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Les monuments représentant la femme : Limitation ou valorisation ?

Publié le mercredi 13 mai 2020 à 12h34min

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Les monuments représentant la femme : Limitation ou valorisation ?

Résumé : Nous sommes aujourd’hui dans un monde liquide, c’est-à-dire un monde où les choses évoluent, et sont loin d’être statiques. Des idées, de nouveaux comportements, des transformations de toutes sortes sont observables à travers le monde. Sans vouloir inverser les rôles, il reste quand même important que les mentalités tendent vers une société où la femme n’est pas réduite à des tâches précises. Malgré une tendance de plus en plus forte à promouvoir le statut de la femme, diverses pratiques montrent une perception assez réductrice de son rôle dans la société. Cet article s’interroge aujourd’hui sur le message et l’image que nous voulons véhiculer dans les esprits de la génération future.
Mots clés : rôle, mentalité, image, femme, société, balai

Introduction

« La femme au balai », c’est l’appellation que l’on pourrait donner à la sculpture ou au monument en fer forgé qui trône au centre d’un important carrefour de Bobo-Dioulasso. Cette intersection dénommée place ou rond-point de la femme, a été inauguré une première fois en 1986. Critiqué, le monument a été repris (cette fois avec une femme tenant un flambeau) et inaugurée en 2010, lors de la célébration du cinquantenaire du Burkina Faso.

« Le monument de l’hospitalité » représentant une femme tenant une calebasse, inauguré en 1986. « Le monument de la jardinière » montrant une femme penchée, un canari entre les mains, inauguré également en 1986. Le deuxième est situé sur la place de la gare SITARAIL et le troisième à un important carrefour de Ouagadougou, le rond-point des Nations-Unies.

Ces objets d’art datant de la révolution et censés embellir la ville de Bobo-Dioulasso et de Ouagadougou suscitent cependant des interrogations. Au-delà de l’aspect architectural, se pose la question de savoir quel symbole son ou ses concepteurs ou commanditaires ont voulu ou veulent exprimer.

Pouvons-nous parler de la magnificence de la femme ? Est-ce pour préciser l’importance ou la place de la femme dans nos sociétés ? Le balai par exemple représente-t-il un modèle de participation de la femme au développement national ? Les interrogations s’étendent au-delà de celles-là. Nous reconnaissons que toute œuvre artistique peut souffrir de contradictions (visions contraires ou divergentes). Nous désirons apporter notre modeste point de vue sur le sujet, objet de cet article.

Source OUALY Jean-Emmanuel

1. Une vision réductrice de la femme

Nous aborderons la première interrogation relative à la magnificence de la femme. Si c’est de cela qu’il s’agit alors nous disons que c’est raté. C’est de notre point de vue, ni plus ni moins qu’une vision négativiste de « l’autre moitié du ciel ». Une vision réductrice du rôle de la femme que l’on confine simplement à des tâches ménagères, d’entretien de la maison. La seconde interrogation pose la problématique de la vision que nos sociétés africaines ont de la femme.

A quelques nuances près, toutes nos sociétés africaines reconnaissent l’importance de la femme en ce que, seule la femme est capable de donner la vie. Pour les autres aspects, elle est tout simplement affectée à des rôles secondaires pour ne pas dire subalternes (entretien de la maison, cuisine, corvée d’eau, recherche du bois de chauffe, etc.)

Cette perception négative et réductrice du rôle de la femme existe également dans les manuels scolaires, censés préparer les élèves à une plus grande ouverture d’esprit. Pourtant, en se fondant sur ce qui revient de tâches aux femmes, ces manuels ont contribué à perpétuer des stéréotypes sur la petite fille, la jeune fille et la femme burkinabè, Femina Consult (1999).

Lorsqu’on procède à une comparaison, les expressions positives valorisantes de la fille et de la femme burkinabè viennent de loin après les clichés négatifs. Il est vrai qu’avec une population à grande majorité rurale, la répartition des tâches pourrait ne pas choquer à priori. La femme joue un rôle prépondérant dans le ménage, la construction du logement, le creusage de puits par exemple sont l’affaire des hommes, les femmes font usage de ces biens ; ainsi étaient réparties les tâches.

Seulement, l’urbanisation gagne du terrain, des villages disparaissent au profit des villes. La division administrative en vigueur dans le pays vise le développement local à la base. Dans un pays où l’école est implantée dans les localités les plus reculées, où de plus en plus de filles sont scolarisées, il va de soi que les aspirations évoluent. La division du travail jadis connue n’a plus vraiment toute sa valeur, elle ne correspond plus véritablement aux ambitions des uns et des autres.

Sans s’en rendre compte, des images qui concourent à maintenir la femme burkinabè dans son rôle de femme-mère, de femme-épouse se retrouvent dans les textes et les illustrations. Au Burkina Faso, bien de femmes se sont distinguées dans des cadres allant au-delà du foyer. Rappelons-nous la princesse Yennenga dans l’histoire du royaume moaaga. Ailleurs dans le monde, la femme nigériane, dès le début de la période coloniale entreprenait déjà des actions en faveur de son autonomisation.

