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Le drame africain de l’émigration clandestine ou la marche du désespoir : paroles d’un témoin

Publié le samedi 10 février 2007 à 07h59min

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David Soubeiga

Il y a nécessité que je précise d’entrée, ma position de témoin. Je n’ai pas suivi les « clandestins » (c’est ainsi que l’on désigne les candidats à l’émigration clandestine), dans leur longue et douloureuse traversée du désert.

Je n’ai pas vécu avec eux dans les forêts aux abords de Mélilia l’enclave espagnole à l’intérieur du Maroc. J’ai néanmoins passé quatre années de mon parcours universitaire à Oujda, une ville marocaine donnant sur l’Algérie. Ce n’est pas un secret, cette ville frontalière est l’un des principaux couloirs de l’émigration clandestine.

En hiver, en été, au printemps et en automne, j’ai vu se succéder sans répit, des vagues de centaines de clandestins de diverses nationalités africaines, soit arrivant « fraîchement » du désert ou soit précédemment refoulés aux frontières algériennes. Il y avait parmi eux, des enfants des filles, des femmes enceintes. Je ne décrirai pas leur état physique pour ne par heurter les âmes sensibles.

J’ai vu certaines de ces filles accoucher dans des conditions écoeurantes, voire sans aucune assistance, et trouver refuge avec leurs nouveaux nés dans l’enceinte de l’église catholique de la ville, auprès d’un vieux Père français, extrêmement humaniste. J’ai visité à l’hôpital de la ville d’autres clandestins qui avaient eu l’occasion d’y soigner les blessures physiques de leurs mésaventures. J’ai participé à l’enterrement de quelques uns de ceux dont les meurtrissures ont été fatales. Oui j’ai côtoyé à ma façon la misère humaine, une partie infime certes mais difficile à contenir.

Comment et pourquoi en est-on arrivé là ? « Ils vont chercher l’argent en Europe ! », lancerait-on à première vue. Mais quand on a beaucoup écouté les victimes, on se rend compte que les raisons qui les poussent à risquer autant leur vie, donnent à réfléchir autrement, et la détermination qui les anime, vous laisse sans voix.

Naturellement les ressortissants des pays en guerre fuient la mort. L’instinct de survie peut effectivement pousser l’homme à affronter les situations les plus atroces si la préservation de sa vie en dépend. Une des femmes ayant trouvé refuge à l’église après son accouchement était une libérienne qui revoyait encore les images les plus affreuses de sa vie, sa famille entière enfermée dans une case et brûlée vive pendant la guerre.

Il est évident, malheureusement, que ce n’est qu’un cas parmi des milliers voire des millions d’autres quand on sait que de la Somalie en Côte d’Ivoire en passant par le Soudan, le Tchad, la R.D.Congo, la Centrafrique etc, l’Afrique est minée par des guerres meurtrières, et fuir devient pour de nombreuses populations livrées à elles-mêmes, l’unique moyen offrant encore une probabilité de survie.

Mais ce qui semble pour le moins ahurissant, c’est d’entendre ceux venant des pays relativement pacifiques et stables comme le Mali, le Sénégal... attester que partir était pour eux aussi, le seul et l’unique moyen d’échapper à la mort ! L’Afrique serait-elle devenue cet ogre ou ce montre qui dévore ses enfants dès qu’il les a accouchés ? Ce ne sont certainement pas des condamnés à la peine capitale, évadés de prisons et fuyant leur sentence. Ce n’est donc pas la mort physique qu’ils fuient, mais la tragédie à laquelle ils tentent d’échapper est loin d’être moins douloureuse.

En effet :
l’Afrique les tue parce qu’il n’y ont trouvé aucune possibilité de faire valoir leurs talents et de vivre de leurs compétences ;
l’Afrique les ronge parce toutes les portes d’espoir se sont fermées devant eux ;
l’Afrique les torture parce qu’ils voient une toute petite partie de la population s’accaparer de tout, en ne leur laissant que la poussière et le soleil cuisant !
l’Afrique les étrangle parce que la misère est le seul héritage qu’ils pourront léguer à leur progéniture.

L’Afrique pour eux c’est l’enfer sur terre parce que chaque jour qui se lève accroît leur désespoir et les conduit à une mort certaine, lente, et atroce, car aucune perspective d’une vie digne ne leur est permise, pas même dans l’avenir le plus lointain. Je revoie encore ce ressortissant d’un pays côtier exprimant ainsi sa profonde indignation : « vous dites que chez-moi il y a la mer, il y a la mer,... pensez-vous que je vais balayer la mer pour gagner de quoi vivre !? »

Il faut donc fuir pour survivre, et presque tous n’ont qu’une direction et un sens unique : l’Europe. Oui, quand la misère et les affres des guerres rongent jusqu’au os, les images paradisiaques du Vieux Monde que font miroiter les médias à tord ou raison deviennent sacrées. Et conformément à l’entendement du philosophe et ancien ministre français Luc FERRY, « le sacré, c’est ce pour quoi ou (celui pour qui) l’on est prêt à sacrifier sa vie ».

