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A quoi sert donc le ministère délégué à la Coopération et à la Francophonie ?

Publié le samedi 25 octobre 2003 à 00h00min

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Les relations franco-africaines ont pris, depuis l’arrivée de Dominique de Villepin au ministère des Affaires étrangères, de la Coopération et de la Francophonie, une tournure nouvelle. Ce sont des relations diplomatiques ; pas tout à fait "normalisées". Il y a toujours des relations privilégiées.

Il y a, surtout, l’affirmation d’une volonté que, dans les anciennes colonies françaises d’Afrique, tout n’est pas possible et n’importe comment. On peut, certes, penser que cela, parfois, frise une impertinence qui n’est pas dans la norme diplomatique : ce que vous n’êtes capables de faire chez vous, nous le faisons à votre place. Le meilleur exemple en est, sans doute, la Côte d’Ivoire (et, dans une moindre mesure, la République centrafricaine et la République démocratique du Congo).

Mais dans le contexte actuel des relations internationales (et plus encore de la situation politique, économique et sociale de l’Afrique noire), durablement marquées par l’unilatéralisme US, il est évident que Paris ne peut plus se contenter d’une diplomatie béate et doit, si elle veut survivre en tant que puissance mondiale, chaque fois que cela est nécessaire, passer à l’offensive. Plus encore sur des terrains qu’elle connaît bien. C’est ce que je qualifie de diplomatie de substitution.

Lors de la XIème Confamba, la Conférence annuelle des ambassadeurs de France, de Villepin a été clair et net sur le sujet (cf LDD France 0149/Jeudi 4 septembre 2003). La multipolarité, qui est une nécessité, oblige la France a être, non seulement, présente sur tous les terrains mais, plus encore, à n’en céder aucun. C’est sans doute pourquoi, aussi, on assiste aujourd’hui a un bouleversement sans égal à la tête des ambassades françaises : il n’est pas une semaine sans que plusieurs nominations soient publiées au Journal officiel !

Cette vision stratégique de la diplomatie française en Afrique noire a cependant son revers. Elle oblige à privilégier un binôme qui satisfait le moine-soldat qu’est de Villepin : Son Excellence et Mon Colonel. Occuper le terrain ne permet pas de résoudre tous les problèmes ; mais cela permet d’éviter un embrasement généralisé. Or, il ne faut pas se leurrer, il n’est pas un pays en Afrique noire qui ne soit au bord de l’embrasement et la démocratisation impulsée par la rue au début de la décennie 1990 est loin d’avoir répondu aux attentes des populations. La présence de la France empêche bien souvent le feu de prendre ou de se répandre.

Toutes les destinations africaines sont des destinations à risques. La meilleure preuve est en que Jacques Chirac a bien du mal à trouver des capitales où mettre les pieds lors de son prochain "safari" africain : Bamako, bien sûr, parce que c’est, incontestablement, le pôle le moins en péril en Afrique de l’Ouest ; Niamey, sans doute faute de mieux. Nouakchott et plus encore Dakar connaissent des problèmes politiques. Conakry est quasiment en campagne électorale. Ouagadougou est impossible compte tenu de la situation à Abidjan ; et vice-versa. A Lomé et Cotonou sommeillent deux dinosaures qu’il vaut mieux ne pas réveiller. Quant à l’Afrique centrale, le président tchadien était récemment à Paris, celui du Cameroun est toujours en vacances et le gabonais est par monts et par vaux, confronté, par ailleurs, à une conjoncture économique catastrophique. Son beau-père, à Brazzaville, est encore plus mal loti.

Dans ce contexte diplomatique marqué essentiellement par les mouvements de troupes (cf à ce sujet.. LDD France 0142/Mardi 17 juin 2003), je n’entendais plus guère parler de coopération. Certes, ce n’est pas nouveau. Sous Jospin, qui n’était guère intéressé par l’Afrique noire, Josselin montait la garde rue Monsieur et ne posait pas de problèmes. Ni à Matignon, ni à l’Elysée. Mais Védrine n’était pas, non plus, un inconditionnel de l’Afrique noire et il n’y avait pas profusion de "patrons" sur ce secteur. Josselin pouvait donc s’exprimer, partout, longuement, sur la question de la coopération franco-africaine, personne ne se préoccupait vraiment de ce qui pouvait être dit. Les "sommets", franco-africains ou francophones, étaient des occasions rêvées pour rappeler que la rue Monsieur émarge au budget de l’Etat.

