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La Francophonie, face aux réalités du monde contemporain, réclame les moyens de changer la donne

Publié le dimanche 7 décembre 2003 à 09h14min

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La francophonie est, parfois, un sujet de conversation (plus généralement un an sur deux, aux alentours de l’automne, quand va se tenir son Sommet). Il est, surtout, un job lucratif pour quelques uns. Parfois une position de repli pour des personnalités de premier plan en rupture de carrière (Boutros Boutros-Ghali, ancien secrétaire général de l’Onu ; Abdou Diouf, ancien président de la République du Sénégal).

Le constat est souvent amer. Mais, comme le disait fort justement, ce matin, samedi 22 novembre 2003, Filippe Savadogo, ambassadeur du Burkina Faso, "Il ne faut s’en prendre qu’à nous-mêmes".

La francophonie ne mobilise pas les foules. Là où elle est un acquis et non pas une conquête ou l’affirmation d’une différence. Il fallait toute la détermination et la capacité d’organisation de l’ambassade du Burkina Faso pour réunir, sur ce thème, à Paris, une jolie foule, un samedi matin d’automne. Filippe Savadogo et son équipe n’aiment rien tant que de montrer que de la volonté et du travail peuvent suppléer, souvent, aux manques de moyens.
La représentation diplomatique du Burkina Faso n’est sans doute pas la plus riche sur la place des Paris ; elle est une des plus actives pour promouvoir le dialogue. Pas seulement sur des sujets dont elle est à l’initiative (cf LDD Burkina Faso 020/Lundi 28 avril 2003).

Ce matin, bien sûr, le débat sur la francophonie s’imposait. Il y a tout juste un an venait de s’achever son IXème sommet. C’était à Beyrouth (cf LDD France 098/Lundi 21 octobre 2002). Dans un an, tout juste (23-27 novembre 2004), s’ouvrira le Xème sommet. A Ouagadougou. Ce sera donc la quatrième fois que le sommet francophone sera organisé en Afrique après Dakar, Port-Louis et Cotonou.

Evénement exceptionnel pour le Burkina Faso qui va se retrouver ainsi, à nouveau, sur le devant de la scène diplomatique internationale. Il y a bien longtemps que cela ne lui était pas arrivé. En 1997, Compaoré apparaissait comme un chef d’Etat incontournable. Ouagadougou enchaînait les manifestations : sommet France-Afrique, sommet de l’OUA, Can de football sans compter le SIAO en alternance avec le Fespaco. Le 13 décembre 1998, l’assassinat du journaliste Norbert Zongo allait changer totalement la donne (cf LDD Burkina Faso 06/Mardi 17 décembre 2002). Et il allait falloir bien des années pour que la sérénité se réinstalle entre le Burkina Faso et ses partenaires.

J’ai dit, en son temps, ce que je pensais de cette mise en quarantaine. Injustifiée et injustifiable. Dans le même temps, la situation en Côte d’Ivoire ne cessait de se détériorer. Paris prenait alors conscience que pendant toutes ces années, le Burkina Faso n’avait cessé de se développer tandis que la Côte d’Ivoire n’avait cessé de s’enfoncer dans les crises à répétition
jusqu’à ce que la partition du pays devienne effective voici un an. L’effondrement de l’économie ivoirienne consécutive à son chaos politique pèse lourdement sur le Burkina Faso. Economiquement et socialement. Pour le reste (la vie politique), les institutions burkinabè jouent pleinement leur jeu et la raison l’emporte sur l’exaspération. Mais c’est dans ce contexte que va se tenir, à Ouagadougou, le Xème sommet. C’est dire que l’enjeu est d’importance !

