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20 ans de Ouaga FM : « Je ne suis pas du genre à baisser les bras ! », Joachim Baky, PDG de la radio

Publié le dimanche 6 octobre 2019 à 22h58min

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20 ans de Ouaga FM : « Je ne suis pas du genre à baisser les bras ! », Joachim Baky, PDG de la radio

Le mercredi 2 octobre dernier, la radio Ouaga FM a soufflé ses 20 bougies. Avec une vingtaine d’années d’existence sur la scène médiatique nationale, la « radio de toutes les générations » peut se targuer d’être l’une des radios les plus écoutées dans la capitale burkinabè. Dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder, Joachim Baky, promoteur de Ouaga FM, rappelle le contexte de création de sa radio et retrace le parcours de son média qui émet en direct et en simultané à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso.

Lefaso.net : Dites-nous comment vous est venue l’idée de créer une radio sur la bande FM dans un contexte qui était celui de 1999, année de création de Ouaga FM ?

Joachim Baky : Je dois d’abord vous dire que moi, j’ai quelque chose de particulier : j’ai une âme d’entrepreneur. J’aime m’engager sur les chemins jugés difficiles, les chemins que personne ne veut emprunter ; là où on dit que ce n’est pas possible. Ce sont ces genres de défis que je tente de relever dans ma vie de tous les jours. A l’époque, je critiquais beaucoup les radios qui existaient déjà, parce que je me disais qu’elles ne faisaient pas les choses comme cela devrait se faire. Alors, j’ai mis tous les moyens de mon côté, pour monter une radio sous le nom « Ouaga FM ».

Cette appellation « Ouaga FM » a été inspirée par le fait que Ouagadougou, en plus d’être la capitale et la plus grande ville du Burkina, est le centre du pays. La radio devrait donc reprendre toutes les ondes périphériques et les envoyer au centre qui est Ouagadougou et les renvoyer à nouveau vers les périphéries du territoire burkinabè. Vingt ans après, j’ai toujours confiance en ce que je fais. J’ai confiance en ce pays et en toute la population. Mon challenge est de porter ces mêmes ondes vers les autres frontières. On doit oser, On doit aller de l’avant en tant que donneur et porteur de projets. Notre malheur, c’est qu’on n’ose pas assez.

Parlez-nous des difficultés auxquelles vous avez fait face au début du projet. Parce qu’on imagine que tout n’est pas allé comme sur des roulettes…

Les premières difficultés sont venues de l’environnement immédiat ; de l’entourage. En Afrique, les gens n’aiment pas l’aventure. A l’époque, parce qu’il y avait plusieurs radios, les gens me disaient qu’il n’était pas opportun de se lancer dans un projet de radio. Mais moi, je leur répondais, invariablement, que j’avais une autre offre, toute particulière. Je leur disais que j’allais essayer une autre façon de faire la radio, pour marquer la différence. Ainsi est née Ouaga FM. De 1999 à 2005, il fallait travailler à imposer la radio Ouaga FM et cela n’a pas été aussi évident. A partir de 2005, avec l’avancement du numérique, nous nous sommes retrouvés avec un personnel qui avait du mal à s’adapter. Il fallait très vite s’adapter à cette mutation ; ensuite, il y a l’avènement du numérique. Entre 2005 et 2010, il fallait s’adapter à un nouvel environnement avec le déménagement de la radio. Nous avons intégré nos nouveaux locaux à Ouaga 2000. Mais à l’époque, Ouaga 2000 était vu comme un quartier lointain, situé à la périphérie. Mais nous avons réussi à surmonter toutes ces difficultés.