On peut le voir lorsque PERETU (2006 : 48) dit : « Il s’agit en effet de personnalités féminines de tout bord qui se sont constituées en groupes de pression déjà assez puissants dès l’époque coloniale avec pour objectifs divers mais centrés sur des luttes sociales et politiques pour la cause des femmes. Elles étaient, en quelque sorte, des féministes avant l’heure ! ».

Plusieurs autres femmes ont inscrit leurs noms dans l’histoire. Que dire de la détermination des reines Amina de Zaria et Kambassa de Bonny, des femmes puissantes ayant dirigé le pouvoir, formé des armées, remporté des batailles, acquis des terres et des territoires, et ce, dès le 10ème et le 16ème siècle.

Un point positif que l’on confère à la femme est l’éducation des enfants. Et là encore une tâche qu’elle assure le plus souvent seule. Il arrive que le mari (père des enfants) situe ses responsabilités ailleurs que dans l’œuvre d’éducation, qui doit se faire naturellement par les deux parents.

Ce dernier étant préoccupé à ramener d’autres biens pour la famille. Du reste quand il y a un problème, on entend souvent dire « c’est l’enfant de telle femme », ou encore en référence à cet adage relevé par Fémina Consult (1999) en zone moaaga et Goumantché « Telle mère telle fille ». Par contre quand elle est réussie on dit « C’est l’enfant d’un tel ».

Source OUALY Jean-Emmanuel

Première à se lever, elle est la dernière à se coucher, la nuit tombée, accablée de fatigue. Eh oui, voici le quotidien de la femme africaine et burkinabè. L’image de la femme tenant un balai, un canari, une calebasse, traduit bien la conception que nos sociétés ont de la femme. C’est en cela que nous disons que ces représentations sont loin de magnifier la femme. Bien d’autres images peuvent magnifier la femme. Les exemples positifs sont légions. Par exemple :

-  une femme conductrice de bus, de remorque, de gros engins ;
-  une femme mécanicienne auto ;
-  une femme pilote d’avion (commandant de bord d’un avion ou copilote) ;
-  une femme médecin, chirurgienne en pleine séance d’intervention ;
-  une femme sur un pilonne électrique haute tension ;
-  une femme gendarme ou policière,
-  une femme enseignante (dans tous les ordres d’enseignement).

Il en existe à travers le monde les exemples ci-dessus cités et pas loin au Burkina Faso.

2. Participation de la femme au développement national

Une des interrogations majeures que nous avons relevée à l’entame de notre réflexion est la participation de la femme au développement de la nation. Il est évident que ce n’est pas avec un balai, un canari ou une calebasse que cela se fera.

Photo 1 Monument de l’hospitalité

Il faut beaucoup plus impliquer les femmes dans les activités productrices de biens de consommation ou pouvant contribuer à la production de richesses. Le développement devant être perçue comme un ensemble d’activités concourant au même objectif à savoir le bien-être de la population.

Là également, nous disons que la division sexiste du travail, des tâches constituent un obstacle majeur qu’il faut nécessairement surmonter. Nous avons du reste abordé la question plus haut, mais nous insistons pour dire que nous avons en chacun de nous ce complexe qui veut que certaines tâches soient purement masculines et d’autres exclusivement réservées à la femme. Une problématique qui a la peau dure.

Elle remonte depuis la nuit des temps et découle des pesanteurs socio-culturelles que nous connaissons. Nous avons tous au cours de notre éducation familiale et scolaire baignés dans cette conception que « le garçon est supérieur à la fille ». Certains enseignants, dans tous les ordres d’enseignement ont cultivé cette vision. Pour exemple, les filles ne sont pas faites pour les disciplines scientifiques entendait-on dire souvent comme si le quotient intellectuel des garçons était plus élevée à celui des filles.

Jusqu’à preuve du contraire, cela n’est pas scientifiquement vérifié. Malheureusement le mythe est installé dans nos esprits avec pour conséquence la faiblesse du taux d’implication de la femme dans les actions de développement. Il y a lieu de relever à ce niveau une contradiction au regard des efforts fournis par les femmes dans l’économie familiale. L’image des femmes lourdement chargées que l’on voit quotidiennement sur nos routes en est une preuve palpable.

Photo 2 Monument de la jardinière

Et que dire de l’implication de la femme dans l’arène politique. Les femmes sont utilisées comme « bétail électoral », une expression qu’on entend souvent dans les conversations. Les indicateurs d’enrôlement biométriques datant de l’année 2016 révèlent que sur un total de 5538446, 2619135 inscrits sur les listes étaient des femmes sur 2918708 hommes.

N’est-ce pas une preuve de l’importance numérique de l’électorat féminin ? Qu’en-est-il de la phase précédant les votes ? Bien de femmes ayant démontré leurs capacités de mobilisation sont saisies pour sensibiliser leurs sœurs sur l’importance et la nécessité d’exprimer leur voix lors des élections. Pour finir, elles ne sont jamais en tête de liste (sur environ 300 maires au Burkina Faso, seuls neuf sont de sexe féminin, source : AMBF).