L’espoir d’une vie digne que représente l’Europe est infiniment sacré à leurs yeux et mérite donc tous les sacrifices suprêmes. « Tout ce que je veux, c’est regagner Agadir, m’embarquer pour les Iles Canaris, entrer en Europe ou mourir ! ». Ainsi martelait sa détermination, même devant les caméras, un rescapé d’un naufrage d’une embarcation de clandestins dans l’Océan Atlantique. Et si la Bible enseigne qu’il vaut mieux entrer borgne ou estropié au Paradis que d’aller en enfer avec ses deux yeux ou ses deux pieds, pour lui la messe est dite : il vaut mieux entrer même mort dans le paradis Européen que de rester vivant dans l’enfer de l’Afrique !

Face à cette détermination aveugle, les drames quasi quotidiens de l’émigration clandestine passent ainsi pour une égratignure qui ne peut altérer la conviction des candidats. D’ailleurs vous poserez la question à certains : « N’avez-vous pas peur de mourir ? » Ils vous répondront : « Nous étions cinquante quand nous entamions la traversée du désert (du Sahara) à pieds, nous sommes vingt à arriver au Maroc (ou en Algérie), on a vu des frères mourir de soif, on les a enterrés sous le sable du désert. Nous avons déjà affronté la mort, c’est plutôt elle qui peur de nous maintenant ! »

Si donc le risque d’y laisser sa peau ne les ébranle pas, ce ne sera certainement pas la politique d’immigration choisie du ministre français de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, qui pourra renverser la vapeur. D’ailleurs on sait qu’il ne viendra jamais se placer au milieu du Sahara pour choisir celui qui traversera ou ne traversera pas le désert qui s’étend de la Mauritanie au Soudan. Il ne sillonnera pas non plus le long des côtes africaines pour décider de celui qui embarquera ou qui n’embarquera pas pour les Iles Canaris ou la Sicile. Cette Loi du ministre français est peut-être une solution pour la France et non celle de l’émigration clandestine. Par conséquent, ce drame africain du XXIème siècle reste entier.

Où se situent les responsabilités ? Comment arrêter cette « hémorragie » douloureuse ?
Durant toute l’histoire contemporaine du continent noir, les Africains ont pris l’habitude, à tord ou à raison, de faire porter à d’autres, les responsabilités de leurs maux. On a imputé le sous-développement à l’esclavage et à la colonisation qui ont occasionné le pillage des ressources humaines et naturelles ; on a attribué beaucoup de difficultés économiques et sociales actuelles du continent à la pandémie du VIH/Sida, qui décime les forces vives. Sur qui jeter la responsabilité de l’émigration clandestine ?

Une chose est certaine : si l’Afrique berceau de l’Humanité était aussi le berceau de la paix et si l’espoir d’une vie digne y était permis à tous sans exception, alors aucun de ses enfants n’irait s’épuiser dans le sable brûlant du désert ou se noyer dans des embarcations de fortune pour l’Europe ou encore se déchirer sur les barbelés qui clôturent l’enclave espagnole de Mélilia. Et pourtant l’Afrique a tous les moyens d’être un eldorado et certaines études économiques sont formelles à ce sujet. Elles montrent en effet que si toutes les surfaces cultivables, très fertiles, de la R. D. Congo, un pays qui s’étend sur plus de 2 millions de Km2, étaient exploitées avec les moyens matériels agricoles nécessaires, alors les rendements à l’hectare seraient tels que les récoltes obtenues pourraient nourrir la quasi-totalité de la population africaine !

Dieu seul sait si à l’heure actuelle, les Congolais eux seuls, mangent tous à leur faim. Elles vérifient aussi que si l’on rapatrie seulement la moitié de tous les avoirs à l’extérieur des Africains, (lesquels avoirs proviennent souvent des détournements ou d’autres sources obscures et vont gonfler les coffres forts des banques européennes et américaines), et s’ils se transformaient en investissements productifs sur le continent, alors l’Afrique gagnerait 25 années de développement dans un intervalle de 12 mois !

En attendant, nous nous enlisons, d’Est en Ouest, dans des conflits fratricides et nous organisons nous-même le pillage de nos ressources de telle sorte que les atrocités des guerres et la misère poussent de nombreuses populations à une émigration clandestine qui s’apparente à une marche suicidaire du désespoir au bûcher !

De surcroît, et comme pour montrer que la prise de conscience de ceux qui ont en leurs mains le destin des peuples, n’est pas pour demain, nous manquons aux grands rendez-vous pour une vraie union et une réelle intégration africaine, à la grande déception du Président de la Commission de l’Union africaine, Alpha Omar Konaré, qui s’apprêterait à jeter l’éponge. Serions-nous alors nous-même nos propres bourreaux ? Faut-il donner définitivement raison à Alpha Blondy quand il chante que « les ennemis de l’Afrique ce sont les Africains ? » Non, mais à la seule condition de se réveiller immédiatement et prendre le taureau par les cornes dès maintenant.

