LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Avec de la persévérance et de l’endurance, nous pouvons obtenir tout ce que nous voulons.” Mike Tyson

Installation de Naaba Sembdo de Komtoèga : Le triomphe de la légitimité

Publié le samedi 24 décembre 2005 à 12h30min

PARTAGER :                          

Après avoir été intronisé chef coutumier du canton de Komtoèga le 7 juin 2005 par le Moro Naaba Baongo de Ouagadougou, Naaba Sembdo a été installé, samedi 17 décembre 2005, dans son palais royal de Komtoèga (province du Boulgou) par la cérémonie du « Yi-kêenré ». Péripéties d’un événement riche en rites coutumiers et, sous forte présence des forces de l’ordre.

Naaba Sembdo de Komtoèga

Contre vents et marée, Naaba Sembdo, de son nom à l’état civil Rimwaya Casimir Yoda, a été installé dans son palais royal de Komtoèga, samedi 17 décembre 2005. Il est 5 h 45 mn lorsque quatre coups symboliques de fusils de chasse retentissent. Dehors, trois pick-up, bourrés d’agents de la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) font face au palais royal à au moins 100 m. Au cours de la matinée, ils seront renforcés par un pick-up chargé de gendarmes et appuyé par des motards sur des engins flambant neufs. Ce dispositif à vue d’œil, présageait d’une cérémonie d’installation mouvementée dans un climat tendu.

Cela d’autant plus que la veille, les forces de police avaient, selon le président du comité d’organisation du « Yi-kêenré », Cyprien N. Yoda, utilisé des gaz lacrymogènes et des projectiles pour « gazer » les populations venues faire les salutations d’usage du vendredi à Naaba Sembdo. Selon sa version des faits, les agents CRS étaient au nombre de 16, répartis dans deux pick-up immatriculés 11 A 2265 et 11 A 2479. M. Cyprien Yoda a rappelé que ce « gazage » a été fait après que les autorités administratives, notamment le haut-commissaire du Boulgou Issa Madré, le préfet du département de Komtoèga, Ibrahim Soré et des représentants des forces de l’ordre ont fait lire un arrêté rappelant l’interdiction des manifestations publiques à caractère coutumier. Cependant, M. Yoda a relevé le fait que la correspondance du haut-commissaire datée du 12 juin 2005 comporte des imperfections. Notamment sur les termes administratifs employés et la date d’émission de la correspondance.

Ainsi, du bilan des évènements du vendredi 16 décembre fait par les organisateurs du « Yi-kêenré », il ressort quatre blessés dont un enfant ashmatique évacué au dispensaire, un hangar parti en fumée, des populations violentées, bastonnées à coups de matraque et de crosse selon les organisateurs.

Du rituel coutumier

A 10 h, la devanture du palais royal est pris d’assaut par les populations. Enfants, jeunes, femmes et vieux expriment leur joie par des pas de danse. Les dernières retouches sont opérées par les notables et les anciens du canton de Komtoèga auprès des différentes délégations. Les délégations du Moro Naaba, du chef de Nédgo, de Tensobtinga, du Tuyli Naaba, du Gounghin Naaba, etc., sont présentes pour apporter leur soutien à Naaba Sembdo. Non loin du palais royal, des organisateurs échangent avec le haut-commissaire du Boulgou, le préfet du département de Komtoèga et les responsables des forces de police et de gendarmerie en vue de trouver un terrain d’entente.

10 h 50. Naaba Sembdo sort de son domicile pour rejoindre la place de la cérémonie. Il est accompagné des anciens et des notables du canton. Dans ses mains, l’insigne du pouvoir, un sabre spécialement confectionné pour lui. Sur sa tête, le bonnet royal signe de son autorité. La foule crie et l’acclame. Les organisateurs demandent le silence à cause de la présence des forces de l’ordre. Vêtu d’un bazin bleu, il marche avec prestance précédé d’un enfant portant un gourdin sur son épaule. Naaba Sembdo prend place sous l’auvent dressé devant son palais. C’est là que se déroulera la première phase des sacrifices coutumiers, à savoir l’immolation d’un poulet blanc et d’un mouton. La seconde phase consistera en l’immolation d’un poulet au plumage coloré à l’intérieur du palais royal.

Dès que le chef Sembdo qui aura 15 ans en avril 2006 s’est assis, la foule des anciens et des notables ainsi que la populations, tous assis à même le sol, lui font les salutations d’honneurs. Le Bendré retentit par trois fois dans un silence

religieux. Le chef de terre de Nédgo prend la parole pour rappeler le soutien de son chef et la fraternité qui a toujours prévalu entre Nedgo et Komtoèga. Il a invité les anciens et les notables du canton à aider le jeune chef dans sa mission en lui faisant comprendre que « le chef est comme une poubelle. De ce fait, il doit tout supporter ». A ses mots, la foule crie et applaudie. Aux pieds de Naaba Sembdo sont posées trois calebasses contenant respectivement le « zoom-koom » (préparé à base de petit mil), le dolo (la bière de mil rouge) et l’eau plate. Un jeune oncle de Naaba Sembdo dilue le « zoom-koom » d’eau. Il tend la calebasse au chef de terre de Nédgo. Ce dernier boit avant que le jeune oncle de Naaba Sembdo fasse boire au chef sans qu’il fasse usage de ses mains. Ensuite la calebassée de « zoom-koom » fait le tour afin que chaque personne présente sous l’avent goutte à la boisson. Le même scénario sera répété pour le dolo. Tout cela dans un silence de cimetière sous un soleil brûlant. Après cet acte, la délégation du Moro Naaba Baongo vient témoigner sa reconnaissance et son soutien à Naaba Sembdo. Le bendré retenti à leur approche. Le chef de la délégation enlève son bonnet.

