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Elisabeth Kondé (Maire de Dédougou) : "L’élu n’est pas au-dessus de la loi"

Publié le lundi 26 septembre 2005 à 07h16min

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Considérée comme une ville à l’allure d’un gros village, Dédougou,
communément appelée « Cité de Bankuy » a à la tête de son conseil
municipal, une femme, Elisabeth Hakani DAYO née KONDE.

Sage-femme de
profession, cette épouse, mère de deux enfants, est maire d’une commune de
plein exercice. Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, elle se prononce sur
l’actualité et fait un bilan sommaire de son quinquennat qui tire à sa fin.

"Le Pays" : Quelles sont les mesures préventives que le conseil municipal a
prises, de concert avec les autorités sanitaires, pour éviter le choléra qui sévit
dans notre pays depuis le mois d’août ?

Elisabeth H. KONDE (Maire de Dédougou) : Je dois signifier que le conseil
municipal ne s’est pas réuni pour délibérer sur l’épidémie de choléra. C’est le
genre de situation d’urgence où le maire est habilité à prendre toutes les
dispositions utiles en matière d’assainissement et d’hygiène, avec les
services techniques, pour préserver la santé publique.

Mais vous savez sans
doute que l’assainissement d’une commune comme Dédougou ne peut pas
être l’oeuvre de quelques jours d’actions commandées par les circonstances.
Il faut une action structurelle et pérenne, qui suppose la mise en place de
services communaux adéquats et la mobilisation de ressources nécessaires.
Fort heureusement, l’épidémie n’a pas touché notre commune pour le
moment, et nous prions pour qu’il en soit toujours ainsi.

L’hygiène n’étant pas la chose la mieux partagée dans les restaurants,
maquis et autres débits de boissons, faudra-t-il attendre qu’une épidémie se
déclenche avant de sensibiliser les citoyens sur le danger qu’ils encourent ?

Vous avez tout à fait raison. Je venais de le dire tantôt, l’hygiène publique ne
peut se promouvoir que par des actions inscrites dans la durée. Toute
entreprise en la matière suppose aussi une part importante d’éducation et de
sensibilisation à l’endroit des citoyens, des familles, dans les écoles et à
travers les médias. C’est ce que nous avons fait en collaboration avec le
district sanitaire, à la déclaration de l’épidémie.

Mais, aussi bien pour le volet
assainissement que pour le volet promotion de l’hygiène, la commune ne
dispose d’aucune structure propre.
En collaboration avec les services techniques, nous sommes donc
consignés à des actions ponctuelles et limitées qui ne peuvent résoudre
durablement ni le problème de l’évacuation des eaux et des ordures, ni celui
de l’hygiène dans les lieux publics. Pour ce qui est des sites de restauration,
maquis et autres débits de boissons, il existe des normes d’hygiène en la
matière. Toutefois, de l’existence des normes à leur respect, il y a un fossé.
Des actions de sensibilisation, d’information, voire de répression ponctuelle
sont également menées.

La ville de Dédougou serait en passe de remporter la palme d’or de la
divagation des animaux. Plusieurs accidents ont été provoqués par les
animaux domestiques et les victimes accusent votre silence coupable.
Comment juguler donc le phénomène de la divagation des animaux à
Dédougou ?

Dédougou n’est certainement pas une enclave au Burkina en la matière.
Comme beaucoup d’autres communes de notre pays, à peine sortie d’un
mode de vie rural, Dédougou voit se mêler élevage, activités agricoles et
activités proprement urbaines. Sur la question la loi est pourtant très claire ; la
R.A.F. (Réforme agraire et foncière) prohibe les activités comme l’élevage et
l’agriculture en zone urbaine.

Mais il y a ce que la loi dit, et ce que le citoyen fait. Nécessairement, ce sont
là des activités qui, malgré leur contribution à l’économie, sont incompatibles
avec l’hygiène publique et l’ordre du milieu urbain.
Là aussi, il faut informer, sensibiliser et réprimer au besoin, et c’est ce que
nous faisons dans la limite de nos possibilités. Cependant, nous sommes en
train de construire une fourrière et réorganiser sa gestion. Dans la
perspective, il va falloir aménager les zones péri-urbaines à des fins
agro-pastorales pour mieux lutter contre la divagation des animaux.