Sous de Villepin, il y a du changement. Et même du chambardement. Le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et de la Francophonie est omniprésent sur le continent depuis sa nomination ; Michèle Alliot-Marie, sa collègue de la Défense également (cf à ce sujet LDD France 0142/Mardi 17 juin 2003). Il y a quelques "africanistes" bien placés : à l’Elysée, à Matignon et ailleurs. Il y a, surtout, Nathalie Delapalme (cf LDD 0130/Jeudi 27 février 2003) présente, tout à la fois, au Quai d’Orsay et rue Monsieur. Si j’ajoute à cela quelques vieux routiers des affaires africaines (à commencer par le député Jacques Godfrain qui a été le dernier "vrai" ministre de la Coopération sous la droite), il ne reste pas beaucoup de place pour Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, qui, dans un univers de plus en plus voué au multilatéralisme a la responsabilité de faire vivre la coopération bilatérale. "Coopération de proximité [...] qui répond à un devoir de solidarité [...] tournée vers les besoins essentiels des populations", commentait-il dans le quotidien La Croix (qui est, sans doute, le seul journal français à se préoccuper encore de coopération) daté du 31 décembre 2002.

Dommage. Car dans le contexte actuel qui est celui de l’Afrique, la coopération et l’aide bilatérale sont plus que jamais (et j’insiste sur ce "plus que jamais") nécessaires. Nécessaires pour les populations africaines mais nécessaires, aussi, pour les populations françaises qui ont choisi, voici longtemps ou seulement quelques années, de s’expatrier dans nos anciennes colonies et dont la situation est parfois dramatique.

Décriée, parce qu’on se refuse à lui attribuer la finalité qui est la sienne, l’aide au développement ne fait plus la "une". Il n’était donc pas inutile que Pierre-André Wiltzer, dans Les Echos du jeudi 18 septembre 2003, exprime son point de vue sur la question et nous présente ses "nouveaux habits". En 1980, nous dit-il, il y avait environ 20.000 coopérants français. On en compte, aujourd’hui, un peu plus de 2.000. 2.000 hommes et femmes qui ont vocation à "maintenir une présence française et permettre à notre pays de cultiver un lien étroit, avec les pays dont nous avons partagé le destin et avec lesquels nous gardons des intérêts communs". Ces pays, dits de la "zone de solidarité", sont actuellement au nombre de 54 ; il faut y ajouter les organismes et institutions de développement au sein desquels travaillent des coopérants français : cela fait à peine plus d’une trentaine d’entre eux par pays ! C’est dire que cette présence est très diffuse.

PA W en a conscience. C’est pourquoi, il ne manque pas de souligner que cette coopération est ciblée : dans le temps, mais aussi en fonction des besoins : "Il n’ y a plus de coopérants exerçant à l’étranger des métiers identiques à ceux qu’ils auraient eus en France ; ce sont maintenant des spécialistes en développement social ou urbain, en ingénierie éducative, en économie de la santé, en environnement, en gestion administrative... D’un coopérant sans attache professionnelle en France, on est passé à un fonctionnaire ou à un expert sélectionné et détaché par son employeur d’origine pour un temps limité et une mission spécifique".

Je ne sais pas si cette tâche nécessite qu’il y ait encore un ministère de la Coopération et de la Francophonie. Je suis sûr, par contre, qu’il est plus que nécessaire de former, à nouveau, des experts pluridisciplinaires pour travailler en Afrique comme cela se faisait il y a vingt, trente, quarante ans. Et c’est dans ce domaine qu’il faut décomplexer l’Afrique. Ses cadres ne peuvent pas répondre à tous les besoins qui sont de plus en plus immenses.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique (23/09/03)

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