Quelques femmes siégeant dans des instances de prise de décision sont confrontées aux pesanteurs socio-culturelles, qui bien souvent leur ferment les portes des plus hautes fonctions au sein du gouvernement. Force est pour nous de constater qu’elles ne sont pas assez impliquées dans les prises de décision en politique. Il faut créer des opportunités, afin que les femmes burkinabè puissent prendre part et s’investir davantage en politique.

Photo 3 Place de la femme

3. Quel type de Femme et d’Homme pour notre société ?

Une femme tenant un balai à bout de bras, un canari ou une calebasse à une place stratégique : qu’est-ce que ces images pourraient laisser dans l’esprit de la jeunesse d’aujourd’hui et de celle à venir ? Les œuvres dont la qualité et la beauté artistique ne sont point mises en cause ici restent malgré tout problématiques.

Elles contribuent bon gré mal gré à véhiculer une image réductrice de la femme. Comment faire comprendre aux personnes non instruites, aux enfants une telle perception des choses et vouloir ensuite établir un lien entre la femme et le développement ?

En voyant ces images, le risque serait que les jeunes enfants perpétuent ces croyances, qu’ils demeurent dans l’ignorance de ce que peut être leur rôle dans la société. Ces représentations, artistiques soient-elles, peuvent avoir un impact négatif sur l’esprit des citoyens.

Plusieurs monuments sont dédiés à la femme ; si l’idée de départ était d’exposer la condition féminine, il est temps de rompre avec les perceptions qui limitent ou réduisent les performances et les savoir-faire de la femme burkinabè. Peut-on construire un Etat-Nation en excluant ou en minorant la part contributive des femmes ?

Photo 4 Femme au balai

4. Des images qui magnifient la femme burkinabè

Loin de nous la moindre idée de nous lancer dans le vieux débat « Egalité entre homme et femme ». Le présent propos vise uniquement le rétablissement d’une vision qualitative et évolutive de la femme. Qu’elle soit perçue au-delà même des tâches domestiques. Avant ce siècle où nous vivons, les femmes pour ainsi dire les femmes burkinabè n’ont plus à démontrer leur maturité dans tous les domaines confondus.

C’est ainsi que nous suggérons davantage de représentations impliquant la femme, cependant qu’elles reflètent les activités des femmes dans toutes les sphères de développement de l’ère présente. Que la femme soit représentée comme acheteuse et non comme vendeuse, qu’elle soit représentée comme conceptrice et non exécutrice. Des femmes souffrent de fistules obstétricales, que leurs consœurs médecins gynécologues soient représentées, un bistouri à la main, prêtes à les soulager.

Source OUALY Jean-Emmanuel

Comme dans de nombreuses sociétés, la femme a en charge l’éducation des enfants et doit ainsi leur transmettre l’essentiel de la culture du peuple. BAUDIN précise bien au sujet de la femme touareg que : « Elle est la seule à transmettre la science de l’écriture, le tifinagh » (2008 : 182). Le rôle de la femme en tant qu’enseignante n’est pas le seul fait des sociétés modernes d’aujourd’hui, chez le « peuple du désert », cette transmission du savoir est depuis toujours, dévolu aux femmes. Nous avons là une raison suffisante pour dresser un monument en l’honneur des femmes exerçant dans cette catégorie professionnelle.

Conclusion

L’article part d’un constat : des représentations censées montrer la condition de la femme, rendre hommage à la femme, souffrent pourtant de contradictions. En outre, vu leur nature, elles deviennent sources de débats et en appelle à plusieurs interrogations.

La femme est restée longtemps au second plan dans les actions de développement, à cause de sa condition (pauvreté), de nombreux stéréotypes sans compter les pesanteurs socio-culturelles. Depuis, améliorer la condition féminine au Burkina Faso, est devenu le motif de combat de beaucoup d’hommes et de femmes. Les femmes en particulier sont conscientes que rien n’est donné et qu’il faut lutter pour mériter sa place.

Pour une seule femme chirurgienne, pour une seule femme physicienne, pour une seule femme chercheure, un monument mérite d’être érigé, non seulement pour rendre hommage aux femmes, mais que cela puisse aussi servir d’exemple.

OUALI Malpoa Laetitia
Attachée de recherche
INSS/CNRST
E-mail : laetitiaouali@gmail.com
Tél. : 70 45 81 44


Bibliographie

BAUDIN M., 2008, Hommes voilés et femmes libres : les touareg, éd. L’Harmattan

Fémina Consult, 1999, Recensement de stéréotypes positifs et négatifs sur la femme burkinabè, Rapport final

PERETU T. B., 2006, Les Africaines dans le développement, le rôle des femmes au Nigéria, éd. L’Harmattan

YAMEOGO A., 2019, Sémiotique de l’espace urbain : le cas des monuments, thèse de Doctorat, ED/LE.SH.CO, Université Pr. Joseph Ki-Zerbo

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