Une autre difficulté, et pas des moindres, c’est la perception du business dans les entreprises de médias au Burkina Faso. Ici, on diffuse un spot à 8 000 francs CFA. On a trop de contradictions dans ce pays. On admet un spot à 8 000 francs et, en même temps, on dit qu’il faut qu’il y ait un minimum de salaire pour le personnel. Mais quand on veut revoir nos tarifs de diffusion à la hausse, c’est l’autorité même qui va dire que c’est trop cher. Où voulez que l’on trouve l’argent pour faire face aux dépenses ? La ville de Ouagadougou, c’est deux à trois millions d’habitants. Une ville comme Cotonou compte à peu près la même population, si non moins. Là-bas, ils diffusent un spot à 20 000 francs ! Ici, c’est un peu difficile. On ne pas rester dans une dynamique à faire plaisir aux gens, à ne faire que du social. Car au-delà du social, il faut qu’à la fin de l’année, l’on puisse avoir les dividendes pour être dans une projection. Je pense que l’un des vrais problèmes de nos médias, c’est l’Etat qui veut toujours qu’on fasse dans la gratuité. C’est aussi l’Etat qui est mauvais payeur de ses créances vis-à-vis des médias, et c’est encore le même Etat qui est exigeant et intransigeant vis-à-vis des médias.

Il faut que les gens comprennent que dans toutes les nations du monde, c’est l’Etat qui fait grandir les entreprises. Si vous allez en France, c’est l’Etat français qui les fait grandir Bolloré ; ce n’est pas autre chose ! Donc, il faut que l’Etat puisse comprendre qu’il doit jouer à fond son rôle d’opérateur économique, pour permettre aux entreprises nationales de pouvoir atteindre un certain stade et d’aller à la rencontre d’autres marchés en dehors du pays.

Mais, si l’on pense qu’il faut réclamer aux entreprises ce qu’elles doivent, sans leur donner en retour ce qui leur est dû, là, il y a problème. Il faut que l’Etat comprenne qu’il a un rôle important à jouer et qui consiste à faire grandir les entreprises nationales. C’est de cette manière que ces entreprises pourront aller dans la marche vers la globalité. Je ne parle pas seulement du seul domaine de la communication, mais de tous les secteurs d’activité pourvoyeurs d’emplois.

A vous entendre, vous avez donc résisté à toutes ces difficultés. Dites-nous d’où vous tirez cette capacité de résilience.

C’est juste la rage de réussir qui m’a permis de résister ; c’est tout ! Je ne suis pas du genre à baisser les bras. Je pense que quand vous liez votre entreprise à la vie d’un certain nombre de personnes, vous n’avez plus droit à l’échec. Quand je regarde autour de moi, je me rends compte qu’il y a plein de gens qui construisent leurs vies à partir de ce que nous faisons au quotidien. En plus, chaque matin que Dieu fait, il y a des auditeurs qui, au-delà de tout ce qui est pécuniaire, vous disent que vous êtes sur une bonne voie. Une œuvre comme Ouaga FM ne se construit pas pour deux, ni pour cinq ans. C’est pour la vie. Aujourd’hui, nous avons du plaisir à regarder dans le rétroviseur après un tel parcours et avec, aujourd’hui, une vingtaine de radios partenaires.

Quelles sont les statistiques de la radio aujourd’hui en termes de personnel, d’audience ?

Ouaga FM aujourd’hui, c’est une quarantaine de salariés, des permanents comme les non-permanents ; deux représentations, une à Ouagadougou et l’autre à Bobo-Dioulasso. Il y a quatre, cinq et six ans, on faisait à peu près deux millions d’auditeurs potentiels. Aujourd’hui, je crois qu’on doit être dans le top 3 des radios en termes d’audience et de couverture territoriale.

Quelle est la ligne éditoriale de Ouaga FM ?

C’est une radio qui se veut généraliste. Nous mettons l’intérêt général au centre de notre action. Car pour nous, c’est le Burkina d’abord. Tout ce qui se rapporte à l’intégrité du Burkina est supérieur à l’engagement des uns et des autres. Nous ne sommes ni une radio de droite, ni une radio de gauche. Croyez-moi, il n’y a personne qui donne de l’argent à la radio. Et c’est ce qui nous permet d’être indépendants.

Je peux affirmer avec force et même fierté, qu’il n’y a aucune chapelle politique qui soutient la radio. Moi-même, je peux avoir une vision politique, mais que je ne la laisserai jamais transparaître sur l’antenne de Ouaga FM. Personne aujourd’hui ne peut vous dire que monsieur Baky a dit de faire ceci ou cela. La plupart des gens qui travaillent à la radio ont une longue expérience. Ils connaissent l’intérêt supérieur de la radio. Ils savent faire les bons choix.