L’enjeu est d’autant plus d’importance que le thème du Xème sommet de la francophonie ("espace solidaire pour un développement durable ’ :) s’inscrit dans la démarche qui est celle du Burkina Faso depuis bien des années. Et on comprend que les Burkinabè entendent profiter de cette tribune pour affirmer leur" différence" (pour reprendre une expression devenue un concept politique depuis que Lula a accédé au pouvoir au Brésil) : pas d’autres ressources qu’historiques, culturelles et humaines dont l’usage a été non seulement profitable au pays mais, également, à la sous-région. Il est indéniable qu’aujourd’hui le bilan de l’évolution de la Haute-Volta/Burkina Faso est plus positif que celui de la Côte d’Ivoire.

C’est dans cette perspective que, ce matin, Filippe Savadogo a reçu Jean-Louis Roy, président du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique du Canada. Dans l’assistance, il y avait notamment Roger Dehaybe, administrateur général de l’Agence de la francophonie, et son directeur de cabinet, Saliou Akadiri. Trois personnalités qui symbolisent, à elle seules, une part essentielle de la francophonie : Amérique (Roy est canadien), Europe (Dehaybe est belge), Afrique (Akadiri est béninois).


Je reviendrai, ultérieurement, sur la personnalité et le parcours de ces trois hommes. Mais ils ont un point commun : ce sont depuis bien longtemps des baroudeurs de la francophonie. Roy et Dehaybe étaient tous deux, l’un au titre des gouvernements du Canada et du Québec, l’autre au titre de la Communauté française et du gouvernement de Belgique, candidats au poste de secrétaire général de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT). C’était en 1989 (3-5 novembre), à Ottawa, au lendemain du mème sommet de la francophonie qui s’était tenu à Dakar.

La francophonie vivait encore à l’âge de pierre, fonctionnant de bric et de broc essentiellement à travers l’ACCT, formidable gouffre financier dont on ne cessait de dénoncer l’inefficacité (le gabonais Paul Okumba d’Okwatségué, qui en était le secrétaire général, avait fait beaucoup pour la détérioration de son image, de ses ressources financières et la mise à sec de sa cave à vins de Champagne). La francophonie avait bien du mal à exister et se cherchait des raisons d’être : de la défense de la langue française à la constitution d’un espace économique.

1989 allait changer la donne. Mais personne ne le percevait encore pleinement. L’empire soviétique allait imploser après que la lutte pour les droits de l’homme ait fait s’écrouler le mur de Berlin et avant que les nouvelles technologies n’ébranlent la muraille de Chine. L’image est de Jean-Louis Roy qui évoque par ailleurs, non sans un certain lyrisme, "la bataille d’un siècle" et "la parade des vainqueurs". C’est une façon de voir qui peut ne pas être partagée par tous. Mais il a raison d’affirmer que "la parade est terminée et que rien n’est réglé pour autant".

Cette prise de conscience ne date pas de 1989. Au cours de la décennie 1990, les comportements ne vont pas véritablement changer. Les vieux schémas restent en vigueur. Et les sommets de la francophonie vont s’entasser les uns après les autres, en Amérique, en Europe, en Afrique, en Asie, sans que l’on perçoive un quelconque frémissement dans la "grande famille
francophone". Les fondateurs ont disparu ; les héritiers n’ont qu’un mot : "francophonie", en d’héritage. Certes, les institutions ont été remises en ordre, la démocratie a été affirmée comme une priorité, la diversité culturelle a été impulsée, les institutions francophones ont été renouvelées (notamment à la suite du sommet de Hanoï), la coopération universitaire (après bien des déboires) a été relancée. Mais on ne percevait pas encore la francophonie comme une démarche essentielle, un "plus" pour l’ensemble de la communauté internationale.

Le 11 septembre 2001, une partie du monde va perdre ses illusions. Et ses points de repére. Et le sommet de Beyrouth va mettre au jour la nécessité qu’il y a, plus que jamais, à faire de la francophonie "un espace solidaire pour un développement durable". Mais si les acteurs majeurs de la francophonie en sont pleinement convaincus, il reste encore à convaincre les politiques francophones de l’urgence qu’il y a à cela ! C’était, compte tenu de ce qu’il est aujourd’hui et de ce qu’il a été hier, la mission de Jean-Louis Roy que de tirer, à un an du sommet de Ouagadougou, le signal d’alarme. Il n’a pas manqué de le faire.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
( 23 novembre 2003)


La Francophonie, face aux réalités du monde contemporain, réclame les moyens de changer la donne (2)

Il n’y a rien de plus ennuyeux que les discours sur la "Francophonie". Ceux qui en sont les grands prêtres, généralement appointés, lui trouvent bien des qualités et ne manquent pas de souligner son caractère essentiel. Qui, généralement, échappe aux auditeurs.

