Burkina : Ce que le général Gilbert Diendéré sait de l’assassinat de Dabo Boukary
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Le jugement relatif à l’assassinat de l’étudiant Dabo Boukary s’est ouvert ce lundi 19 septembre 2022 devant la chambre criminelle de la Cour d’appel de Ouagadougou, délocalisée au tribunal de grande instance Ouaga II. Il se tient dans le cadre de la 3è session de l’audience de ladite juridiction, du 19 au 30 septembre 2022.
Trois accusés sont cités dans ce dossier. Il s’agit du général Gilbert Diendéré (alors capitaine et chef de corps du Centre national d’entrainement commando, CNEC, sis à Pô), le lieutenant-colonel Mamadou Bamba (étudiant au moment des faits) et Victor Magloire Yougbaré (sergent au moment des faits). Ce dernier étant absent de l’audience, il sera jugé par défaut.
A la barre toute la matinée, le lieutenant-colonel Mamadou Bamba a plaidé non coupable, relatant sa version des faits .
Il est succédé au parloir par le général Gilbert Diendéré, accusé de complicité d’arrestation illégale et de séquestration aggravée, de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner et de recel de cadavres.
Le chef d’Etat-major particulier du président du Faso, Blaise Compaoré, s’est d’abord incliné devant la mémoire de Dabo Boukary, a ensuite exprimé sa compassion à tous ceux qui ont subi des dommages lors de ces évènements et a, enfin, présenté ses civilités au tribunal, aux avocats et à l’assistance.
Avant d’arriver à cette fatidique date pour Dabo Boukary, le 19 mai 1990, l’accusé a situé le contexte en remontant au 16 mai (1990) où des manifestations d’étudiants ont éclaté à l’Université de Ouagadougou. Gilbert Diendéré a expliqué que ce jour-là, il était absent du conseil de l’Entente (lieu tristement célèbre où ont eu lieu les tortures). Il n’y est arrivé qu’autour de 14 heures. Il dit y avoir effectivement trouvé des étudiants. Il demande donc à savoir celui qui a ordonné leur arrestation.
On lui fit savoir que l’ordre est venu du cabinet du président du Faso, où il s’est par la suite rendu pour comprendre. Là, le président du Faso dit ne pas être au courant et ordonna de les libérer. Le général Diendéré dit avoir organisé leur libération, en les convoyant du conseil de l’Entente à l’université de Ouagadougou (moins d’un kilomètre sépare les deux lieux : ndlr) à l’aide de deux mini-bus.
Gilbert Diendéré apprend à la chambre qu’il était hors de Ouagadougou le 19 mai 1990, précisément dans la région de l’Est, pour une cérémonie. Rentré dans la soirée, il a continué directement chez lui à domicile, sis à quelques encablures ouest du conseil de l’Entente. C’est tard dans la nuit qu’il reçoit un élément de la permanence du conseil de l’Entente, venu l’informer qu’un civil est décédé au niveau de la permanence. Etonné de la présence d’un civil en ce lieu (il précise qu’il ignorait la présence d’étudiants au conseil), il se rend chez le président du Faso (ministre de la défense, chef suprême des Armées) pour lui faire le point, poursuit Gilbert Diendéré.
« Quand je lui ai dit ça, il s’est un peu emporté en disant : qui vous a dit d’emmener des étudiants là-bas ? Puis, il est resté 5 minutes sans parler. Et il m’a dit : vas prendre les dispositions pour l’enterrement et dis à Salif Diallo de prévenir la famille », a expliqué l’accusé.
C’est ainsi que le corps de Dabo Boukary sera mis dans une ambulance de l’infirmerie de la présidence du Faso et les autres étudiants détenus dans un autre véhicule. Direction : Pô, au CNEC (sis à une centaine de kilomètres au sud de Ouagadougou : ndlr).
Dabo Boukary y sera enterré. Et contre toute attente, dit-il, alors qu’il pensait que les autres étudiants conduits à Pô avec le corps allaient retourner sitôt à Ouagadougou, ce ne fut pas le cas.
Il va alors chercher à comprendre pourquoi ils y sont toujours. Salif Diallo (de qui il dit recevoir souvent des instructions de la part du président du Faso) lui dit d’attendre encore, de les y maintenir d’abord. Face à la durée de la situation et à la rentrée académique qui approchait, il décide d’aller en parler au président du Faso. Ce dernier ordonne de les libérer.
Gilbert Diendéré dit les avoir donc ramenés au conseil de l’Entente, d’où il leur a prodigué de nombreux conseils avant de les libérer (il dit leur avoir expliqué que certains actes dont ils ont été témoins relèvent du secret militaire et qu’ils ne devraient en parler à personne).
L’accusé affirme leur avoir également indiqué qu’ils pouvaient revenir le voir, s’ils avaient de quelconques soucis. Quelque temps après, certains sont revenus le voir pour dire qu’ils veulent faire carrière dans l’armée. Il rend compte au président du Faso, qui dit que si telle est leur volonté, que des dispositions soient prises à cet effet. A en croire le général Gilbert Diendéré, certains de ces étudiants d’alors sont toujours en service dans l’armée.
De sa narration, il est ressorti que feu Gaspard Somé (il dit que l’atmosphère entre lui et ce dernier était froide) était le donneur d’ordre de la manœuvre ayant conduit à la mort de Dabo Boukary.
Avec lui (Gaspard Somé, un des militaires les plus redoutés à l’époque, selon les témoignages : ndlr), Amadou Maïga et Victor Magloire Yougbaré (le fugitif sus-évoqué). A l’époque, patron du conseil de l’Entente, Gilbert Diendéré précise cependant que ces trois éléments étaient certes sous ses ordres, mais n’ont pas agi sous ses instructions. Il dit également avoir rendu compte de tous ces actes à la hiérarchie. « Le compte-rendu libère le subordonné », rappelle le général Diendéré.
Selon le chronogramme de la session, le jugement du dossier Dabo Boukary est prévu pour durer trois jours (19 au 21 septembre 2022).
O.L.O.
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