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Fausses couches à répétition : « Il y a toujours l’espoir d’enfanter… », Dr Jérôme Nana, gynécologue-obstétricien

Publié le dimanche 30 janvier 2022 à 23h02min

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Fausses couches à répétition : « Il y a toujours l’espoir d’enfanter… », Dr Jérôme Nana, gynécologue-obstétricien

La fausse couche ! Une perte douloureuse aussi bien physiquement qu’émotionnellement, surtout pour les femmes qui le vivent plusieurs fois. Quelles sont les causes de la fausse couche ? A-t-on la possibilité d’enfanter même après plusieurs fausses couches ? Comment éviter une fausse couche ? Ce sont autant de questions auxquelles a bien voulu répondre Dr Jérôme Nana, gynécologue-obstétricien en poste au service de gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction du CHU de Bogodogo.

Lefaso.net : Qu’est-ce qu’une fausse couche

Dr Jérôme Nana : L’Organisation mondiale de la santé définit la fausse couche spontanée ou avortement spontané ou interruption spontanée de grossesse, comme l’arrêt spontané d’une grossesse avant le terme de 20 semaines de grossesse ou 22 semaines d’aménorrhée, ou encore l’expulsion hors de l’organisme maternel d’un fœtus de moins de 500 grammes.

Il faut préciser que la SAGO (Société africaine de gynécologie et obstétrique) considère encore comme avortement toute perte de grossesse avant 28 semaines d’aménorrhée (6 mois), ceci en tenant compte de certains contextes (africains) comme ici au Burkina-Faso où les possibilités de prise en charge de très grands prématurés sont réduites, sinon rudimentaires. En pratique, avant 12 semaines d’aménorrhée on parle de fausses couches précoces (FCP) et entre 12 et 22 semaines d’aménorrhée il s’agit de fausses couches tardives (FCT).

Avez-vous des statistiques au niveau national ou dans votre service ?

De façon générale, on estime que la fausse couche survient dans 15 à 20% des grossesses. Ce taux est estimé à 50% pour les grossesses infra cliniques c’est-à-dire celles de moins de 10 jours (qui passent inaperçus car souvent assimilées à des règles).

La menace de fausse couche et la fausse couche constituent des motifs fréquents de la consultation gynécologique d’urgence et de routine dans nos centres de santé. Nous n’avons pas de chiffres précis à l’échelle nationale mais au niveau du service de la maternité du CHU Bogodogo où j’officie (Service de gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction), il a été notifié en 2020, 433 cas de fausses couches spontanées (ne prenant donc pas en compte les avortements clandestins avec 25 cas notifiés).

Quels sont les facteurs de risques des fausses couches ?

Les facteurs de risques ou causes de fausse couche sont multiples. Nous les citerons sans les détailler :
Les anomalies génétiques ou chromosomiques qui représentent 70% des causes d’avortement avant 6 semaines d’aménorrhée, 50% avant 12 semaines d’aménorrhée, 4% au-delà de 12 semaines d’aménorrhée. Ces anomalies chromosomiques prennent bien entendu en compte celles de l’homme !

Les anomalies de l’utérus, congénitales ou acquises telles les cloisons, les synéchies utérines (accolements des parois de l’utérus), la béance cervico-isthmique, l’hypoplasie utérine (utérus peu développé ou utérus infantile, dont le développement normal s’est arrêté soit après la naissance soit pendant la petite enfance, rendant souvent -mais pas toujours- l’utérus inapte à garder une grossesse), les fibromes de l’utérus etc.

A part l’endométriose qui est une maladie inflammatoire liée à une ou plusieurs localisations extra utérines de l’endomètre, le plus souvent cause d’infertilité ou d’hypofertilité (difficile à traiter !), mais parfois responsable de fausse couche.
Les avortements de cause endocrinienne dont le déficit lutéal (déficit de sécrétion de progestérone qui est l’hormone qui prépare l’utérus à recevoir l’œuf), les maladies de la thyroïde, le diabète….

Les avortements d’origine infectieuse parmi lesquels nous pouvons citer les infections parasitaires (toxoplasmose, paludisme), les infections bactériennes (la vaginose à gardenella v, les mycoplasmes (mycoplasmes, uréaplasma), la syphilis, la listériose, la brucellose, les infections urinaires …), les infections virales (herpes, cytomégalovirus, rubéole, rougeole, oreillons…).

