à des terroristes, comme Ansardine et autres, vers Bamako (ça a stoppé, même si par la suite, ça n’a pas été permis d’aller jusqu’à Kidal). Par la suite, il y a eu l’opération Barkhane, qui avait une ambition de longue durée de lutte contre le terrorisme. C’est dans ce contexte qu’est né le G5 Sahel. Et pourquoi ? Parce que la France, après Serval et Barkhane, ne va quand même pas venir combattre le terrorisme à la place des Africains ! Cela est clair. Il fallait donc que les Africains s’organisent, tissent des partenariats avec la France qui ne peut que les accompagner.

Donc, je m’inscris en faux, par rapport à ceux qui disent que c’est la France qui a créé le G5 Sahel. De même, il faut bien reconnaître que le Mali, surtout, a une longue tradition de relations avec la Russie (au temps de l’Union soviétique), le Burkina Faso aussi sous la Révolution. Ces relations se sont un peu émoussées, mais actuellement, elles se sont renforcées, parce que ces pays-là parlent le même langage sur l’échiquier politique international. Alors, de là à dire que c’est la Russie qui a inspiré aussi l’AES, il n’y a qu’un pas, que moi, je ne vais pas franchir ; parce que, je pense qu’il faut qu’on arrête d’infantiliser les dirigeants africains, les chefs d’Etat africains, en les considérant comme des gens qui n’ont jamais eu d’initiatives. Ils peuvent prendre des initiatives endogènes, stratégiques, mais comme il n’y a pas de vie en autarcie, ils peuvent les mener avec des puissances. Donc, on ne peut pas toujours accuser le colonisateur ou d’autres puissances d’être toujours en train de nous dire ce qu’il faut faire. Je pense qu’il faut moins infantiliser nos chefs d’Etat.

Lire aussi : G5 Sahel : Mohamed Ould Ghazouani, président de la république islamique de Mauritanie est porté à la tête de l’institution

Concrètement, c’est quoi la nouveauté et/ou la force de l’AES ?

L’AES a fait la synthèse de deux organisations qui existaient. La première, c’est l’Autorité du Liptako Gourma, créé en 1970, avec pour vocation de promouvoir la coopération entre trois Etats (le Niger, le Mali et le Burkina Faso), qui sont d’ailleurs les trois anciennes colonies de l’Afrique occidentale qui n’ont pas accès à la mer. Elle voulait harmoniser la coopération en matières minière, agro-pastorale, de construction d’infrastructures et de mobilité. Seulement, l’espace couvert par le Liptako Gourma concernait les zones frontalières. Aujourd’hui, on parle de plus en plus de zone des trois frontières, qui correspond à, en gros, 270 000 km2 (en tout cas, c’est moins de 300 000 km2). La force de l’AES, c’est qu’elle s’étend sur tout le territoire de chaque Etat (environ 2 800 000 Km2), ce ne sont pas les espaces frontaliers seulement.

La deuxième organisation dont elle s’est inspirée, c’est le G5 Sahel, dans sa dimension géopolitique. La charte de l’AES repose certes sur l’aspect sécuritaire, mais prône aussi un volet économique, puisqu’elle proscrit les embargos, les blocus afin de permettre une sorte de co-développement. Quand on voit ces deux dimensions, économique et géopolitique, le droit sécuritaire, l’élargissement de l’espace territorial, c’est cela la nouveauté, qui constitue en même temps sa force.

L’AES est créée le 16 septembre 2023, alors que le 6 septembre, le compte-rendu du conseil des ministres au Burkina a annoncé la création d’un TAC (Traité d’amitié et de coopération) Burkina-Mali, à l’image de ce qui existe entre le Burkina et la Côte d’Ivoire, et dont on s’interroge sur le sort. N’est-ce pas les prémices de la fragilité de l’AES et la preuve qu’elle est une création de circonstance pour le besoin de ses géniteurs ?

Dans le principe, ce n’est pas exclu, parce que le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire sont bel et bien deux pays du Conseil de l’Entente, de la CEDEAO, de l’UEMOA, mais ils ont signé un TAC. Le TAC, c’est quelque chose de plus concret, une sorte de fiche programmatique, de réalisations à faire dans le sens du développement des deux pays qui sont liés par l’histoire et la géographie. Maintenant, il ne faut pas exclure qu’on dépasse ce TAC au profit d’autres organisations. Ce qui rend difficile l’analyse, c’est qu’on n’a pas encore les organes très clairement définis de l’AES. Mais, comme vous l’avez relevé, le TAC Burkina-Mali a devancé l’AES ; donc, c’est dans le cadre de l’AES qu’ils vont gérer les formes d’opérationnalisation du volet économique et les autres contraintes.

La situation au Mali diffère de celle au Burkina, et même au Niger, en ce sens que depuis 1963, des groupes armés y revendiquent un territoire. Dès lors, ne va-t-on pas assister à une autre configuration de la crise sécuritaire dans les trois pays ? En clair, ne faut-il pas s’attendre à une sorte de mutation de la crise avec la création de l’AES ?

C’est vrai que la question de la crise au Mali est ancienne avec l’AZAWAD et la rébellion touarègue au Niger, mais le fait de se mettre ensemble rappelle une chose : une stratégie. Qu’est-ce qu’on gagne à se mettre ensemble ? Toute la stratégie de ces trois pays-là doit s’articuler autour d’une mutualisation, voire fusion, des moyens pour que les espaces frontaliers cessent d’être des espaces de refuge, des sortes de boulevard d’où partent les terroristes pour attaquer les pays. Sans cela, selon la pratique et les conventions, le Burkina Faso ne peut pas poursuivre des terroristes jusqu’à plus de 50 km à l’intérieur d’un pays voisin. Aujourd’hui, si cette alliance marche, il ne sera plus question de limiter, n’importe quel pays des trois peut poursuivre, d’ailleurs avec le concours de l’autre, les terroristes. Cela est très important.

