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“Léguéma lôgô” : Un marché qui perturbe la circulation

Publié le jeudi 12 juin 2008 à 09h43min

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La ville de Bobo-Dioulasso dispose d’un marché de légumes plus connu sous le nom de « Léguéma lôgô ». Tous les soirs, ce marché est très animé et la circulation n’est pas une partie de plaisir. Sidwaya y a fait un tour le 28 mai dernier. En une heure, l’équipe de reportage a vu, entendu, senti et touché du doigt la réalité des lieux. Ambiance d’un mercredi après-midi.

Le marché de légumes de Bobo-Dioulasso, communément appelé « Léguéma lôgô » est situé côté Est du stade Wobi, sur l’avenue du gouverneur Binger. Il compte 15 grands hangars et 108 petits hangars de vente où sont installées plus de 400 femmes. D’autres vendent aussi bien en gros qu’en détail les légumes. Les prix y sont généralement plus abordables que dans les autres marchés de la ville qui s’approvisionnent d’ailleurs généralement à partir de là. Le marché a connu des fortunes diverses depuis sa création en 1991. En 1994, il a été déplacé à la place Wara-wara kan, dans le quartier de Dioulasso-Bâ avant que les femmes ne le réintègrent dans sa physionomie actuelle à partir de 1996. Le marché fonctionne 24 h/24. Il n’est pas du tout aisé de circuler là-bas en fin de matinée où d’après-midi.

Mercredi 28 mai 2008, il est un peu plus de 18 heures à « Léguéma lôgô ». S’étalent sur près de 400 mètres, des hangars aux toits en tuile et des parasols multicolores. Les rayons du soleil sont moins mordants et la circulation est dense. Un véhicule 4x4 pick-up s’engage dans la rue qui longe le marché en venant du Sud (du centre-ville). A peine 10 mètres parcourus, le chauffeur est obligé de freiner. A gauche, juste après le premier kapokier, on aperçoit des étals de tomates, de concombres, d’oignons, de choux, d’aubergines, de courgettes et de poivrons jusqu’au bord du bitume. Un pousseur de charrette tire son chargement de légumes. A droite, se trouve un vulcanisateur très affairé à démonter la roue crevée d’un véhicule stationné avec deux roues sur le bitume. Accroupi, il occupe en partie la voie. Impossible donc de passer. La voie se dégage momentanément dès que le pousseur de charrette passe au niveau du véhicule 4x4. Déjà, l’odeur des légumes, notamment celle des oignons, plus forte, agresse l’odorat. Le chauffeur du 4x4 accélère légèrement, donne deux coups de volant pour éviter de percuter à gauche un taxi et une motocyclette à droite. 10 mètres plus loin, il est encore obligé d’effectuer les mêmes manœuvres pour se frayer un chemin sur cette voie qui se rétrécit au fur et à mesure qu’il avance. Cette fois-ci, c’est le pousseur d’une charrette pleine à craquer de légumes qui obstrue le passage sur le côté droit, tandis que de l’autre côté, il faut éviter des tas de feuilles de choux posées à même le sol à moins d’un mètre du bitume.

Après cette étape, apparaissent les premiers véhicules « Peugeot » bâchés qui ravitaillent ce marché en légumes. Deux d’entre eux sont stationnés sur le côté gauche, bourrés de toutes sortes de légumes. Des jeunes déchargent les véhicules des sacs et paniers de légumes que des femmes s’empressent de récupérer avant de discuter les prix avec les propriétaires. Une cliente vient de conclure une affaire avec une vendeuse. Elle a acheté 5 paniers de tomates et 3 sacs de feuilles d’oignon. Elle retire de son portefeuille noué autour de sa taille, la somme convenue, paie et hèle aussitôt un pousseur de charrette. Deux se présentent en même temps. Elle discute le prix et décide de faire transporter ses légumes par le moins disant. L’autre s’éloigne, guettant une autre opportunité. En quelques secondes, les paniers et sacs sont embarqués sur la charrette et, direction le marché de Niénéta, situé à près d’un kilomètre de là, sur la route de Dédougou. Salif Kindo, un pousseur de charrette âgé d’une vingtaine d’années exerce dans ce marché depuis 3 ans. Vêtu d’un T-shirt rouge et blanc défraîchi et d’un pantalon sombre, il assure qu’il peut faire une recette journalière de 1 000 à 4 000 F CFA. Ce mercredi, à 18 h 20, il avait déjà fait 4 navettes qui lui ont rapporté 1 250 F CFA. « Il reste encore une heure pour que le marché se vide de son monde et j’espère avoir au moins 1 250 autres francs de plus », dit-il en mordant dans la mangue qu’il tient dans
sa main.

