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Les héros de l’insurrection populaire (7) : Nicolas Da

Publié le lundi 24 novembre 2014 à 23h19min

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Les héros de l’insurrection populaire (7) : Nicolas Da

Cette autre image a fait le tour des « mûrs » : un parlementaire porté par les manifestants du 30 octobre 2014 de l’Assemblée nationale jusqu’au Chef de file de l’opposition politique. Lui c’est Nicolas Da, Député maire UPC (Union pour le progrès et le changement, parti chef de file de l’ex opposition) de la commune urbaine de Diébougou dans le Sud- Ouest. Il l’était du moins jusqu’à la récente dissolution des organes de direction des collectivités territoriales. Mais c’est plutôt le témoin du mouvement insurrectionnel burkinabè que nous avons rencontré pour vous.

Comment avez- vous vécu les journées insurrectionnelles des 30 et 31 octobre derniers ?

Ces journées, je les ai vécues comme les autres. C’est quelque chose qui a surpris tout le monde étant donné que ce jour (30 octobre, ndlr) les 28 députés de l’opposition avaient décidé d’aller voter. Nous avions pris cette décision parce que nous savions que le texte ne passerait pas. Pour la simple raison que nous avions exploré un peu le terrain ; du côté de l’ADF (ADF/ RDA, parti allié à l’ex parti au pouvoir, ndlr) du côté du CDP (ex parti au pouvoir, ndlr) et du côté des autres partis de la majorité et nous nous sommes rendu compte que beaucoup étaient contre mais ils n’avaient pas le courage de se dévoiler. Nous avons exigé que le vote soit fait à bulletin secret et dans un isoloir. Dès lors que le principe a été accepté, nous nous sommes dit, allons- y voter, ne faisons pas la politique de la chaise vide car elle ne paie pas. C’est ainsi que nous avons décidé d’aller voter. Trente minutes avant le début de la séance, nous avons vu des gens qui ont infiltré l’Assemblée nationale et qui ont commencé à casser partout en nous demandant de sortir. Ce jour moi j’étais dans ma tenue UPC et c’est ça d’ailleurs qui m’a sauvé ; lorsque je suis sorti et que les enfants m’ont vu, ils m’ont porté. C’est vrai que j’ai avalé beaucoup de gaz parce qu’ils m’ont porté et ils allaient vers là où on tirait, mais bon, j’étais quand même content parce qu’ils m’ont porté jusqu’au CFOP (siège du Chef de file de l’opposition). Les autres ont dû prendre le mur pour s’enfuir mais moi j’ai été porté jusqu’au CFOP. Ç’a été vraiment un moment où nous avons vraiment vécu la bravoure de notre jeunesse, et je dis que cette délivrance est le fruit du courage de la jeunesse burkinabè que j’admire.

« Nous avons appelé l’Armée à prendre ses responsabilités »

Quand il y a eu les événements, la jeunesse a demandé à Lougué (Général Kouamé Lougué, ndlr) de prendre le pouvoir. Et nous, nous avons appelé l’Armée à prendre ses responsabilités. Et ce jour, c’est le Général Traoré (le chef d’Etat- major général des Armées Honoré Nabéré Traoré, ndlr) qui est venu nous rencontrer au CFOP pour nous dire que le Président lui a demandé de venir recueillir nous nos sentiments par rapport à la situation actuelle et qu’est- ce qu’il peut faire pour arrêter la chose. Nous avons dit à Traoré d’aller dire au Président que nous ne voulons plus de négociation avec lui, que nous demandons qu’il démissionne purement et simplement. Donc, Traoré est allé certainement faire la commission et c’est à notre grande surprise qu’il (le président Comaporé, ndlr) a fait un communiqué pour dissoudre le gouvernement et retirer le projet de loi. Mais en son temps, l’Assemblée n’était pas dissoute. C’est le lendemain que Traoré lui- même a pris un autre décret pour dissoudre l’Assemblée. Donc on ne savait plus qui était le Président. Est-ce que c’est Blaise qui était toujours le Président ? Est- ce que c’est Traoré ? C’était la confusion totale et nous avons demandé aux gens de ressortir pour qu’on clarifie les choses.

Quelle était l’Ambiance au sein de l’hémicycle, bien avant l’arrivée des manifestants ?

