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Maxime Bandaogo, haut-commissaire du Passoré : "L’action administrative n’est pas un show ou un spectacle"

Publié le vendredi 12 août 2005 à 07h34min

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Détournement de vivres par le préfet, développement socioéconomique de Yako, banditisme, tels sont entre autres les thèmes autour desquels le haut-commissaire du Passoré, M. Maxime Bandaogo nous a entretenu pendant une heure d’horloge. Entretien...

Sidwaya (S) : Il nous est parvenu que le préfet du département de Yako aurait détourné 114 sacs de 100 kg de sorgho. Qu’en est-il exactement ?

Maxime Bandaogo (M.B.) : Je l’ai lu dans les journaux et je crois qu’il y a une part de vérité dans ce qui a été écrit dans le quotidien Sidwaya. Nous avons reçu 214 tonnes de vivres dans le cadre de l’aide d’urgence alimentaire qui est le fruit des efforts faits par le gouvernement face au déficit alimentaire très prononcé dans les zones rurales du Nord ou du Sahel. Nous avons commencé à recevoir ces vivres le vendredi 15 juillet. Compte tenu du fait que c’est la première aide d’une grande importance que nous recevons, nous avons convoqué le Comité provincial de secours d’urgence (COPROSUR) pour leur donner les informations nécessaires. Nous avons alors demandé à l’Action sociale de nous proposer une répartition de ces vivres aux populations. Les vivres étaient au niveau du chef-lieu de province et il fallait les acheminer dans chaque département. Le COPROSUR a proposé que la répartition soit faite au prorata de la population. Ces vivres étaient à vendre à 10 000 francs le sac de 100 kg. Mais compte tenu du fait qu’il fallait négociera avec les commerçants pour acheminer ces vivres vers les chefs-lieux de département, le sac allait coûter 10 500 francs. Il revenait à chaque préfet en tant que président du Comité départemental de secours d’urgence (CODESUR) de donner l’information sur la quantité de vivres que chaque département recevra. Il devrait mettre une commission de vente en place. Ce message a été clairement ventilé. Tout s’est fait avec la plus grande diligence.

S : Comment le préfet de Yako a-t-il pu détourné ces vivres à son profit ?

MB : Je me rendais à une cérémonie lorsque j’ai constaté un attroupement devant le magasin de l’Action sociale. Quand j’ai demandé au secrétaire général de la province ce qui se passait, il m’a dit que c’est sûrement le préfet que les populations attendent pour emporter leurs vivres. J’ai tenté de la joindre en vain sur son portable, à son bureau et à domicile. C’est aux alentours de 15 h que le secrétaire général est venu me dire qu’il a constaté que des enfants convoyaient des sacs de vivres à l’aide de charrettes dans une cour de commerçant. J’ai automatiquement appelé l’agent de l’Action sociale qui était présent dans le magasin puis le directeur provincial de la Police. Et avec le SG ils se sont rendus à l’endroit où les vivres étaient stockés. Ils ont pu prendre une dizaine de sacs. La gendarmerie et la police ont été instruits d’ouvrir une enquête pour situer les responsabilités. Au même moment, il y avait une trentaine de personnes qui manifestaient leur mécontentement et j’ai reçu leurs représentants sur le champ. Ils nous ont affirmé qu’une programmation avait été faite par le préfet et depuis quelques jours, ils ne le voyaient pas. On s’est rendu compte que le préfet n’avait pas mis en place une commission. C’est à partir de là que les informations ont commencé à tomber et nous avons pu mettre la main sur 32 sacs. J’ai demandé de poursuivre les investigations car il manquait 114 sacs. Le préfet a fini par collaborer en indiquant ses complices. Et sur les 114 sacs manquants seuls neuf (9) sacs n’ont pas être recupérés. Le préfet dit qu’il assume. Il les a sûrement vendus et on ne peut plus les récupérer. Je me suis substitué au préfet et j’ai mis en place une commission qui devrait faire la situation et faire des propositions pour la poursuite de la vente des vivres. Aucun kg de ces vivres ne sera dissipé. A l’heure actuelle, la situation est maîtrisée et je voudrais remercier les populations qui ont collaboré ainsi que les commerçants.

S : Des hauts-commissaires et des préfets qui détournent des vivres, est-ce à dire que la profession traverse une crise d’éthique ?

MB : Les hauts-commissaires ou les préfets n’ont pas à vendre les vivres destinés aux populations. Ce sont des responsables nommés par le gouvernement et ils n’ont pas le droit de vendre des vivres. Je suis haut-commissaire et je suis mal placé pour porter un jugement de valeur sur une quelconque crise que traverserait la profession. Mais je dois dire qu’il y a des brebis galeuses qu’on trouve dans toutes les professions. Il s’agissait pour nous de rattraper une situation et nous l’avons fait. Un rapport circonstancié sera adressé à qui de droit. Les enseignements nécessaires seront tirés.