Les avortements de causes iatrogènes (causés par un geste à visée diagnostique ou thérapeutique) : les prélèvements trophoblastiques ou de liquide amniotique dans le cadre d’un diagnostic anténatal…
Les facteurs environnementaux essentiellement tabac et alcool, certains médicaments et radiations ionisantes.

Les maladies auto-immunes (au cours desquelles le système immunitaire attaque des cellules saines de l’organisme souvent responsables de fausses couches spontanées à répétition (Lupus érythémateux disséminé, sclérose en plaques, polyarthrite rhumatoïde, diabète de type I ou diabète insulino-dépendant, syndrome des anti-phospholipides...).

L’âge maternel supérieur à 40 ans : le risque augmente avec l’âge et est multiplié par 2.3 après 40 ans.
Les antécédents de fausse couche spontanée : une femme qui a déjà eu des fausses couches est plus prédisposée à en faire

Pourquoi a-t-on l’impression que certaines femmes en sont plus sujettes que d’autres ?

Ce n’est pas seulement une impression, c’est une réalité ! La fausse couche spontanée peut survenir 1 ou 2 fois dans la vie reproductive d’une femme entre d’autres grossesses qui se sont bien terminées. Elle devient problématique pour le couple mais aussi pour le praticien dès lors qu’elle survient de façon successive 2, 3, 4 fois ou plus chez une femme qui est en quête de son premier bébé !

En remontant les facteurs de risque et /ou causes des fausses couches, on peut comprendre aisément que certaines femmes soient plus prédisposées que d’autres à faire une fausse couche :

-  Toutes les femmes peuvent faire une infection, mais il y a des femmes qui sont prédisposées à en faire plus que d’autres pour x ou y raison.
-  Une femme qui a une béance avérée du col (col faible) ou une hypoplasie de l’utérus (petit utérus peu développé) fera toujours à chaque grossesse une menace de fausse couche puis une fausse couche si la prise en charge n’est pas précoce et efficace, parce que la cause est dans l’anatomie-physiologie de l’appareil reproducteur (anomalies congénitales ou acquises de l’appareil reproducteur).

-  Une femme qui a une maladie du système (….) sera toujours prédisposée à faire une fausse couche. Dans ces cas, le plus souvent la fausse couche fait partie des manifestations de la maladie auto-immune et parfois c’est au décours d’un bilan de fausses couches à répétition que l’on découvre la maladie sous-jacente. Le diagnostic de maladie de système ou maladie auto-immune n’est pas toujours d’accès facile dans notre contexte mais il faut y songer et explorer dans ce sens avec d’autres spécialités, surtout quand on a éliminé les causes évidentes des fausses couches à répétition.

-  Idem pour l’exposition aux facteurs environnementaux (tabac, alcool, toxiques médicamenteuses ou radio-ionisants).
Voici juste quelques exemples de situations qui font que certaines femmes feront plus souvent de fausses couches spontanées que d’autres.

Dans nos traditions on dit d’une femme qui fait des fausses couches à répétition qu’elle a le ventre « chaud ». Qu’en est–il scientifiquement ?

La grossesse en mooré se dit ventre (la femme a un ventre = la femme porte une grossesse). Chaud traduit en mooré donne tùulga ou tùulgo. Le mot tùulga ou tùulgo traduit en français peut prendre 2 sens : Exemple l’expression Kooma tùulamè = l’eau est chaude ; Biiga tùulamè = l’enfant est rapide.

Donc la femme a le « ventre chaud = pùug tùulga » peut vouloir dire : 1) le ventre de la femme chauffe de sorte que la grossesse ne peut pas y rester (on peut en comprendre, à mon sens, des infections qui chauffent le bas ventre avec des douleurs) ou 2) un ventre qui est rapide, c’est-à-dire une grossesse qui s’achève très tôt, sitôt commencée, sitôt finie.

Quelles sont les conséquences de ces fausses couches à répétition sur l’appareil reproducteur de la femme ?

A priori, je dis bien à priori, une fausse couche spontanée sans complications post abortum (ou post avortement) ne laisse presque pas de séquelles sur l’appareil reproducteur féminin. Mais :

-  La cause à l’origine de la fausse couche peut affecter ultérieurement l’organe reproducteur (infections avec obstructions des trompes et/ou accolement des parois de l’utérus (synéchies). Les soins après avortement (qui regroupe un paquet de soins curatifs, préventifs dont la planification familiale, psychologiques..) ont justement pour objectif d’éviter ces complications et de préparer la femme pour la prochaine grossesse.

