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Affrontements à Ouoronkuy et mine d’or de Poura : Les mauvais souvenirs du gouverneur Bénon

Publié le lundi 13 novembre 2006 à 07h12min

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T. Pascal Bénon

Considérée comme le grenier du Burkina, la région de la Boucle du Mouhoun qui dispose d’énormes potentialités pondérées, éprouve paradoxalement des difficultés à trouver ses marques.

Après deux années passées à la tête de cette région la plus grande du pays géographiquement parlant, le gouverneur Témai Pascal Bénon a accepté nous accorder un entretien à bâtons rompus. Des affrontements à la frontière du Burkina, aux entraves de décollage effectif de la région, en passant par l’éboulement de la mine d’or de Poura, et les inquiétudes des producteurs par rapport à la gestion des stocks des productions agricoles, tels sont, entre autres, les sujets traités dans cet entretien exclusif.

"Le Pays" : Dans quel état d’esprit les populations de Ouoronkuy récoltent-elles leurs productions agricoles ?

Témai Pascal Bénon : La situation est actuellement sereine. Les événements malheureux que nous avons enregistrés entre les populations vivant de part et d’autre de la frontière entre le Burkina et le Mali et qui sont unies par des liens de parenté et sont condamnées à vivre ensemble ont effectivement failli compromettre quelque peu la paix. La situation a été réglée au niveau des deux pays, notamment au niveau des gouverneurs de région, des hauts-commissaires, des préfets et des sous-préfets.

Nous avons tenu plusieurs rencontres. Nous nous sommes entretenu avec les populations vivant le long de la frontière, toute chose qui a permis de stabiliser la situation. Vous savez que ces genres de conflits surviennent à l’approche de la campagne agricole. Dès lors que les populations se cantonnent dans leurs champs et que la saison est bien lancée, elles se concentrent sur leur travail. Pour l’instant la situation est calme.

Est-ce que cette situation de stabilité n’est pas de façade quand on sait que des rumeurs avaient fait état d’une éventuelle reprise des hostilités et que des armes auraient été envoyées à Wannia par un de ses fils résidant à l’étranger...

Nous avons vérifié ces informations lorsqu’elles nous sont parvenues. Ce sont vraiment des rumeurs, mais dans un tel contexte, il ne faut jamais négliger l’information surtout quand elle devient persistante. Le dispositif de sécurité que nous avions mis en place qui faisait la ronde auprès des populations le long de la frontière a été levé par la suite. C’est lorsque ce dispositif a été levé que cette rumeur est apparue.

Nous avons immédiatement pris contact avec nos collègues maliens et il s’est avéré qu’il n’en était rien du tout, mais par mesure de précaution, nous pensons actuellement qu’il faut remettre le dispositif en place pour rassurer les populations. Parce que dès que les éléments de sécurité ont quitté le village, il y a eu la peur de l’inconnu, la peur de n’être pas protégé, et la psychose s’est emparée des populations.

Les populations peuvent donc dormir en toute quiétude...

Absolument. Les populations peuvent vaquer librement à leurs occupations en toute quiétude.

Quelle est la situation qui prévaut à Poura deux mois après le drame survenu à la mine d’or ?

La situation de Poura est compliquée parce que actuellement les gens continuent à exploiter la mine.

La décision de la fermeture n’a donc pas été prise au sérieux ou qu’est-ce qui explique cet entêtement ?

En réalité la mine est fermée en droit. Seulement, une fermeture doit avoir des mesures pratiques pour sa mise en oeuvre. Il se trouve que la société de gardiennage commise à cette tâche n’arrive pas à le faire. Nous avons appris que le personnel n’était pas payé depuis 26 mois, ce qui fait que ça pose un véritable problème. Au niveau du ministère des Mines et des Carrières, il y a des dispositions qui sont en train d’être prises avec le ministère de la Sécurité pour rendre effectivement fermée cette mine surtout dans sa partie dangereuse, notamment là où il y a des galeries.

Certaines populations de votre région ont été frappées par un sinistre suite aux inondations dans la dernière décade du mois d’août et celle de la 1re du mois de septembre. Comment cette situation a été gérée et comment comptez-vous leur assurer une sécurité alimentaire de taille ?