On s’est retrouvé en groupe parlementaire, chaque groupe affûtait ses armes. Les éléments du CDP s’étaient retirés carrément derrière le bâtiment administratif pour se concerter également ; et moi-même j’ai eu à interpeller un-je ne dirai pas son nom- quand j’ai voulu le saluer il ne m’a même pas regardé parce que j’étais dans la tenue UPC. J’ai dit mais ! est- ce que c’est aujourd’hui qu’on devient ennemi, sinon je ne comprends pas pourquoi il ne me dit pas bonjour aujourd’hui. Il ne m’a même pas répondu et il a continué. Donc, c’est vous dire qu’il y avait un climat de méfiance entre les députés de la majorité et les députés de l’opposition politique. Avant même que les choses ne démarrent.

Il se dit que certains députés de l’opposition ont été approchés et que d’autres auraient même monnayé leurs voix. Est- ce que vous en savez quelque chose ?

Je suis député de l’opposition, je n’ai pas été approché. Et ce jour- là, ma tenue UPC était l’expression du NON. C’était pour que les gens sachent que je viens pour voter NON. Maintenant, que des gens aient été achetés, ça va m’étonner. Parce que nous avons exigé ce jour que tous les 28 députés de l’opposition, en dehors de Bernard Somé qui devait assurer le secrétariat de séance et qui est parti directement à l’Assemblée, tous les autres se sont retrouvés au CFOP, nous avons garé nos véhicules là-bas, et il y a un minibus qui nous a amenés à l’Assemblée. Nous avons tenu effectivement à ce que tout le monde soit là-bas, pour nous assurer que les gens n’ont pas été achetés. Maintenant si quelqu’un a pris de l’argent et il a mis dans sa poche, moi je ne peux pas le savoir.

Honorable, vous êtes actuellement à l’UPC, mais avant l’UPC vous étiez à l’ADF/ RDA le parti de Me Gilbert Noel Ouédraogo. Peut- on savoir pourquoi vous avez quitté le parti de l’éléphant ?

Moi je suis allé à l’ADF/ RDA parce que c’était un parti de l’opposition. Un parti que j’ai trouvé beaucoup crédible. Après le CDP, c’était quand même la deuxième force en son temps, et moi j’approuvais aussi la jeunesse de son Président qui avait un franc-parler avec nous. Mais à un moment donné, le Président a viré dans ses objectifs. Le jour qu’il a décidé de rejoindre la majorité, moi j’ai décidé aussi de quitter parce que j’étais venu dans un parti de l’opposition.

Justement en tant qu’ancien de l’ADF/ RDA, est- ce que la décision de ce parti de soutenir la tenue du référendum vous a surpris ?

Non ! Non ! Non ! Je n’ai pas du tout été surpris parce que je savais que ce qui allait arriver. Parce que le Président Gilbert a souvent des intérêts qu’il défend, il y a trop de calculs politiques qu’il fait. C’est ça qui fait que moi ça ne m’a pas surpris qu’il ait accepté amener ses troupes pour voter. Il n’a jamais eu une position fixe. Il a toujours un pied dehors, un pied dedans. On ne sait pas exactement de quel côté il est. Donc moi ça ne m’a pas surpris.

Est- ce que la démission de Blaise Compaoré vous a surpris ?

Ça ne m’a pas surpris parce que ça témoigne quand même de sa sagesse. Si vous vous rappelez bien, le Ministre Bassolé (Djibril Bassolé des Affaires étrangères, ndlr) disait il y a deux ans de cela que tel qu’il connait Blaise Compaoré, il n’ose pas mettre le feu au Pays. Donc je me dis que sa décision de démissionner participe de sa volonté de ne pas mettre le feu au Pays. Sinon ç’allait effectivement être un carnage s’il n’avait pas démissionné. .

Autrement dit, contrairement aux autres qui pensent que les choses sont allées très vite, ça ne vous a pas surpris, vous ?

Oui les choses sont allées très vite parce que personne ne s’y attendait. Eux- mêmes ils ont été surpris, tout le monde a été surpris. Personne ne savait que Blaise allait partir aussi rapidement et aussi sagement. Cela a été une surprise pour tout le monde et c’est allé très vite. Maintenant Blaise est parti mais ce qu’il reste à gérer après, c’est ce qu’il faut voir. La période de la transition, et ensuite après la transition il y a des structures qu’on va mettre en place. Est- ce que ces gens auront la poigne et la volonté politique de conduire les affaires tel que les jeunes l’ont exigé. C’est ça qu’il reste à observer tôt ou tard.

En attendant pour la transition, c’est le candidat de l’Armée Michel Kafando qui assure la présidence ; Michel Kafando qui a nommé le Lieutenant- Colonel Yacouba Isaac Zida comme Premier ministre. Quelle est votre appréciation de l’équipe dirigeante ?

