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Campagne agricole dans le sud-ouest burkinabè :Le médecin après la mort ?

Publié le vendredi 26 août 2005 à 07h42min

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La région du Sud-Ouest du Burkina fait partie des zones touchées par le déficit céréalier et qui subissent les caprices pluviométriques. Pour cet écologue originaire de ladite région, il est temps de se pencher sur cette situation.

Samedi 20 août 2005, le "Tengan-sob" ou "Chef de terre" de Bapla, commune de Diébougou, chef-lieu de la province de la Bougouriba, réunit tous les notables de la localité qui décrètent la fermeture et l’arrêt de tous les marchés pour compter de ce jour s’il ne pleut pas. Le même jour, à Dana, chef-lieu de la province du loba, les responsables des communautés chrétienne, musulmane et les gardiens de la Coutume tiennent une rencontre au sommet.

Ils décident d’interdire la tenue du grand marché dominical de Dano tant qu’il ne sera pas tombé sur la région trois grosses pluies. Le grand marché du dimanche 21 août a donc été interdit, à la (mauvaise) surprise des acteurs économiques, notamment des nombreux commerçants venus du Ghana, de Bobo ou de Koudougou. Manifestement, il y a le feu en la demeure.

En effet cela fait, à la date du 20 août 2005, un mois plein que les provinces du loba et de la Bougouriba1 connaissent une sécheresse sans précédent pour cette période de l’année, depuis environ 20 ans. Au même moment dans la région du Centre, notamment à Ouagadougou, l’épisode sec enregistré dans la première semaine de la troisième décade de juillet a fait suite à une véritable flotte quotidienne, engendrant, selon des témoins, la rupture de plusieurs barrages dans le département de Koubri notamment. Ici, on pense que le Programme Saaga est passé par là.

Sur le plan agricole, plus de 80%, voire la totalité dans certaines localités, des cultures de maïs dans ces deux provinces sont définitivement perdues. En effet, avec un démarrage plutôt normal de la saison des pluies (sauf dans la province du Poni), 70% des cultures de maïs avaient atteint les stades de la floraison et de l’épiaison dès le 20 juillet. 20% étaient en phase finale de montaison2. Ces cultures avaient dès lors le plus besoin d’eau pour remplir leur fonction, à savoir produire du grain. Hélas ! Après un mois de sécheresse, on peut mettre le feu à ce qui reste des parcelles de maïs sur pied.

"La grande maladie" de la faim

Sur le plan alimentaire, c’est donc la mort dans l’âme que les populations de ces provinces, déjà éprouvées par une situation alimentaire catastrophique, scrutent chaque jour un ciel devenu plus qu’anormalement aride pour un mois d’août dans le Sud-Ouest. En effet, malgré des statistiques officielles qui, au mois d’octobre 2004, faisaient de cette région l’une dont la campagne agricole était des plus excédentaires, le prix des céréales de base (sorgho et maïs) avait déjà franchi la barre des 20 000 F le sac de 100 kg dès la fin du mois de mai 2005. Il se situe à ce jour autour de 27 000 F (soit 750 F le plat dit« Yoruba »), à condition d’en trouver : toutes les banques de céréales des Associations et autres groupements ont été vidées avant mi-juin. C’est pourquoi, voyant bien venir cette situation, les paysans avaient misé abondamment sur la culture du maïs, afin de passer la soudure d’août à octobre.

Malheureusement...
Sur le plan sanitaire, à regarder marcher les hommes et les enfants, ils respirent tous la « grande maladie » : la faim. Pourtant, c’est la période où la demande d’effort physique est la plus importante pour le paysan. Résultat, les maladies diarrhéiques liées principalement à une surconsommation de feuilles bouillies et à une carence générale en glucides constituent le lot des formations sanitaires de brousse dans la région.