-  Certaines manœuvres (gestes) thérapeutiques de la fausse couche faites sans maîtrise peuvent être dommageables pour l’appareil reproducteur féminin (perforation de l’utérus, synéchies…). Mais rassurez-vous, ceci arrive très rarement lorsque la prise en charge de la fausse couche se passe dans les conditions non sécurisées. Il faut souligner que ces situations de complications iatrogènes (c’est-à-dire induites par les soins) sont surtout l’apanage des avortements clandestins donc non sécurisés comme on les désigne. Ces avortements provoqués clandestins surtout quand ils sont répétés finissent par rendre l’appareil reproducteur féminin inapte à recevoir ou à faire évoluer normalement une grossesse.

Une femme qui fait des fausses couches à répétition a-t-elle quand même une chance d’enfanter au moins une fois ?

Bien sûr que oui ! Le fait de pouvoir tomber enceinte est déjà une chance inouïe, une voie d’espérance pour la maternité ! Parce qu’il y a malheureusement des femmes qui ne peuvent pas ou ne pourront plus tomber enceinte (ce qui est différent d’avoir un enfant) (cela existe chez les hommes aussi !).

Beaucoup de situations de fausses couches sont remédiables fort heureusement au prix d’un bon diagnostic et d’une bonne prise en charge. Dans quelques rares cas, la situation peut devenir désespérante, surtout dans nos contextes (malformations génitales, hypoplasies utérines, infections très sévères …)

Quelles précautions prendre pour éviter une fausse couche ?

Déjà il faut consulter.
1- Consulter en préconception c’est-à-dire avant que la grossesse ne s’installe aide à dépister les facteurs/causes basiques et accessibles à une prise en charge tels que les infections, les insuffisances hormonales, les faiblesses du col, les fibromes mal placés qui n’empêcheront pas forcement la grossesse de s’installer mais pourraient compétir avec elle en réduisant l’espace dévolu à la grossesse ou en provoquant des saignements…

Pour une femme qui a déjà eu des grossesses et n’a jamais connu de fausse couche, cette consultation peut paraître une demande irrationnelle !
Pour une femme qui désire sa toute première grossesse et qui n’a pas de facteurs de risque connus, la consultation préconceptionnelle sans être inutile n’est pas non plus indispensable et peut engendrer des bilans onéreux pas forcement nécessaires.

Pour une femme qui désire une grossesse et qui présente des facteurs de risque connus dépistés au cours d’examens gynécologiques antérieurs (infections génitales récurrentes, fibromes, maladies du système, maladies endocriniennes ou cardiovasculaires, la consultation préconceptionnelle se justifie pour juger de l’opportunité de la grossesse en fonction du niveau de contrôle de ces pathologies car il y aura, en cas de grossesse, un retentissement entre la grossesse et ces maladies avec risque de fausse couche précoce ou des complications à terme d’une part et d’autre part un risque d’aggravation de ces maladies par l’état de grossesse.

La consultation préconceptionnelle aura pour objectif de donner le feu vert pour la grossesse ou d’émettre des réserves sur l’opportunité de la grossesse en concertation interdisciplinaire. La décision finale revenant bien sûr à la femme ou au couple.
Pour une femme qui a déjà eu une ou plusieurs fausses couches, la consultation préconceptionnelle permettra de s’armer à l’avance en fonction des facteurs/causes dépistés ou suspectés responsables des fausses couches précédentes.

2- Consulter dès que la grossesse est installée : Il est conseillé à la femme de consulter tôt pour une prise en charge précoce.
Pour une femme qui débute déjà une grossesse et qui a déjà eu une ou plusieurs fausses couches, si le facteur/cause est déjà identifié ou fortement suspecté, la consultation précoce dès le début de la grossesse permettra une prise en charge précoce du facteur/cause accessible à un traitement afin d’optimiser les chances d’une issue heureuse de la grossesse. Si le facteur/cause n’est pas connu, la consultation précoce permettra dans le même temps de le dépister et le prendre en charge.

Entretien réalisé par Justine Bonkoungou
Vidéo et Photo : Bonaventure Paré
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