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Littérature : David Sawadogo fait ses premiers pas avec « Les tuiles sur la tête »

Publié le mercredi 21 août 2019 à 12h08min

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Littérature : David Sawadogo fait ses premiers pas avec  « Les tuiles sur la tête »

Ancien inspecteur, David Sawadogo fait aujourd’hui ses premiers pas dans la littérature. Nous l’avons rencontré pour échanger autour de son roman « Les Tuiles sur la tête » paru en 2017 aux éditions Céprodif.

Lefaso.net : Présentez-vous à nos lecteurs

David Sawadogo : Je m’appelle Sawadogo R. David, je suis écrivain, auteur du roman « Les tuiles sur la tête ». C’est vrai qu’au-delà de cet esprit d’écrire et d’éveiller la conscience, j’étais précédemment inspecteur, mais j’ai cessé. Je suis en train de créer ma propre entreprise.

« Les tuiles sur la tête » a été publié chez Céprodif en 2017. Ce roman met en scène les souffrances de la femme africaine, la marginalisation de la femme africaine. C’est un roman de 117 pages composé de dix chapitres. Trois personnages principaux s’y trouvent (Maïmy, son fils Luka et son mari Papi). Il traite de thèmes comme la violence conjugale, le mariage forcé, l’incarcération, le bien mal acquis, la tradition et la modernité…

Pouvez-vous nous expliquer un peu le titre « Les tuiles sur la tête » ?

Quand on parle de tuiles, c’est une charge, c’est la toiture ; les tuiles sont lourdes. Quand je parle des « tuiles sur la tête », c’est le fardeau que la femme africaine, ou du moins dans le monde entier, a sur la tête. Aujourd’hui, notre monde est scindé en deux : il y a le monde des faveurs et le monde des lourdeurs. La plupart du temps, c’est la femme qui se charge de tout ce qui est lourd. Quand on entre dans le cadre du foyer, tous ce qui est charges, ménage, tout ce qui relève de l’entretien, tout ça c’est la femme. J’ai préféré intituler le livre « Les tuiles sur la tête » parce que la femme a un lourd fardeau sur elle. Puisque je parle de la femme, je parle du poids social que la femme supporte.

« Les tuiles sur la tête », une fiction ou une histoire réelle ?

D’une manière ou d’une autre, je peux dire que c’est une fiction réelle, puisque je ne raconte pas l’histoire à travers une personne propre. C’est à la fois tout le monde et personne. Mais je peux dire qu’à travers cette œuvre, on voit une certaine réalité que la femme africaine vit. Parce que si vous parcourez le livre, vous aller voir que je parle plus de la femme africaine. Je parle de la femme africaine parce que d’abord je suis africain, je connais la réalité africaine. J’ai vécu dans certains milieux où j’ai vu la femme souffrir. Je ne connais pas très bien l’Europe comme je connais l’Afrique. Je préfère parler de ce que je sais pour qu’il n’y ait pas d’amalgame. C’est une réalité en quelque sorte que j’ai essayé d’imager dans ce roman.

Quand on parcourt le roman, on voit que Maïmy, l’héroïne, à aucun moment, n’a eu une porte de sortie. Pourquoi avoir choisi cet angle ?

J’ai choisi de traiter le sujet sous un angle ferme. J’ai été hermétique, catégorique, j’ai été sévère même dans mes mots, parce qu’en réalité, si vous parcourez le Burkina, si vous faites le tour de certains pays africains, la misère, la souffrance que la femme vit, c’est inadmissible, c’est inexplicable, c’est inconcevable. Je préfère le faire savoir à tout le monde qu’en réalité, la femme souffre et c’est une souffrance extrême. Je ne peux pas m’hasarder à mettre des marges comme si en réalité, nous ne vivons pas ce que la femme vit. Si je mets des marges, alors je vais pardonner certains angles ou bien je vais arrondir certains angles qui ne devraient pas être arrondis.

En réalité, si on veut bien voir aujourd’hui, la seule personne qui souffre sur notre terre, c’est bien la femme et ça aussi, c’est par l’inadvertance totale des hommes qui se sont désengagés de son devenir, qui se sont désengagés de son meilleur être. Je ne peux pas comprendre aujourd’hui qu’on empêche une femme de sortir travailler ; c’est un crime ! Alors je préfère dire la chose telle que je la vois. C’est intéressant pour nous les hommes d’avoir un œil de pitié pour la femme. Voilà pourquoi je n’ai pas mis de marges.

