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Analyse des implications des mesures de gestion du COVID-19 au Burkina Faso

Publié le lundi 13 avril 2020 à 12h51min

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Analyse des implications des mesures de gestion du COVID-19 au Burkina Faso

A l’instar de tous les pays du monde, l’année 2020 aura été depuis ses débuts pour le Burkina Faso une année de promesses, d’attentes mais surtout de défis. Le pays était loin de se douter qu’il expérimenterait l’épidémie de Coronavirus (COVID-19) qui sévissait en Asie depuis Décembre 2019. Trois mois après le début de la pandémie de coronavirus, le Covid-19 est entré dans le quotidien de milliards d’êtres humains, qui en apprennent chaque jour un peu plus sur cette maladie combattue par le monde entier.

Rappel du schéma cognitif de référence relatif au COVID-19

Mode de transmission. Les connaissances actuelles ne permettent pas de préciser avec exactitude le mode de transmission du COVID 19. Il est toutefois considéré que la personne atteinte du COVID 19 peut être contagieuse la journée précédant l’apparition de ses symptômes. Les coronavirus infectent habituellement le nez, la gorge et les poumons. Ils se propagent le plus souvent par les gouttelettes d’une personne infectée, lorsque cette personne tousse ou éternue, par exemple. Ils peuvent aussi se propager par des mains infectées. Ainsi, se toucher la bouche, le nez ou les yeux après avoir eu un contact avec une personne ou une surface infectée est une manière de contracter un coronavirus.

Immunisation des personnes infectés. En se basant sur l’exemple d’autres maladies virales, les spécialistes jugent vraisemblable qu’une fois guéri, on soit temporairement immunisé, même si cela n’est pas encore prouvé. Cela étant, on ignore la durée de cette immunité supposée. Alors, si une personne peut en théorie être immunisée pendant une longue période, par exemple 12 à 24 mois, elle peut alors retourner dans les lieux publics en toute sécurité, même si le virus circule encore. À l’inverse, si l’immunité est très courte, par exemple de quelques semaines, une personne qui a déjà été infectée pourrait l’être à nouveau très vite après sa guérison.

Mortalité. Si on rapporte le nombre de morts dans le monde au nombre total de cas officiellement recensés, le Covid-19 tue environ 5 % des malades diagnostiqués, avec des disparités selon les pays. Mais le supposé taux de létalité impose quelques réserves, car on ignore combien de personnes ont réellement été infectées (fiabilité du dénominateur ?). En effet, les pays appliquent des stratégies de tests très différentes et certains ne testent pas systématiquement tous les cas suspects. Dans la mesure où de nombreux patients (80%) semblent développer peu, voire pas de symptômes, leur nombre est vraisemblablement supérieur aux cas détectés, ce qui ferait donc baisser ce taux. Une étude publiée dans The Lancet le 31 mars évaluait à 1,38 % la proportion de morts parmi les cas confirmés. Cela étant, la dangerosité d’une maladie ne dépend pas seulement du taux de mortalité dans l’absolu mais aussi de sa faculté à se répandre dans le temps et dans l’espace. Même si seuls 1 % des malades meurent, cela peut faire des chiffres importants selon que 30 % ou 60 % d’une population soient infectés. D’autres facteurs aggravent la mortalité liée à cette nouvelle maladie notamment i) l’engorgement des hôpitaux dû à un afflux massif de cas et ii) l’efficacité de la prise en charge des malades atteints de formes graves du Covid-19.

Synthèse des mesures mises en place dans le cadre de la gestion de l’épidémie à COVID-19 au Burkina Faso