Comme par enchantement, sa suite fait pareil. Chacun dépose son bonnet sur sa chaussure qu’il vient de déchausser pour prendre place à même le sol. Après les salutations d’usage, ladite délégation se retire pour laisser à celle de Nedgo, le soin d’opérer les sacrifices dévolus au rite coutumier.
Position du poulet et longévité du règne

Après la boisson, le chef de terre de Nedgo procède à l’immolation d’un poulet blanc (symbole de pureté) et d’un mouton. Selon les responsables du rite coutumier, la position du poulet détermine la longévité du règne du chef. S’il tombe sur le dos, le règne sera long. Mais s’il tombe sur le ventre le règne sera bref.

Ainsi avant d’égorger le poulet, le chef de terre de Nedgo verse successivement de l’eau, du zoom-koom et du dolo en implorant la paix des ancêtres sur le village, leurs bénédictions et leur protection sur le chef. En passant le couteau sur la gorge du poulet il lance « je sacrifie ce poulet pour le bonheur et la longévité du chef ».

Le poulet égorgé se débat, retombe successivement sur le dos, pour finir sa course sur le côté. Au même moment, une voix crie à la joie de la réussite, reprise en chœur par les populations avec des applaudissements. Le sacrificateur casse une patte et enlève des plumes du poulet. Il les jettent dans le sang en souhaitant que tous les dangers s’en aille avec. Place au mouton. A cet instant précis, les forces de sécurité se rapprochent davantage. Dès que le sacrificateur a fini d’égorger le mouton en répétant les mêmes mots que dans le cas du poulet et que Naaba Sembdo a entrepris d’entrer dans son palais, c’est alors que les gendarmes motorisés et les agents CRS débarquent.

« Intimidations ou intoxications ? »

Le chef des gendarmes demande à la population de se disperser et de rentrer chez elle. Une dizaine de motos flambants neufs montés chacune par un ou deux gendarmes portant des fusils d’assaut se dirigent vers les habitations. L’un des gendarmes, du nom de Yaméogo, motorisé, fonce sur les jeunes. Il est interpellé par son chef. Visiblement sur les nerfs, il crie « ils n’ont qu’à rentrer, c’est quoi ça ? ». Malgré cet incident, les rites coutumiers se sont poursuivis à l’intérieur du palais. Naaba Sembdo qui est le premier fils et l’unique enfant de son père feu Naaba Salma, décédé le 30 octobre 1998, prend place sur son trône. Depuis 8 générations, la succession a toujours été selon leurs coutumes de père en fils. Mais à la mort de Naaba Salma, son frère du nom de Sébastien Yoda réclamera la chefferie. D’où une guéguerre entre partisans du prince héritier aujourd’hui roi et ceux de Sébastien Yoda. Et comme c’est le Moro Naaba Baongo qui intronise le chef de Komtoèga, son choix s’est porté sur le prince héritier, donc coutumièrement et légitimement reconnu. Selon les organisateurs, les autorités administratives exploitent cette situation pour empêcher le roi légitime et consensuel d’exercer librement son pouvoir et d’accomplir les rites dévolus à son installation.

M. Cyprien Yoda a laissé entendre que le préfet et le haut-commissaire font de leur mieux pour empêcher la tenue du « Yi-kêenré ». D’où la commission par le préfet d’un crieur public pour annoncer au marché de Komtoèga que le « Yi-kêenré » n’aurait pas lieu selon M. Yoda. Le haut-commissaire et le préfet que nous avons approché n’ont pas voulu réagir ni sur l’intervention des forces de sécurité ni sur leur implication quant à l’annulation du « Yi-kêenré ». Au vu du mutisme du haut-commissaire un gendarme en civil a plaisanté « le haut-commissaire est devenu muet ». Pas lui seul, peut-être le préfet aussi.

Par ailleurs, un groupe de jeunes, opposé à l’installation de Naaba Sembdo a brisé par jet de pierre la pare brise et la vitre arrière d’un véhicule du centre national de semence forestière en mission. Le chef de la mission était Lucien B. Yoda, chercheur au centre national de semence forestière. Malgré la tension sociale, Naaba Sembdo reste confiant devant la tâche qui l’attend. « Je pense qu’il n’y a pas de problème. Même si certaines personnes parlent de malentendus, j’ai été le seul à briguer le trône et j’ai eu la bénédiction des sages, des chefs de Tensobtinga, de Tuyli, de Nédgo avant d’être intronisé par le Moro Naaba », a confié Naaba Sembdo après son installation.

Il dit espérer, grâce à la bénédiction de Dieu, du conseil des sages de la tradition, faire régner la paix, la solidarité pour le développement de Komtoèga. Les organisateurs ont remercié les communautés Bissa résidant en Italie, au Gabon et en Côte d’Ivoire pour leur soutien financier et moral. Rappelons que Naaba Sembdo est élève en classe de 5ème au collège international de l’amitié à Ouagadougou.

Daouda Emile OUEDRAOGO (ouedro1@yahoo.fr)
Sidwaya

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Route Didyr-Toma : 12 mois de retard, 7 km de bitume sur 43 km