LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Avec de la persévérance et de l’endurance, nous pouvons obtenir tout ce que nous voulons.” Mike Tyson

Fin de formation d’officiers spécialistes de l’AMGN : Les propos indignes de la troisième promotion

Publié le mercredi 15 octobre 2008 à 02h17min

PARTAGER :                          

Le 3 octobre dernier a eu lieu à Ouagadougou la remise d’épaulettes de la troisième promotion de quatre élèves officiers spécialistes de l’Académie militaire Georges Namoano (AMGN) de Pô. Dans le compte rendu fait par le quotidien Le Pays dans sa livraison n° 4216 du 06 octobre 2008, un extrait de l’intervention du délégué de la promotion, M. Rigobert R. Kiba, a retenu notre attention.

Lisez plutôt : « Nous sommes arrivés à l’Académie le 31 mars 2008 avec des bérets sur la tête comme des bonnets de chefs de village, des tenues mal portées, des chaussures mal lacées et surtout avec la tête pleine de doutes et d’appréhensions quant à ce qui nous attendait dans cette école dont on parlait tant.

Aujourd’hui, c’est avec une tenue correcte et surtout nantis de connaissances militaires et de savoir-faire que nous en sortons ». Comme vous pouvez vous en douter, c’est le passage concernant les « bérets sur la tête comme des bonnets de chefs de village » qui constitue le problème.

Nous avons décidé d’en faire le thème de la chronique de ce jour car pour le chef traditionnel que nous sommes, le contenu du passage est particulièrement offensant et dégradant pour cette institution sociale qu’est la chefferie. A supposer même que les auteurs du discours aient plaisanté, il y a lieu de dire que ce fut tout de même une plaisanterie de mauvais goût.

Cependant, nous ne réagissons pas au nom de la chefferie traditionnelle car nous n’avons pas qualité pour le faire ; nous n’écrivons pas non plus sur instruction de Sa Majesté le Moro Naba Baongho qui nous a intronisé dans la mesure où notre rang est en deçà de celui de son porte-parole attitré.

D’un droit de réponse, il ne s’agit point ; d’une mise au point non plus. Ce que vous lisez sur ces lignes n’engage donc que nous en tant que journaliste et en tant que chef traditionnel du village de Dawelgué dans la province du Bazèga. C’est le lieu de dire que contrairement à certaines idées largement répandues, la chefferie est plus libérale que certaines de nos institutions et de nos administrations dites modernes.

Cela dit, comparer les bérets rouges qu’ils portaient avant la formation à des bonnets de chefs de village pour décrire leur niveau d’ignorance à eux qui n’avait d’égal que celui de ces pauvres chefs de villages n’est ni pertinent, ni opportun, ni juste.

Ce n’est pas pertinent car le béret des militaires appartient à l’institution militaire et le bonnet des chefs à la chefferie traditionnelle. Maintenant, s’il se trouve que le fait pour les chefs de village de ne pas être nantis et de ne pas, pour ce faire, avoir des bonnets de la qualité des bérets de nos stagiaires à la fin de leur formation, doit faire l’objet de la risée de ces derniers qui sont formés et salariés grâce, entre autres, à ces contribuables de chefs de village, c’est vraiment ingrat de la part des éléments de cette troisième promotion.

Une telle comparaison n’est pas non plus opportune car on se demande bien à quoi les modules relatifs à la culture générale et à l’éthique et à la déontologie ont servi à cette promotion. Sans oublier qu’au moment où des réflexions, certes éparses, contradictoires et diffuses pour l’instant, sont en cours dans la perspective d’une définition du statut de la chefferie traditionnelle, de telles descriptions et de telles comparaisons pourraient raidir certaines positions.

Enfin, de telles attitudes vis-à-vis de la chefferie traditionnelle ne sont pas justes quand on sait que c’est aussi grâce, entre autres, au rôle de médiateur des dépositaires du pouvoir traditionnel (chefs traditionnels, chefs de terre, patriarches), avec à leur tête le Moro Naba Baongho, que le pays est relativement stable et que ces officiers ont pu accomplir leur formation.

Les liens entre le bonnet et le béret

La description péjorative du bonnet de chef de village faite par le délégué de la promotion traduit l’ignorance manifeste ou, au moins, l’amnésie évidente dont il fait preuve au sujet de cette coiffure. En réalité, même l’origine du béret que portent fièrement nos officiers spécialistes à la fin de la formation est historiquement liée au pouvoir traditionnel qu’était la monarchie. En effet, le béret est l’aboutissement des mutations des couvre-chefs qui existaient sous la monarchie.

C’est le lieu de dire que le couvre-chef est le nom générique donné aux bonnets, chapeaux, foulards (dans certaines circonstances) et comme on le voit, le bonnet c’est aussi un couvre-chef, un mot composé contenant le mot chef qui n’est pas loin de chef de village.