On imagine que vous êtes à la fois au four et au moulin. Dites-nous à quoi ressemble votre journée ordinaire de travail.

Tout est question d’organisation. Souvent, nous les Africains, nous avons un problème : nous nous préoccupons plus de comment fait Bolloré pour contrôler Total ici. Ouaga FM relève d’une gestion autonome vis-à-vis d’Edifice. On a mis un comité de gouvernance et chaque personne a un rôle bien précis. Chaque jour, il y a des montées d’informations. Chaque semaine, j’ai au moins une réunion, soit avec la radio, soit avec Edifice. Je pense que je suis la personne la moins stressée. J’ai une âme d’entrepreneur. Mais je me suis entouré de gens qui me permettent de mettre une très bonne organisation en place.

Qu’aimez-vous dans ce que vous faites ?

Je suis quand même un enfant de la vieille ! J’ai grandi avec la radio et la télé. Et puis, quand je voyage, je regarde ce qui a marché ailleurs, je vois ce qui va marcher avec notre environnement. Je suis aux nouvelles permanentes de Ouaga FM et des autres radios. Je suis aussi un auditeur.

En cette période d’insécurité, comment assurez-vous le traitement de l’information ?

Nous avons un groupe WhatsApp à travers lequel nous traitons un certain nombre d’informations dès qu’il y a un évènement majeur. On fait des remarques quand il y a un sujet assez sensible, on ouvre une alerte, on se retrouve, pour voir ce qu’il faut et ce qu’il ne faut pas faire. Après tout, on vit dans le pays. On regarde souvent comment traiter et gérer certains sujets. En dernier ressort, on se voit avec le directeur général et le rédacteur en chef, comment on gère ça. Ce sont des choses qu’on fait de manière permanente. C’est comme ça on a géré depuis plusieurs années et ça marche.

Vingt ans après, qu’est-ce qui fait la force de la radio Ouaga FM ?

Après 20 ans, il y a un esprit Ouaga FM. La proximité avec les gens, l’esprit de famille ; surtout l’envie d’être leader, l’envie d’être premier, même en termes de technologie. Je pense que c’est tout ce que j’appelle l’esprit Ouaga FM. Malgré les différents changements, il y a toujours cette énergie-là et qui est là et qui nous fait avancer.

Quelle analyse faites-vous du développement des médias burkinabè et notamment des radios ?

Là, c’est une grosse question qui peut m’amener à parler toute une journée durant. Au début de la libéralisation de la radio, je pense qu’il y a eu une vision du politique et une vision économique. On est en Afrique. Aujourd’hui, j’ai 56 ans, je n’ai pas ma langue dans ma poche et si je l’avais, mon fils n’allait pas être fier de moi. Les hommes politiques ont toujours une longueur d’avance dans leur esprit. On crée des radios, et puis, à côté, on crée beaucoup de radios communautaires, tout en sachant que ça ne va pas marcher. C’est la dynamique contraire que l’on observe dans d’autres pays. En France, toutes les radios ont été rachetées par cinq ou six radios.

Nous qui avons une vision économique, on ne cherche pas autre chose en dehors de l’audience. Pour vendre, il faut montrer que des gens t’écoutent, c’est tout ce qu’on cherche. Et nous, on a commencé par dire qu’il faut donner des relais aux radios. Pendant longtemps, on ne sait pas pourquoi l’Etat a refusé de donner les relais, et c’est après qu’on a compris qu’ils ont peur des coups d’Etat. Il faut donc contrôler les gens des radios. J’aime à dire aux gens que le papa de quelqu’un n’a pas fait les frontières à ce pays-là. Qu’on nous laisse tranquille, qu’on nous laisse travailler.

Je pense qu’avec l’évolution des choses, les gens ont compris. Le CSC [Conseil supérieur de la communication] a compris que les radios ne peuvent pas être rentables, parce que beaucoup de radios veulent signer des contrats avec nous, parce qu’elles ne peuvent pas avoir du programme. Parce que si elles font du programme, il leur faut du personnel ; si elles ont le personnel, il faut de l’argent pour les salaires.