C’est pratiquement chaque année que cette situation se présente en réalité. Gnassoumadougou est pratiquement dans un bas-fond et chaque année il y a des inondations, mais elles n’avaient pas atteint l’envergure que nous avons connue cette année. Des milliers d’hectares de cultures ont totalement été inondés, des animaux emportés, la route coupée. On a vraiment échappé au pire parce qu’il y avait des risques de maladies infectieuses. C’est vous dire que la situation était très difficile.

La crue s’est déversée dans un autre village, Kelworo. Nous avons transmis notre rapport à qui de droit et nous avons suggéré le réaménagement de la voie et la construction des ouvrages pour l’évacuation des eaux. Il faut aussi reconnaître que Gnassoumadougou, quel que soit ce que l’on fera, tant que les populations ne quitteront pas ce site, connaîtra les mêmes problèmes. Mais comme vous le savez, au village, les gens sont toujours accrochés à leurs traditions, c’est vraiment difficile.

Qu’à cela ne tienne, nous allons continuer la sensibilisation sur une éventuelle délocalisation de ce village. L’intervention du CONASUR a été très importante, il y a la Caisse régionale de Sécurité sociale et certains élus, qui ont contribué pour consoler les populations. Ce qui est certain c’est que les récoltes dans cette partie de la région sont compromises. Si les populations acceptent de se déplacer, il y a nécessairement des interventions sous plusieurs formes que peut mener le ministère de l’Action sociale.

Quelles sont les entraves au décollage effectif de la région de la Boucle du Mouhoun qui dispose d’un potentiel pondéré ?

La région a beaucoup de potentialités. Que ça soit sur le plan agricole ou celui des ressources animales ou environnementales. La vallée du Sourou à elle seule a plus de 30 000 hectares aménageables. Il y a aussi le coton ; nous sommes en seconde position en production derrière les Hauts-Bassins. La région ne décolle pas ou a des difficultés de décollage pour plusieurs raisons. D’abord sur le plan des infrastructures. La route c’est le développement ; malheureusement, nous avons des grandes contraintes sur ce plan-là.

Le sac de 100 kg de maïs que vous pouvez acheter à Lolonou à 3 000 F CFA, vous le retrouvez à Dédougou à 10 000 F CFA en bonne saison et à Koudougou à 15 000 francs, il arrive à Ouagadougou à 17 500 F CFA ou 20 000 francs. Celui qui va à Lolonou met son camion en danger parce qu’il a de véritables problèmes pour accéder au site et pour traverser toute cette zone. Vous conviendrez avec moi que la contrainte majeure dans la région de la Boucle du Mouhoun ce sont les infrastructures routières. Il faut que les routes soient carrossables, il faut un changement de mentalité au niveau des populations, ça c’est un travail de longue haleine parce que cela est dû à l’analphabétisme.

Le coton rapporte par exemple annuellement aux populations plus de 2 milliards de francs CFA ; malheureusement cette importante somme est enfouie soit dans des canaris soit dans des greniers. C’est une mentalité d’une économie d’autosuffisance locale sans aucune ambition, sans aucune envie de faire autre chose. On se contente de ce qu’on a puisqu’on a déjà du mil, du maïs, de l’argent et ça s’arrête là. Il faut donc sensibiliser de sorte que les gens sortent de cette torpeur. Je crois que ce sont ces deux choses qui freinent le décollage de la région.

La route peut débloquer les mentalités comme dans d’autres régions. Dès que la bonne route arrive, les gens viennent s’installer et lorsque d’autres personnes viennent s’ajouter, le brassage de populations fait qu’à un moment donné le déclic se produit. Il est aussi important que les ressortissants de la région s’impliquent comme dans d’autres régions.

Ailleurs, sous l’impulsion des autorités administratives les fils et ressortissants se sont retrouvés autour d’une même table pour d’abord poser des diagnostics et ensuite trouver les voies et moyens qui mènent au développement. A quand cette initiative dans votre région ?

Au niveau de la Boucle du Mouhoun, nous avons voulu dans un premier temps faire appel aux ressortissants pour échanger avec eux sur les questions de la région. Mais nous nous sommes rendu compte que nous-même ne maîtrisons pas la situation. La région est grande et complexe. Elle n’est pas homogène comme d’autres régions. Il y a beaucoup de choses qu’il faut d’abord maîtriser et comprendre avant d’appeler les ressortissants pour discuter. C’est pourquoi nous avons dû prendre tout le temps nécessaire.

