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Arts du spectacle : « Je me sens plus vivant lorsque je danse », confie Bienvenue Bazié, danseur-chorégraphe

Publié le mercredi 3 mai 2023 à 23h44min

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Arts du spectacle : « Je me sens plus vivant lorsque je danse », confie Bienvenue Bazié, danseur-chorégraphe

« J’espère que tu sais ce que tu fais ». Ces mots prononcés par son paternel lorsqu’il lui a annoncé qu’il plaquait ses études pour se consacrer à la danse, Bienvenue Bazié s’en souvient. Une vingtaine d’années plus tard, le natif de Didyr, dans la région du Centre-ouest du Burkina, fait partie des incontournables de la danse contemporaine et de la chorégraphie au Burkina et en Europe. Co-directeur de la Compagnie Auguste-Bienvenue, créée en 2000 avec son ami de longue date Auguste Ouédraogo, Bienvenue Bazié conseille aux danseurs en devenir d’être « passionnés, disciplinés, exigeants et de travailler sans relâche ». En marge de la 20e édition de la Semaine nationale de la culture et de la journée internationale de danse, il nous a accordé un entretien en ligne depuis la France.

Lefaso.net : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Bienvenue Bazié : Je me nomme Bienvenue Bazié. Je suis danseur et chorégraphe, co-directeur de la compagnie Auguste-Bienvenue, co-initiateur du projet Engagement féminin. Je suis un passionné de danse, passionné de cette pratique à la fois artistique, sportive, éducative, thérapeutique et j’en passe. C’est un art vrai qui demande sincérité, générosité pour réussir à toucher les âmes, pour créer du rêve.

Comment êtes-vous devenu danseur professionnel  ?

C’est une longue histoire. Je vais essayer de la résumer. J’ai intégré la troupe le Bourgeon du Burkina en 1993 après avoir été lauréat du concours inter établissements de poèmes récitals organisé à l’époque par la DAMA (ministère de la Culture). C’est au Bourgeon que j’ai reçu une formation pluridisciplinaire en danse musique théâtre…avant de me lancer complètement, je veux dire, d’en faire un métier dans les années 2000.

Le Bourgeon était une école. A la fois une école et une famille parce que nous (les membres) partagions beaucoup de choses, des valeurs humaines. Nous étions très passionnés, possédés même j’allais dire. Nous donnions des prestations les journées avec des autorisations de nos établissements scolaires et des parents, nous voyagions pour des prestations. Nous participions au Grand prix de la chorégraphie etc.

Spectacle Monsieur vs ou + Madame (Olivier Houeix)

Comment ont réagi vos parents quand vous avez décidé de faire de la danse votre métier ?

J’étais préoccupé par ce que pouvait être la réaction de mes parents et mon souhait était d’éviter toute tension. Tout s’est bien passé, heureusement. « J’espère que tu sais ce que tu fais » sont les mots de mon père sur mon choix lorsque je lui ai annoncé que j’arrêtais mes études pour faire carrière dans la danse.

C’est quoi la danse pour vous ?

La danse, c’est l’expression du corps et de l’âme. C’est un moyen qui permet à l’individu d’exprimer ses sentiments, sa personnalité. Lorsque nous dansons, nous exprimons tout simplement notre monde, ses joies, ses maux, ses couleurs, son passé et même, nous osons imaginer l’avenir à partir de la manifestation du présent.

Quelle est la différence entre le danseur et le chorégraphe ?

Tout danseur n’est pas chorégraphe. Un chorégraphe n’est pas forcément aussi un danseur. Il y a des personnes qui peuvent être à la fois danseur et chorégraphe. La différence entre le danseur et le chorégraphe est que le chorégraphe a beaucoup de charge de travail en dehors du plateau. C’est parfois celui qui est le directeur de la compagnie, qui a toutes les charges de travail et d’organisation de la compagnie qui dépasse le cadre artistique.