Le mariage forcé est l’un des thèmes majeurs de ce roman, pourquoi avoir mis l’accent là-dessus ?

On dit que « la joie n’est pas l’absence de peine, c’est la façon dont on gère les peines qui peuvent nous donner la joie ». Tout le monde sait que quand on parle de mariage, on parle d’union, et quand on parle d’union, on parle de la communion entre deux personnes. Là où il y a une ou deux personnes, il faut comprendre qu’il ne peut pas ne pas avoir de coups. Si deux personnes choisissent de s’aimer pour la vie, et choisissent de construire ensemble un foyer, c’est encore mieux que quand c’est un mariage arrangé. Il faudrait que nous sachions que le mariage tient compte de beaucoup de paramètres, il faut d’abord un amour approfondi, une compréhension mutuelle, un consentement égal, une confiance absolue, une vérité financière et sanitaire.

On doit taire les histoires de grâce, de fortune, de beauté, de richesse et puis s’accepter mutuellement pour que le foyer soit vivable. Imaginez qu’on dise à une fille un matin : « Tu vois l’homme qui marche ici ? A partir de maintenant, c’est ton mari », sans tenir compte de son avis. Auparavant, c’était comme ça, on te réveille un beau matin et on te dit on t’a donné en mariage dans tel village, ce n’est même pas dans telle famille mais dans tel village. C’est peut être avec ta maman que tu vas comprendre c’est dans quelle famille. Et souvent, la maman ne dévoile pas, parce que si elle le dit et que la fille ne veut pas aller dans cette famille, elle risque de fuir la maison. Et en ce moment, la maman porte le chapeau.

Donc elle se tait, elle s’amuse, pour ne pas être répudiée de son foyer et être dans l’obligation d’abandonner ses autres enfants. Souvent, on le cache dans les oubliettes jusqu’au jour où les fiançailles se feront ou bien le jour où le mariage se fera, avant que la femme ne sache qui est son mari ; mais c’est terrible !

Arrêtons ces mariages forcés, parce que nous les hommes nous sommes inconscients dans cette pratique. On prend même souvent une femme pour la donner à un fou, à une personne immorale, à une personne malade, et ça bloque sa vie sur terre. On ne conçoit pas pour aller détruire mais on conçoit pour que ça devienne une personne qui va générer une joie pour la famille.

Je le dis et je répète : si l’état laisse continuer ce mariage forcé, il sera responsable. Si les responsables coutumiers, religieux, les délégués villageois et communaux ou autres, tous ceux qui ont cette responsabilité de dire non au mariage forcé, s’ils ne le font pas, moi Sawadogo, je dis : ils seront responsables devant la juridiction d’ici et devant les lois divines. Moi je le condamne.

Laissez la fille choisir son homme, laissez l’homme choisir sa femme. Il ne faut pas qu’on force deux jeunes à une union qui va détruire à jamais leur vie. Dès lors que tu échoues au mariage, ta vie sur terre devient inutile. Même ceux-là qui sont allés de leur propre consentement se marier, s’ils échouent dans leur foyer, ils échouent totalement aussi pour la vie. Parce que tout part du foyer. Le foyer est comme une terre que vous ouvrez pour mettre des semences, si ce n’est pas arrosé, il n’y aura jamais de plante, et s’il n’y a pas de plante, il n’y aura jamais de fruit.

Nous devons faire beaucoup attention parce que le foyer est le nerf de tout développement social. Une personne qui échoue dans son foyer à totalement échoué. Même si tu es président, si tu échoues dans ton foyer, tu ne fais pas attention, tu vas échouer. Puisque si tu n’as pas pu diriger une seule personne, ce n’est pas une multitude de personnes que tu pourras diriger.

La tradition et la modernité sont abordées dans le roman, mais vous mettez essentiellement l’accent sur leur côté négatif. Pourquoi cela ?