Vous avez reçu récemment la visite d’une délégation canadienne. Quel a été
l’objet de cette visite ? A- t -elle été bénéfique pour votre ville ?

En effet, une délégation canadienne a séjourné dans notre commune du 31
juillet au 6 août 2005, dans le cadre du programme de promotion des
échanges techniques entre les municipalités canadiennes et leurs
partenaires de l’étranger, sous la forme de projets municipaux. Il s’agit
précisément d’une délégation de la Municipalité Régionale du Conté de la
Vallée de la Gatineau (une région de la province du Québec)

Au terme d’une semaine de travail avec le conseil municipal, le comité local
de jumelage et la société civile, nous avons élaboré en plan d’action un
projet d’assainissement qui était une préoccupation majeure de notre
commune. Le projet est intitulé « plan de collecte et de gestion des déchets et
ordures de la ville de Dédougou ». On peut dire que c’est un partenariat et un
séjour qui ont été pour nous salutaires. D’ailleurs, une délégation de notre
commune doit se rendre très prochainement au Canada.

Comment se porte le jumelage entre Dédougou et Douai ?

A merveille. Une délégation de 21 personnes composée du maire, de
conseillers, de membres du comité local de jumelage et d’une troupe de
danse, était à Douai en juillet dernier. Ce séjour a permis de raffermir les
liens et favorisé un échange fructueux de points de vue sur les projets à
mettre en oeuvre.

Les promesses faites par votre ville jumelle ont- elles été concrétisées ?

Oui. Nos deux villes se sont promis amitié et fraternité. Cette promesse est
tenue à tout point de vue. Douai a promis accompagner Dédougou dans ses
projets de développement et là aussi, les choses avancent bien. Nous allons
démarrer très bientôt le chantier de construction de la maison des jeunes
d’une valeur de trois cent cinquante millions (350.000.000) de francs CFA.

Douai n’est cependant pas une O.N.G. dont l’objectif exclusif est l’aide au
développement. Il s’agit d’une communauté qui, malgré ses propres
problèmes veut aider une autre . C’est aussi à notre commune de continuer à
chercher les voies et moyens pour mieux s’engager sur le chemin du
développement endogène et mieux bénéficier de l’appui de sa ville jumelle

En tant qu’ancienne Secrétaire générale provinciale du CDP, comment se
porte votre parti dans la province ?

Parfaitement bien comme partout dans toutes les provinces. Vous savez, un
Parti comme le CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès, parti au
pouvoir, ndlr) est largement au-dessus d’un individu de ma dimension ; je ne
suis plus Secrétaire générale provinciale ;je crois que cela m’a permis de
mieux me concentrer sur les problèmes de la commune sans pour autant
abandonner mes camarades, puisque je suis chargée des questions de
collectivités décentralisées dans le bureau de la section provinciale.

Votre quinquennat tire à sa fin. Quel bilan faites-vous des cinq années
passées à la tête du conseil municipal ?

Un bilan positif de mon engagement personnel, fait sans doute de difficultés,
parfois d’incompréhensions, mais aussi et surtout d’apprentissage permanent
au contact des citoyens, des collègues conseillers, et des multiples
problèmes à résoudre. Des acquis ont été enregistrés en terme de
réalisations d’infrastructures socio-économiques et en terme de renforcement
de l’ancrage de la démocratie au sein du conseil municipal et à l’endroit des
citoyens.

Mais il y a eu également des insuffisances. Nous reviendrons
largement sur le bilan du mandat au sein du conseil municipal, pour
récapituler les grandes actions dont chaque année nous avons fait un rapport
spécial.

Quelles sont les réformes que vous avez apportées depuis votre arrivée à la
tête de la commune ?

Je ne suis pas de tempérament conservateur. Mais je ne suis pas arrivée à la
tête du conseil municipal avec un panier de réformes personnelles. Je suis
maire d’une majorité politique dont l’action s’inscrit dans ce cadre et dans les
créneaux que déterminent la loi et les règlements de notre pays. Je situe mon
bilan sous cet angle. Ai-je pu contribuer dans les limites des moyens de notre
commune et en solidarité avec le conseil municipal, à la réalisation des
idéaux de mon groupe politique ? Notre commune a-t-elle fait un pas, aussi
petit soit-il, sur le chemin du développement ? C’est à ces questions que
nous répondrons au moment de notre bilan d’ensemble.

