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Pritzker 2022 : « Au-delà de Francis Kéré, c’est une fierté pour l’ensemble des architectes du Burkina Faso », estime Aristide Bazié, président de l’Ordre

Publié le dimanche 20 mars 2022 à 22h42min

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Pritzker 2022 : « Au-delà de Francis Kéré, c’est une fierté pour l’ensemble des architectes du Burkina Faso », estime Aristide Bazié, président de l’Ordre

Le prix Pritzker 2022, la plus prestigieuse distinction en architecture au monde, a été décerné au Burkinabè Francis Kéré, pour son engagement pour la justice sociale et l’utilisation de matériaux locaux. Dans cette interview, nous avons donné la parole au président du Conseil de l’Ordre des architectes du Burkina Faso, Aristide Bazié. Il est revenu sur le sacre de M. Kéré, la profession d’architecte au Burkina Faso ainsi que les préjugés autour du secteur.

Lefaso.net : Comment est-ce que vous avez accueilli la distinction de Francis Kéré ?

Aristide Bazié : Nous avons accueilli cette nouvelle avec beaucoup de fierté. Au-delà de la personne de Francis Kéré, c’est une fierté pour l’ensemble des architectes africains en général et du Burkina Faso en particulier. Pour mémoire, c’est la toute première fois que ce prix est décerné à un Africain. C’est légitimement un sentiment de joie, de fierté qui nous anime en ce moment. Il a porté haut le flambeau national. Nous voulons que ce genre d’ambassadeurs se multiplie pour que notre pays ait une meilleure visibilité

Qu’est-ce qui lui a valu ce sacre ?

C’est un ensemble d’éléments. Francis Kéré est engagé dans beaucoup d’activités. La plupart de ses projets est fait à base de matériaux typiquement africains. Sans être exhaustif, il a réalisé des infrastructures dans son village, à Gando. Toutes ses infrastructures ont été réalisées avec la participation de la population. Parce que c’est leur périmètre. En les associant à ses projets, cela permet de valoriser leurs habitats.

Concrètement, que représente ce prix pour les architectes Burkinabè ?

Un prix de ce genre est une occasion pour ouvrir une fenêtre sur les architectes. Parce que, quoi qu’on dise, jusqu’à présent dans notre pays, et de manière générale en Afrique, l’architecture n’est pas vraiment connue. Ce prix qui a une portée mondiale met en lumière les architectes locaux, l’ordre des architectes du Burkina et l’ensemble des activités des architectes.

Outre l’impact positif de ce prix, qu’est-ce qui est fait au plan national pour mettre en valeur le talent des architectes ?

Dans les premiers moments, les architectes ne faisaient pas la publicité autour d’un certain nombre d’éléments. Aujourd’hui, les choses ont changé. Nous mettons plus l’accent sur la communication. Il y a certains évènements qui sont déjà sur place comme la semaine de l’architecte, les journées de l’habitat. Lors de ces événements, les architectes sont mis en exergue. Une manière pour nous de prouver aux citoyens que nous ne sommes pas si inaccessibles. Mieux, nous sommes disposés à les accompagner quels que soient leurs projets.

Sur le terrain, l’on constate une concurrence entre ceux qui exercent illégalement la profession et les architectes ?

C’est une triste réalité. En plus de cette concurrence, il y a parfois des publicités mensongères qui sont faites sur les réseaux sociaux. Nous avons traité de cas où des citoyens ont été arnaqués par des personnes qui ne sont pas de la profession. Cela nous a amené à multiplier nos actions de communication. Il s’est agi de montrer à la population en quoi consiste le métier d’architecture et comment accéder ou avoir des conseils d’un architecte. Nous sommes dans une dynamique où il faut que les petits moyens des citoyens puissent être dépensés de manière judicieuse.

Est-ce que l’Ordre des architectes se porte-bien ?

L’Ordre se porte très bien. Il faut préciser que c’est une institution qui travaille à préserver les intérêts des architectes. En outre, elle veille à la bonne pratique de tout ce qui est architecture dans notre pays. Nous essayons d’accomplir cette mission avec le maximum d’honnêteté, de probité et de confraternité. L’année passée, nous avons instauré des stages obligatoires d’une durée de deux ans aux nouveaux architectes. L’objectif étant de les encadrer pour que l’œuvre nationale et utile qu’ils vont faire, soit un service de belle facture.