Les enfants et les adultes en âge avancé en sont naturellement les premières victimes... Ils meurent dans... le silence...officiel.
Ce jeune ressortissant de Dissin, qui a eu le toupet de décrire dans la presse nationale la situation de famine qui prévaut dans sa localité, s’est fait tirer les oreilles par les "bonnes consciences" logées à Ouagadougou.

Cependant, il a dit la vérité : en effet, pour ce qui est des informations fiables en notre possession, la faim frappe au moins tout le loba et toute la Bougouriba où il ne pleut pas et où l’avenir est extrêmement préoccupant pour des populations habituées à manger quand elles en avaient envie3. Ce jeune homme au moins aurait obtenu du bureau du PAM à Ouagadougou quelques tonnes de riz pour soulager Dissin. Pour le reste...

La question de la faibilité des estimations

Le samedi 20 août dans la nuit, la zone de Diébougou et Bapla a reçu une pluie. Jusqu’à cet après-midi du dimanche 21 août, la zone de Dano et toute la province du loba attendaient toujours. Les témoins disent que les samedi 20 et dimanche 21 août, des avions survolaient à plusieurs reprises la province de la Bougouriba ; et on croyait savoir qu’il s’agissait des aéronefs du Programme Saaga. Pour les pauvres paysans, cela ressemble ni plus ni moins au médecin après la mort. Si d’aventure la situation pluviométrique venait à se "normaliser », leurs seuls espoirs ne pourront désormais reposer que sur le sorgho (là où il n’a pas séché) et le mil.

Pourtant, la situation de la campagne agricole au 31 juillet 2005 (soit une dizaine de jours après le début de cet épisode exceptionnellement sec), publiée par le ministère de l’Agriculture,
indiquait déjà que "le cumul pluviométrique comparé à la campagne écoulée est déficitaire dans tous les 15 postes d’observation" de la région du Sud-Ouest (in L’Observateur Paalga n° 6453 du 11 août 2005). Le rapport indiquait plus loin que « le développement des cultures est hétérogène en raison de la mauvaise répartition des pluies et des poches de sécheresse enregistrées, notamment dans le Poni.

Ainsi, les stades
phrénologiques observés s’étalent de la levée/tallage au niveau du sorgho et du mil à la floraison/maturité au niveau du mais ». Il apparaissait donc clairement que les cultures de maïs étaient désormais très exposées en cas de prolongation de l’épisode sec (ce qui fut malheureusement le cas).

Mais au fond..., j’oubliais que le radar du Programme Saaga n’a qu’un rayon de couverture de 250 km maximum de Ouagadougou. On ne pouvait donc pas se rendre compte de ce qui se passait dans cette lointaine Sud-Ouest...C’est donc compréhensible...même si le même Saaga nous a valu des inondations terribles à Batié et Kampti l’an passé, à la même période. Allez-y comprendre quelque chose ! Moi en tout cas je
ne comprends rien.

En vérité cette situation, qui est le lot de nombreuses autres régions traditionnellement réputées excédentaires au plan céréalier, pose de façon aiguë la question de la fiabilité des outils d’estimation des bilans des campagnes agricoles et des bilans céréaliers en particulier dans notre pays. Elle pose en dernier ressort la question de la capacité et de la responsabilité des pouvoirs publics à assumer les statistiques agricoles qu’ils produisent et à gérer (c’est-à- dire prévoir, surveiller en vue de réagir à temps) les situations alimentaires lorsqu’elles deviennent difficiles.

Des statistiques "polies"

C’est la deuxième fois en moins de 5 ans, après la campagne agricole 2001-2002, que les bilans céréaliers présentés par le ministère de l’Agriculture ont été largement contestés par l’opinion et se sont révélés contraires à la réalité vécue, en tout cas en ce qui concerne le Sud- Ouest ; toutes choses qui, ajoutées à l’absence de dispositions conséquentes, ont engendré des difficultés alimentaires plus ou moins graves pour nombre de régions du pays.