Nous, en tant que Ouaga FM, nous avons la capacité d’émettre sur tout le territoire national en continu. Mais on nous refuse cela, et de l’autre côté, on permet à RFI de le faire. Nous, on nous a mis dans zone 1 et pour mieux nous contrôler ; c’est trop facile. Je pense qu’il faut qu’on comprenne qu’il faut libéraliser et que le meilleur puisse grandir et permettre d’aller vers l’international. Mais on est obligé de rester confiné dans notre environnement. Or, notre objectif, je vous l’ai dit, était de porter l’information du centre vers la périphérie et de la périphérie vers le centre.

Je n’ai rien contre les radios associatives, mais il faut donner la possibilité à celles qui peuvent être dynamiques d’avoir assez de fréquences à travers le pays. Ce qu’on faisait, il y a de cela dix ans, ce n’est plus possible. Avec Canal+ et la TNT, on sait qu’on peut porter. Mais on doit aller au-delà de cela. On reçoit des coups de fil de la Côte d’Ivoire, du Bénin, du Togo, du Gabon, etc. de la part de certains auditeurs et on sait que c’est parce qu’ils ont Canal+ chez eux.

Avec l’avènement du numérique, comment la radio Ouaga FM s’adapte-t-elle ?

Je suis friand des TIC et on a un pôle digital qui nous fait des propositions. On connaît du monde qui nous fait des propositions de temps en temps. On a des applications pour smartphones. On s’adapte progressivement. Les médias, par essence, c’est le numérique qui nous fait avancer.

Aujourd’hui, en plus de la radio, vous avez ouvert une télévision accessible sur la TNT. Parlez-nous de cette chaîne ?

La Chaîne africaine (LCA). J’ai une âme d’entrepreneur. C’est une histoire qui remonte à 2010. On a eu la licence depuis 2015. C’est un projet intégrateur. On a voulu montrer que l’Afrique se vend. C’est possible. C’est une chaîne africaine. On veut cette Afrique, la vraie Afrique d’entrepreneurs ; cette Afrique a besoin doit promue, et on ne peut pas mieux la faire qu’avec une télévision.

Un commentaire sur les 75 millions de francs CFA de redevance annuelle que devront payer les chaînes de télévision pour diffuser leurs programmes sur la plateforme TNT.

Le problème n’est pas le montant, le problème c’est la dynamique pour arriver au montant. On est à trois mois de 2020. Il faut 75 millions ! On vous dit que ce n’est pas cher. Nous, on trouve que c’est cher et une réunion est en train d’être faite avec l’Union des télévisions dont je suis membre. Nous sommes en train de parler avec l’Etat pour trouver une solution.

On peut payer un million, on peut payer un milliard, mais il faut qu’on nous donne des conditions pour les payer. Il faut qu’on donne la possibilité aux télévisions de grandir. C’est cela le plus important. Je ne vais pas entrer dans les détails parce qu’il y a des négociations en cours. Nous croyons que le président de l’association pourra défendre notre dossier et ferra connaître à l’autorité que nous sommes dans le même bateau. Il faut que l’Etat ait cet esprit d’accompagnement. Je crois qu’ils vont se comprendre.

Revenons à Ouaga FM qui a 20 ans. Quelles sont les innovations attendues en termes de programmes ?

On a refait toute la radio. Les studios sont tout neufs. C’est même une nouvelle radio du point de vue technique. Maintenant, en termes de contenu, on va prendre en compte les suggestions et améliorer les choses après avoir tendu l’oreille aux auditeurs pour qui nous travaillons.

Qu’avez-vous envie de dire aux autorités, à la population en général et aux auditeurs de Ouaga FM en particulier ?

A tous ces gens, je dis merci ! A l’autorité, c’est elle qui nous a donné la licence, mais c’est elle aussi qu’on critique tous les jours. Merci aux auditeurs, merci au personnel qui s’adapte en permanence en termes de besoins des auditeurs et merci à Dieu pour la créativité, la santé et merci aux autres médias qui nous font confiance. C’est tant mieux si on peut être un exemple pour les jeunes !

Interview réalisée par
Edouard K. Samboé
Herman Frédéric Bassolé
Lefaso.net

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