LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Avec de la persévérance et de l’endurance, nous pouvons obtenir tout ce que nous voulons.” Mike Tyson

CONFLIT FONCIER A YENDERE : Une bombe à désamorcer rapidement

Publié le jeudi 3 mars 2011 à 01h08min

PARTAGER :                          

Dans le village de Yendéré, une localité située à 55 kilomètres au sud de Banfora et à 10 kilomètres de la frontière avec la Côte d’Ivoire, un conflit foncier sans précédent a actuellement cours. Il oppose d’une part, les villageois entre eux et d’autre part, les villageois et celui qu’il convient dorénavant d’appeler le propriétaire du domaine du projet anacarde qui couvre une superficie de plus de 500 hectares. Selon bon nombre de villageois qui sont les principaux plaignants, cet espace mesure exactement 508 hectares et a été vendu par l’un d’eux, Joachim Soulama, un opérateur économique qui est à cheval entre Yendéré et Niangoloko. Le nouveau propriétaire du champ serait une femme d’affaires basée à Ouagadougou. Pour en savoir davantage sur ce conflit foncier, nous avons dû séjourner à Yendéré.

Yendéré, dernier gros village burkinabè avant le fleuve Léraba qui sert de frontière naturelle entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, est, depuis quelques temps, le théâtre d’un conflit foncier qui s’est exacerbé entre la mi-janvier et février 2011. Les habitants sont opposés à la vente d’un champ d’anacarde, l’un des plus vastes de la région des Cascades. Ledit champ est d’une superficie de 508 hectares entièrement couverts de "pieds d’anacardiers" qu’une femme d’affaires burkinabè aurait acquis avec la complicité d’un fils du village. Le domaine, selon une source qui a souhaité garder l’anonymat, a été cédé il y a plusieurs années à un expatrié européen qui désirait y mener un projet d’exploitation de l’anacarde.

Engagement avait été pris à l’époque entre ce dernier et les responsables coutumiers du village, le chef de terre notamment, pour ne jamais vendre l’espace en question. Il avait été remis pour l’exécution du projet et dès la fin de celui-ci, il redeviendra la propriété du village. Ceci dit, le chef de terre, du nom de Mandien Sirima, a tout simplement demandé au Blanc d’apporter le nécessaire pour les cérémonies rituelles d’octroi de terrain. Ainsi, quelques poulets et de la boisson traditionnelle ont suffi pour que le terrain soit accordé à l’expatrié, poursuit notre source. Les cérémonies rituelles accomplies, le Blanc s’y est établi.

Il engagea même six fils du village pour la mise en œuvre de son projet. Tout allait bien jusqu’au jour où le Blanc décide de rentrer définitivement chez lui. Il sera remplacé par un autre Blanc puis d’autres responsables suivirent jusqu’à ce que le champ passe sous la responsabilité de Flex Faso. Entre temps, et selon toujours notre source, Joachim Soulama, qui était parmi les six employés, se retrouve au devant des choses, le projet ayant pris fin. Il profite de la naïveté de ses frères pour les exploiter. Il leur fait croire que le domaine est toujours placé sous l’administration du Blanc à qui il dit rendre régulièrement compte depuis son pays d’origine. Par la suite, les affaires de Joachim Soulama, commerçant de son état, ne marchaient plus bien. Il décide alors de vendre le domaine et d’utiliser les fruits de la vente pour relancer son commerce.

L’ex-chef du centre cloué au pilori

Une autre source, que nous avons rencontrée cette fois à Niangoloko, une localité qui se trouve à 9 kilomètres de Yendéré, atteste que Joachim Soulama, avant de vendre le champ, avait trouvé un titre foncier à son nom. Les habitants du village, selon notre source, découvriront son manège avec beaucoup de retard. « Lorsque nous nous sommes levés pour voir clair dans ce qui se passait, le champ avait déjà été vendu et un premier versement avait été fait », précise notre source. Un jour, au cours d’une rencontre de concertation, ce dernier, selon notre interlocuteur, a attiré l’attention des habitants sur une probable vente du domaine en ces termes : « Si vous ne vous levez pas, le domaine risque d’être vendu puisque j’ai appris que le champ est devenu une propriété du gouvernement qui l’aurait retiré ».