Ce n’est pas pour rien qu’on m’appelle l’avocat des femmes. Un avocat cherche toujours la raison. J’ai été témoin oculaire de femmes qu’on traumatise. J’ai été témoin oculaire de femmes qu’on chasse pour sorcellerie, je n’ai pas supporté ça, ça m’a blessé. On est très content qu’aujourd’hui, tous les Etats se sont levés, se sont unis pour que la jeune fille soit scolarisée. Auparavant, s’il y avait un choix à faire entre un jeune garçon et une jeune fille pour scolariser, c’est la femme qui avait la malchance de ne pas être scolarisée. Du côté tradition comme du côté moderne, on traite la femme au même titre.

Aujourd’hui encore, on voit que pour certaines responsabilités, quand on veut faire appel à une femme, il y a des gens qui diront « Comme c’est une femme-là, on ne sait pas si elle va y arriver ». Je me demande si la femme est d’un autre ange ou si ce n’est pas un humain. Ce n’est parce que la femme a des organes féminins qu’on doit la maltraiter ou la marginaliser. Voilà pourquoi du côté traditionnel comme du côté moderne, je trouve qu’on fait du tort à la femme.

Vous avez aussi abordé le thème de l’excision dans le roman, surtout ses méfaits. Qu’en dites-vous ?

Vous savez, aujourd’hui certaines choses se font parce que les gens n’ont pas eu un certain développement mental, une formation intellectuelle. D’autres font certaines choses parce qu’ils ne connaissent pas, ils ne comprennent pas. Même toute suite quand on va parler de l’excision, certains te diront « oui il le faut, parce que quand une femme n’est pas excisée, elle devient un danger ».

Nous avons eu la chance de faire des recherches et on a compris que si on doit classifier les crimes, l’excision ne peut pas aller au-delà de la 4e position. Parce que l’excision laisse des séquelles à une femme, je m’excuse du terme mais ces séquelles vont détériorer sa libido, ça ne va pas lui faciliter le travail à l’accouchement, ça va lui enlever le plaisir qu’elle devait avoir, sentir réellement à travers son mari. Ce n’est pas bien.

Aujourd’hui, on sait que l’excision est un danger parce qu’une chose qui fait toujours appelle à la mort est un problème. Avant que l’exciseuse ne dépose ses couteaux, la fille peut rendre l’âme ; ça c’est un danger.

Au-delà de ça aussi, il faut comprendre qu’à l’accouchement, il y a des problèmes ; l’élasticité est partie, ça devient un problème. C’est vrai qu’on peut faire des interventions, mais il n’y a pas une seule œuvre qui est parfaite sur terre. Si elle ne parvient pas à accoucher d’elle-même, on peut tenter la césarienne, si ça réussi, tant mieux ; mais si ça ne réussit pas aussi, c’est un problème.

Je dis qu’il faut qu’on éveille les consciences, il faut qu’on en appelle à tous. Je pense que le livre doit interpeller, guider nos parents. Ça doit guider nos mamans qui sont au village, dans les villes et qui n’ont pas encore compris. J’ai choisi de le traiter parce que je veux interpeller les consciences pour que tout le monde sache que c’est un danger.

Vous abordez aussi le thème de la sorcellerie, surtout l’idée qui l’attribue toujours à la femme…

Premièrement, c’est un appel contre le mauvais côté de la tradition, et deuxièmement c’est une interpellation, c’est une conscientisation. Nous sommes nés en Afrique, nous connaissons qu’il y a des mystères en Afrique, nous connaissons quand même qu’il y a des choses inexplicables, c’est évident. Mais c’est Dieu qui a créé l’homme, c’est Dieu qui a donné le souffle à l’homme. Alors si un homme part, on doit d’abord se référer sur l’angle divin pour dire « Dieu a donné, Dieu a repris », c’est ce qu’on nous appris.

Subitement, s’il y a un cas de mort et que directement on indexe un individu sans une preuve palpable, parce qu’en aucun cas dans ce monde, on ne pourrait mettre un radar, une lumière pour dire que celui-là qui a fait ci. Quand un enfant, une femme, ou un homme rend l’âme, on dit que c’est untel, alors qu’on ne peut pas montrer au microscope que c’est ce monsieur-là qui a été à la base de cette mort. Voilà pourquoi nous disons d’arrêter cela, dès lors qu’il y a un cas sérieux, un cas de mort, que chacun rabaisse sa colère et aille à la prière pour le repos de l’âme du défunt. C’est Dieu seul qui autorise que quelqu’un quitte ce monde pour l’autre royaume qu’on ne sait pas.