Il y a l’équipe administrative, donc de production, avec laquelle il travaille. Il y a aussi les idées de chorégraphie qu’il organise, qu’il pense qu’il réfléchit et qu’il développe et qu’il rend beaucoup plus claires pour trouver des pistes d’exploration d’improvisation qu’il va partager ensuite avec ses collaborateurs artistes qui sont l’équipe de création dont fait partie le danseur.

Le danseur va être quelqu’un qui est disponible, prêt à entrer dans l’univers du chorégraphe avec toutes les compétences physiques et intellectuelles qu’il a pour pouvoir interpréter au mieux la pièce du chorégraphe.

Donc, il y a certaines personnes qui sont chorégraphes, qui vont jouer le rôle de porteur de projet et d’écriture de la pièce sans pour autant danser dans la pièce. Donc, il va être très présent au plateau aux côtés des danseurs sur la phase de recherche et de réalisation physique du travail, ce qu’on appelle le temps de résidence. Pour la diffusion, il peut être présent ou pas.

À quoi ressemblent les journées d’un danseur, chorégraphe ?

Les journées diffèrent selon si on est danseur ou chorégraphe ou si on est les deux. Aussi, elles diffèrent selon les personnes, leurs ambitions, leur niveau d’organisation et de rigueur dans le travail. En tous les cas, je dirai qu’elles sont longues. Entre réflexion et écriture, entre le monde extérieur et le plateau, entre production et diffusion, entre formation et audition, d’un projet à un autre ou sur plusieurs projets à la fois, il ne reste, parfois, que le temps du repos au lit.

Vous savez que nous sommes dans un domaine libéral, un domaine où l’on bénéficie à la fois de la liberté et de l’indépendance. Fondamentalement il y a un paradoxe. Il nous faut donc être beaucoup plus actifs, engagés, convaincus et convaincants par nos choix et propositions.

Spectacle Crépuscule Christophe Péan

Que vous procure la danse ?

Je me sens plus vivant lorsque je danse. Avec la danse et avec toutes les réalisations faites par la danse, que ce soit les pièces chorégraphiques, les formations que je donne un peu partout, le partage avec le public, les collaborations etc., je me sens plus vivant et plus utile à la société.

Y a-t-il un danseur, une danseuse, un chorégraphe avec qui vous aimeriez travailler ?

Oui, il y a toujours des personnes avec qui on aimerait collaborer.
Je connais d’excellents danseurs et d’excellentes danseuses, de chorégraphes aux propositions et univers chorégraphiques intéressants et parfois bouleversants. Mais il faut trouver le cadre, l’occasion et provoquer les rencontres. Les choses ont parfois besoin de temps. Il faut aussi accepter qu’elles ne se fassent pas.

Parlez-nous de votre compagnie Auguste-Bienvenue que vous co-dirigez ?

Auguste-Bienvenue est une compagnie de danse dirigée par Auguste Ouédraogo et moi. Elle existe depuis 2000 et a réalisé seize œuvres chorégraphiques de petites et grandes formes.

En 2008, nous initions le programme Engagement féminin qui a pour objectifs d’encourager la professionnalisation des artistes chorégraphiques féminines d’Afrique ; de promouvoir le leadership féminin ; de promouvoir l’égalité des sexes et les droits des femmes et de favoriser l’accès à la culture à un public averti et non averti.

Initialement conçu comme une formation d’un mois, ouvert à une vingtaine de stagiaires du continent africain, ce programme de formation tend à évoluer vers une nouvelle formule, plus complète répartie sur une année.

En quinze ans d’existence le programme Engagement féminin a formé une centaine de danseuses d’Afrique, invité une trentaine de formateurs européens et américains, mobilisé 56 partenaires locaux et internationaux, produit 15 créations qui ont fait l’objet de tournées internationales. Avec l’Institut des Afriques à Bordeaux et Café Blanc à la Rochelle, nous avons initié et réalisé, en mars 2023, un week-end dansé dénommé « Corps engagés ». Ce week-end dansé se veut être un cadre de rencontres, d’échanges et de partage entre artistes africains et de la Nouvelle-Aquitaine autour d’ateliers, de tables rondes et de représentations.