David SOUBEIGA,
Etudiant en Cycle du DESS Finance - Banque
Université Mohamed -V-Faculté de Droit

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Vos commentaires

  • Le 10 février 2007 à 09:36 En réponse à : > Le drame africain de l’émigration clandestine ou la marche du désespoir : paroles d’un témoin

    Bien vu. Du courage à Rabat

    • Le 10 février 2007 à 15:10, par kenleche En réponse à : > Le drame africain de l’émigration clandestine ou la marche du désespoir : paroles d’un témoin

      Comme quoi tout le monde n a pas les yeux bouches oh !!!!!!.Esperons une prise de conscience de nos dirigeants mais surtout des populations qui ont mis les dirigeants la ou ils sont ou bien encore pire ferment les yeux sur leurs agissements criminels vis a vis du continent.Si l’on pouvait avoir un millieme du sentiment de sacrifice et de la vision d ’avenir qu’ont les Japonais peut-etre que.........

      • Le 11 février 2007 à 15:14, par keylan ,etudiant burkinabé a rabat En réponse à : > Le drame africain de l’émigration clandestine ou la marche du désespoir : paroles d’un témoin

        je remercie d’abord Monsieur Soubeiga pour son message ,
        Ici à rabat également il ne se passe pas un jour ou je ne vois pas nos jeunes frères debarquer dans cette ville ,dans l’intention bien sur d’arriver en europe un jour.Ils arrivent ici très épuisés malade et tout ce que vous pouvez imaginer.Mais j ai pas besoin de decrire leur situation encore car mon camarade la deja fait.ce que je veux dire ici ,c’est de supplier nos dirigeants afin qu’ils changent de politique.Il est temps qu’ils sachent que le temps des dictatures tire vers la fin.Je n ai vu aucun chef d etat africain qui aime vraiment son pays.regardons ce qui se passe en guinée actuellement.Nos dirigeants s’accrochent aux pouvoir comme les poux sur la tete et ne veulent jamais ceder meme si cela peut engendrer la paix.C’est vraiment domage .Ils savent bien ce dont l afrique à besoin car ils sont instruis et donc je leur demande d agir .Il faut instorer la vraie democratie dans nos ^pays et le reste viendra je suis sur .Et aussi c’est vraiment domage de voir certains de nos dirigeants encourager l’immigration.
        Ils est temps de se remettre en cause et d’arreter de dire que l ’europe nous a piller.Il reste encore des richesses dans notre continent et nous devons l’utiliser maintenant.
        Les jeunes africains veulent travailler ,donnons leur la chance.il ya des priorités et tant que nos chefs d etat n agissent pas l afrique restera toujours derrière.
        c’est ce que j avais comme contribution pour permettre a notre continent de reprendre sa place .
        Rappelons que l Afrique est le continent le plus riche en minerais et donc il nous faut des dirrigeants qui aiment leur pays .
        je vous remercie.
        j espère que les futurs president changeront la donne car avec les actuelles ,je demeurs pessimiste.

  • Le 10 février 2007 à 09:47, par injuried time En réponse à : > Le drame africain de l’émigration clandestine ou la marche du désespoir : paroles d’un témoin

    Poignant témoignage ! L’avenir radieux de l’afrique passe par la prise de conscience de nos dirigeants politiques ; qui malheureusement n’échafaude aucune politique stratégique et sont plutot préoccupés par un nombrilisme.

    Il faudra des David Soubéiga à la tête de nos ministères, de nos états pour que l’afrique prenne réellement un envol. Gardez toujours cette même mentalité "estudiantine" (comme diraient certains) et ne vous laissez pas griser par le pouvoir le jour où vous l’exercerez. Ceci est aussi à l’intention de toutes nos valeureuses matières grises.
    Bon vent M. Soubéiga.

  • Le 12 février 2007 à 07:58, par ti En réponse à : > Le drame africain de l’émigration clandestine ou la marche du désespoir : paroles d’un témoin

    merci d’apporter des preuvres concretes, et palpables que l’afrique a toujours a brillant avenir devant lui a condition que les jeunes afriacains continuent a plus s’eduquer et a poser des actes concrets pour un changement. j’avoue que la plupart des informations citees dans cet article m’etaient totalement inconnues jusqu’a lors. continuer d’informer et de sensibiliser la jeunesse afraicaine. Ca prendra le temps qu’il faut mais un jour notre tour viendra, nous finirons bien par briller un jour.

  • Le 14 février 2007 à 17:40 En réponse à : > Le drame africain de l’émigration clandestine ou la marche du désespoir : paroles d’un témoin

    je m’adresse plutôt à l’équipe de rédaction de me communiquer le contact de David Soubeiga.
    Le mien est richard.wend@yahoo.fr

  • Le 13 avril 2007 à 00:20 En réponse à : > Le drame africain de l’émigration clandestine ou la marche du désespoir : paroles d’un témoin

    Article bien ecrit, le combat commence par le debat et la prise en conscience. Reclamons à nos dirigéants des compte-rendus. personne ne viendra le faire à notre place. Ce sont eux qui envoie la jeunesse africaine se prostituer.

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