La "Francophonie", c’est comme le Père Noël, on peut y croire dans le mois qui précède le 25 décembre mais sûrement à compter du 26 ! Sans les sommets francophones, tous les deux ans, on n’évoquerait même pas la francophonie dans les médias. C’est vrai en France où nous sommes francophones de naissance dans un environnement francophone. C’est vrai, bien souvent aussi, en Afrique noire... francophone (expression abusive pour bien des pays où le "francophone" est, exclusivement, urbain).

Ailleurs, au Canada surtout et en Belgique dans une moindre mesure, la francophonie est déjà, beaucoup plus militante. Elle n’est pas un acquis ; elle est une conquête parfois difficile à sauvegarder. Il n’est donc pas étonnant que Jean-Louis Roy, canadien, et Roger Dehaybe, belge, s’enthousiasment pour une cause qui n’en est pas une, vraiment, pour nous autres, français. Ils ont tenté de nous faire partager cet enthousiasme le samedi 22 novembre 2003, lors d’une rencontre organisée par l’ambassade du Burkina Faso à Paris dans la perspective de la tenue du Xème sommet de la francophonie à Ouagadougou, du 23 au 27 novembre 2003 (cf LDD Spécial Week-End OIOI/Samedi 22-dimanche 23 novembre 2003).


Mais après plus de trois décennies de "Francophonie" militante et organisée, le bilan est mitigé. Non pas que la "Francophonie" ne serve à rien ; mais elle n’intéresse pas grand monde. Et les autorités responsables (il y a, en France, siège de l’Organisation internationale de la
francophonie, un ministre en charge de cette question) ne donnent jamais l’impression de vouloir se donner les moyens pour que les choses changent. Il était donc intéressant d’écouter le bilan de la "Francophonie" tel qu’il pouvait être dressé par quelqu’un qui en a été un des principaux animateurs pendant de longues années et qui, aujourd’hui, est déchargé de toutes responsabilités dans ce domaine.

Jean-Louis Roy est né le 1er février 1941 à Normandin, dans la province du Québec. Philosophie, histoire, études médiévales vont marquer son cheminement intellectuel. En 1965, il obtient un Ph.D en histoire à Mc Gill University, Montréal, et se lancera, à compter de 1969, dans une carrière de professeur, à Montréal et Ottawa, et de chercheur, à Boston et Montréal. De 1980 à 1986, il sera directeur du quotidien Le Devoir et entamera, à compter de 1985, une longue carrière au service de la "Francophonie" : membre du Haut Conseil de la Francophonie, délégué général et délégué aux affaires multilatérales et francophones du Québec à Paris, président du Comité international sur l’avenir des institutions francophones, secrétaire général de l’ACCr de 1989 à 1997, lors du sommet de Hanoï qui va changer les structures de gestion de la "Francophonie". Roy, qui a participé activement à la préparation et au suivi des sommets francophones, est également l’auteur de très nombreux ouvrages dont La Francophonie. L’émergence d’une alliance ? édité en 1989. Il a participé également au cycle de recherche sur la coopération multilatérale francophone organisé à la fin des années 1980 par l’université de Paris-I Panthéon-Sorbonne et dont j’étais alors le coordinateur.