En cinq ans, vous n’avez organisé qu’une seule compétition sportive au profit
de la jeunesse de votre commune. Est-ce par manque de moyens ou est-ce
parce que le sport ne fait pas partie de vos priorités ?

La commune de Dédougou n’est pas gâtée en moyens, il faut le dire. Tout y
est prioritaire, y compris le sport qui est de surcroît un facteur de mobilisation
sociale. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons osé, avec l’apport des
sponsors, organiser une édition de la coupe du Maire. Par la suite, il n’a pas
été possible de rééditer cette compétition.

Ce n’est pas pour autant que le
sport, en particulier le football, sport-roi, a disparu de nos priorités.
L’action de la commune dans le domaine a seulement pris une orientation
moins ostentatoire et donc plus discrète. Nous avons continué à appuyer les
équipes dans les secteurs et à soutenir les compétitions que d’autres acteurs
ont organisées.

Quelles sont les difficultés qui se sont présentées à vous au cours de votre
mandat ?

Ce sont d’abord des difficultés d’ordre personnel. J’ai dû faire
quotidiennement face au déphasage entre ma volonté de faire , de bien faire
et la réalité des êtres et des choses qu’on ne peut changer du jour au
lendemain. Toute politique, je crois, veut changer le monde, mais le monde
tend à résister au changement volontariste. La réalité n’est pas toujours droite
ou carrée ; elle est trop souvent courbe ou scabreuse.
J’ai eu beaucoup de mal à m’adapter à cette situation parce que dans ma vie
personnelle, j’ai toujours eu un penchant pour les droits chemins et les voies
franches.

J’ai découvert à travers mon expérience que ce caractère était
source de frustration pour trop de gens et d’incompréhension à mon égard.
L’autre type de difficulté est inhérent à l’institution que j’ai dirigée avec peu de
ressources aussi bien humaines que matérielles et financières, pour une
infinité de problèmes à résoudre.

Est-il facile pour une femme de diriger une commune comme Dédougou ?

Pas du tout. D’abord parce que les femmes arrivent en général dans la vie
publique avec plein de volonté, et qu’elles découvrent dans la pratique que
les choses ne sont pas si simples. Ensuite, parce que nos sociétés ont encore
du mal à intérioriser le management au féminin. Il nous faut, nous les
femmes, faire deux fois plus d’effort pour évoluer à la tête des communes
comme Dédougou où les mentalités sont encore entachées de préjugés à
l’égard de la femme.

Avez-vous, à un moment ou à un autre, regretté un acte que vous avez posé
durant ce quinquennat ?

En général, j’essaie de vivre sans regret. Par conséquent, je m’efforce de
poser des actes en toute responsabilité et de faire ce qui est à faire ici et
maintenant et que je crois être juste et bien, quitte à ce que le cours des
événements me donne tort. Lorsque le cours des événements me donne tort,
je le reconnais et je tire les leçons et la vie continue. De cette façon, il n’y a
rien à regretter, il n’y a que des leçons à tirer.

Que répondez-vous à ceux qui estiment que vous avez grevé le budget
municipal par vos différents et multiples voyages à l’extérieur du pays ?

J’ai effectivement fait quelques voyages dans le cadre du jumelage
coopération, dans le cadre des activités de l’AMBF (l’Association des
municipalités au Burkina Faso, ndlr) dont je suis membre du Bureau exécutif,
et dans le cadre des activités de l’AIMF (Association internationale des
maires francophones, ndlr) à laquelle notre commune a été admise comme
membre en novembre dernier.

Ceci dit, est-ce que ces gens savent qu’aucune dépense budgétaire n’est
possible sans qu’elle ne soit prévue et acceptée par le conseil municipal et
avalisée par le contrôle de régularité des services techniques financiers ?
Est-ce que ces gens pensent sincèrement que mes déplacements ont été
supportés par le budget communal ? Je leur réponds que non.

