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Niger : Le risque d’une guerre par procuration

Publié le mardi 8 août 2023 à 12h33min

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Niger : Le risque d’une guerre par procuration

L’ultimatum donné, jusqu’au dimanche 6 août au soir, par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest aux militaires pour libérer le président Bazoum et rétablir l’ordre constitutionnel au Niger, sous peine d’intervenir militairement, a vécu. Celui de l’Union africaine court encore jusqu’au dimanche 13 août prochain. Un semblant de répit pour le CNSP, dirigé par le général Abdourahmane Tiani, ancien commandant de la garde présidentielle, qui se dit prêt à une "riposte immédiate" à "toute agression".

Nous nous garderons de disserter sur les raisons profondes qui ont abouti à la prise du pouvoir, le 26 juillet dernier, par le Comité national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). Encore moins sur les responsabilités des uns et des autres dans la dégradation de la situation sécuritaire d’un pays jusque là à l’abri des drames vécus, au quotidien, dans certaines régions du Mali ou du Burkina Faso, avec les attaques récurrentes des groupes armés faisant de nombreuses victimes civiles et militaires.

Le règlement de la crise actuelle nécessite une bonne lecture, par les instances régionales (CEDEAO, UEMOA) ou internationales (UA, ONU), de la dynamique d’ensemble et des enjeux réels d’une escalade qui, s’y on n’y prend garde, risque de faire du Niger, une « nouvelle Libye », comme le craint le général Salifou Mody, ancien chef d’État-major des armées (CEMA) et récemment promu vice-président du CNSP. Avec des officiers expérimentés comme les généraux Mohamed Toumba et Moussa Salaou Barmou, nouveau CEMA, ou encore le général de division Abdou Sidikou Issa, il sera difficile pour la CEDEAO d’imposer sa force pour parvenir à ses fins.

D’autre part, le soutien de deux pays voisins est acquis au CNSP ; le Burkina Faso et le Mali ont, en effet, exprimé leur solidarité au Niger, pays avec lequel ils sont liés par l’histoire et la géographie, mais aussi et surtout par leur commun au sein du G5 Sahel, devenu, hélas, moribond, aux côtés de la Mauritanie et du Tchad. Leurs frères d’armes au pouvoir à Bamako et Ouagadougou considèrent que toute intervention armée au Niger serait considérée comme une "déclaration de guerre" à leur encontre.

Lors de leur réunion tenue à Abuja, les chefs d’État-major des armées avaient défini les contours d’une éventuelle intervention. Soutenue sans réserve par la France, dont 1.500 soldats sont déployés au Niger, la CEDEAO estime être en mesure de mener l’opération « Restore Bazoum » avec succès. Toutefois, la réalité du terrain reste la grande équation à résoudre en cas de déploiement d’une force d’intervention dans un territoire souverain et immense (plus de 1,2 million de km).

Un scénario très différent des précédentes opérations conduites en 1990 au Libéria, en 1997 en Sierra Leone, en 1998 puis en 2012 en Guinée Bissau, en 2004 en Côte d’Ivoire, ou plus récemment en 2017 en Gambie. Les bataillons envoyés sur place constituaient généralement des forces d’interposition chargées de séparer des belligérants. Avec des fortunes diverses, des fiascos parfois comme l’arrestation, dans les locaux même de l’ECOMOG à Monrovia, le 9 septembre 1990, du président libérien Samuel Doe, et son exécution par le chef rebelle Prince Johnson et ses hommes de l’INPLF.

Annoncée avec fanfare, l’intervention de la force régionale paraît risquée pour plusieurs raisons. Certains observateurs dénoncent le « deux poids deux mesures » de la CEDEAO qui n’avait pas déployé autant d’énergie pour faire revenir au pouvoir le président guinéen Alpha Condé dans les mêmes conditions que le nigérien Bazoum, aujourd’hui. A l’égard de la France dont plusieurs relais ont vanté les mérites d’un engagement militaire de la CEDEAO, il est reproché un soutien manifeste au Conseil militaire de transition (CMT) dirigé par le président Mahamat Idriss Deby Itno, au lendemain du décès tragique du maréchal Déby. Il est vrai que Ndjamena, base de repli de l’opération Barkhane, constitue pour les Français un enjeu important au double plan géopolitique et géostratégique, face à la progression de la Russie et de la Chine sur le continent africain.

Autre obstacle à la mise en œuvre de l’opération, les réticences manifestées au niveau du Sénat nigérian qui prennent le contre-pied des déclarations officielles de fermeté, notamment du chef d’État-major Christopher Musa, au moment où le chef de l’État fédéral et actuel président en exercice de la CEDEAO, Bola Tinubu, plus réaliste, plaide pour le recours à l’option politique et diplomatique. Sans oublier les réserves émises par l’Algérie, un pays incontournable dans la résolution des problèmes du Sahel, voisin du Niger et de la Libye dont les séquelles de l’intervention occidentale laissent encore un mauvais souvenir. Pour le président algérien Abdelmadjid Tebboune, aucune solution ne peut être trouvée sans son pays et qu’une intervention militaire au Niger serait "une menace directe" pour son pays. Un embrasement du Sahel fait craindre la perspective d’un bis repetita du chaos libyen qui a été à l’origine de l’expansion du terrorisme au Sahel et en Afrique de l’Ouest.

En 2011, un certain Bernard-Henry Levy, philosophe français, avait joué un rôle majeur dans la décision du gouvernement français d’intervenir en Libye pour se débarrasser du colonel Mouammar Kadhafi. Le 4 août dernier, Bernard Kouchner, ancien ministre français des Affaires étrangères et promoteur du fameux droit d’ingérence humanitaire, jette le masque. « S’il y avait une opération de la CEDEAO, elle devrait être appuyée par la France ! », prévient le fondateur de Médecins sans frontières.