Au titre de l’arrêt de la transmission interpersonnelle du COVID 19.
-  La fermeture des établissements préscolaires, primaires, post-primaires et secondaires, professionnels et universitaires le 14 mars 2020 jusqu’à nouvel ordre,
-  La fermeture des marchés et Yaar et la suspension des transports en commun à partir du 26 mars 2020,
-  La mise en quarantaine des villes où au moins un cas a été diagnostiqué dès le 27 mars, avec confinement des cas contacts,
-  L’obligation individuelle de pratiquer le lavage régulier des mains au savon ou à défaut leur friction avec du gel ou solution hydroalcoolique ; de se couvrir la bouche et le nez avec des masques de protection ; de tousser ou éternuer dans le pli du coude ou dans un mouchoir jetable ; d’éviter de cracher à terre ; d’éviter les contacts rapprochés avec les personnes présentant une toux et un rhume ; d’éviter les contacts avec les animaux et la consommation de produits d’origine animale crus ou mal cuits.
Au titre de l’asséchement du réservoir de virus
-  La multiplication des centres de dépistage
-  La prise en charge des cas par un protocole standardisé
-  Le suivi des cas confirmés à domicile

Constat relatif à l’application des mesures

Au titre de l’arrêt de la transmission interpersonnelle du COVID-19. La mesure de mise en quarantaine des villes concernées semble relativement bien suivie. Celles relatives au confinement, au port d’un masque et à la distanciation sociale sont bien moins appliquées en communauté. La mesure du lavage des mains semble relativement bien acceptée mais, dans un contexte de rareté de l’eau dans les ménages, elle est difficilement applicable.

Au titre de l’assèchement du réservoir de virus. La multiplication des centres de dépistage n’a pas entrainé une augmentation significative du nombre de cas testés. Le nombre de cas confirmés et pris en charge stagne. L’arrêt du suivi des cas confirmés à domicile a été officiellement décidé.

Discussion des tendances de morbidité de de mortalité observées

Les chiffres officiels communiqués au quotidien par le Centre Opérationnel de Réponse aux Urgences Sanitaires (CORUS) restent relativement en deçà des prévisions officielles. Cette tendance pourrait révéler à ce stade de la dynamique de l’épidémie : une faible performance du modèle prédictif utilisé et une insuffisance du système de détection des cas.

De la faible performance du modèle prédictif. En rappel les performances d’un modèle prédictif dépendent généralement plus de la qualité des données et du soin apporté à leur préparation et à leur sélection, que de la technique de modélisation elle-même. Des incertitudes pèsent sur l’utilisation des modèles prédictifs en général. Première incertitude : la définition de la variable dépendante ou variable à expliquer (cas graves, cas asymptomatiques, cas symptomatiques). Sa définition peut être plus sensible que spécifique ou vice versa entrainant un risque d’erreurs systématiques. Deuxième incertitude : la représentativité de l’échantillon d’étude par rapport à une population dont tous les individus n’ont pas été observés (biais de sélection) ou qui a pu évoluer depuis l’observation (la modélisation s’appuie sur des échantillons rétrospectifs). Troisième incertitude : l’influence du choix des variables (dynamique de propagation de l’épidémie, habitudes individuels et/ou collectives, interrelations sources de confusion, variations spatiales) influençant la variable dépendante (évolution des cas dans le temps et dans l’espace). Quatrième incertitude : l’influence du statisticien sur les performances du modèle, dans la mesure où il optimisera mieux une technique s’il est initié aux concepts clés concernés. Il s’agit ici essentiellement de concepts médico-épidémiologiques.

Dans ce type d’exercice mathématique l’erreur de prévision par excès est certes anxiogène mais elle permet de se préparer au pire. L’erreur par défaut rassure mais construit la surprise et son lot d’improvisation source de conséquences désastreuses.

De l’insuffisance du système de détection des cas. Au regard du système passif de détection et de sa faible couverture, on pourrait sans se tromper conclure que les cas notifiés ne sont pas représentatifs des cas totaux (symptomatique + asymptomatique). Renseigne-t-il d’avantage de la réalité à l’instar d’un sommet d’iceberg, rien n’est moins sûr. En effet cela suppose que la forme de cet iceberg est strictement harmonieuse de la base au sommet. Dans ce cas un exercice de pondérations statistiques pourrait nous rapprocher de la réalité. Un système de détection de masse ou une couverture adéquate de l’actuelle système donnerait un meilleur cliché de la distribution spatiale et temporelle de l’épidémie.