Nous pensons qu’aujourd’hui nous avons suffisamment d’éléments qui nous permettent de dire qu’il est grand temps de rencontrer les ressortissants de la région pour échanger avec eux. Cette rencontre qui est prévue pour le 25 novembre 2006 à Dédougou verra la participation de toutes les bonnes volontés sans connotation politique, religieuse ou ethnique.

Qu’on le veuille ou pas, chaque Burkinabè est citoyen d’une commune et notre région regroupe 47 communes et personne ne peut rester indifférent car personne ne viendra d’ailleurs développer votre commune à votre place. Ce forum nous permettra de faire l’état des lieux de la région. Qu’est-ce qu’il y a dans la région, quelles sont les difficultés et contraintes, quelles sont les pesanteurs ? Ce sont autant de sujets que nous allons aborder.

Quelles sont les solutions que vous pourrez apporter aux retards accusés dans l’exécution de certains projets comme les forages, le bitumage ou le rechargement des routes... ?

Il y a des projets qui nous dépassent au niveau régional, comme le bitumage de la route Dédougou- Bobo sur lesquels le gouverneur, ni le directeur régional des infrastructures n’ont aucune emprise. Il en est de même pour le projet PADSEA II dont le lancement est intervenu il y a deux ans. Mais j’avoue que jusque-là aucun forage n’a eu lieu. Ce n’est pas normal. Les procédures sont souvent longues si bien que les retards sont vites accumulés. Dans notre région la question de l’hydraulique est très importante, mais si on n’a pas la possibilité d’agir, c’est difficile. Je préside par exemple le comité de coordination PADSEA II, mais je n’ai aucun pouvoir.

Lors de votre tournée de prise de contact, des problèmes liés aux infrastructures routières, sanitaires et scolaires ont été les préoccupations de vos administrés. Est-ce qu’à la date d’aujourd’hui, on peut dire que des solutions ont été apportées à ces questions récurrentes ?

Dans l’ensemble il y a des problèmes qui étaient ponctuels. Dans les Balé par exemple, des populations avaient souhaité qu’on leur permette de défricher les forêts classées à cause des éléphants. Nous avons opposé un refus en disant que si les éléphants sèment des dégâts dans les champs, c’est parce que leur couloir de transit est transformé en champ ; sinon l’éléphant ne change pas de piste. Il y a d’autres problèmes qui n’ont pas pu être solutionnés, c’est le problème de l’eau. A Boromo et à Nouna le problème était crucial. Globalement, les problèmes posés ont été solutionnés.

Malheureusement, M. le gouverneur les problèmes d’infrastructures routières, sanitaires et même scolaires constituent toujours le talon d’Achille de la région.

Vous avez sans doute raison. Le réseau routier est défaillant, mais cela ne relève pas du niveau régional, il semblerait qu’il y a des problèmes avec les entreprises chargées de l’entretien courant des routes. Elles n’auraient pas été payées depuis beaucoup de temps, ce qui fait qu’il y a problème dans l’exécution des travaux. Sur le plan scolaire, nous avons fait la situation au niveau régional et nous espérons avoir gain de cause avec la nouvelle formule du PDDEB. Au niveau sanitaire, nous avons les regards tournés vers le ministère de la Santé pour la réalisation des infrastructures sanitaires et leur dotation en ambulances, en équipements et en consommables médicaux.

L’opinion générale des citoyens de la région sur la situation désastreuse du réseau routier est que l’Etat les empêche de se développer en les privant des bonnes routes. Qu’est-ce que le gouverneur peut faire pour soulager les souffrances des usagers de la route surtout la nationale 14 ?

Je vis la même souffrance. Les plaintes des citoyens sont compréhensibles. Comme je l’ai dit, il y a des choses qui ne sont pas à la portée du gouverneur. Mais il est de mon devoir d’attirer l’attention du pouvoir central sur les contraintes. Il est faux de dire que l’Etat empêche les régions de se développer, au contraire.

Comment résoudre les inquiétudes des producteurs sur la gestion des stocks des productions céréalières ?

