VINCENT DABILGOU, MINISTRE DE L’HABITAT ET DE L’URBANISME : "Les zones inondables seront des couloirs écologiques"
Tirant leçon des inondations du 1er septembre 2009 à Ouagadougou, le gouvernement a trouvé juste de revoir l’urbanisation. Dans l’interview ci-dessous, réalisée le jeudi 5 novembre 2009, le ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme évoque les actions prévues à cet effet. "Le nouveau Ouaga 2000", savez-vous ce que c’est ? Lisez plutôt.
"Le Pays" : La démolition des habitats dans les zones inondables a démarré ce jeudi 5 novembre 2009, notamment à Balkuy. Mais, quelles sont exactement les constructions concernées par cette opération ?
Vincent Dabilgou, ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme : Ce matin, nous avons engagé la première phase de l’application du décret portant réglementation des zones de servitudes de canaux primaires d’évacuation des eaux pluviales, des zones inondables, inconstructibles et des zones submersibles de la ville de Ouagadougou. Ce sont des zones de stockage et d’écoulement des eaux lorsqu’il y a pluie. Mais, je voudrais que les gens comprennent que dans l’application du décret, il y a les zones inondables non loties, tout comme des zones inondables aménagées. L’opération de ce matin concerne les constructions qui sont partiellement ou totalement cassées des zones non loties. Par la suite, nous allons revenir pour attaquer les constructions qui ne sont pas tombées à la suite des inondations du 1er septembre, mais qui sont concernées par le décret et dont les propriétaires pourront recevoir des parcelles ailleurs. Là aussi, nous allons leur demander de partir. Nous sommes dans un processus, nous allons donc par étape, en commençant d’abord par les quartiers non lotis. Et l’opération va durer jusqu’en décembre (ndlr, le programme de démolition dans "Le Pays" du mercredi 4 novembre 2009).
Après cette démolition, que deviendront ces lieux, quand on sait que la nature a horreur du vide ? Seront-ils réaménagés pour d’autres fins ? Si oui, lesquelles ?
En matière d’urbanisme, toute portion de terre doit avoir une destination. Le gouvernement en est conscient et il y a un document d’orientation sur la façon dont il se prépare à aménager ces zones. Ce que je peux dire à cette phase, c’est que l’ensemble des bassins versants, c’est-à-dire les zones inondables, seront désormais des couloirs écologiques. Ces zones constitueront les coulées vertes de Ouagadougou. Ce seront des endroits réservés pour l’écologie urbaine : des espaces verts, des vergers... Il y aura aussi des espaces de promenade et de tourisme. Car, ce sont des zones qui sont propices pour donner à la ville son caractère écologique. En ce qui concerne les zones longeant les canaux, qui sont submersibles, elles constitueront les zones de la nouvelle balise urbaine de Ouagadougou.
C’est là-bas que nous allons montrer que le gouvernement a pris l’option de densifier la ville, mais en optant pour des fondations en hauteur. On va demander à ceux qui vont construire là-bas de bien monter comme si c’était sur des pilotis et on devrait aussi avoir plusieurs niveaux. C’est dire que le long des canaux va se développer un autre type d’habitats qu’on appellera la nouvelle balise urbaine. Ce sera un peu comme le nouveau Ouaga 2000 au centre-ville. Et cela sera l’objet d’un cahier des charges spécifique. Concernant ces zones, il sera donc donné une nouvelle orientation à la ville parce que nous allons densifier en nous élevant beaucoup plus en hauteur et c’est là-bas qu’on va peut-être développer ce qu’on appelle "les HLM", les quartiers à résidence massive, pour prendre en compte en même temps la question du logement social. Ce sont là deux orientations. Il y a déjà une documentation là-dessus, et nous sommes toujours en train d’y réfléchir.
Justement, en ce qui concerne les zones qui longent les canaux, il y a par exemple la zone du plateau omnisports René Monory. Là-bas, il y a le siège d’une grande société de distribution de motos, en l’occurrence Kaizer. Pour des cas du genre, qu’en sera-t-il, dans le cadre des nouvelles orientations dont vous parlez ?
Il ne faut pas regarder les sièges. Quand le gouvernement parle, on ne regarde pas quelqu’un, on ne regarde pas une institution. Dans certains endroits, même certains bâtiments du gouvernement sont aussi concernés. Quand vous prenez par exemple l’hôtel des finances du quartier Ouidi, ce bâtiment se trouve justement dans une zone submersible. Et c’est clair, cette zone va partir. Si le gouvernement lui-même fait l’effort de faire partir ses propres administrations, évidemment que nous allons aussi mener la concertation pour faire en sorte que les privés qui sont concernés par ces mesures puissent se conformer au cahier des charges. Si par exemple Kaizer se conforme au nouveau cahier des charges, bien sûr, elle restera et elle fera partie de la nouvelle balise urbaine dont je parle. C’est une nouvelle orientation qui est née de notre vision après le 1er septembre. Nous devons donc comprendre que nous devons désormais réaménager, apprendre à reconstruire, parce que la ville ne se construit jamais définitivement. Elle se remodèle en fonction des situations vécues.
