LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Avec de la persévérance et de l’endurance, nous pouvons obtenir tout ce que nous voulons.” Mike Tyson

Béatrice Damiba : « Notre principale préoccupation au Conseil supérieur de la communication est la formation et l’information des journalistes »

Publié le vendredi 27 mars 2009 à 02h48min

PARTAGER :                          

La présidente du Conseil supérieur de la communication (CSC), Béatrice Damiba, accompagnée de son directeur de cabinet et deux conseillers, a séjournée en France du 16 au 22 mars dernier. Elle était parmi les invités qui ont assisté à la cérémonie de signature de la 18eme convention de financement entre les banques nationales et internationales et la Société de fibres textiles (Sofitex) le 17 mars dans les locaux de l’ambassade du Burkina à Paris. Entre rendez-vous professionnels et visites privées, elle s’est prêtée aux questions de Lefaso.net. Entre autres sujets abordés, l’état de la liberté d’expression et de presse au Burkina, la responsabilité du CSC dans la protection des journalistes, la viabilité des entreprises médiatiques après la signature de la convention collective le 6 janvier 2009, la formation des journalistes ou le droit à l’image.

Quel est l’objet de votre séjour en France ?

Je suis là dans le cadre des activités du Conseil supérieur de la communication (CSC) dont je suis la présidente, et aussi en tant que présidente en exercice du Réseau francophone des régulateurs des médias (Refram), et du Réseau des instances africaines de régulation de la communication (Riac). J’effectue une visite de prise de contact ici car, en réalité nous avons pas mal de partenaires en France comme le Refram dont le siège est à Paris, abrité par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Cette visite intervient après celle que j’ai faite récemment au Bénin où se trouve le siège du Riac. En tant que présidente de ces deux institutions, je me devais de rencontrer les différents responsables avant la tenue de la prochaine conférence qui se tiendra en octobre prochain au Maroc et au cours de laquelle nous passerons le relais à nos amis Marocains.

J’ai donc estimé que pour préparer cette conférence, il était nécessaire de faire le point des activités menées depuis, et d’évaluer la mise en œuvre des programmes du Riac et du Refram. Ces réseaux regroupent les instances de régulations de nos pays respectifs et comme tout regroupement, l’objectif principal est de permettre aux membres de se retrouver et d’échanger leurs expériences, de coopérer et pourquoi pas harmoniser les aspects juridiques de leurs instances.

Toute cela vise, bien entendu à contribuer à l’avènement d’un professionnalisme dans le métier de journaliste, au renforcement de la démocratie par la consolidation de la liberté de la presse, et surtout pour nous qui sommes du Sud, à prendre activement notre part dans le développement économique de nos pays.

Le Riac et le Refram sont assis sur des textes, des statuts et règlements intérieurs et ont des plans d’action, des programmes d’activités consistant essentiellement en des rencontres sur des thèmes d’intérêts communs. Grâce à ces réseaux, nous pouvons aussi parler d’une seule voix dans certaines tribunes comme à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Avec le Riac, nous sommes sur le point d’obtenir une accréditation auprès de l’Union africaine (UA) et si tout va bien, nous pourrons suivre les travaux du prochain sommet de l’organisation panafricaine en juillet prochain.

Quelles sont les difficultés que rencontrent les instances de régulation dans l’accomplissement de leurs missions ?

Au Burkina, nous sommes confrontés au problème du manque de formation des journalistes et c’est notre principale préoccupation. Il y a aussi le manque d’information des journalistes sur les principes législatifs qui encadrent la pratique de leur métier car le plus souvent, on se rend compte que de nombreux journalistes les ignorent et ces deux écueils conduisent à des manquements des textes en vigueur. Par exemple le droit à l’image, le respect de la présomption d’innocence, de la dignité humaine ou la protection des jeunes publics sont fréquemment foulés au pied. Nous pensons donc qu’en mettant l’accent sur la formation et l’information des hommes et femmes du métier, cela va progressivement s’atténuer

Les violations du droit à l’image sont-elles fréquentes au Burkina ?

Ca arrive souvent de voir que des photos de présumés voleurs ou bandits arrêtés par la police sont publiées dans les journaux sans trop de précautions alors qu’ils bénéficient de la présomption d’innocence prévue par nos lois. Je dois reconnaître que sur ce point, les journaux ont fait des efforts en masquant maintenant les visages des présumés coupables.
Certains spots publicitaires diffusés à la télévision et sur les radios ne respectent pas non plus le droit à l’image, comme celui dont nous avons fait arrêter la diffusion en décembre dernier relatif au concours du plus beau bébé, c’est à dire, des nourrissons. Le CSC ne peut pas être d’accord avec ce type d’opérations car ça implique de gens qui ne sont pas consentantes et qui ne peuvent pas se défendre. L’enjeu de ce concours était évidemment de grosses sommes d’argent que l’agence organisatrice, la télé et les parents allaient engranger via les appels téléphoniques et les SMS.

