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Burkina Faso : « Une justice à deux putschs deux mesures »

Publié le vendredi 4 novembre 2022 à 11h10min

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Burkina Faso : « Une justice à deux putschs deux mesures »

Le philosophe Jacques Batiéno expose dans cette tribune certains paradoxes de la justice burkinabè mis en exergue par les récents évènements politiques.

Il semble, dans la lutte contre l’impunité et pour la justice au Burkina Faso, qu’il existe un panthéon de Burkinabè plus méritants que d’autres dont on évoque parfois le nom de façon accessoire tout en les jetant ensuite immédiatement aux oubliettes. C’est dire qu’il est très aisé de crier à l’injustice et à l’impunité, mais qu’il apparait quelques fois bien difficile, lorsque nous en sommes chargées, de rendre la justice avec objectivité. Certes, nul n’est parfait, mais tout de même ! Ainsi d’éminents juristes burkinabè, depuis bien longtemps déjà, réclament justice et punition pour des faits qui se sont déroulés il y a des décennies, ce qui est à leur honneur. En revanche, il est difficile de comprendre que ces mêmes juristes aient pris part à des simulacres de justice tels qu’ils se sont manifestés sur le sol du pays des hommes intègres.

Aussi, sous la première transition, se sont-ils rendus complices, s’ils ne sont pas eux-mêmes les auteurs, de lois iniques ; sous cette même transition et la gouvernance du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP), ils ont acquiescé face aux arrestations arbitraires et procès politiques dont certains Burkinabè sont victimes ; durant la première transition du Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR 1), ils se sont juste tus face à une situation d’injustice flagrante. Que va-t-il se passer durant ce MPSR 2 ? Venons-en au fait : au regard de la situation politique postérieure au MPP, que doit-il en être désormais des condamnations de burkinabè, militaires et civils, liées au putsch de septembre 2015 ? Ce cas pratique intéressant aussi bien pour les sciences juridiques que pour les sciences politiques pose question. Une question qui ne s’adresse plus seulement aux juristes et politistes, mais aussi et surtout au nouveau pouvoir lui-même. Va-t-il, comme son prédécesseur immédiat, rester inactif face à une telle iniquité ?

La situation politique qui a suivi la chute du pouvoir MPP, qu’on le veuille ou non, a changé la donne en matière de putsch. Compte tenu de ce que l’on sait sur la bonne réception de ce putsch du 24 janvier 2022, surtout de sa reconnaissance par la plus haute institution du Burkina Faso, le Conseil Constitutionnel, il y a lieu de parler de jurisprudence. C’est la même histoire qui se répète avec le putsch du MPSR 2 dont le Président, en tant que Président du Faso reconnu comme tel, a prêté serment devant cette même institution. Quoique l’on pense, dans ces deux cas, ce sont deux putschs qui reçoivent un bon accueil et qui sont adoubés par cette institution respectable. Je ne suis ni un adepte, ni un défenseur de putsch quel qu’il soit, mais que faire de plus si ce n’est de constater le fait accompli dans ce qui se passe au Burkina Faso depuis quelques mois ? Mais alors, que serait-il arrivé si ce putsch dit MPSR 2 n’avait pas réussi ? Qu’est-ce qu’il serait advenu du capitaine Ibrahim TRAORE et de ses amis ? Maintenant que ce putsch est un succès, qu’est-ce qui explique que le Président DAMIBA soit en exil ? Sans doute est-ce le choix qu’il a fait en son âme et conscience. Dans ce cas de figure, soit. Dans le cas contraire, il y a un problème non résolu.

La question se pose encore de façon lancinante concernant le putsch de septembre 2015. Certains esprits à cheval sur les institutions pourraient se demander pourquoi est-ce le pouvoir exécutif qui est ici directement interpellé. C’est parce que cette affaire, hautement politique, pour des raisons bassement politiciennes qu’il n’est pas besoin d’exposer ici et que tout le monde comprend bien, a vu l’exécutif (aussi bien celui de la première transition que celui du pouvoir MPP) intervenir directement dans ses décisions, remettant parfois en cause celles des juges concernant certains accusés. En outre, cette affaire est jugée par une juridiction militaire qui, dans ses prérogatives, dépend directement du Président du Faso, chef suprême des armées, et du ministère de la défense. Par conséquent, il est difficile d’envisager une issue sans qu’il n’y ait la main de l’exécutif. C’est pourquoi il est, au premier chef, concerné par ce qu’il serait de bon ton de qualifier d’ironie du sort : un président qui a accédé au pouvoir par un putsch, qui a obtenu la reconnaissance de la nation à travers sa plus haute institution, peut-il rester insensible au cas de burkinabè arrêtés, jugés et condamnés, parfois à des peines d’emprisonnement importantes, pour des faits similaires à ceux qui lui ont permis d’accéder au pouvoir ? Que ce serait-il passé si le putsch de septembre 2015 était une réussite ? Faut-il considérer que le sort qui est réservé au putschiste est fonction de sa réussite ou non ? Suffit-il de réussir son putsch pour être accueilli comme un messie, et suffit-il de le rater pour être considéré comme un pariât ? Faut-il considérer allègrement qu’au pays des hommes intègres les putschs vont et viennent sans se ressembler, et qu’il y a putsch et putsch ? Tant mieux pour celui dont c’est une réussite et tant pis pour celui dont c’est un échec ?