C’est vrai, des inquiétudes demeurent. Nous sommes dans un cadre de libre échange. Dans la région, que nous soyons en déficit ou en excédent, nous avons toujours des problèmes. Cette année nous serons dans une situation excédentaire. La réflexion va être menée parce qu’il y a beaucoup de paramètres dont il faudra tenir compte.

Qu’est-ce qui fait la fierté de la région ?

C’est d’abord sa multi culturalité. C’est une région extrêmement riche de sa culture. Ce qui manque, ce sont les infrastructures sportives ; et il y a la rivalité qui a entraîné la division des équipes de football. J’ai foi qu’avec les échanges que nous allons entamer avec les dirigeants sportifs, chacun mettra du sien pour faire l’unité au sein de la jeunesse, véritable fer de lance du développement. Je le dis haut et fort, la fierté de la région de la Boucle du Mouhoun est sa richesse culturelle.

Après deux années passées à la tête de cette région, est-ce que la lettre de mission qui vous était assignée a été respectée ?

Je pense qu’à ce niveau, avec beaucoup de modestie, les missions qui m’ont été assignées à mon installation ont été accomplies. La mise en place du gouvernorat en tant que structure, les élections présidentielle et municipales se sont passées sans accroc. J’ai adressé des lettres de félicitations à tous les préfets et hauts commissaires de la région pour le respect des instructions qui nous étaient données. Pour des raisons de contraintes nationales nous n’avons pas pu mettre en place les délégations spéciales régionales.

Comment fonctionnez-vous quand on sait que le gouvernorat n’a pas de budget ?

Nous avons bénéficié cette année, avec un peu de retard, des crédits délégués qui nous ont permis d’acquérir du matériel et des consommables de bureau. Nous avons des promesses que le montant sera revu à la hausse l’année prochaine.

Quelles sont les difficultés les plus récurrentes que vous rencontrez ?

Nous avons un problème de planification de notre travail. Les gouverneurs sont beaucoup sollicités, l’information nous parvient souvent de façon tardive et nous absorbe en activités hors région. Et comme les gouvernorats ne sont pas suffisamment étoffés, la délégation des pouvoirs pose problème. Il faut cependant noter avec satisfaction qu’aucune structure de l’Etat n’a été installée aussi rapidement que les gouvernorats.

Est-ce que la décentralisation est effectivement en marche dans votre région ?

Actuellement nous sommes au stade de l’adoption des budgets des communes, urbaines comme rurales. Je peux vous affirmer que la décentralisation est belle et bien en marche dans notre région.

Quelles sont vos relations avec les hommes politiques de la région ?

Lorsqu’il y a des questions importantes comme les élections, la mise en place des organes locaux, on se rencontre, on échange pour définir de bonnes lignes de conduite.

Cela fait deux années que vous présidez aux destinées du grenier du Faso. Quels souvenirs gardez-vous après ces deux années ?

Les bons souvenirs, c’est d’abord ma tournée dans les provinces. L’accueil que les populations ont réservé à moi et à la délégation qui m’accompagnait m’a ébahi. Au cours des entretiens, nous avons ressenti une certaine sympathie. Je retiens comme mauvais souvenir, vous vous en doutez, les événements malheureux de Ouoronkuy, l’éboulement d’une galerie de la mine d’or de Poura et les autres catastrophes. Les affrontements sanglants et meurtriers à la frontière ont été très très durs pour nous. Il y a des choses qui sont très difficiles à voir et à accepter. Dans tous les cas, en tant que représentant de l’Etat, on a toujours le sentiment de n’avoir pas suffisamment pris de précautions pour que ça n’arrive pas. C’est un sentiment d’impuissance.

Est-ce que vous avez les moyens pour éviter les affrontements ?

Non, nous n’avons pas les moyens. Mais on se dit que même sans les moyens, on se reproche toujours quelque chose. On a le sentiment que nous aurions pu éviter cela si nous avions pris des dispositions, si nous avions été plus vigilant, si, si et si. Des échanges avec nos collègues maliens, nous avons souhaité que de tels affrontements sanglants et meurtriers ne se reproduisent plus jamais.

Quelle image souhaiteriez vous qu’on garde de vous dans la région ?

L’image d’un gouverneur qui a fait ce qu’il peut dans les difficultés que connaissent ses administrés, qui s’est battu pour sa région en toute conscience, en toute objectivité et avec volonté.

Propos recueillis par Serge COULIBALY

Le Pays

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