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Bakata : Dans les profondeurs d’une commune rurale

Publié le mercredi 18 octobre 2006 à 07h15min

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Avouons-le tout de suite : s’il y a un critère qui a motivé le choix de cette localité pour le présent reportage sur la vie d’une commune rurale, c’est bien le côté euphonique et quelque peu exotique de son nom : Bakata. Oui, Bataka. Ne vous y méprenez pas. Nous sommes bel et bien dans une contrée du Burkina Faso. A seulement 130 km de Ouagadougou, au nord de Sapouy.

Et pourtant, cette bourgade, naguère rattachée à la Sissili, aujourd’hui arrimée à la province du Ziro, fait figure de vaste aire d’exclusion ou plutôt de privatisation : pas d’électricité, même solaire, pas de téléphone même en ces temps de couverture satellitaire, pas d’eau courante, pas de centre de loisirs même pour jeunes. Seuls signes de la présence de l’Etat : quelques écoles primaires dont certaines en matériaux rudimentaires (secco) et la préfecture, fruit de la générosité d’un fils du village.

A tout cela viennent s’ajouter l’enclavement, le manque de ressources autres que celles procurées par l’agriculture pluviale, le sous- emploi des jeunes en saison sèche et la quasi-inexistence de matières imposables. En route pour Bakata, la commune rurale par excellence.

Bel exemple de solidarité, triste réalité. Sous un hangar hâtivement dressé au milieu d’un champ de coton et de maïs, un adolescent de 13 ans, pieds nus, cheveux hirsutes, tient dans la main un morceau de tige de mil. En face de lui, assis sur des troncs d’arbre ou à même le sol, des enfants suivent, l’air pétrifiés, sa frêle silhouette promener sa baguette sur la partie noire du mur en banco.

Voyelle après voyelle, syllabe après syllabe, Assami Nacoulma s’égosille devant la première promotion d’élèves du CP1 de l’école primaire du village : « Comme l’instituteur tarde à venir, je leur apprends à écrire et à lire l.i-li, p.a-pa, f.a-fa », marmonne l’instit de fortune, surpris que des journalistes viennent à s’intéresser à lui. Dessouché de son village natal à Tanghin-Dassouri après son échec au CEP l’année dernière, Assami a été envoyé par son père à Pitemoaga, village situé à une vingtaine de kilomètres de Bakata, pour y apprendre le Coran.

En attendant donc l’arrivée hypothétique du karanssamba, l’instituteur, qui rechigne à rejoindre ce hameau de culture, le jeune homme, malgré son handicap (il est malentendant), a été désigné par ses « pères » pour instruire ses « frères ». Il suffit d’un détour à Pitemoaga pour s’apercevoir des conditions d’existence des 25 000 habitants de la commune rurale de Bakata : difficulté d’accès par la route, absence de dispensaire, de forage et d’école, c’est le lot commun de la grande majorité des 14 villages (1) que compte cette commune, qui semble coupée du reste du monde.

Les quelques rares fonctionnaires, essentiellement des enseignants de Bakata-centre, semblent frappés d’amnésie dans cette monotonie que rien ne rompt. Seul moment de loisir pour ces « braves instituteurs de brousse », la partie de thé chez le préfet. « Ici à Bakata-centre, si vous voulez boire une bière, il vous faut aller la chercher à 15 kilomètres de là ou alors vous commissionnez quelqu’un et dans ce cas, vous la buvez tiède dans le meilleur des cas », raconte l’infirmier major. Influence de l’islam, religion dominante en cette contrée ?

Une commune entre les mains des femmes

Devant nous, la Peugeot 205 de Mme le maire Marie-Hélène Bouda, conduite par son mari, également élu local du village. A bord de notre fourgonnette, le trajet Sapouy-Bakata, long seulement de 30 kilomètres, parait interminable tant la voie est chaotique. Seule consolation, l’étendue verdoyante et bucolique. De vastes champs de mil ployant sous de lourds épis annoncent de généreuses récoltes.

A une dizaine de kilomètres de notre destination, une femme, un enfant au dos, pédale gracieusement un vélo. C’est Affissatou Ziba, la deuxième adjointe au maire. Informée donc de notre arrivée, elle se rend comme à l’accoutumée au chef-lieu de la commune, où sont déjà réunis à la préfecture des notables, des conseillers municipaux, l’infirmier major, le directeur de l’école et autres habitants du village. Chaudes poignées de mains, civilités convenues, plaisanteries bon enfant. Mme le maire, élue CDP, taquine ainsi un de ses concitoyens en disant : « C’est mon concurrent de l’UNDD.

Je l’ai terrassé le jour des élections (NDLR : le 23 avril 2006). Mais, aujourd’hui, nous sommes réunis pour la cause de la commune ». Rires aux éclats des deux ex-rivaux. A entendre le préfet de la localité, Obissa Tiemounou, ce climat de fair-play a prévalu tout au long du processus électoral, depuis le recensement des électeurs jusqu’à la proclamation officielle des résultas. Selon les témoignages concordants des acteurs politiques locaux, les trois partis présents dans le village, CDP, ADF/RDA et UNDD, ont mené bataille, fleur au chapeau, contrairement à la lutte aux couteaux, constatée ailleurs.