Les choses ne sauraient être ainsi. Au contraire, il y a ici une situation à rattraper, une injustice à réparer. Les évènements politiques initiés par le putsch du 24 janvier 2022 imposent que l’on se penche à nouveau sur le cas de ces burkinabè afin de trouver une solution qui aille dans le sens de ce qui semble être celui de l’histoire. Ce n’est que justice, car c’est la situation actuelle qui est injuste, que certains soient condamnés à des peines lourdes de conséquences pour leur carrière et leur vie, pendant que d’autres sont légitimés et accueillis comme des héros pour les mêmes faits. Quelle est l’avis de nos éminents juristes et politistes sur cette question ?

Cette affaire, dans laquelle il a été interjeté appel, aurait dû être jugée en appel depuis ; mais cela ne l’a pas été, et pour cause. Y a-t-il une autre raison que politique d’un tel déficit judiciaire ? Quoiqu’il en soit, c’est l’occasion aujourd’hui d’y remédier en réalisant un double objectif. Celui de permettre à la juridiction d’appel de siéger et, partant, celui de permettre à cette même juridiction d’émettre un jugement non seulement qui tienne compte de cette évolution de la situation politique, mais aussi et surtout, sans parti pris politique ou politicien, conforme au dossier de chaque accusé, en toute objectivité, en toute impartialité. À coté de cette solution judiciaire qui a ma préférence et que j’appelle de mes vœux, il y a la solution politique que le capitaine TRAORE, Président du Faso, pourrait initier, c’est-à-dire la grâce ou l’amnistie selon les situations.
Ce sont deux solutions qui, quelle que soit celle qui aura obtenu l’adhésion de ceux qui doivent en décider, poursuivent le même but, celui de poser un acte fort vers la réalisation de l’unité nécessaire au sein de l’armée, condition sine qua non d’une transition réussie et d’une lutte efficace contre le terrorisme. La situation actuelle du Burkina Faso, pour des raisons politiques qui n’ont aucun sens ni aucune valeur, ne peut lui permettre de laisser inactives de la défense nationale des personnalités d’une telle envergure nationale et internationale affirmée et reconnue.

Loin de moi l’idée de donner ma caution à tout pouvoir de la force quel qu’il soit. Il s’agit de prendre acte de ce qui se passe et, par ricochet, de réfléchir à ce qui s’est passé, car ce sont des Burkinabè qui sont concernés. Il ne peut y avoir de justice à deux vitesses pour des faits similaires, et il n’y a pas de petite injustice. Par conséquent, on ne peut pas mieux conseiller le Président TRAORE en lui faisant comprendre que la situation des condamnés pour le putsch de septembre 2015 est désormais un non-sens judiciaire et une aberration politique auxquels il faut trouver une solution adéquate.

La solution est d’autant plus facile à trouver que ce putsch de septembre 2015 fut l’objet d’une surenchère politique dans une atmosphère de chasse aux sorcières sous une gouvernance de la vengeance. Aussi, le procès qui en suivi a-t-il souffert de partialité et de décisions arbitraires.

Dans la mesure où il s’agit de militaires et de personnalités importantes du pays, il est temps de retirer l’étau qui pèse sur eux et de leur donner la possibilité de s’engager sans réserve et sans restriction dans la lutte contre le terrorisme. « Nul n’est prophète en son pays », dit la sagesse. Il appartient au Président TRAORE non pas de démentir ce dicton, mais de lui mettre un bémol. Il s’agit de faire l’union de tous les burkinabè.

Paris le 1er novembre 2022
Jacques BATIENO
Philosophe

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Vos commentaires

  • Le 4 novembre 2022 à 12:40, par s En réponse à : Burkina Faso : « Une justice à deux putschs deux mesures »

    Le conseil constitutionnel a investi le Président de la transition désigné par les assises nationales et non le putschiste Président du MPSR. Je pense que le putsch du MPSR a jusqu’à 10 ans pour être porté devant les juridictions.

  • Le 4 novembre 2022 à 14:07, par Bangbèda En réponse à : Burkina Faso : « Une justice à deux putschs deux mesures »

    Tenter de comprendre le fonctionnement de nos juridictions est aussi aisé que tenter de comprendre le fonctionnement de la Femme (avec tous mes respects) !

    Souvent il faut juste se taire, accepter que tout est question de force et se dire c’est comme ça !

    En philosophie on appelle ça le Fatalisme.