« Joachim Soulama, qui avait pourtant déjà conclu son « deal », voulait, à travers ce manège, nous faire croire au moment où nous allions nous apercevoir de la vente, qu’il s’agissait d’un acte posé par l’Etat », fait savoir notre interlocuteur. Toujours selon lui, c’est Joachim Soulama qui s’est rendu en personne à Ouagadougou pour remettre les documents du champ et récupérer le premier versement. Muni de l’argent, il a tenté de corrompre le chef de terre en lui proposant la somme de 6 millions de F CFA. Mais c’était sans compter avec l’intransigeance de celui-ci. Joachim Soulama s’est donc heurté au refus du chef. Ce dernier tient l’ensemble des sages du village informés de la tentative de corruption dont il a été l’objet de la part de Joachim. Ce qui a fini de convaincre le village que le champ a été vendu.

Contrairement à la première source, la seconde fait état d’un montant de 900 millions de F CFA. Toujours selon elle, l’acquéreur du champ serait une femme d’affaires qui se trouverait à Ouagadougou.

Le seul espace libre de Yendéré

A Yendéré, nous avons rencontré Tahéré Soma, le responsable des jeunes de la localité. Selon lui, les jeunes ignorent comment le domaine communément appelé projet anacarde a été vendu. Pourtant, ils ont besoin de cet espace pour leurs travaux. De plus, ajoute-t-il, Yendéré devait bénéficier de la construction de plusieurs infrastructures sociales. Mais faute d’espace dans le village, rien n’a pu être fait. « Nous n’avons pas assez de terre ici à Yendéré. A l’Est du village, nous sommes limités par la forêt classée. A l’Ouest, il y a un cours d’eau que nous avons du mal à traverser en saison pluvieuse. Le projet anacarde est venu occuper la seule zone où nous pouvions construire des maisons d’habitation », fait savoir Tahéré Soma qui insiste pour dire que les vieux n’ont jamais vendu la terre au Blanc. Il nous conduit d’ailleurs auprès du chef de terre, Mandien Sirima, qui était entouré de ses conseillers.

Parmi eux, il y avait Achille Soulama, un ex- collègue de Joachim Soulama, qui était chargé de l’encadrement dans le projet. Achille Soulama soutient que son ex-collègue est l’un des principaux acteurs de la vente du champ. Le chef de terre, quant à lui, atteste qu’en 1981 lorsqu’il donnait le domaine à Jean Marie Roussat, premier responsable du projet anacarde, il n’était pas question d’une vente. « Je le lui ai cédé tout en précisant que lorsque son projet arriverait à terme, nous la reprendrions pour toute fin utile ». Le domaine du projet anacarde jouxte les concessions à Yendéré. Très souvent, les animaux domestiques du voisinage s’y aventurent. Ce qui est une autre source de conflit entre les employés et les villageois.

"Lorsqu’un animal pénètre dans le domaine du projet, les employés de l’actuel acquéreur le saisissent et le gardent dans leur fourrière", raconte un conseiller du chef de terre qui poursuit en disant que son propriétaire est alors obligé de débrousser 1 000 F CFA pour le reprendre. Si l’animal y passe la nuit, la taxe passe à 2 000 F CFA. "Dernièrement, raconte Tahéré Soma, nos frères de Ouagadougou ont dit avoir obtenu un accord pour la construction d’un CEG. Comme nous manquons d’espace, nous somme allés voir Joachim Soulama quand il était le responsable du projet anacarde, pour qu’il nous accorde une trentaine d’hectares sur les 508 pour la construction du CEG. Il nous a répondu qu’il nous avait dit d’ouvrir l’œil car le champ devait être repris par l’Etat et qu’il était menacé de vente, mais que nous n’avons pas réagi.

Ce dernier aurait soutenu que le village ne pouvait plus rien obtenir des 508 hectares. « Lorsque nous lui avons posé la question sur le vendeur et l’acquéreur, poursuit Tahéré Soma, il n’a pas pu nous dire qui l’a vendu et qui l’a acheté ». « Cette pilule est difficile à avaler pour le village », disent les plaignants. Sur le domaine en question, des travaux de désherbage ont été faits. Certains arbres (anacardiers, néré et karité) ont été coupés ou taillés et le bois entassé atteint une dizaine de voyages de camion. Les jeunes de Yendéré disent avoir approché les employés actuels du domaine pour savoir ce que Joachim Soulama n’a pas pu leur dire.

Mais ceux-ci n’ont pas voulu les recevoir. « Ils nous ont simplement dit de nous rendre à Ouagadougou car le propriétaire s’y trouve et que c’est là-bas que toutes les démarches ont été faites », nous ont fait savoir les jeunes. Face à cette situation, les habitants de Yendéré ont organisé une marche en direction du champ le 10 février 2011. « Une fois dans le domaine du projet anacarde, relate le responsable des jeunes de Yendéré, nous avons donné un ultimatum aux employés. Nous leur avons dit que nous ne voulons plus les voir dans le champ à compter du 15 février 2011".

