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Alimentation de rue à Bobo : Vers une stratégie au service du développement urbain

Publié le jeudi 21 octobre 2004 à 07h23min

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Qui donc, de tous les citoyens peut témoigner n’avoir jamais consommé des aliments vendus dans la rue ? Ils sont rares. Les consommateurs sont de tous les âges, les vendeurs aussi. Le premier des constats est qu’ils sont un danger sanitaire permanent.

Mais ce sous-secteur de l’informel est très pourvoyeur d’emplois, de revenus, et donne aux citadins démunis, ou à revenus moyens, une pitance relativement peu coûteuse. Il faut en faire une donnée viable pour un développement véritable.

L’expansion du phénomène de l’alimentation de rue n’est pas propre au Burkina Faso, ni à l’Afrique. Il concerne les pays pauvres dans leur ensemble, avec son visage de misère et de débrouillardise. Ici et là, du matin à la nuit, on offre des boissons en sachets, des produits carnés, des frites de tubercules, des gâteux, des beignets, du riz, de l’attiéké, de la bouillie, des fruits, du haricot, des pois de terre, de la salade, du café au lait, du thé, et bien d’autres produits transformés locaux ou importés.

La gamme est très variée. Il y en a pour toutes les préférences, toutes les habitudes culturelles, et pour toutes les bourses. Pour 100 F CFA, vous avez un plat de riz ou un service d’attiéké avec une tranche de poisson et pour le même prix une platée de haricots ou de pois de terre à emporter ou à consommer sur place. Les consommateurs ne prennent jamais le temps de jeter un regard sur les soins qui entourent le service : propreté des ustensiles, accoutrement des serveurs, conditionnement des ingrédients, propreté des installations, environnement immédiat.

Un phénomène socio-économique important

Ceux qui vendent dans la rue n’ont pour seule et véritable préoccupation que de "faire quelque chose" pour gagner leur vie ou pour assurer un complément aux revenus familiaux. Nombre de ces fillettes qui vont et viennent avec sur la tête leurs plateaux de friandises vous répondront à l’occasion : "c’est pour ma mère". Les petits "sous" qu’elles récoltent surtout auprès de nombreux autres acteurs du secteur informel servent bien les besoins de la famille. La période des vacances et congés scolaires est toute aussi éloquente. On trouve là de quoi payer quelques fournitures et effets d’habillement pour la rentrée des classes. C’est une école de la vie, offrant une éducation de la rue avec tous les risques, qui peuvent déboucher sur la prostitution "complémentaire". A noter que la plupart des acteurs de l’alimentation de rue sont des femmes (91 %).

L’alimentation de la rue, ce sont aussi ces restaurants sur charrette autour où à l’intérieur des marchés, ces vendeurs devant les églises, les mosquées, les bars-dancing, les cinés, les gares, les entreprises de la zone industrielle. Là, la clientèle est abondante aux heures de pointe. Le secteur connaît un regain de dynamisme lorsque les agents de la Fonction publique ont perçu leurs salaires. C’est en effet le moment pour un grand nombre de salariés d’offrir une récréation à leur petite amie sur le bas côté du boulevard.

La plupart des ruraux qui arrivent en ville ont toujours pour lieu de restauration la rue, ces petits "maquis" ou autres offres ambulantes. Nombre d’agents de l’Etat en mission à Bobo-Dioulasso connaissent bien "le Sable", ce restaurant à ciel ouvert célèbre pour ses poissons grillés.

L’alimentation de la rue, en tant que sous-secteur de l’informel, est situé au cœur de la vie urbaine, où la pauvreté est réalité croissante. Elle offre à des prix abordables la simplicité, le service rapide, la convivialité, l’effet de proximité. Elle a ses patrons, ses employés souvent peu ou pas payés, et parmi ces derniers, beaucoup sont des enfants de l’exode rural, vivant là une véritable exploitation. On dit que le secteur est très rentable et c’est vrai. Il y a plusieurs anecdotes relatives à cela. La plus significative concerne ce grilleur-vendeur de viande. Il posséderait son propre parc à bétail. Installé au coin du mur d’un immeuble à niveau, ses recettes quotidiennes avoisineraient les 500 000 F/jour. Cela confirme les conclusions de l’étude réalisée par le Projet Amélioration de la qualité de l’alimentation de rue de février 2002 à décembre 2003 qui révèle :"Le salaire moyen pour les employés permanents calculé à partir des déclarations des employeurs donne une somme d’environ 10 000 F CFA... L’analyse de la situation économique des acteurs du SAR montrent que ces derniers génèrent plus de 3 milliards de recettes par an. La moyenne des dépenses quotidiennes est d’environ 7 500 F CFA par opérateur. Le bénéfice journalier brut atteint 3 500 F CFA. Plus de 75% des opérateurs affirment faire des bénéfices... Certains opérateurs investissent dans l’immobilier et d’autres secteurs d’activités (32%)... Avec un bénéfice journalier moyen supérieur à 2 000 F CFA, la plupart des opérateurs disposent d’un revenu mensuel nettement supérieur au seuil de pauvreté évalué à 82 672 F CFA, ... revenu mensuel supérieur à celui d’un cadre moyen de l’Administration publique..." En plus, 3 milliards de francs sont brassés par ce secteur annuellement. C’est au vu de cette rentabilité que nombre d’agents de l’administration publique ou autres salariés investissent aussi dans l’alimentation de rue. Bien des épouses sont sponsorisées par leurs maris pour se procurer congélateurs ou réfrigérateurs en vue de produire des glaces, de l’eau fraîche en sachet, des jus divers, du yaourt qu’elles mettent sur le marché. Certains ont leur maquis, leur kiosque, le mini-restau, etc. Une bonne ou un garçonnet est recruté pour assurer la vente. Pas de SMIG à respecter, pas d’inscription à la sécurité sociale, pas d’impôts. Il y a bien là de quoi "arrondir les fins de mois". Dire que la lutte contre la pauvreté passe par là ! Combien sont elles, ces secrétaires ou ces institutrices avisées qui arrivent au service avec sur la moto une glacière pleine de jus divers, d’eau fraîche ou de yaourt qu’on vient vendre aux collègues ou aux bambins. Il semble que dans certaines classes d’écoles, obligation serait faite aux élèves d’acheter les friandises apportées par la maîtresse avant de sortir en récréation.