"On aura beau inventer des concepts culturels autour de la langue française et de ce qu’elle incarne, déclare Jean-Louis Roy, si l’Afrique francophone ne dispose pas d’un meilleur niveau d’investissement, d’un développement conséquent du marché de l’emploi, les autres avantages ne résisteront pas aux effets désastreux d’une dégradation de la situation économique. Il faut en tenir compte". Il ajoute : "Pour être franc, la Francophonie ne dispose pas, jusqu’à présent, de ressources suffisantes pour être un vrai partenaire d’autres organismes internationaux. Elle se contente de mettre en place de petits programmes conjoints".

Ces deux déclarations ne datent pas d’hier. Mais de fin 1989 quand Jean-Louis Roy était candidat au poste de secrétaire général de l’ACCT. Il y a quatorze ans. Et son constat est toujours le même. La "Francophonie" est porteuse de beaucoup d’espérances et dispose de moyens intellectuels et humains. Il lui manque cependant des ressources financières à la hauteur de ses ambitions. C’était grave en 1989 et Jean-Louis Roy n’avait pas manqué de le remarquer. C’est plus grave aujourd’hui encore. Et il ne manque pas de le remarquer une fois encore : pendant tout ce laps de temps beaucoup de choses ont changé ; la géopolitique mondiale a été bouleversée par l’effondrement de l’empire soviétique ; la démocratie a été une revendication générale des peuples ; au sein de la "Francophonie", les changements ont été notables avec l’instauration, notamment, partout en Afrique, du multipartisme et des échéances électorales.

"Mais la démocratie est illusoire s’il n’y a pas de développement économique. Que signifie une élection libre et démocratique, sous le regard d’observateurs étrangers, notamment ceux de la
francophonie, si la majorité de la population n’est pas alphabétisée et à même de juger des enjeux ?", souligne Jean-Louis Roy. La "Francophonie" a "changé de façon extraordinaire", mais la situation de beaucoup de ses membres n’a pas progressé, bien au contraire. La situation dans l’ex-Zaïre est, dit-il, un "grand scandale dont personne ne se préoccupe véritablement". C’est la même chose au Rwanda, au Burundi, en Côte d’Ivoire, etc... "La bonne gouvernance ne signifie rien. Ce qui importe, c’est une gouvernance démocratique des pays et celle-ci ne peut pas s’instaurer sans un niveau de développement convenable".

Or, l’aide publique au développement est partout en recul et les investissements privés n’arrivent pas. Comment financer le développement durable, seule issue aux problèmes liés à la poussée démographique, à l’appauvrissement croissant et à l’urbanisation explosive dans les pays du Sud ?
"Sans solidarité, mais aussi sans justice c’est-à-dire la remise effective et totale des dettes, un commerce équitable, le jeu de compensations, il n y a pas de grandes chances de progrès", affirme Jean-Louis Roy. Il ajoute : "Le même modèle de développement ne peut pas s’appliquer
intégralement partout de la même façon".


Il attend de Ouagadougou, en 2004, que les pays francophones s’engagent dans un pacte de croissance et de développement durable dont l’éducation devra être une priorité. "Dans ce domaine, dit-il, la francophonie ne fait pas ce qu’elle devrait faire". Et il souhaite que des moyens effectifs lui soient donnés pour qu’elle puisse pleinement s’investir dans la prévention des crises et des conflits.

En tirant la sonnette d’alarme sur les risques que le monde va devoir affronter dans les
décennies à venir, Roy n’entend pas minimiser le rôle de la "Francophonie". Bien au contraire. Et il n’a pas manqué de souligner les nombreux acquis qu’il estimait être ceux des précédents sommets (l’exigence démocratique qu’il appelle "l’acceptable et ce qui ne l’est pas" ; la diversité culturelle ; la remise de la dette, etc...). S’il met l’accent sur les acquis, il ne manque pas de souligner l’ampleur des problèmes qui vont être à régler. Et qui ne pourront pas l’être sans que l’on "repense la coopération économique dès lors que l’aide publique au développement n’est pas le moteur de la croissance".