Je mets l’accent sur l’idée qu’on attribue toujours la sorcellerie à la femme, pour appeler à tolérance. Parce que, la plupart du temps, on parle plus de sorcière et moins de sorcier. Je ne sais pas pourquoi on lie toujours la sorcellerie à la femme. Je me demande bien si l’incarnation physique de la femme est un atout pour que la sorcellerie s’investisse en elle. Dans ce roman, on voit qu’on a accusé des femmes de sorcellerie. Parce que des filles ont été victimes de l’excision ; au lieu de le comprendre, on se met à chercher un coupable. Du matin au soir, ils n’ont pas eu de preuve.

Jusqu’à ce que d’autres s’infiltrent pour se venger. Se venger contre des femmes jugées trop vivaces à l’égard des hommes, ou des femmes qui ont perdu leurs enfants et maris. Il fallait trouver une solution pour qu’elles quittent le village. Et pourtant, leur situation n’avait rien à voir avec le décès des jeunes filles victimes de l’excision.

La pratique de la sorcellerie, tout le monde peut la combattre. Si vous voyez quelqu’un en train d’égorger un mouton ou un chien en plein milieu de la route, mais dites à la personne de ne pas faire cela parce que d’abord, la violence peut transformer nos enfants, peut désorienter nos enfants. Egorger un chien qui aboie en plein milieu de la voie, dites à la personne de cesser, ça c’est une forme de pratique de la sorcellerie que nous ne pouvons pas admettre. Dire que c’est un tel qui a tué mon fils, ma femme ou mon mari, ça c’est un danger. Il faudra qu’on fasse attention, parce qu’il y a un seul juge sur terre, c’est Dieu. Il faudrait qu’on fasse beaucoup attention parce qu’on va se détruire.

Est-ce ironique de montrer qu’au lieu que le « singho » (fétiche qui désigne le coupable d’une mort suspecte) dirige ses porteurs, ce sont les porteurs qui l’ont dirigé lorsque les femmes ont été accusées de sorcellerie ?

Effectivement, c’est de façon ironique, puisque je l’ai dit ouvertement pour faire comprendre aux gens que c’est faux ce qu’ils font et que c’est lié à un intérêt particulier. Que c’est lié à une volonté particulière, que c’est lié à l’homme même, puisque l’homme n’est jamais parfait. C’est lié aux états d’âme de celui qui porte le « singho » ou de celui qui a conçu.

Auparavant, c’était des traditions, les gens s’amusaient, mais entre-temps, les gens ont pris ça comme autre chose. Parce que les femmes ont été désignées par les porteurs du « singho » qui voulaient personnellement régler leurs différends avec elles. Lorsqu’elles ont été désignées, n’ayant nulle part où aller, ces femmes accusées de sorcellerie ont dû fuir loin des villages. Fuir loin des hommes qui sont devenus féroces, devenus pire que des sorcières. Elles ont préféré aller mourir en brousse, elles ont préféré être la proie des fauves.

Je n’ai jamais vu une femme qui porte le singho, ce sont les hommes qui le font souvent. Qu’ils arrêtent sinon ils vont finir par décimer leur population de façon inutile et impropre. Parce qu’après la mort de ces filles, il y a eu plusieurs morts ; qui en étaient à la base ? Il n’y avait plus de sorcière à chasser, qui était à la base ? C’est un travail inutile. Et le porte-parole du singho est où ? Mais s’il avait compris ça très tôt, il n’allait pas mettre la vie de ces femmes en péril.

Quand vous dites de faire coudre des robes pour les prisonniers, que voulez-vous dire par là ?

Vous touchez un point saillant. Vous savez, l’éducation est très capitale pour tout le monde. Si vous mettez un enfant au monde, la première des choses c’est de l’orienter, lui donner une certaine moralité de la vie. Une certaine orientation pour qu’il ne soit pas égaré. La prison, c’est comme une renaissance. Si tu commets une gaffe, et qu’on t’amène en prison, c’est pour te réorganiser, c’est pour te réinitialiser. Si on t’amène en prison, c’est pour corriger une certaine moralité en toi. Ce n’est pas pour aller mettre la honte sur toi, ce n’est pour aller te jeter dans le chaos.