Le mémoire en défense de Joachim Soulama

De son côté, Joachim Soulama que nous avons rencontré à Niangoloko dit ignorer lui aussi qui est l’acquéreur des 508 hectares du projet anacarde. Il ajoute qu’il n’a jamais participé ni de près ni de loin à la vente du champ. Il dit avoir emménagé même à Niangoloko où il mène également des affaires parce qu’au cours de la marche des jeunes le 10 février, il était question de mettre le feu à son domicile. « Si vous entendez fréquemment mon nom dans cette affaire, c’est tout simplement parce que j’étais le chef du centre peu avant sa fermeture », se défend-il. Joachim Soulama raconte qu’à l’arrivée du repreneur du domaine, il était absent.

C’est l’un des ex-employés qui l’a reçu. « C’est plus tard qu’il est revenu avec le délégué du personnel de l’époque, Justin Maré. Je leur ai alors remis tout ce qui est relatif au champ et qui était en ma possession ». Et d’insinuer que le délégué du personnel de l’époque en sait plus sur cette vente. "Le projet anacarde, fait savoir M. Soulama, est l’initiative d’un Blanc. Il a connu plusieurs responsables dont des nationaux. Il a également permis aux jeunes du village de gagner du boulot. Entre-temps, le projet est tombé en faillite. Il y a même eu des actions en justice en vue de liquider les droits des employés. C’est après le décès du dernier responsable du champ que la question de sa vente a été posée. Nous avons tous assisté au défilé de personnes qui venaient voir le champ. Et soudain, c’est moi qu’on accuse dans le village d’avoir vendu le champ. Simplement parce que j’étais le chef du centre ».

Et d’ajouter qu’une correspondance dans laquelle les villageois se plaignent a même été adressée au Médiateur du Faso. Sur la question, explique Joachim Soulama, les plaignants ont, à plusieurs reprises, rencontré le maire de la commune de Niangoloko à laquelle le village de Yendéré est rattaché. « Le maire leur a dit chaque fois qu’ils sont venus que je n’ai pas vendu le champ ». "Lorsque la crise s’est exacerbée au cours du mois de février 2011, poursuit Joachim Soulama, nos frères établis à Ouagadougou sont venus au village. A l’issue d’une rencontre de concertation, ils ont, eux aussi, rassuré les villageois que je n’ai pas vendu le champ. Ils leur ont fait savoir qu’ils allaient faire toute la lumière sur cette vente qui ne rencontre pas l’assentiment du village.

Dans tous les cas, conclut Joachim Soulama, je pense que ces frères qui sont dans la capitale sont mieux informés que nous qui sommes ici au village. Je me dis donc qu’ils feront tout pour éclairer nos lanternes ». Affaire à suivre


Petits potins de Yendéré

* Des autorités locales indexées

A Yendéré, les villageois restent convaincus que la vente d’un domaine aussi grand que le projet anacarde ne saurait se faire sans la bénédiction de certaines personnalités. De plus, ils pensent que le maire de la commune de Niangoloko, qui a toujours prôné l’apaisement de même que le commissaire de police de Niangoloko, en savent quelque chose.

* Le début de la vengeance des mânes ?

Lorsque nous avons rencontré Joachim Soulama que tous les plaignants tiennent pour responsable de la vente du domaine, il était en deuil. Il venait de perdre son petit- frère qui a été encorné par un bœuf le 14 février 2011 alors qu’il se rendait de Niangoloko à Soubakaniédougou. A Banfora tout comme à Niangoloko et à Yendéré, on lie ce décès brutal à la vente du champ. Les mânes des ancêtres auraient été invoqués par les protagonistes pour indiquer la vérité et la mort du petit-frère ne serait qu’un début de sanction. Le défunt était l’homme à tout faire de Joachim Soulama. C’est lui qui tenait « la clef » des affaires de Joachim, disent certains.

* "Mon petit-frère est haut-commissaire"

Le haut-commissaire de la province du Sanguié, Ernest Tikan Soulama, est natif de Yendéré. Au même titre que madame Monique Nakanabo/ Soulama de la chambre de commerce de Bobo-Dioulasso, il a participé aux différentes rencontres de crise pour faire la lumière sur la vente des 508 hectares. Son grand-frère se trouve être l’un des meneurs de la fronde des villageois.

Mamoudou TRAORE

Le Pays

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Route Didyr-Toma : 12 mois de retard, 7 km de bitume sur 43 km