Autre exemple : en novembre dernier, il y a eu un accident grave de la route à Boromo et les jours suivants, les journaux et la télé ont montré des corps calcinés ou à moitié brûlés, des images horribles et insupportables. En tant que présidente du CSC, je me suis indignée et j’ai publié un communiqué pour rappeler aux uns et aux autres que le droit à l’image s’appliquait à tous, y compris aux personnes décédées.

Le CSC ne peut-il pas vérifier le contenu des spots publicitaires avant leur diffusion ?

Non, car nous n’intervenons pas qu’à posteriori, sinon ça devient de la censure. La liberté de faire est un droit garanti par la loi et nous partons du principe que les médias assument correctement leurs responsabilités, les erreurs devant être justement corrigées par nous. Au CSC, nous avons une équipe qui écoute et regarde tous les jours les informations et programmes diffusés sur les médias afin de relever les manquements. Une étude est ensuite faite et soumise à l’appréciation de la commission chargée de l’éthique et la déontologie, laquelle auditionne les responsables des médias en cause avant de décider s’il faut sanctionner ou pas les fautifs. En général, les auditions se passent très bien et les responsables épinglés sont souvent d’accord avec nos observations. Ce qui ne leur empêche malheureusement pas de commettre à nouveaux les mêmes fautes !

Après un long séjour à l’extérieur comme ambassadeur, comment avez-vous trouvé l’état de la presse au Burkina ?

Globalement, il y a eu quand même des changements qualitatifs importants. Je dis globalement car, pendant que certains ont fait des bons qualitatifs appréciables, d’autres restent encore dans une certaine médiocrité que nous travaillons à corriger. Dans le rapport 2007 du CSC, nous concluons que les médias jouent leur rôle de contre pouvoir, mais également d’accompagnateur des programmes de développement à travers la sensibilisation sur des problèmes de santé et d’environnement. Les médias burkinabè font aussi de l’investigation et dénoncent ce qui ne va pas et cela d’une manière assez responsable mieux que dans certains pays

Les discussions avec les patrons de presse et les associations des journalistes, commencées sous la présidence de votre prédécesseur Luc Adolphe Tiao, ont finalement abouti le 6 janvier dernier à la signature de la convention collective. Quelle est la viabilité de cette convention sachant que les journaux sont confrontés au problème de distribution et à l’étroitesse du marché publicitaire ?

La distribution des journaux est l’une de nos préoccupations puisqu’un décret avait été pris sur ce point précis depuis la création du CSC en 2005 mais qui n’a jamais été suivi d’effet. Un livre blanc dont la rédaction est d’ailleurs terminée va bientôt nous permettre d’apporter des réponses appropriées à ce problème qui est réel. Je l’ai moi-même constaté lors de mes tournées dans l’Ouest du Burkina dès ma prise de fonction. Un journal comme Sidwaya fait beaucoup de bouillon (invendus, NDLR) à Bobo parce qu’il arrive tard, l’après midi, ce qui n’est pas intéressant pour un quotidien du matin. De même, L’Express du Faso, qui est aussi un quotidien imprimé à Bobo arrive parfois à Ouaga avec deux jours de retard…

Certes, certains quotidiens privés font des efforts en faisant convoyer leurs exemplaires par les cars de transports, mais il y a un vrai problème de messagerie qui limite le tirage des journaux. Le marché publicitaire est effectivement étroit et à part quelques journaux qui émergent du lot et qui ont atteint un niveau de santé financière appréciable, très peu s’en sortent réellement. C’est pour toutes ces raisons que la convention collective ne va pas s’appliquer toute suite, un temps d’adaptation est prévu pour que les entreprises médiatiques puissent s’y préparer. Je viens d’adresser au ministre de l’Economie et des finances une étude faite par les entreprises de presse dans laquelle elles demandent des allègement fiscaux, et nous réfléchissons à la création d’un fonds d’appui à la production pour les médias audiovisuels.

Le libre blanc contient une série de mesures d’accompagnement de la convention collective mais qui devraient aussi profiter aux médias publics. Je me bats aussi au niveau du Bureau burkinabè des droits d’auteurs (BBDA) et de l’Autorité de régulation des télécommunications (Artel) pour obtenir une baisse des taxes imposées aux radios. Autant de mesures qui visent à réduire la dépendance des médias vis-à-vis des reportages payés et des communiqués de presse

Justement, quel est votre avis sur la pratique consistant à faire payer les reportages et les comptes rendus des cérémonies ?