Avec 29 conseillers (20 au CDP et 9 à l’ADF/RDA), le tout nouveau conseil municipal compte en son sein 9 femmes dont une est maire et une autre, deuxième adjointe. Ce n’est pas la parité, mais le quota de 30% de femmes au sein des organes élus, longtemps réclamé par les partisans du genre mais jamais obtenu, est une réalité à Bakata, dont c’est pourtant la première fois d’exercer la démocratie locale.

« Si nous avons choisi de confier les clés de la mairie à une femme, c’est pour des raisons stratégiques. La femme, par nature, possède un grand pouvoir de négociation et quand elle vise un objectif, sa volonté est inébranlable », explique le vieux Ali Soro lors d’une rencontre tenue sur la place publique du marché.

Nous disons bien place publique du marché, parce que, malgré notre insistance à organiser des entretiens individualisés, Mme le maire a tenu à ce que tout se fasse sur la place publique, où, à cet effet, ont été réunis certains protagonistes de la vie politique locale. Mais revenons au vieux Ali Soro avec ses justifications du choix de Mme le maire.

Pour qui connaît la survivance de la mentalité féodale en milieu rural, un tel choix portant sur une femme, qui plus est non originaire de la localité, ne saurait s’expliquer uniquement par la simple reconnaissance de la « qualité naturelle » de celles communément traitées de sexe faible. Et si derrière Mme Bouda, se cachait son époux ?

C’est en tout cas la conviction de bon nombre de gens qui voient planer sur la première responsable l’ombre tutélaire du mari, considéré comme le fils le plus puissant du village. Homme d’affaires prospère, jadis propriétaire d’une usine de confiserie à Ouagadougou, Edouard Bouda jouit en effet d’une grande estime auprès des siens du fait de ses largesses.

La grande mosquée et la préfecture ci-dessus citées ainsi que le puits buisé à grand diamètre ne sont-ils pas des signes très éloquents de sa très grande sollicitude ? Et c’est connu, en politique, de tels gestes peuvent rapporter gros.

En tout cas, plus que les dividendes générés par le commerce des mots. « Si de loin, vous recevez des cadeaux de la part de quelqu’un, à demeure, chez lui, vous obtiendrez plus », laisse entendre le chef du village, Bapion Diasso. Ancien combattant de la guerre d’Indochine, le visage émacié, les gestes toujours vifs, il grille, presque sans discontinuer, cigarette sur cigarette.

Convaincu que la réussite de la communalisation intégrale passe par la contribution de la population aux efforts de développement local, ce à quoi il s’est montré disposé, le tiô tiu (chef de village en langue nouna), connu pour son franc parler, prévient néanmoins d’une voix tonitruante : « Nous consentons à payer de nouvelles patentes, nous sommes prêts à travailler avec Mme le maire. Mais il ne faut pas oublier que les cannetons marchent toujours derrière la canne ».

Ancien soldat, il sait, mieux que quiconque dans le village, que tout militaire marche au rythme de son chef. Même disposition d’esprit chez l’imam du village qui multiplie déjà les appels au civisme fiscal en attendant le 1er janvier prochain, date de l’entrée en vigueur de la nouvelle grille de patentes. Karim Rouamba, malvoyant, plaide de son côté en faveur de la création d’un commissariat de police pour la collecte de l‘impôt.

Etonnant non ? Mais pour Karim, « L’érection du village en commune est une grande chance pour nous. Mais si l’on croise les bras, Bakata n’évoluera pas d’un iota », soutient le partisan de la manière forte, le visage mangé par une barbe d’ayatollah, canne solidement fixée au sol. Il était 13h30 passées, lorsque nous prenions momentanément congé de nos hôtes du jour.

Jeûne forcé pour tout le monde

La fatigue commence à se faire sentir dans l’équipe de reportage. La faim aussi. Notre guide et gansoaba, le premier adjoint au maire, Zakaria Kouanda, a observé le jeûne du ramadan. Aucun restaurant, aucun bar, pas le moindre soupçon de fumet de viande grillée ou d’odeur de taab nii non (pain local fabriqué dans les villages) à Bakata. Nous voilà donc contraints de jeûner. Des visages commencent à se renfrogner. Mme le maire, qui a certainement constaté notre désarroi, propose une excursion sur Kikirsgogo, à une quinzaine de kilomètres de Bakata. Sitôt dit, sitôt entrepris.

Mais l’expédition se révèle éprouvante aussi bien pour les deux véhicules que pour leurs occupants : piste tortueuse, envahie par de hautes herbes et entrecoupée de grandes flaques d’eau, fait de la pluie tombée la nuit précédente. Durée du trajet : plus d’une heure. Sur les lieux, le marché bat son plein. Après une visite expéditive de quelques étals, détour à la buvette. Le jeûne tant redouté est vite rompu par de bonnes rasades de...bière. Ouf ! pour ce jour-là.