Il faut dire que la volonté de donner le pouvoir aux civils a été dictée par les organisations internationales, en l’occurrence la CEDEAO, l’Union africaine et l’Union européenne. Mais quand on regarde la manière dont les choses sont faites, les civils sont là mais c’est les militaires qui chapeautent la chose. Est- ce qu’il faut appeler ça un gouvernement civil ou militaire, je ne sais pas. Mais je finis par dire qu’il faut savoir ce qu’on cherche. Si la participation massive des militaires peut nous amener à atteindre notre objectif, pas de problème. J’ose croire que les militaires sont de bonne foi. Et lorsqu’ils disent qu’ils sont citoyens comme les autres et qu’au regard de la situation actuelle il faille une petite rigueur et que cette rigueur ne peut s’observer qu’au sein de l’Armée, bon ! Si on arrive à atteindre les objectifs, moi je trouve que ce n’est pas une mauvaise chose.

De quels objectifs parlez- vous ?

Des objectifs de la transition. Parce que la mise en place et le fonctionnement de la transition c’est un véritable défi à relever. Parce que ce n’est pas évident que si on avait laissé les mains libres aux partis politiques on allait pouvoir s’entendre pour pouvoir gérer la transition. Pour preuve, il y a eu des problèmes pour pouvoir répartir les trente postes qui ont été donnés au CFOP. A la société civile, les 25 postes qu’on leur a donnés pour le CNT (Conseil national de transition, ndlr), ç’a été des problèmes. Donc je me suis dit que la présence militaire est quand même quelque part un atout pour conduire cette transition apaisée.

Autrement dit vous savez vous-même qu’au sein des civils il y a un problème ?

Il y a un problème ! Il y a un véritable problème et tout le monde le sait. Parce que quand on a donné 25 postes à la société civile, ils sont combien ? Ils ont dénombré 500 associations de la société civile. Et nous sommes 32 partis de l’opposition pour 30 postes. Les gens ont voulu qu’on partage de façon équitable alors que la participation à la lutte n’a pas été faite sur des bases égalitaires. Mais comme chacun veut tirer la couverture vers lui, le chef de file de l’opposition a fini par dire, faites comme vous voulez ! Finalement il y a deux partis qui ont désisté et on a procédé au partage égalitaire. Chaque parti a un poste au CNT. Mais déjà, on a mis trois jours pour nous entendre sur ce partage-là. Ça veut dire que si les militaires-mêmes nous avaient laissé le soin de nous organiser, on allait mettre toute l’année sans pouvoir nous entendre. C’est ça le vrai problème. Parce que les objectifs politiques recherchés par les uns et les autres ne sont pas les mêmes.

Justement, certains ont dit à un moment donné que la victoire du peuple a été volée par les militaires, est- ce votre avis ?

Nous savons aujourd’hui que personne ne peut accepter que les militaires prennent le pouvoir. A commencer par les institutions internationales et sous-régionales. Et les militaires mêmes sont conscients qu’ils ne peuvent pas gérer le pouvoir parce qu’on va leur fermer le robinet partout. Mais je me dis que la transition dont la durée est de douze mois, veut quand même qu’il y ait une certaine stabilité pour permettre aux institutions républicaines de se mettre en place dans un climat de paix. Moi je ne pense pas que les choses aient été bradées. Je crois que les uns et les autres ont pris leurs responsabilités dans le sens de conduire la transition dans un climat apaisé.

L’un des objectifs de l’insurrection, c’était le départ de l’ancien président Blaise Compaoré. Reste à gérer l’après- Blaise. Quelles sont, à votre avis, les priorités du moment ?

Les priorités pour moi, je l’ai dit et redit, il faut trouver une solution immédiate au problème de l’emploi des jeunes. Ça c’est la priorité des priorités. Parce que n’eût été le courage des jeunes, les partis politiques ne seraient jamais arrivés à ça. Nous avons discuté sur la forme que la lutte devait prendre au cas où Blaise passerait en force pour le référendum. Personne n’a eu le courage de dire qu’il faut prendre les armes pour aller à Kosyam (palais présidentiel, ndlr) ! Personne ! Donc moi je crois que la jeunesse a joué un rôle très important et si le gouvernement qui sera mis en place ne prend pas à bras le corps le problème de l’emploi des jeunes, ça va être un problème. Et je souhaiterais qu’on crée un ministère plein de la jeunesse et qu’on confie ça à un jeune. Parce que les jeunes savent quelles sont leurs ambitions, et si c’est un jeune qui est ministre de la jeunesse, ils sauront comment ils vont faire pour s’organiser. Dans un Etat pauvre comme le Burkina tout est prioritaire, mais j’ai cité seulement la priorité des priorités.

Samuel Somda et Cyriaque Paré
Lefaso.net

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