Franchement, ça été un choc pour moi quand je suis arrivée. Je savais que certains articles étaient payés, mais j’ignorais que ce que j’appelle la culture de la facturation avait atteint un tel niveau. A chaque fois que j’ai eu l’occasion, j’ai toujours dit que je ne comprends pas cette façon de fonctionner et il faut bien qu’on trouve des solutions. Au début de ma prise de fonction, je me suis rendu compte que les journalistes se plaignaient de n’avoir pas accès aux sources de l’information. Mais en facturant les articles, ils ferment eux-mêmes les portes de l’information et plus grave, on peut faire publier n’importe quoi pourvu qu’on paie et on peut rater de bonnes informations tout simplement parce que des gens n’ont pas pu payer. Plusieurs institutions m’ont dit qu’elles renonçaient à médiatiser leurs manifestations à cause des coûts des reportages, ce qui est bien dommage aussi bien pour elles que pour le public

Faut-il maintenir l’aide de l’Etat sous sa forme actuelle ?

Au CSC, nous pensons qu’il n’est peut-être pas judicieux de continuer avec cette forme d’aide qui consiste à donner de l’argent aux médias, car on n’est certain d’atteindre le but visé. Il faut plutôt avoir une vision globale des aides publiques et c’est ce à quoi nous travaillons actuellement. Le ministre de la Communication et moi-même sommes convenus non seulement de restreindre les critères d’attribution de ces aides, mais aussi d’éviter désormais de donner de l’argent en espèces. Nous ne devons pas non plus oublier les journaux en langue nationale dont la régularité de parution n’est pas assurée alors que c’est le principal critère pour bénéficier de l’aide

Et les journaux en ligne comme Lefaso.net et Fasozine que la loi actuelle ignore ?

C’est vrai qu’il y a des phénomènes nouveaux qui nous obligent à revoir les textes non seulement pour les subventions, mais aussi pour tenir compte de l’évolution technologique. Je trouve que c’est injuste que les journaux en ligne ne soient pas pris en compte et on doit corriger cela. J’ai constaté que même au CSC, lorsqu’on dresse la liste des médias, on ne mentionne pas du tout les journaux en ligne, et moi qui ai vécu longtemps à l’étranger comme ambassadeur, je sais bien ce que les journaux représentent pour tous ceux qui vivent hors du pays. Il faut donc qu’on fasse quelque chose dès cette année pour intégrer cette forme de communication surtout qu’elle va se développer dans les années à venir et prendre plus de place par rapport aux journaux traditionnels

Vous vous êtres penchés tout récemment sur le contenu des forums des journaux en ligne. Le phénomène vous inquiète ?

L’information en ligne est quelque chose d’assez nouveau et le forum des internautes l’est encore plus, même si Lefaso.net le pratique depuis longtemps, ce qui n’est pas le cas des autres qui commencent à l’expérimenter. Nous avons donc souhaité rencontrer les professionnels pour voir comment cette forme d’échange avec les lecteurs peut être mieux organisé et éviter des dérapages. L’Internet ne doit pas être une zone de non droit où on peut se défouler derrière l’anonymat, mais il ne faut pas non plus censurer les messages postés. C’est tout l’intérêt du panel que nous avons organisé récemment. L’Observateur Paalga a opté pour le contrôle a posteriori tandis que chez vous, vous contrôlez les messages avant de les publier. Laquelle formule est la bonne ? Le débat est ouvert, mais il est évident que les internautes ne doivent pas profiter de cet espace de liberté pour y tenir des propos diffamatoires, injurieux ou attentatoires à la dignité humaine.

Des menaces de mort ont été récemment proférées contre des journalistes travaillant pour Le Reporter et l’Evènement. Est-ce que vous prenez ces menaces au sérieux ?

Bien sûr que nous sommes préoccupées par ces menaces de mort ! Nous avons rencontré les journalistes menacés et nous avons ensuite publié un communiqué pour rendre compte de nos échanges. Nous voulions avoir un peu plus d’informations sur les menaces dont ils sont l’objet et nous leur avons assuré tout notre soutien et notre collaboration pour que l’enquête aboutisse car on ne peut pas accepter que la liberté de presse soit blessée dans notre pays.

Interview réalisée par Joachim Vokouma

Lefaso.net

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Votre journal Courrier confidentiel N° 51 vient de paraitre.