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Amely-James Koh Bela : « Je veux former une chaîne pour protéger les enfants d’Afrique »

Publié le mardi 2 octobre 2007 à 08h14min

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Amely-James Koy Bela

Dans un premier livre publié en 2004, Amely-James Koh Bela avait révélé la face cachée de la prostitution africaine en Occident. Grâce à elle, on a ainsi appris que contrairement à leurs collègues européennes, les prostituées africaines s’adonnent à des pratiques barbares qui s’appellent scatologie, ondinisme, coprophagie, zoophilie... Que s’est-il passé depuis lors ?

La situation s’est-elle améliorée ou empirée depuis trois ans ? Et dans quelle proportion ? Son nouveau livre est surtout un recueil de témoignages de prostituées dont certaines sont entre-temps décédées. Amely-James Koh Bela a engagé un combat sans concession contre « ce marché de la honte », en dépit des menaces dont elle est l’objet.

En 2004, vous aviez publié un livre qui a permis au grand public de connaître les multiples facettes de la prostitution africaine en Europe. Quelle est la situation de ce fléau aujourd’hui ?

Pour être franche avec vous, les choses se sont empirées. Certes, il est difficile d’avoir des statistiques fiables sur les entrées des filles en Europe destinées à la prostitution, car on ne comptabilise que les filles arrêtées qui passent par les filières connues, mais celles qui passent par des chemins encore inconnus échappent à la statistique. Les chiffres que l’on obtient sont donc sous-évalués et ne reflètent pas du tout la réalité. L’office international des migrations chiffre à 150 000 le nombre de filles qui entrent par an dans l’espace Schengen, et en France, on estime que la proportion de prostituées africaines est passé de 7% en 2000 à 40% en 2005, soit à peu près 25 000 prostituées. Ces chiffres sont du ministère français de l’Intérieur et nous attendons les chiffres de 2006 qui devraient sans doute confirmer le fait que les prostituées Européennes sont actuellement minoritaires en France.

Votre combat tarde donc à porter ses fruits...

Je suis obligée hélas, de le reconnaître, le combat est difficile mais je ne désarme pas et par rapport au passé, j’ai changé de stratégie dans ma façon de lutter contre ce fléau. Avant, je faisais de l’investigation et la dénonciation, maintenant je suis dans la recherche de solutions. Dans le nouveau livre, je m’exprime très peu, la parole est laissée en priorité aux victimes, prostituées comme proxénètes, en majorité des femmes car ces dernières sont aussi des victimes. Certaines ont subi des violences dans leur enfance, victimes d’inceste et de viols commis par des membres de leur famille (père, oncle, cousin...). En fait, elles reproduisent sur d’autres ce qu’elles ont vécu et considèrent cela comme quelque chose de normal. Au Cameroun, il se passe des choses terribles, des filles m’ont avoué avoir été violées par leurs parents sans que leurs mères ne protestent. Une fille m’a dit : « Si je suis violée par mon père, pourquoi refuser de coucher avec un inconnu qui, en plus paye ? ». Dans certaines régions du Togo, le père s’offre la virginité de sa fille avant de la marier mais personne n’en parle pour, paraît-il, ne pas ternir l’image de la famille !

Après avoir tiré les leçons du chemin déjà parcouru, mes camarades et moi avons décidé de combattre le mal par la racine. En France, nous nous sommes heurtés à la puissance de l’argent et à la complicité de certaines administrations. Les menaces sur ma personne ont été très fortes et nous avons constaté que ceux qui doivent lutter contre la prostitution sont malheureusement en même temps des consommateurs. Exactement comme la drogue !

Nous avons donc décidé de mener le combat prioritairement dans les pays d’origine car nous estimons qu’il est plus facile d’empêcher une fille de partir que de la sortir du réseau de la prostitution en Europe. Nous allons dans les pays d’Afrique pour apporter l’information à ceux et celles qui se jettent dans les bras de soi-disant bienfaiteurs, ces fameux tontons et tanties installés en Europe et qui vont les flatter avec des fausses promesses de travail. Il ne s’agit pas de faire la morale à qui que ce soit, mais dire la vérité sur la réalité de la prostitution en Europe qui n’a rien à voir avec les pratiques en Afrique.

Votre message est-il bien reçu en Afrique ?

