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Affiliation des chauffeurs routiers à la CNSS : L’UCRB menace de bloquer les postes de contrôles frontaliers

Publié le jeudi 22 décembre 2005 à 08h10min

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Plus rien ne va entre les chauffeurs routiers et les transporteurs, leurs employeurs. A l’origine de la discorde, la non-affiliation des chauffeurs routiers à la Caisse nationale de Sécurité Sociale (CNSS) par les transporteurs (patronat) en violation manifeste de la loi.

Faute de parvenir à un accord, les chauffeurs, qui voient leurs conditions de travail se détériorer chaque jour, décident de passer bientôt à l’action. Leur syndicat, l’Union des chauffeurs routiers du Burkina (UCRB) annonce ainsi une marche sur la CNSS et un blocage des postes de contrôles frontaliers durant 72 h00.

A l’origine, il y a l’article 3 de la loi 13/72/AN du 28 décembre 1972 qui stipule que : « sont assujettis au régime de Sécurité sociale institué par la présente loi, tous les travailleurs soumis aux dispositions du code du Travail sans aucune distinction de race, de nationalité, de sexe, d’origine lorsqu’ils sont occupés en ordre principal sur le territoire national pour le compte d’un où plusieurs employeurs, nonobstant la nature, la forme, la validité du contrat, la nature et le montant de la rémunération ».

Puis vinrent le décret 98-097/PRES/PM/METSS du 18 mars 1998 portant institution de la carte d’affiliation des transporteurs routiers à la CNSS, l’arrêté n°98-008/METSS/MATS/MD/MTT du 27 novembre 1998 portant détermination et modalités de contrôle de la carte d’affiliation des transporteurs routiers et le décret n°2003-418/PRES/PM/MITA/SECU/MJ/DEF/MATD du 12 août 2003 portant définition et répression de contraventions en matière de sécurité routière.

Un arsenal juridique qui ne semble pas impressionner les transporteurs malgré une amende fixée à 12 000 F FCFA. C’est le moins que l’on puisse dire puisque depuis une dizaine d’années, le nombre de chauffeurs affiliés à la Caisse n’évolue guère, restant à une portion congrue. Et pourtant, que d’efforts déployés par l’UCRB notamment pour faire bouger les choses dans le bon sens. « Des lettres ont été envoyées à tous les ministères chargés du dossiers. Nous nous sommes mêmes adressés au président de l’Assemblée nationale pour qu’il interpelle le gouvernement sur la question.

Il nous a orienté vers le Médiateur qui se saisira dans un premier temps du problème avant de se déclarer incompétent car notre réclamation concernerait des entités du privé », indique Jacques François Ilboudo, président de l’UCRB. Maigre consolation, toutes les personnalités interpellées reconnaissent le bien fondé de la doléance des chauffeurs routiers. A l’UCRB, on pense que ces autorités ont une certaine crainte des transporteurs qui auraient une forte influence.

C’est pourquoi estime t-on chez les routiers que le dossier ne bouge pas car aucune autorité ne souhaiterait être en mauvais terme avec les transporteurs. Une autre opinion croit que c’est parce qu’il y a des autorités qui possèdent aussi des camions, donc font partie du patronat, que le dossier n’avance pas.

Fait du hasard ou simple paradoxe, le premier responsable de l’OTRAF s’est conformé depuis longtemps à la loi en déclarant ses chauffeurs à la Caisse et en les accompagnants dans leur carrière. Il en est de même pour la société STMB.
L’UCRB salue cette disposition et souhaite que le gros des patrons suivent leur exemple. Et c’est là que les choses se compliquent car ceux-ci ne semblent pas vouloir infléchir leur position. Mieux, constate l’UCRB, les chauffeurs qui étaient payés autour de 50 000 F FCFA par mois ont vu leur mode de rémunération changé passant à 10 000 F CFA le voyage.

« C’est une manœuvre pour contourner les textes et éviter de déclarer les chauffeurs à la CNSS, » affirme Jacques François Ilboudo, le président de l’UCRB.

« Avec 50 000 FCFA, on n’arrivait pas à bien vivre surtout que le travail est très difficile. Nous sommes traités de drogués. Qui nous pousse à nous droguer ? Les patrons nous imposent de faire 1000 km par jour avec 45T ou avec des passagers, surchargés, pour plus de rentabilité (le café noir ne peut plus rien »...ajoute M. Ilboudo. Avec le traitement au voyage, les routiers sont donc obligés d’effectuer plusieurs rotations par jour pour pouvoir s’en sortir. C’est ainsi que des conducteurs de car effectueraient avec des passagers au moins trois (03) fois le trajet Ouaga-Bobo avec le même véhicule en une seule journée avec seulement 45 minutes de pause entre deux voyages.

Parfois l’exploit se réalise mais souvent l’enventure tourne au drame.

Un lourd tribut à la route

Les statistiques sont assez éloquentes en la matière. Sur cent (100) chauffeurs routiers qui démarrent leur carrière à 25 ans, 40 mourront de suite d’accidents, avant leur 50e anniversaire, à cause de la fatigue, l’état défectueux des véhicules, de la route et des surcharges.

Vingt (20) autres mourront d’épuisement en raison du volume de travail.