Avec ou sans l’implication de puissances extérieures, une intervention militaire de la CEDEAO va entrainer une détérioration de la situation sécuritaire dans le pays, et au delà dans le Sahel. Rééditer le fiasco libyen serait suicidaire et lourd de dangers à venir en menant une guerre perdue d’avance au Niger, comme dans toute la zone du Sahel, où les groupes terroristes piaffent d’impatience pour en découdre avec des armées désormais prises entre deux feux. Comment la CEDEAO envisage -t-elle le déploiement de troupes dans un environnement aussi hostile, avec le soutien manifesté, à l’égard du CNSP, par de larges segments de la population, à travers des rassemblements et des appels à la mobilisation générale ?

Au moment où, selon l’ONU, le Niger est classé 189 sur 191 sur le classement de l’Indice de développement humain (IDH) 2021, et que 17% de la population aura besoin, cette année, d’une assistance humanitaire, les priorités sont ailleurs. Il ne fait aucun doute que, de par sa position géographique privilégiée au cœur du Sahel et ses ressources minières (uranium, or, pétrole) abondantes, le Niger fait l’objet de convoitises et devient un terrain d’affrontement pour les grandes puissances (États-Unis, Union européenne, Russie). D’où le risque d’une guerre par procuration. La CEDEAO saura-t-elle mettre en œuvre son propre agenda et pour quels résultats ? Rien n’est moins sûr.

Karim DIAKHATÉ
Directeur de Publication du magazine LE PANAFRICAIN Coordonnateur de la Rédaction du magazine AFRIQUE DÉMOCRATIE

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Vos commentaires

  • Le 8 août 2023 à 12:44, par Vérité Indiscutable En réponse à : Niger : Le risque d’une guerre par procuration

    La Qatar est riche parce que son Pétrole lui appartient et il en dispose comme bon lui semble. Pourquoi la richesse du Niger devrait être cause de guerre ? A quand l’Afrique qui sait prendre ses responsabilités et s’imposer là où il n’y a pas à négocier ?
    Vive les militaires au pouvoir au Niger !

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  • Le 8 août 2023 à 13:14, par Vive la démocratie ! En réponse à : Niger : Le risque d’une guerre par procuration

    Le général putschiste est vraiment mauvais, dangereux voire sorcier. Après 37 ans de service, 12 ans comme chef de la sécurité présidentielle, le temps est venu de faire valoir ses droits à la retraite, il refuse et fait un coup d’État pour convenances personnelles. Ensuite il chante sur tous les toits une lutte contre l’imperialisme, contre la France, les USA, les occidentaux, etc. C’est de la pure sorcellérie de la part d’une faux général, véreux, corrompu et sans état d’âme. Et si tous les fonctionnaires et employés du Niger disaient qu’ils refusent d’aller à la retraire. Peuple du Niger, ce n’est pas ce général imposteur qui doit diriger le pays ; il n’est pas digne et intègre. Alors que le Niger était sur la bonne voie de la démocratie avec une alternance politique réussie, voilà un corrompu milliardiaire qui vient mettre tout en cause.

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  • Le 8 août 2023 à 13:29, par pfff En réponse à : Niger : Le risque d’une guerre par procuration

    ä la base, bloquer le trafic aérien civil des autres pays africains vers le nord ressemble à s’y méprendre à une agression du Niger envers ses voisins qui ne peuvent plus communiquer avec le reste du monde.

    Fermer un axe majeur de circulation aux autres pays, dans de nombreuses régions du monde, y compris en Afrique, c’est un casus belli caractérisé.

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  • Le 8 août 2023 à 15:18, par Jean le celeste En réponse à : Niger : Le risque d’une guerre par procuration

    Vive la démocratie !!!
    Allons doucement !!!! Que connais tu de ce qui se passait au Niger ? Il ne faut pas écrire pour écrire. Le jour où tu vas cas déconner dans ta famille tes propres enfants que tu as mis au monde te montreront le droit chemin évidemment s ils sont conscients. On n agit pas au hasard !!! Toute chose se fait en son temps pour peu que on ait un peu de sagesse. Le général a attendu le moment favorable !
    Vive la vraie indépendance des pays africains. A bas les valets locaux du néocolonialisme qui veulent continuer à nous voir souffrir

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  • Le 8 août 2023 à 15:21, par Ed En réponse à : Niger : Le risque d’une guerre par procuration

    Tant que les pays qui disent avoir une once de démocratie ne feront pas leur examen de conscience, rien n’avancera.
    Non ce ne sera pas la Russie qui permettra de sortir de l’ornière, ni les armes.
    Il faut mettre sur la table les faits et laisser les opinions et les intérêts particuliers ou de groupes ou de pays pour réécrire l’avenir du monde et que chacun apporte sa contribution.
    Bilan des richesses de chaque pays et pas uniquement les richesses minières. Bilan des problèmes actuels qui menacent la planète. Comment développer le monde pour que vivre soit une joie au quotidien et ne soit plus un fardeau ?

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  • Le 12 août 2023 à 14:51, par Ve En réponse à : Niger : Le risque d’une guerre par procuration

    Jean le Celeste, vive la democratie decrit les dynamiques et ne demarre pas d’une vue ideologique “panafricaine”. Tchiani a pris le pouvoir et a fait le pire des choses qu’un militaire peut faire : trahir le president et les pays. Apres il a monilisé le nouvement des jeunes M62 en leur faisant de faux promesses. Il faut que ca s’arrete ces coups militaires de n’importe quoi. Si demain on veut prendre le role de Chine pour devenir l’usine du monde, on a besoin de stabilité. Sinon personne vient investir et nos jeunes restent sans boulot.

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