Absolument, et c’est un réel motif de satisfaction et d’espoir. Au Cameroun où nous nous sommes rendus, le message a été très bien reçu et des jeunes se sont spontanément organisés en associations pour mener des campagnes de sensibilisation dans plusieurs villes, notamment Yaoundé, Douala, Bafoussam...Nous avons eu des discussions avec des lycéens et des associations de femmes qui ont été largement relayées dans la presse. Des personnalités politiques nous ont rencontrés, mais ont pris soin de préciser qu’elles assistaient aux rencontres en tant que père ou mère, pas en tant qu’hommes politiques. Elles doivent avoir de bonnes raisons d’apporter une telle clarification !

Au bénin, et Togo également où nous sommes allés en mars dernier, les discussions avec les jeunes et les femmes ont été intéressantes. L’association Mayina lancée en juillet dernier que je préside et qui veut dire « je veux que » en langue boulou, une langue parlée dans le sud du Cameroun, a introduit une approche ethno-culturelle dans les campagnes de sensibilisation. Il s’agit de comprendre le rôle des chefs de village, des marabouts et des religieux dans la perpétuation de certaines traditions en Afrique. Souvent ce sont eux qui installent et véhiculent des fausses croyances et qui empêchent les filles de dénoncer les pratiques dégradantes dont elles sont victimes. Si de nombreuses filles se prostituent, c’est parce qu’elles sont parfois l’aînée de la famille, et doit par conséquent s’occuper des autres.

Il faut donc aller chercher là où il est de sorte que leur vie devient secondaire par rapport à celles de leur père, mère, frères et sœurs. Nous savons maintenant le type de message à diffuser en tenant compte du public visé, et les obstacles à lever pour que le combat contre le proxénétisme et la prostitution reculent. Le travail de Mayina vise à consolider le socle identitaire de l’Africain en répondant aux questions suivantes : Qui est-il, d’où vient-il et quelles valeurs porte t-il ?

Les parents qui confient leurs filles à la « tantie » ou au « tonton » savent-ils vraiment ce qu’elles deviennent une fois en Europe ?

Pas toujours ! J’ai rencontré des mères qui ont donné leurs filles à épouser à des Français via Internet et qui ont reçu des coup de fil quelques mois plus tard pour s’entendre dire que leurs filles étaient mortes. Les recherches auprès de l’ambassade de France au Cameroun pour retrouver les traces de ces faux époux ont été sans succès. Une jeune homme nous a déclaré qu’en lisant nous nos publications sur Internet, il a découvert que sa grande sœur était en réalité une trafiquante de filles. De même, un monsieur nous a expliqué, abattu, que sa femme a été enlevée par sa belle famille et envoyée en Italie pour des motifs qu’il dit ignorer.

Mais certaines savent ce que font leurs filles en Europe et m’en veulent d’en parler et de perturber leur « business ! ». Elles ne comprennent pas pourquoi je dénonce cette pratique et disent de laisser leurs filles tranquilles se débrouiller. On m’accuse de faire un travail de Blanc, de trahir l’Afrique et de ne pas comprendre que derrière une mineure prostituée, il y a des familles entières qui en vivent grâce à l’argent récolté. J’ai reçu des insultes de toutes sortes mais quand une mère me confie soulagée qu’elle « connaît enfin la vérité sur cette route où on prend l’argent sur les arbres », je prends ça comme un compliment et un encouragement à continuer le combat

Vous agacez certaines prostituées aussi...

C’est vrai, même si elles ne sont pas nombreuses. Elles ne décolèrent pas contre nous surtout quand nous évoquons la pratique de la zoophilie car elles ne veulent pas que leurs parents connaissent ces détails. L’idée que leurs sachent qu’elles couchent avec des animaux est pour elles un grand déshonneur et cela peut leur donner des envies de suicide

Les complicités des ambassades occidentales que vous dénonciez en 2004 existent-elles encore ?

Malheureusement oui ! Il y a quelques semaines, on a arrêté un fonctionnaire à la préfecture de Paris qui travaillait avec proxénètes en facilitant l’obtention de papiers pour des prostituées, mais je n’en fais plus une préoccupation aujourd’hui. J’ai dénoncez cette complicité dans le passé juste pour dire aux ambassades occidentales que nous savons ce qui s’y passent dans leurs locaux et que nous ne sommes pas dupes. Car, soyons sérieux : comment une femme qui fait le ménage, vit d’allocations dans un HLM peut-elle obtenir en une année 15 visas d’entrée sur le sol français ? Il faut arrêter ce cirque !