Un marché parallèle juste à côté

Quelques mètres plus loin, apparaît sur la droite, côté Est (rue Sadaïra), une route bondée de monde. Sur cette rue s’est développé depuis quelques années un appendice (ou plutôt une excroissance) de « Léguéma lôgô ». Impossible de trouver son chemin dans ce marché parallèle. En y pénétrant même à pied, il faut éviter des clients pressés. Sur la gauche, ce sont les vendeurs de friperie installés sur des charrettes et criant à tue-tête pour attirer la clientèle qu’il faut contourner. A droite, des feuilles d’oignon étalées sur des sacs occupent une bonne partie de la voie, ne laissant qu’à peine 3 mètres pour la circulation. C’est dans ce cafouillage que s’est engagée une automobiliste à bord d’une Mercedes 190.

Arrivée de la capitale, elle est venue « faire le marché » avant de rentrer à Ouagadougou. Ses intempestifs coups de klaxon n’émeuvent même pas les commerçants ni les autres usagers du marché, puisqu’ils ne se retournent même pas pour regarder qui vient. La bonne dame est obligée de forcer le passage en allumant en plus, les phares du véhicule. Elle parvient à s’en sortir. Passée cette première « galère », la bonne dame doit maintenant aborder le bitume du vrai « Léguéma lôgô ». La circulation y est tellement dense qu’elle doit s’y prendre par trois fois, avec l’aide de quelques bonnes volontés, avant de pouvoir passer, nerveuse. Le sourire qu’elle arbore et le geste de remerciement qu’elle fait à ceux qui l’ont aidée traduisent le soulagement qu’elle a éprouvé en sortant de ce « guêpier ». Les activités de ce marché parallèle battent leur plein. Et les concessions situées juste derrière sont littéralement englouties dans les tas de marchandises exposées pêle-mêle, allant jusqu’à obstruer certaines entrées de concessions. « Même à pied, ce n’est pas souvent facile de rentrer chez soi », lance dépité ce riverain, habitant une concession en bordure de la rue. « Quand nous avons des cérémonies dans la cour, je fais partir les commerçantes pour avoir plus d’espace et de quiétude pour les parents et les visiteurs que je reçois à ces occasions », soutient une vieille dame, en train de faire ses ablutions pour la prière du soir.

En fait, contre mauvaise fortune, ils font bon cœur, même si cela n’est pas toujours aisé. Il en est de même pour les fidèles de la mosquée située quelques mètres plus loin sur la droite. En effet, ils font leur prière en dépit du brouhaha qui règne dans ce marché. « Difficile de se concentrer réellement dans ces conditions », lâche un fidèle juste après la prière. Certaines commerçantes, installées à moins de 5 mètres de la mosquée continuent leurs activités comme si de rien n’était. Bien que sachant les incommodités dues à la présence de ce marché, Maman Sanou, l’une des commerçantes de ce site nuance : « Lorsque les riverains ont des cérémonies (décès, mariage, baptême par exemple) et qu’ils nous informent, nous nous déplaçons pour laisser libre, l’entrée de la concession concernée ».

Solidarité familiale

Retour sur le bitume qui longe le marché de légumes. L’odeur s’exhalant des tas de piments exposés fait éternuer le visiteur. Assise sur un tabouret, Awa Sanou, commerçante, fait partie de celles installées au-delà du caniveau qui est en principe la limite de "Léguéma lôgô" . Elle n’est pas locataire d’un hangar, mais s’est « assise devant celui d’une parente qui en dispose ». Vêtue d’une tenue en pagne et légèrement dépigmentée, cette jeune fille filiforme dit s’être installée après le caniveau ce jour « parce que d’autres parentes sont venues du marché Diarradougou (ndlr : un quartier de la ville de Bobo-Dioulasso) pour écouler le restant de leurs légumes du jour et s’approvisionner pour demain ». A moins de deux mètres du bitume, Awa Sanou ne semble pas inquiète outre mesure, en dépit de la circulation très dense à cette heure-là. « Je m’en remets à Dieu en ce qui concerne les accidents. Qu’Il nous en préserve », dit-elle, approuvée par ses quatre sœurs assises autour d’elle.

