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Youssouf Ouédraogo : "Ouagadougou doit être un moment de rupture positive pour la Francophonie"

Publié le mercredi 2 juin 2004 à 09h11min

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Ouagadougou accueille depuis ce mardi 1er juin un colloque international sur les leçons et les perspectives du développement durable. Organisé par les universités francophones, il a lieu en prélude au sommet de la Francophonie qui se tiendra les 26 et 27 novembre prochain dans notre capitale.

Mais en septembre déjà, notre pays abritera un sommet extraordinaire de l’Union africaine. Deux grandes manifestations internationales en trois mois donc et pour lesquelles s’active la diplomatie burkinabè.

Nous avons rencontré il y a quelques jours le ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la coopération régionale, M. Youssouf Ouédraogo, en escale à Paris, qui fait ici le point sur les préparatifs et surtout les motivations et les objectifs de ces grandes rencontres internationales.

Youssouf Ouédraogo :
Le Burkina a l’avantage de pouvoir accueillir deux grands sommets au cours du dernier trimestre de cette année 2004 : le premier est le sommet extraordinaire de l’Union africaine sur l’emploi et la lutte contre la pauvreté et le second, c’est le dixième sommet de la Francophonie.

Concernant le premier sommet, je dois dire que c’est une proposition que le président Compaoré avait faite il y a déjà quelques années et qui a demandé une longue préparation parce que le président Compaoré avait souhaité, compte tenu des défis à la fois politiques et économiques auxquels le continent africain est confronté aujourd’hui, faire des ajustements, redéployer les économies, assurer la compétitivité relative et pouvoir rentrer dans l’économie mondiale.

"Les grandes réformes économiques des années 80 n’ont pas permis de créer des richesses"

C’est pour cela que le président a pensé qu’il était bon que l’Afrique puisse se réunir en un sommet extraordinaire autour de la question contre la pauvreté. Nous savons maintenant que même si les différentes réformes économiques qui ont été opérées depuis les années 80 et 90 ont permis de restaurer dans l’ensemble des pays les grands équilibres macro-économiques et macro-financiers, de restaurer la croissance économique, il n’en demeure pas moins que la question du développement sous la forme de création d’emplois qui soient porteurs de progrès et de création de richesses et porteurs de dignité pour les hommes et les femmes africains, est restée sans véritable réponse. Et le Burkina a considéré que c’était une question extrêmement importante.

Pour la préparation de ce sommet, le président Compaoré lui-même s’est déplacé à Addis-Abeba pour rencontrer à la fois la Commission de l’Union africaine et participer, dès décembre de l’année dernière, à une réunion de l’Organisation internationale du travail (OIT). Ensuite, à son initiative, lors de la Commission du travail et des affaires sociales de l’Union africaine qui vient de se tenir à Cotonou, il a proposé qu’un nombre limité de chefs d’Etat puissent se retrouver pour donner des orientations aux ministres chargés du travail avec le concours actif du Bureau international du travail (BIT) et de l’OIT.

Avec son homologue belge,
Louis Michel

Je dois avouer que ce processus de préparation du point de la réflexion, de la contribution et de la mobilisation des acteurs sociaux (que ce soit le patronat, les travailleurs, les gouvernements ou les agences internationales qui s’occupent des questions de développement) se fait de façon coordonnée et ordonnée.

Nous pensons que c’est une problématique qui est urgente et actuelle et que la réceptivité, les réponses qui sont données sont bonnes et nous encouragent sur le fait que l’Afrique ait bien reçu cette proposition et ait décidé au dernier sommet qui s’est tenu à Maputo l’année dernière de convoquer ce sommet extraordinaire à partir du 8 septembre à Ouagadougou. Evidemment, il sera précédé par un ensemble de rencontres techniques (des ministres mais aussi des acteurs sociaux comme les travailleurs, les employeurs, etc.).

"Nos partenaires sont avec nous et ces sommets vont être des succès"

Je pense que ce thème est extrêmement important parce que l’Afrique traverse une phase importante aujourd’hui qui fait qu’elle a, à la fois, la tâche de lutter pour assurer sa place du point de la démocratisation et de la protection des droits de l’Homme et aussi du point de vue du devenir et de la recherche du bien-être des populations.