Aujourd’hui, dans les prisons, les gens sont en slip, c’est terrible, c’est inadmissible. Je ne peux pas admettre qu’un prisonnier soit en slip. Il y a une certaine dignité qu’il faut couvrir, puisque quand on parle d’éducation, les mœurs font aussi partie de l’éducation, il faut faire comprendre aux gens qu’il faut les cacher. Si en prison on laisse les gens se balader avec des slips, ça ne doit pas surprenant que dans les rues on voie des enfants aussi qui marchent avec les pantalons descendus, puisque ce n’est pas interdit. Si les plus hautes autorités le font, c’est pour dire que l’humanité entière le fait.

Si l’humanité entière fait telle chose, les enfants que nous mettons au monde ne pourront pas comprendre. Je me dis qu’on envoie quelqu’un en prison, c’est pour le recadrer, ce n’est pas pour lui mettre la honte. Imaginez qu’on vous mette en prison et que votre beau-père ou belle-mère vienne vous rendre visite et on vous fait sortir avec un slip devant cette personne. C’est dangereux. Quand tu vas quitter la prison, tu te sépares de la femme, puisque sa maman aussi t’a vu nu.

Selon les mœurs, ça ne marche pas, c’est interdit. Il faudrait que nous appelions nos autorités à cesser ces pratiques. Je ne mâche pas mes mots, je suis responsable de ce que je dis. Souvent quand ça dure, le caleçon est même troué. La prison, c’est pour recadrer la moralité de la personne, c’est pour amener la personne à abandonner cette vie de débauche ou cette vie malsaine qu’elle pratiquait, et puis revenir à la raison. Ce n’est pas pour aller exhiber sa féminité ou son caractère d’homme en public, ce n’est pas joli.

Que faut-il entendre par l’expression « Sa réponse fut sèche à la manière des Blancs » ?

Vous savez, nous avons deux cultures sur terre, il y a la culture que nous, nous vivons, et il y a la culture occidentale. Ce qui est interdit chez les Gourounsi n’est pas interdit chez les Mossi. Ce que les Blancs font, c’est leur coutume. Chez eux, un enfant peut se lever un beau matin et insulter son père ou sa mère et puis aller dormir tranquille. Mais ici si tu insultes un père, c’est un sacrilège. Donc c’est deux mondes différents.

Une mère est une autorité parce que c’est elle qui t’a conçue. C’est une autorité parce qu’après Dieu, c’est la maman ; après la maman c’est le papa. Le papa est géniteur mais il n’est pas celui qui a porté la grossesse pendant neuf mois. Ce n’est pas lui qui a donné son sang à sucer à ce fœtus. C’est la maman donc une mère est une autorité. Quand tu dois répondre à un président, tu ne vas jamais lui dire « va t’asseoir là-bas, ce n’est pas possible ». Quand on veut parler à une mère, revêtons-nous de notre culture africaine et ayons cette politesse parce que c’est important. Luka, de la manière qu’il a répondu à sa maman, c’est de la façon la plus sèche comme chez les Blancs. « Maman, non je ne le fais pas ».

Non, ce n’est pas une morale. « Oui maman, c’est vrai que je pensais qu’en faisant ça, ça allait être comme ça, mais désolé comme c’est ainsi, je demande pardon ». Et tu as sa bénédiction, c’est ce qu’on nous a enseigné, c’est ce qu’on nous a appris. Ces réponses font partie de l’éducation. Quand une personne t’est supérieure, il faut la respecter. Même le Blanc dit « vous » à certains moments. On doit comprendre qu’une mère est une autorité, c’est une personne supérieure à soi, il faut la respecter comme il se doit.

Vous parlez aussi du bien mal acquis.

Il y a un adage qui dit que « un bien mal acquis ne profite jamais ». Dans ce roman, nous voyons que Luka s’est donné tous les moyens pour devenir la personne qu’il voulait être. Il s’est associé à des pratiques néfastes, des pratiques ignobles. Il s’est dit que même si sa richesse se trouve dans le royaume des lions, il va s’y mettre.