S : Pouvez-vous nous parler de la situation de la famine dans votre province ?

MB : La famine est prononcée dans la province du Passoré. La preuve est que depuis le mois de mars, j’ai été à maintes fois interpellé par la population, les commerçants sur la situation céréalière. Nous avons alors initié une réunion avec les commerçants de céréales pour faire des diagnostics. Nous avons demandé aux commerçants de nous dire les problèmes d’approvisionnements. Au mois de mars le sac de mil de 100 kg coûtait 18 500 francs. Aujourd’hui, nous sommes à 25, voire 30 000 francs. La crise alimentaire est avancée dans le Passoré quand bien même le gouvernement à travers l’Action sociale a offert 12 tonnes de vivres. Nous avons mis gratuitement ces vivres à la disposition de la population. En plus il y a eu ces 214 tonnes que nous venons de recevoir pour les vendre à prix social.

S : Que peut-on faire alors ?

MB : Il faut que les commerçants des céréales jouent aussi leur partition. La solidarité doit prédominer car elle a toujours été le maître mot au niveau des villages. L’aide des partenaires au développement est très attendue et le gouvernement a déclaré que le Burkina connaît un déficit céréalier. Il faudrait aussi que les ressortissants apportent leur concours. Certains ont déjà compris cela en mettant des céréales à la disposition de leurs frères. Sont de ceux-là le colonel Gilbert Diendéré et son épouse ainsi que El Hadj O.K. Ils ont mis plus de 30 tonnes à la disposition des populations. Ce sont des efforts à saluer. Il y en a aussi qui en ont fait autant mais l’administration n’étant pas au courant il est difficile que nous en parlons. Le gouvernement a aussi son rôle à jouer en matière de sécurité alimentaire.

S : Plusieurs ténors de la vie politique et économique nationale sont ressortissants de Yako, pourtant la province semble traîner les pas en matière de développement socio-économique. Que se passe t-il ?

MB : C’est une question posée par plus d’un haut-commissaire dans cette province. Je ne peux pas me substituer aux opérateurs économiques ou aux populations pour comprendre pourquoi la province traîne les pieds alors qu’il n’y a pas mal d’intellectuels, d’hommes politiques de grande renommée, d’opérateurs économiques. Je fais le même constat que vous. J’ai rencontré tous les ressortissants de la province à Ouagadougou et nous avons discuté. Des engagements ont été pris, des révélations ont été faites par rapport à des actions futures à mener. J’ai pris bonne note. Ce que je retiens, c’est que l’Association pour le développement de la province du Passoré est très dynamique, car présente sur le terrain. Elle appuie l’administration et se bat pour sensibiliser ses frères. L’une des clés pour que cette province se développe est la sensibilisation car il existe un problème de mentalité. Il faut tout faire pour attirer les gens à Yako. Pour y arriver, il va falloir résoudre la question hôtelière. Cela va développer le tourisme et il y aura un brassage. Les mentalités peuvent alors changer. Une population qui vit en sclérose ne peut se développer. Il faudra aussi implanter à Yako des institutions financières. Cela permettra aux commerçants d’épargner. Les efforts de l’Association pour le développement du Passoré sont à saluer ainsi que ceux de la mairie de Yako et des élus. J’ai bon espoir que tout ira bien. J’ai appris par l’expérience que j’ai vécue qu’il faut semer pour récolter dans le futur les fruits. Donc je suis optimiste.

S. : Une rencontre des fils de Yako s’est tenue il y a quelques mois à Ouagadougou pour fédérer les programmes de développement de la province. Cette rencontre a-t-elle été suivie d’effets ?

MB : J’ai parcouru un certain nombre de provinces ou nous avons vu des associations pour le développement de telles provinces qui ne produisent pas d’effets. Pour une des rares fois, je dois dire que l’Association pour le développement du Passoré est bien ficelée. Elle a une vision claire sur le développement de la province. N’eut-été l’absence prolongée du maire du pays pour raison de maladie, j’étais à mesure de vous présenter des documents que nous avons arrêtés et qui prennent en compte un certain nombre de choses. Il y a des engagements qui ont été pris pour nouer des partenariats avec des institutions financières pour leur installation dans la province. Les choses vont bouger, j’en suis sûr.

S. : Le banditisme connaît un regain dans la province du Passoré. Comment luttez-vous contre ce fléau ?

MB : Nous ne faisons pas exception quand il s’agit de banditisme ; mais au niveau de la province du Passoré, la situation ne se présente pas de la même manière que sur la route de Pô ou dans la région de Fada. Nous faisons confiance aux forces de défense et de sécurité (police et gendarmerie).

Nous menons quelquefois des opérations coup de poings pour lutter contre les bandits.

S. : Que fait-on pour retenir les populations qui migrent vers les pays voisins, étant donné que le Passoré est classé parmi les zones de départ ?