Qu’est-ce qui fait la force de votre compagnie ?

Le compagnonnage de longue date entre Auguste et moi. La complémentarité de nos deux personnes, des connaissances théoriques et pratiques et les capacités d’action de chacun.
La capacité d’exercer simultanément nos activités dans deux espaces géographiques lointains. Je pense que c’est une force.

En 2022, vous avez créé le spectacle « Monsieur vs ou + = Madame ». De quoi s’agit-il ?

Il s’agit de notre dernière création chorégraphique qui réunit au plateau deux danseurs, deux danseuses, une chanteuse et un slameur pour aborder, par le corps la musique et la parole, la question de la parité et de l’égalité hommes-femmes. Comme l’évoque si bien le titre de la pièce, c’est un sujet complexe. C’est une proposition méditative que nous faisons à travers cette pièce chorégraphique.

C’est un spectacle qui nous a pris neuf semaines de temps de travail au plateau pour sa réalisation. Autour de cette pièce s’est développé un vaste projet EAC (Éducation artistique et culturelle) « D’une fille et d’un garçon » qui a concerné 430 élèves, 15 classes de 9 établissements (8 collèges et 1 lycée) du département de la Dordogne.

Les restitutions des ateliers EAC ont été suivies des représentations de « Monsieur vs ou + = Madame ».

Bienvenue Bazié est également le président de Mbomen

Comment ce spectacle est-il accueilli par le public ?

Très bien. Il y a un bel accueil et ça fait plaisir !

Qu’est-ce qui vous inspire, quel est votre processus de création ?

Le monde. Oui ! Les êtres, leurs faits et gestes, leurs histoires… donnent matière à réflexion et sont des bases de recherche pour nos créations. L’inspiration vient par l’observation, l’écoute et elle vient naturellement.
Le processus de création varie selon le projet, sa taille et évolue avec le temps et le niveau d’expérience croissant.

De façon générale, une fois que nous avons le sujet, il faut un temps de préparation qui parfois nécessite de la recherche (documentation, rencontre de personnes référentes…), le temps d’exploration des pistes trouvées lors de la préparation, la composition et finalisation de la pièce.

Et quel peut être le temps de préparation d’un spectacle au sein de votre compagnie ?

Le temps de travail et de réalisation au plateau varie entre 5 à 9 semaines selon la taille du spectacle. Cette dernière étape de travail est toujours précédée d’un long travail de recherche, de prospection et de réunion de partenaires artistiques et financiers, ainsi que des lieux d’accueil des résidences. Sur le même temps se font les recherches des dates de diffusion (pré achats) du spectacle.

Quel a été votre plus grand défi depuis que vous avez commencé la danse  ?

Celui du père et du mari étant danseur, chorégraphe et porteur de plusieurs projets artistiques et pédagogiques. Un travail qui occupe beaucoup mon temps et qui m’éloigne physiquement de ma famille.

La liberté et la disponibilité aident beaucoup chaque personne à exceller dans toute entreprise. La liberté et la disponibilité sont des facteurs importants de l’excellence dans toute entreprise. Sans cette liberté de bouger, de faire, d’action et cette disponibilité d’action et de penser, toute personne dans notre domaine constatera un freinage du développement de son activité.

Rappelons que vous êtes le président de l’association des danseurs et chorégraphes du Burkina Faso et de la diaspora. Parlez-nous de cette association et de ses objectifs ?

Mbomen est le nom de cette association. Elle existe depuis 2019 et a été officiellement reconnue en 2020. Elle a pour objectif principal de soutenir le développement et la promotion de la création chorégraphique du Burkina Faso et de la diaspora et de défendre les intérêts matériels et moraux des danseurs et des chorégraphes du

Burkina Faso et de la diaspora.
Des rencontres sont organisées pour permettre aux acteurs de se rencontrer, de renforcer les liens en apprenant à mieux se connaître, d’imaginer ensemble des projets communs. Nous apprenons lors de ces moments de rencontres, à mieux connaître nos lieux de travail, les chorégraphes et leurs démarches artistiques. Nous parlons des enjeux de la danse contemporaine sur le plan national et international. C’est un cadre d’apprentissage et d’acquisition de connaissances théoriques et historiques pour les plus jeunes, pour les danseurs en formation.