Il est au moins clair que les estimations des rendements agricoles sur lesquelles le département de l’Agriculture se base pour publier ses statistiques agricoles ne sont pas bonnes. Or ces estimations sont le résultat de l’application d’un modèle de prévision utilisé par les agents d’agriculture sur le terrain et qui permet de publier assez tôt les superficies emblavées et les rendements attendus. Alors, de deux choses l’une : ou le modèle est dépassé (cela peut arriver pour tout modèle de prévision mathématique appliqué aux sciences agricoles ou environnementales) ou il est insuffisamment ou mal appliqué sur le terrain par ceux chargés de le faire et qui sont payés spécialement (par rapport aux autres agents) pour le faire.

En effet, s’il y a un fait qui est patent, c’est que, depuis le désengagement de l’Etat du secteur agricole, le réseau d’encadrement de base du ministère de l’Agriculture est devenu de plus en plus inexistant ou inopérant dans de nombreuses localités, du fait de la raréfaction des moyens de travail, mais surtout du vieillissement et des départs non remplacés du personnel de terrain, y compris des plus compétents jadis rompus à la collecte des statistiques agricoles.

Même à l’époque des ORD puis des CRPA, il y en avait qui n’hésitaient pas à fournir à leur hiérarchie, des rapports mensuels complets avec toutes les statistiques attendues, assis 26 jours sur 30 dans leur bureau ; pourtant, il y avait le carburant et même les indemnités de tournées. Aujourd’hui, même les directeurs provinciaux joignent difficilement les deux bouts lorsqu’il s’agit d’aller sur le terrain. J’aimerais bien être démenti, preuves à l’appui. Autrement, je vais commencer à m’interroger sérieusement sur ce que disent certaines mauvaises langues qui voudraient que ce soit « en haut » qu’on commande que les statistiques soient "polies" avant d’être acheminées.

En tout état de cause, Il continuera à y avoir désaccord entre les pouvoirs publics d’un côté, les citoyens et la société civile de l’autre, au sujet des bilans céréaliers annuels, tant qu’il n’y aura pas de transparence autour des méthodes et outils qui président à leur élaboration et tant que la question de la sécurité alimentaire demeurera un domaine éminemment stratégique entre les seules mains des gouvernants. La plaie tend même à être une caractéristique de toute la région du Sahel ouest-africain.

Avis donc au candidat-Président (ou Président-candidat) et à son gouvernement : les populations du Sud-Ouest aussi attendent leurs stocks de céréales à prix social, voire à distribution gratuite. Puisque les récoltes de maïs sont désormais perdues, cela leur permettra au moins de tenir jusqu’au...13 novembre 2005, date à laquelle ils espèrent récolter, si Saaga réussissait à « ramener » assez de pluie jusqu’en fin septembre. Et ça, c’est en attendant la soudure dès le mois de mai 2006, c’est-à-dire... après le 13 novembre 2005.

Je m’excuse auprès des gens sensibles du ton (désinvolte ?) avec lequel j’ai abordé une question aussi délicate. C’est parce qu’au point où je suis rendu, je ne sais plus s’il faut en rire ou en pleurer. J’espère seulement ne pas crier dans le désert...

Dr F. Gbâanè HIEN
Ecologue, né dans le Sud-Ouest, résidant à Ouagadougou et à mi-chemin entre la société civile et la société politique 06 BP 9248, Ouagadougou 06

1 - Je m’en tiens seulement à ces deux provinces pour lesquelles j’ai des données suffisantes et récentes. Autrement, la situation générale concerne tout le Sud-Ouest.

2 - Il s’agit d’estimations personnelles basées sur mes observations au cours d’un parcours d’est en ouest et du nord au sud de la province du loba entre le 20 juillet et le 15 août 2005.

3 - Ce n’est pas le gouverneur du Sud-Ouest qui dira le contraire, lui qui a dû quitter momentanément Gaoua.

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