Un danger sanitaire permanent

A Bobo-Dioulasso, on se rappelle encore la série d’intoxications alimentaires qui ont récemment eu lieu. Dans le quartier périphérique de Sakabi en 2003, après avoir consommé des beignets de farine de blé, plusieurs personnes ont dû être évacuées à l’hôpital pour intoxication. Le même cas devait survenir au secteur 9 où plusieurs personnes ont été transportées vers le service des urgences suite à des malaises gastriques, des vomissements et pertes de connaissance. Cela ne se produit pas heureusement tous les jours, mais les conditions conduisant à une telle situation sont monnaie courante, à savoir les mauvaises conservations, stockages et transports, les manipulations malpropres, les présentations non protégées, les ravitaillements en produits de base incontrôlés, les sites de ventes et consommation insalubres, etc.

L’enquête conduite par le Projet PQAR (citée plus haut) révèle : "l’analyse montre que tous les échantillons de produits carnés et du poisson sont de qualité inacceptable. Ils sont tous fortement contaminés par des bactéries aérobies mésophiles totales. Quelques germes pathogènes comme les coliformes, les entérocoques et staphylocoques ont été rencontrés dans ces produits. Il existe donc un risque permanent pour les consommateurs de se contaminer, surtout que les règles élémentaires de cuisson ne sont pas respectées..." Plus loin, le rapport indique : "la quasi-totalité des jus vendus sont de qualité inacceptable, à l’exception de certains jus congelés. Les jus semblent être les aliments les plus contaminés dans la ville de Bobo-Dioulasso... La totalité des aliments servis à chaud et ceux qui contiennent des conservateurs sont de qualité très satisfaisante sur le plan microbiologique. En revanche, la plupart des aliments servis froids ou nécessitant un certain temps de conservation sont de qualité inacceptable".

Pour une dynamique nouvelle

Peut-on fortifier le caractère économique de l’alimentation de rue à Bobo-Dioulasso ? Peut-on réduire ses impacts néfastes au plan sanitaire, environnemental, et offrir de meilleures conditions aux citadins ? Comment intéresser les acteurs du secteur et tous leurs partenaires (transporteurs, magasiniers, commerçants, etc.) aux questions de modernisation ? C’est en fait une seule question multidimensionnelle quand on pense qu’elle se situe dans le cadre de la lutte contre la pauvreté et de la décentralisation. Ces interrogations interpellent tous les partenaires du développement, l’ensemble de la population urbaine et les acteurs de l’alimentation de rue.

La commune est celle-là qui doit être à l’avant-garde de ce qui apparaît comme un engagement de longue haleine, car incontestablement, elle y a tout à gagner : en propreté, en santé, en solidarité institutionnelle, en participation de la population aux efforts de développement, en ressources, en aménagement urbain, en économie.

En médiateur avisé, la FAO a mis à la disposition de la commune de Bobo-Dioulasso le Projet PQAR chargé de conduire la mise en œuvre d’une stratégie globale en la matière dont la commune devrait hériter. Depuis bientôt trois ans, le partenariat s’est édifié pour aboutir en début octobre 2004 à une rencontre de tous les partenaires, aux fins de valider cette stratégie.

Un processus qui, on l’espère, servira d’exemple pour les autres communes en instruisant tous les opérateurs du secteur, les consommateurs aussi.

Hors-projet ou dans le cadre du projet, il y a bien des acquis, car la préoccupation ne date pas d’aujourd’hui. Le plan d’assainissement de la ville, la construction du centre d’enfouissement des ordures, la construction de restaurants-pilotes du projet PQAR, l’édification d’un marché de légumes au centre-ville, la réalisation en cours d’un terminal fruitier, sont de ces acquis qui sauront contribuer au renforcement de cette stratégie pour une alimentation de rue moderne et sécurisée, rentable pour tous. Il a été dit que désormais, les plans de développement urbains devront en tenir compte.

Jean-Luc BONKIAN
Sidwaya

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