Quelle analyse faites-vous de la prise en compte de la danse dans la politique culturelle du Burkina Faso ?

Les danseurs et chorégraphes des pays africains citent le Burkina Faso comme exemple en matière danse. Des dizaines de danseurs et danseuses viennent se former chaque année dans ce pays. Les collaborations internationales sont permanentes. C’est une référence en matière de danse. Les chorégraphes et danseurs tournent à travers le monde donc internationalement reconnus.
Ils restent tous attachés à leur pays et apportent de la plus-value à la danse et à sa pratique dans le pays.

L’unique centre de développement chorégraphique sur le continent se trouve à Ouagadougou, au Burkina Faso. Il existe au moins cinq lieux dédiés à la danse, une dizaine de formations pour les danseurs et danseuses, au moins cinq festivals de danse, etc.

Malheureusement, force est de constater que le pays n’utilise pas ce potentiel existant. Les projets et initiatives souffrent d’un manque d’accompagnement solide et pérenne leur permettant de se développer de façon sereine et durable.
Les pays qui ont compris que par l’art et les artistes ils peuvent s’imposer culturellement ont investi et investissent dans l’art.

Crédit photo Christophe Péan

Quel serait votre conseil pour les danseurs et danseuses en herbe  ?

Il faut se former. Se former en danse pour avoir de bonnes bases, des bases solides. Ne pas hésiter à apprendre toute danse quand on a l’occasion ou la possibilité d’apprendre afin d’accroître son champ de connaissances en danse, donc accroître le vocabulaire de son langage corporel. Il faut être passionné, discipliné, exigeant et travailler sans relâche pour se faire une place. Voila mes conseils pour les danseurs et danseuses en devenir.

Avez-vous des projets pour le Burkina ?

De façon générale oui ! Je fais de petites choses qui ne nécessitent pas d’être dévoilées ici, pour l’instant. J’ai toujours été et reste actif de par les projets que nous portons ou soutenons. Que ce soit les formations ou les créations.
Avec Auguste, mon binôme, et notre compagnie, nous travaillons à renforcer les collaborations entre artistes du Burkina Faso et de la Nouvelle-Aquitaine, à donner de la visibilité au travail des créateurs des deux pays. Notre implantation dans cette région depuis 2009 nous permet de faire ce travail, bien sûr avec le soutien de nos partenaires.

Depuis 2008, nous avons mis en place une formation et un laboratoire dénommé Engagement féminin. Une vingtaine de danseuses du continent africain sont accueillies chaque année à Ouagadougou pour des formations. Cela mérite d’avoir un espace pleinement dédié et pouvant accueillir toutes les activités du programme en leur offrant le temps de travail nécessaire.

Un mot de fin…

Des vœux pour notre Faso victime du terrorisme, Que la paix revienne et que règne à jamais l’amour du prochain. Une pensée à tous les peuples qui souffrent d’injustices à l’indifférence du monde.

A tous mes collègues chorégraphes, danseurs et formateurs, je leur souhaite beaucoup d’inspiration et de belles réalisations, aux danseurs en formation, je leur souhaite beaucoup de courage, et de se donner les moyens nécessaires pour réaliser leur rêve. Je remercie tous mes collaborateurs et nos partenaires sans qui certains résultats sont et seront difficiles à atteindre. Merci aux familles, aux amis qui nous aiment, nous encouragent et nous soutiennent dans nos entreprises. A ceux et celles qui font le contrepoids, ils nous donnent la force de persévérer et nous rendent encore plus forts.

Merci au média Lefaso.net, son micro, sa plume. Merci à vous (journalistes) qui véhiculez nos pensées, communiquez et donnez encore plus de la visibilité à nos actions. Merci !

Propos recueillis par Fredo Bassolé
Lefaso.net
Credit-photo de Une : Sika Sa Silveira

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