De l’efficacité des mesures relatives à la rupture de la transmission. Au regard de l’évolution des chiffres exposés au quotidien, on ne peut conclure sur l’assèchement progressif du réservoir de virus. En effet la détection de nouveaux cas dans de nouveaux sites (quartiers, provinces) associée à la faible couverture du système de dépistage ne permet pas une interprétation rationnelle des tendances observées. Une relative efficacité desdites mesures renforcerait la progression de l’immunité collective. Cependant on pourrait prévoir un phénomène de rebond (réapparition de pics et/ou de nouveau sites) dans le temps et dans l’espace si le niveau de l’immunisation collective reste insignifiant. Il faudrait qu’environ 60% de la population soit immunisée pour activer une immunité de groupe effective. Des tests de dépistage massif axés sur la révélation du statut sérologique des individus contacts et/ou effectués de manière concentrique dans les foyers déclarés, nous donneraient au fur et à mesure une image de l’immunité collective. Cette information est loin d’être inutile car elle représente le socle d’un système de dé-confinement rationnel.

De la mortalité jusque-là observée. Elle évolue en dents de scie au fil des jours. Elle concerne de manière significative les personnes âgées et les hommes. Le taux de mortalité que ces chiffres permettent d’établir pourrait tronquer la réalité car la couverture en soins reste concentrée à Ouagadougou et à Bobo Dioulasso. Il serait intéressant de i) comparer la mortalité notifiée par le système de santé au premier semestre 2020 et aux premiers semestres 2019 et 2018 et ii) comparer les déclarations de décès aux mêmes périodes.

De la progression de l’immunité collective. Au regard de l’application partielle des mesures de confinement, de protection individuelle et de distanciation sociale on peut envisager que l’immunité de groupe fait son petit bonhomme de chemin au Burkina Faso. Rappelons que selon le schéma cognitif relatif à la transmission du COVID-19, environ 80% des cas sont asymptomatiques. Si le niveau d’immunisation collective est significatif (supérieur ou égale à 60%) et homogène sur l’ensemble du territoire, la tendance évolutive sera à une baisse progressive et rapide du nombre de nouveaux cas sans risque de rebond ni dans le temps ni dans l’espace.

Notre prédiction. Considérant (peut-être à tort) que l’immunisation collective fait son chemin et que les mesures de prévention et de prise en charge des cas contribuent à assécher le réservoir de virus, nous prévoyons une certaine stabilisation de l’épidémie suivie d’une régression progressive des cas dans les semaines qui suivront la publication de cet article. Cela étant, l’identification de COVID positifs pourrait se poursuivre plus longtemps sans que l’épidémie ne soit relancée.

Nos suggestions. Dans la perspective d’une évolution dans la durée de l’épidémie, les réflexions relatives aux stratégies de révision des mesures de gestion de l’épidémie devraient prendre en compte le cours, moyen et long terme. Elles devront s’appuyer sur les évidences et expériences jusque-là documentées et analysées. Elles devraient se départir de la tentation de facilité et de paresse qui consiste à copier et à coller les expériences dites « réussies » dans des contextes autres que le nôtre. Nous suggérons, à court terme une implication de tous les échelons du système d’offre de soins à l’identification et la prise en charge des cas symptomatiques de COVID-19, un renforcement de la surveillance communautaire axée sur l’identification des cas suspects et l’introduction de tests de diagnostic rapides fiables pour accroitre l’accès au diagnostic.

Drabo M.K (Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS)),
Diallo C.O (Ecole doctorale santé (EDS UO JKZ)),
Yaya Bocoum F (Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS))
Correspondant : Drabo K. Maxime : m_drabok@yahoo.fr

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Vos commentaires

  • Le 13 avril 2020 à 13:30, par Diongwale En réponse à : Analyse des implications des mesures de gestion du COVID-19 au Burkina Faso

    .
    Trop de bla-bla, mais je suis d’accord avec ce point de l’analyse : Faible performance du modèle prédictif utilisé et insuffisance du système de détection des cas.

    En outre, concernant l’immunité collective, considérant qu’il est reconnu par la communauté internationale que les enfants sont les moins exposés au virus, envisager de les immuniser en les contaminant volontairement à l’écart des personnes fragiles (vieillesse, cancers, diabète, surpoids, maladies cardio vasculaires), en toute logique après trois semaines 50 % de la population serait immunisée !

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