Une réflexion dans l’air du temps (cf LDD France 0157 et 0158/Mardi 12 et Mercredi 13 novembre 2003) et à laquelle la victoire de Lula au Brésil donne, par ailleurs, une réelle impulsion (cf LDD Brésil 02, 93 et 04/Mercredi 19, Jeudi 20 et Vendredi 21 novembre 2003). C’est également la préoccupation des actuels patrons de la "Francophonie". Je vais y revenir prochainement.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

(24/11/03)


La Francophonie, face aux réalités du monde contemporain, réclame les moyens de changer la donne (3)

Le samedi 22 novembre 2003, à l’initiative de Filippe Savadogo, ambassadeur du Burkina Faso à Paris, une rencontre était organisée dans la perspective de la tenue à Ouagadougou, du 23 au 27 novembre 2004, du Xème Sommet de la francophonie (cf LDD Spécial Week-End OlOI/Samedi 22-dimanche 23 novembre 2003). Cette rencontre a été l’occasion, pour Jean-Louis Roy, vieux routier de la francophonie, d’exposer l’état des lieux : la francophonie a la responsabilité de repenser la coopération économique pour faire face aux immenses besoins en développement des pays du Sud (cf LDD France 0159/Lundi 24 novembre 2003).

Roger Dehaybe, administrateur général de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie, est venu apporter son soutien à la vision développée par Jean-Louis Roy. "Nous sommes à un tournant, a-t-il affirmé. Nous discutons beaucoup au sein de la francophonie. Nous attendons maintenant de voir si cette discussion n’est qu’un monologue ou s’il y a un écho, au niveau des responsables politiques. Il faut être clair.. on ferme la maison ou on décide de s’attaquer aux problèmes".

C’est clair. Et ce n’est pas étonnant de la part de Dehaybe qui est, lui aussi, un vieux routier de la francophonie. Né en 1942 à Liège, en Belgique, licencié en philologie romane, il a été successivement producteur à la RTB, chargé de mission au cabinet du ministre de la Culture française, chef de cabinet du ministre de la Culture française, chef du cabinet du président de la Communauté française, adjoint à l’administrateur de l’université de Liège, chef de cabinet du président de l’Exécutif régional wallon, commissaire général aux relations internationales de la Communauté française. En 1989, Dehaybe sera le candidat de la Communauté française et du gouvernement de Belgique au poste de secrétaire général de l’ACCT face à... Jean-Louis Roy.

C’est Roy qui sera élu. Après avoir présidé le Comité de réflexion pour la réforme de la Francophonie, il a été nommé, en novembre 1997, au poste d’administrateur général de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie qui gère les programmes d’actions sur le terrain (elle a pris la suite de la très contestée ACCT).

Le caractère multilatéral de la Francophonie nuit, bien sûr, à la bonne gestion de ses institutions. L’Agence compte onze directeurs et plusieurs centaines de collaborateurs. Autant dire que le budget de fonctionnement est lourd même si Dehaybe a mis de l’ordre dans les comptes et dans les comportements (trop souvent abusifs ; parfois même caricaturaux). Malgré cela, la visibilité de l’action francophone est quasiment nulle et échappe totalement à la société civile (combien coûte l’insertion de la La Lettre de l’Agence de la Francophonie dans L’Intelligent, ex-Jeune Afrique, et qui la lit ?).

C’est d’ailleurs une préoccupation de ses animateurs. Il est vrai aussi que le français (si l’on excepte bien sûr la France mais aussi la Belgique et le Canada qui ne sont que partiellement et très partiellement francophones) est la langue du sous-développement, la francophonie étant essentiellement "africaine" alors que l’espagnol et le portugais s’imposent comme des langues américaines : parlés dans toute l’Amérique latine, ils occupent des positions de plus en plus dominantes en Amérique du Nord.

On peut, bien sûr, revendiquer des millions de francophones à travers le monde. Mais qui pense véritablement que l’Afrique francophone est peuplée de Francophones et que ces Francophones ont conscience d’appartenir à la francophonie ! Dehaybe le sait. Et ne manque pas de le souligner. "A quoi peut bien servir la diversité culturelle que nous revendiquons si le Sud n’est pas producteur en la matière ?".