Le Sida emportera aussi une vingtaine de personnes dans le contingent, tandis que le reste finira soit mendiant, soit handicapé, abandonné à eux, sans protection sociale, sans retraite. Quelques rares chauffeurs qui échappent sont obligés de conduire jusqu’à des âges insoupçonnés. L’UCRB cite ainsi le cas de « papy » qui à 82 ans passés continue de conduire son camion entre Accra et Ouagadougou car il a trois (03) femmes et 18 enfants à sa charge.

Un lourd tribut que les routiers ne veulent plus payer à la route.

« Le Burkina Faso est un pays enclavé. Son premier port d’attache est à plus de 1000 km. Que ce soit en temps de paix ou de crise, ce sont les chauffeurs qui assurent le ravitaillement du pays en produits de première nécessité (carburant, médicament, vivres, ciment etc...). Ils contribuent donc au développement du Burkina. Ils méritent donc un minimum d’égards. Ce n’est pas trop demander que de les déclarer à la CNSS », estime Jacques Francis Ilboudo.

Pour lui, rares sont les patrons qui peuvent confier la somme de 40 millions de FCFA à leur femme. Pourtant dit-il, les patrons n’hésitent pas à laisser dans les mains des routiers, des mastodontes de cette valeur pour une exploitation en national comme en international. Mieux, soutient-il, les routiers rentabilisent les camions de leurs patrons qui devraient leur montrer un peu de reconnaissance.

Il ne comprend donc pas l’attitude du patronat d’autant plus que la cotisation n’est pas importante. En effet, pour un salaire de 50 000 FCFA par mois, c’est la somme de 13 000 FCFA que le patron paie à la CNSS pour que l’employé (il cotise lui aussi) bénéficie d’une couverture sociale.

Cela éviterait, de l’avis de M. Ilboudo, les situations difficiles où le chauffeur est sinistré alors que le patron qui « pleure son camion » n’est pas à mesure de l’aider.

« Nous sommes considérés comme des sous-hommes », s’indigne M. Ilboudo qui révèle que plus de 75% de routiers ne sont pas déclarés à la CNSS. Ce qui représente un total de 15 430 personnes réparties entre Ouagadougou (8 290 personnes), Bobo-Dioulasso (6000 personnes), Ouahigouya (700 personnes), Koupèla (100 personnes) et Pouytenga (340 personnes). Ce taux de non couverture sociale atteint même 92% à Bobo et 90% à Pouytenga. Et avec les récentes décisions du patronat qui visent à rétribuer les chauffeurs au voyage, ces statistiques sont loin de s’améliorer. D’où la colère des routiers qui menacent de paralyser l’économie nationale.

« Nous allons paralyser le Burkina Faso pendant 72 heures. Nous allons bloquer les postes de contrôle frontaliers. Nous ne manifesterons pas en ville pour éviter qu’on se méprenne sur notre mouvement. Nous n’avons jamais grevé depuis la création de notre syndicat parce que nous sommes conscients du caractère sensible de notre secteur d’activité. Les négociations ont montré leurs limites. Nous ne pouvons plus continuer de mourir en silence », martèle Jacques Francis Ilboudo.

L’UCRB qui préside actuellement la Confédération des conducteurs routiers de l’Afrique de l’Ouest (FESCRAO) et qui est aussi affiliée à la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) pense pouvoir rallier les routiers de la sous-région à son mouvement. Ce ne sont pas les motifs qui manquent, même si on semble pour l’instant se concentrer sur le problème d’affiliation.

En effet, soutient Jacques Francis Ilboudo, « le Burkina Faso est l’un des pays de la sous-région où les policiers et les gendarmes entravent en ce moment le plus la circulation ». Selon lui, un camion malien ou nigérien qui traverse le Burkina n’a pas à payer moins de 100 000 FCFA en faux frais. « Même quand tu as tous les papiers en règles, les tracasseries ne manquent pas. Il vaut mieux payer les 1000 F CFA demandés et passer en paix, » conie un chauffeur. En outre, le nombre de postes de contrôle sur les routes burkinabé est jugé élevé par l’UCRB. « Entre Pô et Ouagadougou, il y a 8 postes de contrôle pour une distance de 145 km. C’est trop », proteste Jacques Francis Ilboudo qui note, un brin railleur que ce nombre de postes n’empêche pas les bandits de braquer des usagers de la route sur cet axe-là, c’est un autre problème.

Outre le « blocus des frontières », l’UCRB projette de marcher avec les veuves, les orphelins et les chauffeurs handicapés sur la CNSS pour que la loi soit respectée.

« L’UCRB a d’abord commencé par déclarer son personnel à la CNSS. Elle a même été amendée une fois pour un retard de versement de ses cotisations. Actuellement, elle est à jour et espère que le patronat en fasse autant », conclut Jacques Francis Ilboudo. En attendant,, il a envoyé une énième lettre aux présidents de groupes parlementaires à l’Assemblée nationale pour que le gouvernement soit interpellé sur la question. Peut-être économiseront-ils une grève ? Le syndicat semble décider à passer à l’action. Elle l’avait fait en occupant le pont sur la Léraba en signe de protestation contre les tracasseries que subissaient leurs membres en Côte d’Ivoire. Cette opération semble plus importante et inédite.

Les conséquences pourraient être graves pour l’économie nationale.

Victorien A SAWADOGO (visaw@yahoo.fr)
Sidwaya

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