Aujourd’hui on dit : « Qui se suffit du peu qu’il a, saura se suffire du grand qu’il aura ». D’aucuns disent qu’ils préfèrent avoir 100 millions que d’avoir 100 ans de vie. C’est dangereux parce que Dieu a dit que « l’homme doit se nourrir de la sueur de son front » ; et si tu refuses de travailler, tu seras obligé d’aller soit dans le vol, soit dans le mensonge, soit dans le crime. Quelqu’un qui s’implique dans ces pratiques, échoue.

A travers la situation de Luka, dans cet ouvrage, j’ai coloré le vécu actuel de la jeunesse. On a une jeunesse très pressée, on a une jeunesse qui ne veut pas écouter, on a une jeunesse qui pense que c’est de la force de sa poitrine qu’elle doit se nourrir. Il faut se dire que chacun a une destinée et Dieu, en acceptant que tu sois sur terre, a tracé ta ligne de vie. Si tu l’esquives, tôt ou tard, tu vas revenir. Chacun se doit une certaine moralité, chacun se doit une certaine confiance en soi pour aller doucement et travailler de ses propres mains, de son intelligence, pour pouvoir se nourrir. Il ne faut pas vouloir confisquer pour autrui pour aller faire ta vie. Parce que le bonheur que tu veux construire en confisquant pour autrui, cette personne peut aussi le faire. Arrêtons de faire du mal aux autres pour notre seul bien.

« Si tout ce qui arrive est nécessairement déterminé par le destin, l’existence d’un péché serait fort douteuse, même le péché originel ». Ces mots veulent-ils dire que vous ne croyez pas au destin ?

Les gens prennent le destin comme une excuse. Nous ne sommes pas divins, on ne peut pas déterminer le destin. Parce que la seule chose au monde qui est plus cachée, c’est le destin. Nous sommes conscients d’une seule chose, nous savons que quand on dit de ne pas tuer, de ne pas voler, il faut tout faire pour ne pas tuer ou voler car ce n’est pas bien. Il ne faut pas aller prendre le bien d’autrui et dire que c’est le destin qui t’a envoyé là-bas. Je ne crois pas au destin, je crois peut-être aux miracles de cette grande puissance surnaturelle que personne ne maîtrise. Il y a souvent des miracles. Par exemple, en marchant, on peut ramasser de l’or, ça c’est Dieu qui te l’a donné.

Là où c’est négatif, il ne faut pas aller faire quelque chose de mal et puis dire que c’est Dieu qui avait dit dès le début que c’est ce que tu devais faire. Si tu crées une situation bizarre, sache que ça va te rattraper. Chez nous on dit que « si le mal ne te prend pas, ça va prendre ton enfant ; si ça ne prend pas ton enfant, ça peut même descendre à trois ou quatre générations ». Si c’était un destin, Dieu n’allait pas autoriser ça. Le mal que l’homme fait, il en est l’unique responsable et il sera condamné à la hauteur de ce mal, que ça soit par les hommes ou par Dieu. Il y a de grands miracles, mais il n’y a pas de destin. Il ne faut pas que les gens se cachent derrière le destin pour aller tuer et pour dire après que c’est Dieu, non ce n’est pas Dieu, c’est nous-mêmes.

Comment se porte le livre sur le marché depuis sa parution ?

Au départ, même à la dédicace, j’ai dit aux gens : ce qui est primordial pour moi, d’abord c’était de faire sortir ce que Dieu a mis en moi, cette petite connaissance que Dieu m’a donnée. J’ai trouvé qu’il ne fallait pas être jaloux, qu’il faut le partager. Aujourd’hui, je peux dire que l’œuvre se comporte bien, parce qu’il y a des gens des Etats-Unis, du Canada, de la France, qui lisent et qui m’écrivent. Ils disent qu’après avoir parcouru l’œuvre, ils trouvent que ça interpelle, c’est déjà une richesse pour moi. Ce n’est pas très évident que le jeune auteur burkinabè puisse se nourrir de son œuvre. Mais au moins, la personne va se nourrir mentalement et spirituellement, parce que son message a pu passer.

Aujourd’hui, on s’accuse de certaines choses, on évite de parler de certaines choses. Aujourd’hui, un jeune musicien, au premier album, très vite, il est connu. C’est le même cas chez un comédien : à sa première sortie, très vite il est connu. Très vite un homme de théâtre ou de cinéma à sa première sortie dans un film, il est connu. Ce n’est pas le cas chez les écrivains. En tant qu’écrivain, tu peux faire 50 romans, si tu n’as pas eu la chance, tu ne seras pas connu.