Les préparatifs se poursuivent et nous travaillons beaucoup avec nos partenaires bilatéraux et multilatéraux et nous leur expliquons pourquoi ce sommet est extrêmement important. Les voyages qu’effectue le chef de l’Etat, ceux que moi-même j’effectue, contribuent à cela et nous pensons pouvoir dire que nos partenaires sont avec nous et que ce sommet va être un succès pour l’Afrique parce que c’est l’Afrique qui dont prendre à corps cette lutte commune contre la pauvreté par le développement du travail décent.

Quant à la Francophonie, c’est un domaine extrêmement important aujourd’hui et la vision que le Burkina entend donner est que nous devons avoir un sommet qui soit un moment de grande rupture positive, de mettre un point d’inflexion. Il y a eu des sommets thématiques de la Francophonie depuis Chaillot jusqu’à Beyrouth qui ont permis de cerner les différents contours, de définir le schéma institutionnel d’organisation de la Francophonie, de définir le contenu économique, de préciser les capacités de la Francophonie à œuvrer pour aller à la rencontre des civilisations et des cultures comme c’était le thème à Beyrouth. Nous pensons que le moment est venu de faire la synthèse de cette avancée positive de la Francophonie tant au plan institutionnel qu’au plan des différents secteurs.

"La Francophonie doit démontrer qu’elle est capable de cohésion, de solidarité".

Il y a des questions lancinantes aujourd’hui, surtout qu’au plan mondial : il y a eu le millénaire qui a été lancé pour le développement et qui définit un ensemble d’objectifs à l’horizon de 2025 pour lesquels l’Afrique demeure un continent où il y a des efforts énormes à faire, pour à la fois assurer un revenu minimum par citoyen et résoudre la question de l’éducation. Car il ne peut pas y avoir de développement véritable si on ne peut faire en sorte que toute la population soit éduquée, soit scolarisée.

Les questions lancinantes aujourd’hui, ce sont donc les questions qui touchent le développement durable et c’est la raison pour laquelle le président Compaoré a ici proposé que ce dixième sommet soit placé sous le thème important de la solidarité francophone dans le développement durable. Solidarité car, il est vrai qu’il y a deux grands mondes dans la Francophonie : il y a le pôle des pays du Nord très industrialisés, très développés et il y a le second pôle, numériquement plus important mais où le niveau de vie est plus faible, où le niveau de développement est plus faible, le niveau de scolarisation plus faible et où le niveau de pauvreté est très élevé.

Nous pensons que l’occasion est venue pour la Francophonie de démontrer qu’elle est capable de donner des signaux au monde, de sa capacité de cohésion, de solidarité mais aussi de donner des réponses aux grands problèmes du monde. Et ces réponses doivent porter sur les déficits de solidarité, les déficits d’engagement commun pour assurer un développement véritable à long terme, sur beaucoup de plans : l’éducation, l’égalité des sexes, la formation, la création d’emplois, le développement du secteur privé car l’Afrique aussi est le continent qui reçoit le moins d’investissements étrangers directs. Alors qu’aujourd’hui, avec toutes les réformes économiques qui ont été faites, il y a des avancées significatives du point de vue de l’environnement juridique, judiciaire, fiscal, qui constituent comme un arsenal incitatif à l’investissement.

Le Canada (avec ici
Mme Gagon-Tremblay du Québec)
soutient fermement le Burkina

Nous pensons que cela doit être corrigé et que la Francophonie peut apparaître comme le pôle ayant bien sûr le français en partage, mais pouvant aussi, à partir de cela, redonner un espoir au monde, du point de vue du dialogue, des concertations et sur comment sortir des conflits. Car il y a encore des difficultés en matière de paix et le continent reste encore assailli par d’énormes difficultés dues aux conflits qui perdurent ça et là sans l’éradication desquels il est difficile de s’organiser efficacement dans des ensembles sous-régionaux comme l’UEMOA, la CEDEAO ou même l’Union africaine au plan continental.

" La plupart des conflits proviennent de processus démocratiques mal menés, inachevés…"

Quand on sait que la plupart de ces conflits proviennent de processus démocratiques mal menés, inachevés, la Francophonie aujourd’hui doit apparaître comme la grande famille qui propose au monde l’alternative du dialogue : dialogue positif, dialogue des civilisations ; et aussi considérer que le respect des cultures sous l’angle de la diversité culturelle est l’un des moyens de redonner au monde un visage nouveau dans une mondialisation qui quelque part, se trouve en difficultés, une mondialisation qui n’a pas apporté toutes les réponses aux défis qui assaillent le monde, une mondialisation qui a besoin d’un peu plus d’humanisation.

