Affaire Dabo Boukary, l’étudiant tué au Conseil en 1990 : Justice pour un héros de la jeunesse
Lefaso.net
L’affaire Dabo Boukary, celle de l’enlèvement et des tortures jusqu’à ce que mort s’en suive de l’étudiant en 7e année de médecine au sein du Conseil de l’entente, caserne du régiment de sécurité présidentielle, par des éléments de cette garde rapprochée du président Blaise Compaoré n’a pas connu le même dénouement juridique que l’affaire Thomas Sankara et compagnons assassinés sur le même site.
Ce n’est pas le tribunal militaire mais la chambre criminelle de la Cour d’assise du Tribunal de grande instance de Ouaga II qui a jugé l’affaire. Débuté le 19 septembre 2022, le verdict a été donné ce jeudi 22 septembre sans la présence des criminels, morts et le seul vivant a été jugé par contumace. Ce sont des complices et /ou coupables pour autres infractions, anciens habitués des tribunaux, pensionnaires de la Maison d’arrêt et de correction des armées, le général Gilbert Diendéré et le lieutenant-colonel Mamadou Bamba qui ont assisté à la lecture de leurs peines.
Ce sont de nouvelles peines de vingt ans pour le général et de dix ans pour le lieutenant-colonel Mamadou Bamba, tous les deux condamnés pour le coup d’Etat de septembre 2015 et l’affaire Thomas Sankara pour le général. Même si ce n’est pas l’assassinat d’un chef d’Etat qui était jugé, cette affaire a aussi une valeur symbolique très forte pour la famille Dabo, les étudiants et les parents d’élèves et étudiants.
Parce que notre armée a décidé pour des raisons politiques en ces périodes de pouvoir militaire, au lieu de s’entraîner et s’aguerrir pour la défense du pays, de se battre contre les opposants au régime et les étudiants qui s’opposaient à l’application des politiques d’ajustement structurel de la Banque mondiale et du FMI et réclamaient de meilleures conditions de vie et d’études.
Quelles sont les leçons de ce procès ? La cloche de la justice peut sonner très tardivement, mais ne faut-il pas toujours se battre pour que justice soit faite pour les mères qui pleurent leurs fils enlevés et portés disparus ? Les universités ne devraient-elles pas rester des temples inviolables, par les soldats et les policiers parce que la science marche à côté de la liberté ?
La majorité des étudiants qui sont aujourd’hui à l’université de Ouagadougou n’étaient pas nés en 1990. Mais depuis la mort de Dabo Boukary, l’Association nationale des étudiants burkinabè (ANEB) et l’UGEB n’ont jamais cessé de réclamer vérité et justice pour leur camarade assassiné. Ce procès est une victoire de leur lutte et de celle du peuple qui a connu une accélération prodigieuse en 2014 en chassant le dictateur et criminel Blaise Compaoré du pouvoir.
Etre solidaire et compatissant
Il y a en nous quelque chose de Dabo Boukary, parce que comme lui on est des êtres humains. Parce que comme lui, on est allé à cette université que les autorités politiques du pays ne portaient pas dans leur cœur, université restée longtemps anonyme, qui ne s’affichait que par sa localisation géographique : université de Ouagadougou.
On est tous Dabo Boukary parce que étudiant, on a participé à des manifestations, à des grèves. Comme Dabo Boukary, on a eu des rêves d’étudiant, des rêves d’enfant de vivre dans un pays de justice, de paix. Un pays qui se développe et offre l’éducation et l’instruction à tous ses enfants. Et c’est pourquoi on ne comprend pas ce déferlement de violence dans les universités.
C’est pourquoi on ne comprend pas la violence en politique et on veut que notre pays tourne définitivement la page de ses meurtres et crimes en écrivant en lettres d’or le mot justice. Il y a de vénérables personnes dans ce pays qui pensent que la justice est quantité négligeable et que la réconciliation ne serait que la seule chose qui vaille la peine d’être évoquée dans le contexte de guerre contre le terrorisme. Pourtant la justice est pour les pauvres le peu de choses que cette nation peut leur offrir, puisqu’elle ne garantit ni la sécurité, ni la santé ni l’éducation.
Demander la justice c’est faire preuve de solidarité et de compassion, car on ne veut que le meilleur pour les enfants du pays. Renoncer à la justice c’est renoncer à la nation et à la civilisation. On aimerait que tous les dirigeants fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour que dans notre pays la vie des enfants du peuple ne leur soit pas ôtée pour leurs idées. Qu’ils renoncent à organiser des chasses à l’homme, à faire régner la terreur sur la ville, parce que des jeunes manifestent ou sont en grève. Que l’armée refuse d’intervenir à l’université.
Trente-deux ans après ce crime il est important que la justice soit faite. Il faut saluer la patience de la famille et des étudiants, leur détermination et leur constance dans cette revendication de justice pour Dabo Boukary. Ce procès a permis de voir que des bandes criminelles existaient au sein du Régiment de sécurité présidentielle et que ces hommes sans foi ni loi semaient la mort et la désolation sans crainte de punition.
Dabo Boukary est mort en mai 1990 au Conseil de l’entente.
Ce lieu du crime, de l’horreur et de la douleur de notre peuple où se trouve le mémorial Thomas Sankara devrait faire une place, si un musée s’y bâtit un jour, à la mémoire des autres hommes qui y ont perdu la vie, ils sont nombreux avant 1987 et après 1987. C’était aux temps des hommes forts, des capitaines, qui dirigeaient le pays. Les militaires qui régnaient à l’époque et leurs soutiens civils ne se préoccupaient pas d’appliquer la maxime de Blaise Pascal « que ce qui est fort soit juste ».
Ces gens-là n’associaient pas la justice et la force et ignoraient l’enseignement du Talmud qui dit : « Le monde se maintient par trois choses ; par la vérité, par la justice et par la concorde Toutes les trois ne sont qu’une seule et même chose. » Talmud, Abot, I, 18
La famille de Dabo Boukary a réclamé au procès un franc symbolique, un certificat de décès, et une sépulture digne. C’est tout ce qu’elle a voulu, après la justice pour faire son deuil. C’est ainsi que les grandes nations se construisent et non dans l’impunité.
Sana Guy
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