Seuls les frais
relatifs à l’établissement des documents de voyage (passeport et visas) pour
la forte délégation qui m’a toujours accompagnée dans le cadre du jumelage
et autres frais afférents aux cadeaux faits aux amis sont imputables au budget
communal. Tous les autres frais de voyage et de séjour de mes « différents et
multiples voyages » et dont les retombées profitent toujours à la commune,
ont tous été à la charge de nos partenaires. Du reste, ça n ‘a pas été souvent
pour moi une partie de plaisir d’avoir accompli ces voyages.
Cependant, je souhaiterais même qu’il y ait encore plus d’opportunités, pour
nous permettre de mieux faire connaître notre commune à l’extérieur.

En tant qu’élue locale, quelle analyse faites-vous de la révocation par le
ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, de certains
de vos collègues maires ?

Permettez-moi de nuancer vos propos. A mon avis, le ministre de
l’Administration territoiriale et de la Décentralisation ne révoque pas un maire
à partir de son bureau, c’est plutôt le Conseil des ministres qui le fait. Ceci dit,
je voudrais faire remarquer que l’élu n’est pas au-dessus de la loi. C’est
peut-être la manière de le révoquer qui pose problème.
Cependant, je pense que cette procédure gagnerait à s’accompagner d’un
peu plus de communication à l’endroit des organes délibérants dont les
présidents sont incriminés.

C’est vrai que certains de nos collègues se sont
rendus coupables de faits répréhensibles, mais l’inexpérience et la jeunesse
de notre processus de décentralisation sont à l’origine de certaines erreurs.
Toutefois, la gestion locale ne peut en aucune manière être exercée pour le
moment sans le contrôle et l’assistance de l’Etat. Bien au contraire, il faudrait
les rendre plus réguliers pour éviter que les élus ne cumulent les erreurs et
les fautes pour ensuite faire l’objet de sanction ultime alors qu’ils auraient pu
se corriger ou rectifier les choses plus tôt.

Il semble que vous aviez, au cours de votre mandat, tenté de démissionner.
Si oui, quelles en étaient les motivations et qui vous a dissuadé à l’ultime
moment ?

Vous plaisantez. C’est sûr qu’en cinq ans, il y a eu des jours où, face aux
difficultés et aux incompréhensions, on n’a plus envie de continuer le
lendemain. Mais le soutien moral des uns et des autres et ma détermination
personnelle m’ont toujours permis de m’en sortir.

Madame Elisabeth Kondé voudra t-elle conserver son fauteuil de
bourgmestre de Dédougou ?

Le fauteuil du bourgmestre de Dédougou n’est pas d’or. Il s’agit plutôt d’une
chaise chaude où l’occupant est au four et au moulin. Aurais-je même la force
de vouloir continuer dans trois mois ? Je ne sais pas encore. Ce qui est sûr,
mon engagement dans la vie publique reste tout aussi ferme qu’au départ, et
ma volonté de sacrifier quelque chose de ma vie pour la communauté est
toujours là. La suite sera déterminée par les circonstances politiques et les
puzzles électoraux.

L’élection présidentielle est pour bientôt. Quelle appréciation faites-vous de la
déclaration des multiples candidatures ?

Chacun au Burkina est libre de faire valoir ce droit d’être éligible ; la
Constitution le lui garantit. Maintenant, il revient au peuple de faire le choix.
C’est au peuple d’ouvrir l’oeil et surtout le bon, comme dirait l’autre.

Avez-vous quelque chose sur le coeur, en terme de voeux, de doléances ?

Que les pluies continuent régulièrement jusqu’au mois d’octobre ; que les
échéances électorales à venir puissent renforcer la paix et la démocratie
dans notre pays ; que les municipales prochaines apportent à la nouvelle
commune de Dédougou, une équipe cohérente et engagée à poursuivre les
chantiers de développement de notre ville avec beaucoup plus d’appui et
d’accompagnement. Enfin, que les villages du département puissent être
harmonieusement intégrés dans le plan de développement local.

Y avait-il d’autres aspects que vous vouliez aborder ?

Mes remerciements à la presse, en particulier au journal "Le Pays" qui a
toujours été là à nos côtés pendant cinq ans pour nous permettre d’informer
nos citoyens et l’opinion nationale sur ce que nous faisons. Mes excuses à
toutes les personnes que mes actes et mots personnels, à tort ou à raison, ont
pu offenser au cours des cinq années à la tête du conseil municipal.

Propos recueillis par Serge COULIBALY

Le Pays

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