Alphabétisation et éducation sont des conditions préalables, ne manque-t-il de rappeler. Et, en la matière, il y a une responsabilité qui est celle du Nord mais aussi une responsabilité qui est celle du Sud. Sans compter celle du secteur privé.

L’ambassadrice des Comores à Paris l’a souligné avec inquiétude. Dans ses îles de l’océan Indien, l’éducation de base est, faute de scolarisation en français, apportée par les écoles coraniques. C’est un danger dit-elle : "Du fait de l’inexistence d’écoles publiques primaires enseignant aujourd’hui le français, nos enfants risquent fort d’être demain une menace pour la sécurité du monde". C’est dire et redire que la francophonie n’est que la cerise sur le gâteau du développement. C’est pourquoi aussi, Saliou Akadiri, directeur de cabinet de Roger Dehaybe, diplomate béninois (titulaire d’un DESS développement et coopération de Paris-I Panthéon-Sorbonne, il a été directeur Europe au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération à Cotonou), a souligné qu’il était nécessaire que l’action francophone s’inscrive pleinement dans le cadre défini par le Nepad "si nous voulons nous sortir d’affaire".

Le Burkina Faso, pays qui va accueillir le Xème Sommet de la francophonie sur le thème
"espace solidaire pour un développement durable", est conscient des enjeux.

Lors de sa conférence de presse du 23 octobre 2003, le ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, Youssouf Ouedraogo (cf LDD Burkina Faso Ol3/Vendredi 21
février 2003), président du comité d’organisation du Xème Sommet, a rappelé "avec insistance que dans la dynamique de la mondialisation, prétendre constituer un Etat de droit, respecter les droits de 1 ’homme, sans combattre la faim, les pandémies, le dénuement extrême et la pauvreté qui caractérisent trop souvent la majeure partie de la communauté francophone, c’est prendre le grave risque de courir à l’échec" (je cite le quotidien Sidwaya du 28 octobre 2003).

A noter que le secrétaire général national de la Francophonie au Burkina Faso est Paul Ismaël Ouédraogo qui a été une personnalité majeure de la vie politique voltaïque sous le régime militaire de Lamizana et la IIIème République. Né le 12 avril 1946 à Ouagadougou, où il a suivi toutes ses études primaires et secondaires, il a rejoint Strasbourg pour y poursuivre ses études supérieures notamment au sein du Centre international d’enseignement supérieur du journalisme.

Il a été ainsi un des premiers journalistes professionnels voltaïques Après avoir collaboré à la RTV, il en sera le patron en 1972 puis le directeur général de l’information en 1976, activité menée en parallèle avec celles de directeur de cabinet du ministre de l’Information, des Postes et des Télécommunications. Le 13 janvier 1977, il entrera dans le gouvernement formé par le général Lamizana au portefeuille de ministre des P et T ; il y sera reconduit lors du changement gouvernemental du 16 juillet 1978 consécutif à la mise en place de la IIIème République et il y demeurera jusqu’à l’accession au pouvoir du Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN) à la suite du coup d’Etat du 25 novembre 1980.

Paul Ismaël Ouédraogo va vivre les vicissitudes de la politique burkinabè et se retrouvera, en tant qu’ancien ministre de l’ancien régime, devant les TP R de Sankara. Il va connaître quelques années "d’effacement" avant de revenir peu à peu sur le devant de la scène comme porte-parole de la Présidence de la République puis, voici quelques années, en tant que secrétaire général national de la Francophonie où il a pris la suite de Malik Sarr nommé au siège à Paris.

A un an du Xème Sommet de la Francophonie, les prises de conscience sont là. Le changement de perception du rôle de la Francophonie dans le monde est notable. Il s’agit d’impulser un développement "différent". Reste à communiquer suffisamment auprès des décideurs politiques et des opérateurs économiques pour que les "francophonistes" sortent, enfin, de leur ghetto et fassent part, au reste du monde, de leur détermination à changer la donne.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
(26/11/03)

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