Que répondez-vous à ceux qui disent d’une part, que l’architecture est réservée aux élites fortunées et d’autre part, que les architectes burkinabè manquent d’imagination ?

L’architecture est réservée aux élites ; c’est une mauvaise compréhension. Quels que soient sa condition sociale, son niveau de vie, chaque citoyen a droit aux conseils d’un architecte. Quand on construit une maison, vous y habitez pour des années. Elle est mal faite vous y restez, elle est bien faite c’est vous qui en profitez. Il y a beaucoup d’éléments qui rentrent en ligne de compte. Une maison mal disposée sur un terrain ou qui reçoit du soleil peut provoquer un certain inconfort à l’intérieur du bâtiment. Que ce soit le plus riche ou le plus démuni, tout le monde a besoin d’être dans un bon confort pour pouvoir être utile à la nation plus tard.

Dire que les architectes manquent d’imagination je ne sais pas sur quoi les gens se basent pour affirmer cela. L’architecte est pluriel. Le spécialiste et le citoyen ordinaire n’ont pas la même vision. Il y a des éléments qui permettent de juger un projet notamment le confort intérieur, l’agencement de l’espace et ce que le commun des mortels voit de l’extérieur. Il convient de signaler qu’au cours du traitement d’un projet, les architectes s’arrangent à ce qu’il ait une fonctionnalité maximale. Si vous êtes dans votre maison et que vous ne vous sentez pas bien à l’intérieur, cela signifie que l’architecte a failli. Mais, je reste convaincu que tous les architectes se battent pour qu’il y ait une bonne présentation des projets à l’intérieur de la ville. Notons que l’État est notre plus gros pourvoyeur de marchés. Malheureusement au Burkina Faso, l’architecte est encore précaire contrairement à d’autres pays.

Les prestations sont taxées de chères...

Il y a une notion de relativité à ce niveau. Lorsque les citoyens ordinaires ont la possibilité de discuter avec un architecte, ils finissent toujours par s’entendre. De manière générale, notre objectif, c’est de faire en sorte que chaque citoyen puisse avoir un abri avec une touche architecturale. Il y va du confort de l’individu mais de l’ensemble de la ville. Toutefois, il faut souligner que l’architecte ne travaille pas en vase clos. Il y a d’autres personnes comme les électriciens, plombiers, informaticiens. Par rapport à la stabilité du bâtiment, l’ingénieur apporte également sa touche. En conclusion, je peux dire que c’est une méconnaissance du métier qui fait qu’on parle du coût élevé. Quand vous avez un bâtiment qui est construit dans de bonnes conditions et que vous y habitez avec le maximum de confort, vous avez une bonne vie devant vous.

Est-ce que vous avez un appel à l’endroit de ceux qui ne demandent pas les services d’un architecte ?

Nous demandons à la population d’avoir confiance aux architectes. Il n’y a pas de petits projets pour nous. Notre vision actuelle, c’est de faire en sorte que chacun puisse avoir accès aux conseils d’un architecte afin d’avoir une maison bien implantée sur son terrain et qui respecte les normes : être distant d’un mètre par rapport à chacun des voisins, et de trois mètres par rapport à la rue principale. Ces normes sont faites en tenant compte de certains critères comme les cas d’incendie. Contrairement aux affirmations de certaines personnes, nous ne sommes pas inaccessibles. Chacun peut avoir son prix en allant vers un architecte.

Quels conseils avez-vous à l’endroit de ceux qui nourrissent cette passion ?

Il ne faut pas venir dans ce métier en ayant à l’esprit qu’il y a de l’argent. L’architecture est avant tout une question de passion. Et tous les projets qu’on fait avec le cœur, quelle que soit leur durée, réussissent toujours.

Quel est votre dernier mot ?

Nous souhaitons avoir régulièrement ce cadre d’échanges pour véhiculer des messages à la population. Nous disposons d’une base de données pour tous ceux qui voudraient contacter un architecte.

Interview réalisée par Aïssata Laure G. Sidibé
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