Là, il doit prévaloir la gouvernance urbaine, notre capacité à dire : "Nous avons vécu ceci, voici comment nous nous préparons pour demain". Et c’est ce que nous sommes en train de faire. La mise en oeuvre du décret portant définition des zones inondables, des zones submersibles et des zones de servitude est un décret qui nous amène à repenser notre ville, la ville de Ouagadougou ; qui nous amène à comprendre également que la ville n’est jamais aménagée une bonne fois pour toutes. Notre génération doit faire un travail. C’est un travail qui va demander la compréhension et la contribution de l’ensemble des acteurs. Mais sachons bien que nous le faisons pour nous-mêmes, mais aussi pour les générations futures. Que l’on sache que nous avons fait de la gouvernance urbaine, s’il arrivait encore des phénomènes semblables à celui du 1er septembre 2009 et que nous avons été à la hauteur de l’expérience passée. Cela, tous les Burkinabè doivent le comprendre pour nous permettre d’engager des actions durables, pour le développement durable de notre pays.
D’aucuns estiment que l’aide proposée par le gouvernement, notamment en ce qui concerne les matériaux de construction à hauteur de 280 000 F CFA pour les propriétaires de parcelles, est insuffisante. Qu’en dites-vous ?
C’est une aide et ce qui est important, c’est la solidarité nationale qui s’exprime. Depuis que le président du Faso a donné le top départ de l’action de solidarité envers les sinistrés, on a compris que chacun de nous a essayé, en fonction de ce qu’il a et en fonction de sa possibilité, de faire parler son coeur. Nous sommes dans un élan de solidarité et le gouvernement a exprimé cette solidarité en fonction du budget et en fonction de ce qu’il y a sur le terrain. Imaginez-vous qu’on se retrouve avec une situation de 24 000 habitations concernées par l’aide. On se retrouve avec une situation globale de plus de 6 milliards de F CFA. En y ajoutant les ménages qui étaient en location et qui doivent bénéficier chacun de la somme de 50 000 F CFA, cela tournera autour de 7 milliards. C’est une aide et l’essentiel est que le gouvernement puisse engager le processus, pour que ceux qui attendent cette aide puissent l’obtenir à temps. Il est aussi évident que l’aide va se poursuivre. Si vous obtenez une aide de la part du gouvernement, il est sûr également que vous en recevrez de la part de certains de vos parents. Le Burkina Faso est un grenier de solidarité et je pense que notre solidarité n’a pas encore dit son dernier mot. Chacun de nous va, à sa façon, continuer encore cette solidarité que le gouvernement a demandée. C’est cela qui est fondamental, à mon avis.
Y a-t-il déjà un calendrier concernant le payement de l’aide et la distribution des matériaux de construction, de même que pour le relogement des sinistrés ?
Dès la semaine prochaine, nous allons offrir aux sinistrés qui étaient en location et qui sont présentement sous les tentes sur les sites d’accueil leur aide pour qu’ils puissent rapidement trouver des maisons en location. Ensuite, nous allons attribuer des parcelles à ceux qui avaient leurs maisons propres à eux. Ils recevront tous également leurs aides en matériaux de construction. Je rappelle qu’il s’agit, par chef de ménage, d’une tonne et demie de ciment, 20 tôles et la somme de 50 000 F CFA pour pouvoir soutenir la main-d’oeuvre nécessaire pour la construction.
Il faut aussi noter que nous travaillons à amener sur le site des matériaux, notamment la terre argileuse appropriée, avec aussi des matériaux adjuvants comme la paille, la bouse de vache. Il s’agit de faire en sorte que les gens aient cette terre sur place, les techniciens du ministère de l’Habitat seront également sur place pour les conseiller pendant les travaux de construction. Ils leur montreront comment faire pour que ce que nous allons construire puisse être plus durable que ce qui a été détruit par la pluie. Nous aurions voulu que ce soit des constructions avec des matériaux définitifs comme le ciment, mais c’est ce que nous pouvons faire pour l’instant. Améliorer les matériaux que la nature nous a donnés. C’est aussi une nouvelle façon de progresser vers le développement.
Monsieur le ministre, Ouagadougou n’est pas la seule ville concernée par les inondations. Il y a par exemple les habitants de la Gnagna qui se plaignent d’avoir été oubliés. Quel genre d’appui est prévu pour les autres localités ?
Le gouvernement ne s’est pas attaqué seulement à la ville de Ouagadougou. Mais c’est quand même la capitale et nous avons un devoir d’aménager notre capitale parce que c’est la vitrine d’entrée dans notre pays. Mais c’est aussi parce que les problèmes ici sont plus évidents. Dans les autres provinces, le gouvernement a déjà fait le nécessaire, pour l’aide alimentaire par exemple. Nous avons aussi la situation de l’ensemble des données en matière d’habitat et en termes de personnes sinistrées. Donc, après Ouagadougou, on va engager un autre processus pour voir comment le gouvernement va aider ces personnes-là à retrouver leurs habitats. Du reste, on a déjà travaillé au niveau de Kaya pour voir comment on peut progressivement donner une orientation en matière d’aménagement. Dans la zone de la Gnagna dont vous parlez, ce sont des habitats dans les zones semi-rurales. C’est un peu comme un tissu d’habitats, mais rural, dont nous devons aussi tenir compte, d’abord en termes d’aide. Et je pense que le gouvernement ne les oubliera pas.
Propos recueillis par Lassina Fabrice SANOU
Le Pays