A l’évidence, de deux choses l’une : ou les moniteurs qu’ils ont eu jusqu’à ce jour ne leur ont pas enseigné l’histoire du béret, ou ce sont eux qui ont simplement oublié leurs leçons. Mais à bien y penser, c’est le deuxième élément de l’alternative qui est le plus vraisemblable car il est inimaginable qu’au programme de leur formation depuis le prytanée militaire ou même la formation commune de base, il n’y ait pas eu un seul module sur le sujet.

Pour cela, le profane que nous sommes se fera alors le plaisir de dire quelques mots sur le béret d’un général de corps d’armée et le bonnet d’un monarque. Cela étant, la classification des couvre-chefs peut se faire à travers leur forme, leur fonction sociale, leur contexte historique, leur matériau et le genre (masculin ou féminin).

Mais nous nous en tiendrons au béret du général de corps d’armée et au bonnet du monarque : ils ont tout les deux un bord épousant la forme du dessus de la tête (contrairement au chapeau), sont en général fait de fil tissé, symbolisent un pouvoir et sont nés dans des contextes historiques marqués des soucis de conquête de territoires et de soumission d’autres peuples.

Cependant, il n’y a pas que des ressemblances. Il y a également des dissemblances : le bonnet et (surtout) le galon du général d’armée sont, en l’absence de toute autre fonction, sous le commandement du béret et du galon d’un maréchal ou d’un chef suprême des armées qui est le chef de l’Etat (empereur, roi, président de la République ou Premier ministre dans les monarchies constitutionnelles et dans les systèmes où le président a un rôle honorifique) alors que le bonnet du monarque absolu lui confère d’office la fonction de chef suprême des armées.

Ce que nous venons de dire n’a rien d’extraordinaire et est connu des gens qui nous lisent (et bien sûr nous comprennent). Il suffisait simplement d’y penser. C’est pourquoi nous pensons qu’à l’avenir, les hiérarchies administrative et militaire de l’armée devraient être plus regardantes et plus attentives afin que des stagiaires en fin de formation n’écorchent pas à tout va des institutions sociales qui contribuent à faire la fierté de notre pays ; sinon, elles seraient, comme certainement ici, dans des situations désobligeantes car on ne peut pas dire que la présente livraison de la chronique les comble de louanges même si ce sont les stagiaires qui sont dans sa ligne de mire.

La part de responsabilité des chefs de village

Nous venons de le dire : nous ne partageons pas le discrédit que les officiers spécialistes ont jeté sur les chefs de village et partant, les chefs de canton et les monarques. Du reste, sans chefs de village, les paliers supérieurs de la chefferie traditionnelle n’auraient aucun sens. Manquer de respect à ces chefs de village, c’est également se foutre de leurs supérieurs.

Toutefois, nous devons, par souci d’honnêteté intellectuelle, reconnaître que bien de chefs de village et de canton n’honorent ni leur personne, ni le bonnet qu’ils portent du fait de la volonté de Dieu et du monarque qui les a nommés.

Ainsi, ils sont nombreux à se comporter en potentats locaux (qui n’ont que faire des exigences de l’Etat de droit démocratique) alors qu’ils devraient aider leurs populations à vivre en paix et dans la concorde, à fouler au pied les valeurs cardinales (le bien, le juste, le vrai) qu’ils sont censés incarner ou défendre, à brader leur dignité contre quelques billets de banque, quelques bouteilles d’alcool, à déambuler sans gêne dans des guenilles qui ne connaissent d’eau de lessive que la sueur et l’eau de pluie.

Dans un tel contexte, comment ne pas comprendre que des cadres de ce rang que sont les officiers spécialistes décrivent comme ils l’ont fait les chefs de village ?

On pourra toujours accuser la pauvreté dans la dernière catégorie de chefs mais n’oublions pas qu’on peut porter des haillons propres et que dans nos villages, il y a plein de personnes pauvres mais dignes et assez vertueuses pour servir d’exemples.

La tâche n’est certes pas aisée dans une société de consommation dont la publicité, cet acte psychosociologique destiné à manipuler la collectivité à des buts lucratifs, harcèle tellement l’acteur social qu’elle parvient, à la fin, à créer en lui des besoins parfois superflus ; mais ne perdons pas de vue que ce qui caractérise l’humain c’est aussi sa capacité à s’élever au-dessus des situations qui sont susceptibles de l’aliéner. La solution ici consiste soit à redimensionner ses besoins en fonction de ses propres moyens, soit à se créer une source supplémentaire (mais décente) de revenu.

Ici aussi, il est souhaitable que tous ceux qui sont source de légitimité de ces chefs de village trouvent les occasions et les canaux nécessaires pour travailler au changement de comportements des représentants de cette institution sociale qui a prouvé sa capacité de résistance face aux assauts répétés du « modernisme » et son utilité dans la construction de l’Etat-nation burkinabè.

Z.Kafando

L’Observateur Paalga

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina Faso : Justice militaire et droits de l’homme
Burkina Faso : La politique sans les mots de la politique