Mais le lendemain, de retour à Bakata, nous nous soumettrons au 4e pilier de l’islam. Bastion de l’ADF/RDA qui y a raflé les trois sièges en compétition, le village de Kikirsgogo constitue le principal atout économique de toute la commune. La culture du coton et ce gros marché qui se tient tous les trois jours font de ce village un véritable carrefour commercial que le nouveau conseil municipal entend développer par la construction d’une infrastructure moderne.

Trois mois après son installation officielle le 7 juillet, la nouvelle équipe dirigeante dispose déjà d’un plan de développement local qui, à en juger par son mode d’élaboration, est en adéquation avec les attentes des citoyens : « Notre projet de développement est le fruit d’un consensus général. Il résulte d’un débat entre les conseillers et les populations dans tous les quatorze villages de la commune », explique savamment Mme Bouda, diplômée en économie agricole.

La vaste campagne de recrutement scolaire menée par les élus locaux à cette rentrée est une réussite totale de l’avis de plusieurs parents d’élève. L’ouverture des trois classes du CP1, fussent-elles des hangars, a ouvert les chemins de l’école à nombre d’enfants. Le volontarisme affiché des élus locaux et l’engagement de la population à leur côté suffiront-ils à fonder les bases du développement local ?

« Le grand problème reste la rareté des ressources. Avec seulement un budget de 11 millions de francs CFA pour des besoins qui s’expriment, entre autres, en termes de réalisation de forages, de réhabilitation des routes, de construction d’un barrage et d’acquisition d’une ambulance, je ne doute pas de l’énormité de la tâche qui est la nôtre », reconnaît la première responsable de la commune. Puis elle s’empresse d’ajouter : « Mais je reste persuadée que la communalisation est la meilleure réponse au sous-développement ».

Alain Saint Robespierre

(1) Selon la subdivision administrative, il y a le département de Bakata, qui comprend la commune de Bakata, elle-même subdivisée en 14 villages dont celui de Bakata. Par Bakata-centre, il faut entendre le chef-lieu de la commune, où le siège le conseil municipal.


Une commune aux origines controversées

A Bakata, cohabitent trois principales communautés : les Yarcés (ethnie majoritaire), les Nouna et les Peulhs. Tous cultivateurs et éleveurs à la fois, ils ont réussi à former une population harmonieuse au sein de laquelle les mariages interethniques sont désormais pratique courante, surtout entre les Yarcés et les Nouna. Seul objet de controverse : l’origine du nom de la commune, Bakata.

Pour les Nouna, l’appellation originelle serait "Baar-ta" qui signifie "venez, nous allons nous faire la guerre". Pour l’actuel chef nouna, Bapion Diasso, son ancêtre Koulou Batinga, parti de Kassou (département de la province du Ziro) se serait installé sur des terres jadis inoccupées.

Guerrier intrépide et habile chasseur, il a nommé le village qu’il vient de créer "Baar-ta". L’appellation officielle "Bakata" serait alors une déformation provoquée par les migrants Yarcés venus du village Endem, dans la province de l’Oubritenga. Chez les Yarcés par contre, "Bakata" serait un nom emprunté à une cité arabe d’Arabie Saoudite.

Assis sur une peau de mouton et de tout blanc vêtu, le patriarche yarga (singulier de Yarcés) n’est pas sans rappeler le Mahatma Gandhi ; malgré son âge très avancé (il aurait plus de 130 ans), il cite, par ordre chronologique, les noms de ses premiers ancêtres installés à Bakata : Paolom, Zankie et Sarkie.


Tremblement de terre, chute de météorite ?

Le dimanche 8 octobre 2006, soit trois jours avant notre passage, une peur panique s’est emparée des habitants de Bakata et des villages environnants. Par trois fois, la terre aurait tremblé sous l’effet d’explosions étranges survenues aux environs de 16 heures, de 21 heures et de deux heures du matin.

Lors de notre visite de courtoisie chez le préfet, celui-ci, qui venait de dresser un rapport à l’intention de ses supérieurs hiérarchiques pour rendre compte de ce qui passe désormais pour un événement mystérieux, explique : "Par trois fois, le sol a vibré pendant quelques secondes. Mais c’est la secousse survenue vers deux heures du matin qui a été la plus violente. Dans ma maison, juste après l’explosion, j’ai senti le sol se dérober sous mes pieds. J’ai eu tellement peur que je n’ai plus fermé l’œil jusqu’au matin".

Des maisons se seraient même fendillées et des débris de briques auraient fait des égratignures sur une personne. Dans le village de Kou, à 7 km de Bakata, où nous nous sommes rendu le lendemain, les témoignages sont aussi concordants que troublants. Le Burkina étant situé loin des zones sismiques, l’origine de la secousse pourrait être l’impact sur le sol d’un météorite. Seule une analyse géologique, permettra d’établir la nature réelle du phénomène.

Alain Saint Robespierre

L’Observateur Paalga

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