    Définition du fatalisme : "Doctrine suivant laquelle le cours des événements échappe à l’intelligence et à la volonté humaine, de sorte que la destinée de chacun de nous serait fixée à l’avance par une puissance unique et surnaturelle."

    Sans rancune !

    Bangbèda

  • Le 4 novembre 2022 à 18:03, par Que quoi ??? En réponse à : Burkina Faso : « Une justice à deux putschs deux mesures »

    L’humoriste ivoirien aurait expliqué ça ainsi :
    si tu as tenté un coup d’état et que tu as reussi, il y a deux cas : soit le peuple t’a suivi, soit le peuple ne t’a pas suivi.
    Si le peuple t’a suivi, tu es sauvé.
    Mais si le peuple ne t’a pas suivi, là aussi y a deux cas :
    Soit tu es assez fort pour t’imposer, soit tu n’es pas assez fort pour t’imposer. Si tu as été assez fort pour t’imposer, même à la communauté dite internationale, tu es sauvé.
    Mais si tu n’a pas reussi à t’imposer, là aussi y a deux cas : soit tu trouves un point de chute à l’extérieur, soit tu restes au pays.
    Si tu as trouvé un point de chute, tu es sauvé.
    Mais si tu n’as pas eu point de chute et que tu es resté, on va te juger. Mais si on a t’a jugé, là aussi y a deux cas : soit tu es libéré, soit tu es condamné. Si tu es libéré, tu es sauvé. Mais si tu es condamné, là aussi y a deux cas : soit tu dis tu es gravement malade, soit tu ne dis pas que tu es malade. Si tu dis que tu es gravement malade, tu es sauvé. On va te libérer tu vas aller en France te soigner et tu ne vas pas revenir même si tu es guéri.
    Mais si tu ne dis pas que tu es malade, là y a plus deux cas hein ! On te garde en prison et on te juge encore. Et on te condamne encore. Jusqu’à toi même tu vas être fatigué.

  • Le 4 novembre 2022 à 20:01, par A qui la faute ? En réponse à : Burkina Faso : « Une justice à deux putschs deux mesures »

    Le Burkina est gravement malade de sa justice. Si on doit juger toutes les bêtises des politiciens il y a des noms de rues à Ouaga qui seront débaptiser, tellement ces politiciens surtout les politiciens militaires ont détruit le tissu social dans ce pays.
    Malheureusement ni les juges, grassement payés ni les cadres militaires tout aussi grassement payé ne connaisse l’honneur. Ils sont manipulés par les politiciens de carrière.
    Ainsi il y a des bords politico-militaires dont aucun crime ne sera jamais jugé, sauf dans l’au-delà ; et ça les conseillers de Traoré l’ont compris.
    Je suis de ceux qui pensent que notre armée depuis les années 80 est un problème et non une solution. Tous les gros problèmes sont leur fabrication

  • Le 5 novembre 2022 à 05:56, par razougou En réponse à : Burkina Faso : « Une justice à deux putschs deux mesures »

    La justice n’existe nul part au monde. C’est une question de rapport de force. Plus tu est fort, plus tu as la justice avec toi. Ceci contribue à alimenter le terrorisme

  • Le 5 novembre 2022 à 07:26, par Sayouba Traoré En réponse à : Burkina Faso : « Une justice à deux putschs deux mesures »

    C’est un vieux problème. On fait semblant de ne pas voir. Des crimes ont été estimés odieux. Et des procès ont eu lieu. De nombreux autres crimes, on n’a pas dit que c’est banal ou normal, mais on trouve que ça ne vaut pas la peine de déranger les gens pour organiser des procès. Notre justice fait même des prodiges. Un crime est commis. Un jugement a lieu. Mais après ce jugement, des gens continuent de prendre la vie publique en otage. Après un procès, ces gens veulent quoi encore ? Qu’on leur offre le pays tout entier ? Qu’on leur donne la vie de tous les Burkinabè ? Je rappelle qu’un procès a eu lieu. Justice est rendue. C’est fini, ou bien il reste quoi encore ? Il faudra que les juristes nous expliquent ça. Après un procès, les plaignants rentrent à la maison et ils laissent les gens respirer, ou bien il reste quelque chose encore ? Notre justice, c’est un gros problème. Moi je crois qu’on doit ignorer nos juges, et faire appel à une juridiction internationale. Les gens sont tellement déçus de nos juges, que personne ne juge utile de saisir nos tribunaux. Il faut qu’on se dise la vérité. Le Burkina Faso n’a pas de justice.

  • Le 9 novembre 2022 à 10:14, par El Raz En réponse à : Burkina Faso : « Une justice à deux putschs deux mesures »

    Bonjour et merci pour cette contribution.
    Il y a une grande erreur générale d’appréciation : des ÉMINENTS JURISTES, il n’y en a pas au Burkina. On a des carriéristes théoriciens absents et aphones en pratique.
    La prochaine fois, il faut les citer nommément en pour les interpeller
    Cordialement

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