Nous savons comment les connexions avec les proxénètes fonctionnent mais notre souci actuelle de protéger les gamines grâce aux campagnes d’informations que nous menons en Afrique. Ce que nous souhaitons, c’est mobiliser toutes les bonnes volontés, les premières dames, les artistes, les footballeurs et les leaders d’opinion pour constituer une chaîne qui protégera les enfants d’Afrique. L’Europe protège ses enfants grâce à un système d’alerte assez sophistiqué qui permet à des cybergendarmes de surveiller les sites pédophiles. Celui qui va sur un site pédophile est repéré au bout de 10 mn de connexion et arrêté par les gendarmes. En fait, les clients pédophiles sont essentiellement des Occidentaux prêts à débourser de fortes sommes pour abuser d’un enfant.

Bientôt, nous allons entreprendre une autre tournée au Mali, au Sénégal, au Burkina et au Ghana pour apporter l’information sur la réalité du trafic des enfants qui occupe aujourd’hui le 3e rang derrière la drogue et les armes.
Toutefois, il faut reconnaître que la sensibilisation ne suffit à dissuader les gens de tenter l’aventure avec tous les risques possibles. Pour cette raison, Mayina va aider les jeunes tentés par l’émigration à monter et financer des projets chez eux qui leurs permettront de vivre dignement. Le continent ne doit pas se vider de ses bras valides.

Quels sont les principaux pays fournisseurs de prostituées en Europe ?

Les gros pourvoyeurs sont le Cameroun, le Nigeria, les deux Congo, la Sierra Leone, le Liberia, la Côte d’Ivoire et le Ghana. Les Sénégalaises ont fait leur apparition depuis quelque temps et, paraît-il sont très demandées. Les Ivoiriennes sont connues à travers le Mapouka, une danse traditionnelle sacrée qu’elles ont travestie dans une version pornographique. On trouve même des DVD « spécial pays » avec le drapeau national qui permet de distinguer les « spécialités de chaque pays ! ». Quant aux filles d’Afrique du nord, on les trouve surtout dans les monarchies arabes : Koweït, Qatar, Emirats-arabes Unis, mais en France, des Marocaines sont présentes sur le marché de la prostitution, particulièrement dans le Sud.

Propos recueillis par Joachim Vokouma
Lefaso.net

Amely-James Koh Bela, Mon combat contre la prostitution,
Jean-Clause Gawsewitch Editeur, Paris 2007, 218 pages,
18,90 euros

Le site web d’Amely-James Koh Bela :www.amelyjames.info

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Vos commentaires

  • Le 3 octobre 2007 à 00:04, par kanzim En réponse à : > Amely-James Koh Bela : « Je veux former une chaîne pour protéger les enfants d’Afrique »

    Il existe malheureusement des mères ou des pères de jeunes filles qui ne jurent et ne souhatent que leur progénitures ne se marient qu’à des blancs. Deux raisons expliquent cette situation : les mères de ces jeunes filles pensent qu’en se mariant à un blanc, leurs filles éviteraient l’irruption de la belle famille dans dans leurs foyers. Quant aux pères de ces pauvres filles, ils sont mûs par des raisons pécuniaires : ils pensent qu’un beau fils blanc est plus riche et généreux qu’un beau fils noir. Ces cas malheureux de parents situés à mi chemin entre le savoir et l’ignorance, sont préjudiciables aux filles : soit qu’elles vieillissent sans trouver de mari, soit qu’elles se marient à des loups blancs. Quant à la référence aux leaders africains comme les sportifs, je recommande à Amely Bela de faire attention à leur choix pace que tous ne sont pas prêts à défendre la jeunesse : la preuve, Basile Boly, cet ancien foot balleur qui inspire tant de jeunes, vend son image à ytravers des média un tantinet cupides comme la Télévision Nationale du Burkina, à la marque d’une bière, ce poison assassin des jeunes en Afrique : pire, il exploite l’admiration qu’ont de lui les jeunes, pour utiliser leur image, leur candeur, leur fraîcheur et leur énergie, dans la promotion de cette bière. Si l’argent est le motif de la complicité de certains talents d’Afrique avec les assassins de jeunes africains comme les fabriquants et vendeurs d’alcool et de drogue aux jeunes, il y a des raisons de croire que peu d’entre eux ne s’infiltreront pas dans le monde de la prostitution, si "il y a l’argent dedans".

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