D’un point de vue plus pratique, nous souhaitons que ce sommet soit une occasion, comme cela a déjà été programmé, d’avoir un plan stratégique très puissant, et c’est le cadre décennal qui va être adopté par les chefs d’Etat. Sur une décennie, la Francophonie va se donner une longue perspective où elle va dégager des axes centraux, sans faire du saupoudrage, mais en orientant ses actions vers des secteurs sur lesquels elle peut apporter beaucoup pour résoudre les questions structurelles de la pauvreté : notamment les questions de l’éducation, de la santé, de l’environnement, de l’hydraulique de base, des infrastructures qui permettent aux populations de travailler avec plus dignité.

Sur ce point, la question de la pénétration des marchés internationaux par nos produits, reviendra lors de ce sommet. Car il est évident que sur le coton par exemple où nous avons des gains de compétitivité certains et sur lequel nous sommes en perte de vitesse à cause des subventions des pays européens et américains, il faut un rééquilibrage, une redéfinition des règles qui doivent régenter le commerce international.

Je dois préciser que nous avons mis en place un grand comité national d’organisation qui travaille depuis presque une année maintenant sur beaucoup de domaines (infrastructures, transports, accueil) mais surtout sur le thème du sommet qui porte sur le développement durable et la solidarité. Nous avons aussi voulu que ce comité national que je préside puisse travailler de concert avec tous les partenaires de la Francophonie et d’abord les Etats membres. Nous avons considéré dès le départ que la réflexion sur le thème ne devait pas être faite uniquement par le pays organisateur mais plutôt par un mouvement convergent et participatif. Il y a ensuite les acteurs multilatéraux de la Francophonie : l’Organisation internationale de la Francophonie que dirige avec beaucoup de bonheur le président Abdou Diouf et l’Agence intergouvernementale de la Francophonie avec M. Roger Dehaybe.

Mais il y a aussi les autres acteurs car nous pensons que les parlementaires de la Francophonie, l’Agence universitaire de la Francophonie, les maires francophones, la presse francophone, les hommes d’affaires, tous ceux qui, en fait, se sont organisés par branche et par secteur dans la Francophonie depuis sa naissance, doivent travailler ensemble.

Avec tous ces partenaires, nous menons la réflexion de telle sorte qu’arrivés au sommet, et la déclaration de Ouagadougou, et le cadre décennal, et l’ensemble des éléments qui vont en ressortir, puissent rencontrer les préoccupations légitimes à la fois des Etats membres, des organisations partenaires et répondre aux grandes problématiques du monde. Car il ne faut pas oublier qu’après le sommet du millénaire à New York, il y a eu le sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg qui a repris à son compte la déclaration du millénaire sur le développement. Et nous voulons qu’il y ait une synergie parfaite entre toutes ces recherches et toutes les stratégies qui ont été proposées pour résorber les grands problèmes que nous rencontrons.

En résumé, nous préparons ce sommet avec beaucoup d’enthousiasme, avec la conviction que nos partenaires du Nord et du Sud nous soutiennent à la réflexion et à l’organisation matérielle, avec aussi la conviction que le peuple burkinabè est mobilisé pour accueillir de façon fraternelle les milliers de délégués qui vont venir des cinq continents et faire en sorte que ce soit un grand rendez-vous.

Et pour marquer ce souhait de révéler la capacité d’exprimer les identités culturelles et la nécessité d’avoir la diversité comme point focal de la Francophonie, nous avons voulu qu’il y ait un environnement spécial pour que les Etats membres puissent faire participer des troupes qui vont venir exprimer les cultures diverses. Et ce tableau arc-en-ciel traduit, non pas seulement un esprit de fête mais une volonté politique de faire en sorte que l’on s’accroche une fois pour toujours à l’idée que la mondialisation doit pouvoir aujourd’hui rimer avec respect de la différence, respect des cultures, des civilisations. Car, comme disait le président du Faso l’autre jour à Lyon à l’occasion de la réception de son doctorat honoris causa, il faut écraser les ignorances car ce sont elles qui créent les problèmes et il faut faire en sorte que le monde globalisé soit un monde de tolérance, d’acceptation de l’un et de l’autre.