Au nom des micros frontières, les terroristes se réfugiaient dans d’autres pays pour attaquer l’autre. On peut craindre de souffrir beaucoup avec la création de l’AES ; parce que c’est comme si on multiplie le danger, mais c’est justement cela qu’il fallait faire depuis et qu’on n’a pas fait. La lutte contre le terrorisme n’allait pas durer si les pays ne s’asseyaient pas pour dire que c’est tel ou Etat qu’on attaque. C’est ainsi qu’on a regardé attaquer le Mali, ensuite le Niger et aujourd’hui le Burkina Faso, et les autres regardent. C’est cela la réalité. S’il y avait eu l’idée de mettre ensemble les forces, ça serait certes dur, mais efficace. Et ce que je dis concerne les Etats côtiers, il ne faut qu’ils oublient que le Burkina Faso, surtout, est un bouclier pour eux ; sinon l’objectif des terroristes, c’est d’aller jusqu’à l’océan. Mais si au lieu de mutualiser les forces, on s’assoit pour dire que c’est le Burkina Faso qui a chaud, c’est oublier que c’est une progression. On voit déjà comment certains pays côtiers voisins du Burkina sont agressés. Il faut donc mutualiser les forces, souffrir ensemble pour gagner ensemble.

La transition dans chacun des pays est tenue par un calendrier (excepté le Niger). Or, cette nouvelle alliance a besoin de temps pour faire ses preuves. Sera-t-elle à même de réussir sa mission dans les délais conformément aux calendriers qui fixent la fin de la transition en 2024 pour le Burkina, même si le Mali vient de repousser son élection de sortie de transition. Autrement, faut-il s’attendre à une prolongation de la transition au Burkina ?

Un homme politique français, Charles Pasqua, disait qu’en politique, les promesses n’engagent que ceux qui y croient, pas ceux qui les font. J’ai tendance à le dire en ce qui concerne les calendriers des transitions, parce que, comme vous l’avez dit, les pays n’ont pas les mêmes situations. Pas plus tard qu’hier, le Mali a effectivement prolongé par le report des élections. Au Burkina Faso, on parle de juillet 2024, le Niger, lui, n’a même pas encore fini de mettre en place les organes de gouvernance de sa transition.

Je pense qu’il ne faut pas fétichiser les dates de fin des transitions, c’est indicatif, à mon avis ; parce que tout dépendra de l’objectif pour lequel chaque transition est venue, à savoir la lutte contre le terrorisme et pour l’intégrité du territoire national. Vous ne pouvez pas faire des élections dans l’insécurité. Aujourd’hui, je me demande comment on peut concrètement organiser des élections au Burkina. Je pense donc que ce qui va être déterminant, ce sont les résultats atteints dans la lutte contre l’insécurité et la reconquête des territoires. S’il y a des progrès et que le territoire est sécurisé, on ne voit pas pourquoi on ne le ferait pas.

Mais c’est dans ce contexte que le Mali a organisé un référendum constitutionnel tandis que le Premier ministre burkinabè affirmait en fin mai 2023 que 65% du territoire est sous le contrôle de l’Etat. Dans ce contexte, une prolongation n’expose-t-elle pas à des crises ?

Je ne suis pas en train de prêcher une quelconque prolongation de la transition, je suis en train d’être tout simplement réaliste. Réaliste, parce que ce que le Premier ministre nous a dit, il est bien placé pour le dire. Mais il faut reconnaître que c’est un phénomène qui a des hauts et des bas ; des avancées et des reculs. Autant nous sommes déterminés à finir avec eux (les terroristes) autant il y a une résilience de leur côté, de sorte que ce n’est pas gagné d’avance. Sinon, la norme, c’est qu’on passe d’un Etat d’exception à un Etat de droit. Mais, il faut que les conditions soient réunies, sinon, je me demande si les gens seront même prêts à s’engager dans les élections. L’idéal, c’est que la situation sécuritaire soit maîtrisée et que tout le monde aille dans ce sens, pour recouvrer une vie constitutionnelle normale.

En guise de conclusion ?

Le débat reste ouvert, et ce que je veux dire simplement, c’est que c’est un sujet qui interpelle tous les intellectuels. Il faut que les intellectuels, notamment ceux en sciences humaines et sociales, en sciences juridiques et autres, se saisissent de la situation, pour apporter des analyses, diagnostiquer, voir les enjeux, les perspectives, etc. Tout cela peut être autant de matériau critique pour les décideurs.

Une fois que c’est fait, l’avenir de l’AES dépendra de ce que les dirigeants vont en faire. S’ils en font une alliance des peuples, plutôt qu’une alliance des Etats, ça a beaucoup de chance de réussir. Mais faire comme la CEDEAO qui, malgré tout ce qu’on dit, demeure une CEDEAO des Etats, qui n’applique pas les textes qu’elle a elle-même élaborés, ce sera difficile de réussir. Par exemple, selon les principes fondamentaux de la CEDEAO, les députés du parlement de la CEDEAO devraient être élus au suffrage universel. Mais ce n’est pas le cas, on les coopte dans les parlements des pays membres, de sorte qu’on a une structure bureaucratique et les populations ne s’y retrouvent pas. Donc, il faut que les intellectuels interviennent dans les débats. On ne dit pas qu’on a toujours raison, mais on donne ses points de vue et cela peut concourir à aller de l’avant.

Interview réalisée par
Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net

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