Tout un état d’esprit ! Pourtant, les statistiques de la 2e compagnie de la brigade nationale des sapeurs pompiers, basée à Bobo-Dioulasso font état de 19 accidents de la circulation en 2007 sur cette portion de l’avenue du gouverneur Binger. Pour le premier trimestre de 2008, les « soldats du feu » y sont déjà intervenus 6 fois. Des liens de parenté qui se conjuguent jusqu’au marché puisqu’à « Léguéma lôgô », cousines, sœurs, nièces viennent partager avec des parentes, l’espace que celles-ci louent. « On ne peut pas refuser qu’une parente s’installe à nos côtés pour pouvoir se débrouiller et nourrir sa famille », affirme en effet Madjélia Sanou, la responsable du marché.
Plus loin dans les limites du marché se trouvent les étals d’Awa Fabéré Sanou.

Confortablement installée dans un fauteuil en bois, cette femme d’une quarantaine d’années, teint clair qui laisse néanmoins apparaître des signes évidents de dépigmentation est commerçante à « Léguéma lôgô » depuis une quinzaine d’années. Autour d’elle, sont assises plus d’une dizaine de femmes dont la plupart discutent avec des clients. Les autres écoutent religieusement la « patronne » avec qui nous nous entretenons. « Nous travaillons en groupe et j’ai avec moi une vingtaine de femmes dans ce hangar que je loue », confie Awa Fabéré Sanou que nous laissons pour une cliente.

Apparaissent au même moment les gyrophares d’un camion 10 tonnes qui s’engage dans la voie rétrécie davantage par l’arrivée d’autres véhicules de ravitaillement du marché. « Vous voyez, ce sont ces véhicules-là qui rendent la circulation impossible ici », nous lance notre interlocutrice. A coups de klaxon, le mastodonte se fraie aisément son chemin surtout que les autres usagers s’empressent de dégager la voie dès qu’ils l’aperçoivent. Au même moment, les premiers lampadaires s’allument. Comme si le ton avait été ainsi donné, « Léguéma lôgô » se vide petit à petit de son bruyant monde. « Demain, il en sera encore de même », lance un automobiliste qui affirme : « je n’emprunte cette voie que lorsque j’ai oublié de tourner avant ce marché parce que sur quelques dizaines de mètres on est constamment stressé ».

Urbain KABORE


Pourquoi « Léguéma lôgô »

Selon plusieurs témoignages corroborés par la responsable du marché, Madjélia Sanou, le nom « Léguéma lôgô » (qui signifie marché de Léguéma en dioula) que porte ce marché a une histoire. En effet dit-elle, « dans le passé, la quasi-totalité des légumes de Bobo-Dioulasso provenait du village de Léguéma, situé à une vingtaine de kilomètres à l’Est de la ville ». A l’époque, ces légumes étaient convoyés vers le marché central où il y avait un site de légumes appelé « Léguéma placi », c’est-à-dire la place de Léguéma en dioula.

Avec le temps, ce site s’est déporté du marché central jusqu’à son emplacement actuel en se muant en marché, d’où l’appellation « Léguéma lôgô ». Une appellation qui n’est d’ailleurs plus très à propos puisque les légumes proviennent désormais d’autres villages autour de Bobo-Dioulasso, c’est-à-dire du « Premier campement » (Yéguéresso), Kouentou, Desso, Kotoura, Séfina, Badara, Dafinso et bien entendu Léguéma de même que de Dogona, le secteur 13 de Bobo-Dioulasso.

U.K.


Déguerpissement avorté

En 2004, le spectre du déguerpissement a plané sur ce marché que le maire de l’époque, Célestin Koussoubé et son équipe entendaient déplacer au secteur n°2 (Diarradougou) au Nord de l’hippodrome où un site avait même été aménagé à cet effet. Mais les femmes du marché ont refusé de partir, sous l’influence d’hommes politiques. Elles ont même organisé une marche de protestation pour dire non à leur déguerpissement. Elles estimaient que le nouveau site était excentré et caché, peu sécurisant pour les femmes et leurs marchandises et non éclairé.

Jusqu’à présent, les femmes de « Léguéma lôgô » campent sur leur position, pour les mêmes raisons, même si la responsable du marché, Madjélia Sanou affirme que « avec l’évolution, le temps et surtout l’entente, nous serons obligées de partir ». Le déplacement du marché, disait-on à l’époque, était motivé par le prolongement de la route de Dédougou jusqu’à la place de la Nation en longeant « Léguéma lôgô ». Ce projet n’a jamais vu le jour du fait du refus des femmes de partir. A ce que l’on dit, la commune aurait ainsi perdu des centaines de millions de francs CFA d’investissements en bitume.

U.K.

Sidwaya

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