MB : Nous avons dans les projections prévu de développer et de promouvoir la culture de contre-saison. Il y a des barrages comme celui de Kanazoé ou de Samba. Le barrage O.K. par exemple est loin d’être exploité. Je dirai même que le tiers de ce barrage n’est pas exploité. Nous sommes en train de voir comment nous, en tant qu’administration pouvons initier des journées pour promouvoir les légumes et nos poulets. Aux mois de novembre, décembre ou janvier, si vous faites un tour sur le barrage, vous comprendrez pourquoi de plus en plus, les jeunes ne vont pas à l’extérieur. Nous allons les encourager dans ce sens.

S. : Au regard de votre parcours professionnel, vous semblez être un haut commissaire des provinces difficiles ?

MB : Posez cette question au président du Faso : est-ce que le Burkina Faso est facile ? C’est pour vous dire qu’il n’y a pas une province facile. Toutes les provinces ont leurs réalités. Tout est une question d’approche et c’est parce qu’il y a des difficultés que l’Etat a besoin d’être représenté dans ces provinces. C’est cela qui nous conforte dans notre raison d’être de haut-commissaire. Je n’ai pas de solutions miracles. J’apporte ma contribution et c’est ensemble qu’on recherche des solutions. Les problèmes sont posés par les hommes et c’est par les concertations et le dialogue, qu’on arrive à trouver des solutions. Tant qu’on ne refuse pas la concertation et le dialogue, il y a toujours des solutions à un problème. Ensuite, je voudrais dire que l’action administrative est loin d’être un spectacle ou un show qui a pour acteurs des stars ou des vedettes. La clé des problèmes posés se trouve dans les mains de ceux qui ont posé ces problèmes. Il faut aller vers les gens, les écouter et privilégier le dialogue. C’est comme cela que vous verrez que le problème qui se présentait comme une montagne va s’écrouler. L’administration a des principes qu’il faut respecter et si cela est expliqué aux gens, ils comprendront. Je fais confiance aux gens jusqu’à ce qu’ils me prouvent qu’ils ne méritent pas ma confiance.

S. : Est-ce là le secret de votre longévité en tant que haut-commissaire ?

MB : J’avance et les autres apprécient. Je ne me suis jamais préoccupé de ma durée de vie à un poste. Quand on me nomme à un poste, ma préoccupation c’est comment je vais partir. Que ce soit dans 2 mois, 1 ou 6 ans, ce n’est pas ma préoccupation. On a placé une confiance en moi et je travaille à mériter cette confiance. Si on vous fait confiance, c’est parce qu’on a vu en vous quelques atouts qui peuvent être utiles à tel ou tel poste. A vous d’identifier ces atouts et de les utiliser à bon escient. Le reste, c’est les autres qui apprécient. Je travaille avec loyauté. Si je ne dois pas servir la cause de ceux qui m’ont nommé haut-commissaire, je démissionne. Je ne suis pas le plus intelligent ou le plus beau des Burkinabè. Le poste de haut-commissaire est un poste exhaltant parce qu’il me permet de m’épanouir. Je me fais des relations, et j’essaie de travailler conformément à la lettre de mission que le gouvernement m’a donnée.

S. : Le haut-commissaire ira t-il en vacances ?

MB : Quand j’étais haut-commissaire à Koudougou, au mois d’août, mois des vacances, j’ai pris une circulaire adressée à tous les directeurs et chefs de services pour leur dire que j’allais en vacances. C’est cette année que je n’en ai pas eu. Les gens ont su que j’allais être absent et tout le monde voulait venir m’exposer ses problèmes. J’ai besoin de me reposer un peu mais je ne peux pas parler de vacances. Je ne peux pas dire que j’irai en vacances parce que je me demande si je pourrai. Tant qu’il y a des problèmes à résoudre et qu’on se porte bien, on est à l’écoute des gens. Je n’ai pas de vacances formelles.

S. : Quels sont vos distractions ?

MB : Mon programme est le suivant : je me réveille à 4 h 45 mn, le temps de faire quelques mouvements d’assouplissement, ensuite j’écoute les informations dès 5 h sur RFI, à 6 h je suis sur BBC et à 6h 30 pendant que je suis sous la douche, j’écoute la radio nationale. A 7 h 15 je suis au bureau. C’est le traitement des dossiers, des audiences, des réunions ou des déplacements à Ouahigouya ou Ouagadougou qui meublent ma journée de travail. Une fois la nuit tombée, je lis les journaux. Je n’ai pas le temps pour me distraire parce que ma journée est chargée. Quant à mes loisirs, j’aime la boxe car j’aime voir taper dans les autres mais je ne tape jamais.

Interview réalisée par El Hadj Ibrahiman Sakandé (ibra.sak.@caramail.com)

- Romaric DOULKOUM (romarikom@yahoo.fr)

Sidwaya

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