Vous avez parlé de l’apport des partenaires à l’organisation de ces sommets et dans ce cadre, vous avez effectué plusieurs voyages ; quel est un peu le bilan des contacts que vous eus avec ces partenaires ?

Je dois dire que pour le moment, les contacts que nous avons eus sont porteurs, que ce soit au niveau de la France, du Canada, de la Belgique, de la Suisse, pour ne parler d’abord que de ces grands pays du Nord. Il y a un engouement et un soutien effectifs pour appuyer le Burkina. Mais il y a d’autres partenaires, qui aussi vont contribuer car le Burkina a la chance, je dois l’avouer, d’avoir des partenaires au développement qui considèrent que ces activités que nous organisons ne sont pas des grandes rencontres uniquement pour faire de la foule mais sont des moments de questionnement, des moments où les chefs d’Etat, en tant que hauts dirigeants des pays, vont réfléchir sur l’avenir de la communauté francophone et africaine, et forcément sur l’avenir du monde et que faire réussir ces rencontres, c’est à la fois permettre à l’Afrique, au monde francophone, et partant au monde tout court, de faire des avancés positives. C’est dans ce sens-là qu’il y a des partenaires qui ne font pas partie de la communauté francophone ou africaine et qui nous apportent des soutiens et nous les apprécions fortement.

Vous avez visité notamment la Belgique, les Pays Bas et même l’Iran dans la perspective de ces sommets…

Absolument. Je ne veux pas entrer dans les détails mais je dois dire que l’Iran est un grand partenaire du Burkina Faso car nous avons une coopération qui est en train de se développer de nouveau et nous pensons que la contribution que l’Iran nous a apportée dans le domaine du matériel roulant est très importante. La Belgique va beaucoup aider pour le réaménagement de l’aéroport de Ouagadougou pour permettre un accueil plus fluide.

La France, vous le savez, a déjà donné une très grande contribution qui va permettre de développer un centre polyvalent pour la presse et aussi de s’occuper d’autres choses comme la sécurité et l’accueil. Le Canada a apporté une très grande contribution qui permettra d’assurer l’organisation en matière de sécurité, de santé, d’organisation systémique et analytique de la conférence en terme de gestion informatisée. La Suisse aussi a apporté un concours appréciable. Sans entrer dans les détails, je dois considérer qu’il y a un soutien véritablement important des partenaires.

Et tout cela s’ajoute à ce que le Burkina fait. Car notre pays a aménagé une grande contribution dans les budgets de 2003 et de 2004 pour permettre au Comité d’organisation de travailler et de mettre en place certaines infrastructures d’accueil. Il faut ici signaler le grand hôtel que nous sommes en train de finaliser ainsi que des villas de haut standing pour nos hôtes. Et tout cela, c’est le travail du Burkina et de ses partenaires au développement.

Est-ce que le Burkina a vraiment les moyens organisationnels pour accueillir en un si court espace de temps deux grandes rencontres de cette envergure ?

Du point de vue de l’organisation et de l’expérience, toute modestie gardée, je peux affirmer que l’expertise que le Burkina a acquise en matière de préparation de grandes rencontres internationales, permet de pouvoir gérer ces deux événements sans grandes difficultés. Nous avons organisé des manifestations très importantes comme le sommet de l’OUA, la CAN, le sommet France-Afrique. Bien sûr, chaque réunion, dans un monde évolutif comme celui auquel nous faisons face a sa spécificité, et il ne faut pas dormir sur ses lauriers. C’est pourquoi, nous devons toujours continuer d’innover, de rechercher la perfection, de faire en sorte que cet accueil, cette fraternité légendaires des Burkinabé puissent être vérifiés chaque fois un peu plus.

C’est cela la tâche que nous essayons de remplir et je voudrais saluer à cette occasion, l’ensemble des acteurs qui, à travers le monde entier, à quelque niveau que ce soit, oeuvrent directement ou indirectement, publiquement ou discrètement pour que ces sommets puissent avoir lieu. Et c’est à l’honneur de l’Afrique car ces deux sommets, qu’il s’agisse de celui sur le travail et la lutte contre la pauvreté ou de celui de la Francophonie sur le développement durable, concernent de plain-pied l’Afrique.

Interview réalisée par Cyriaque Paré

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