Je ne sais pas pourquoi il y a cette marginalisation. J’interpelle l’Etat, parce que c’est une forme de marginalisation. Je suis responsable de mes mots. L’Etat marginalise les écrivains, alors que l’imagination, ça s’abreuve aux sources de la littérature. Tout ce que nous écrivons, c’est une force de travail d’une longue période. On peut prendre 10 ans pour écrire un roman, il y a des gens qui peuvent te prendre une semaine pour te faire 50 titres de chansons, ça dépend de l’inspiration.

Mais pourquoi on nous omet ? Si tu parles, on va dire que tu as la gueule et si tu ne parles pas aussi, on va s’assombrir, parce que ça décourage. Quand tu écris, tu écris pour interpeller, pour conscientiser, pour éduquer, pour aider l’Etat à recadrer ses hommes, parce que le message peut changer une ou deux personnes. Je pense que c’est déjà une éducation. Ça ce n’est pas une prison où il faut aller prendre une année ou dix ans pour te corriger, mais c’est une prison morale, parce qu’à travers la lecture, tu vas changer beaucoup de choses dans ton comportement.

Alors pourquoi ne pas aider les auteurs ? Il y a 1 000 ou 100 ans écrivains au Burkina, mais qui les connaît ? Qu’est-ce que l’Etat fait pour la promotion de la lecture ? Qu’est-ce qu’il fait pour la promotion des jeunes écrivains ? Qu’est-ce qu’il fait pour que les scolaires puissent avoir nos œuvres ? Il n’y en a pas. Dans le programme scolaire, on va demander d’aller lire Camara Laye, Seydou Badian, Charles Baudelaire. Nos écrits sont en quelque sorte une inspiration interne, une inspiration de la culture africaine. « L’homme n’est fort que par se racine » tout comme « une plante n’est forte que par sa racine ». On ne peut pas aller se cultiver à travers les autres mondes et puis laisser notre monde. Nous, nous sommes des Africains, on doit s’inspirer de notre richesse africaine, avant d’aller chercher la culture des autres pays. L’Etat doit avoir un regard particulier sur les jeunes écrivains afin que le public scolaire puisse lire nos œuvres. Si tu écris et tu déposes chez toi, ça ne sert pas.

Un dernier mot ?

La sagesse n’est pas une matière qui s’achète, c’est un sens qui s’acquiert. Que chacun soit sage de son côté, parce que c’est dans la sagesse que nous allons pouvoir construire notre Afrique, que nous allons pouvoir construire notre monde. Comme dernier mot, comme tout le monde, je souhaite qu’il y ait la paix au Faso. C’est important dans la mesure où tous se construit d’abord dans la santé. Il faut d’abord une bonne santé sociale pour que tout puisse se construire. Il faut également un équilibre social, la tolérance pour que tout se construise.

Aujourd’hui, nous, Burkinabè, nous devons taire nos orgueils, nos angoisses, cette haine, et nous devons taire cet esprit de dire si ce n’est moi, ce n’est donc personne. Cette guerre fratricide, je n’aime pas ça, c’est au-delà du terrorisme ; il faut de la tolérance pour que cela cesse. Aujourd’hui, si on est un père de famille, on doit être regardant. Un père de famille qui n’est pas tolérant va mettre au monde des enfants qui sont intolérants.

Quand notre monde évolue ainsi, c’est à la dérive. Je prie pour la paix, la réconciliation des cœurs au Burkina Faso. Il faut que les gens disent que c’est le Faso d’abord. Nous devons nous accepter mutuellement. Si la réconciliation doit passer par le sacrifice de ceux qui sont au sommet de notre Etat, ils n’ont qu’à le faire. Ce sacrifice, ce n’est pas aller se jeter en holocauste, mais c’est de cesser les guerres entre dirigeants, les guerres politiques, et puis s’asseoir ensemble et voir comment a va faire pour sauver cette nation.

Je prie pour que Dieu apaise les tensions des uns et des autres, que chacun taise sa raison parce que tout le monde pense avoir raison. Ce n’est pas une solution ; la solution, c’est de se donner main dans la main et sauver notre Faso.

Interview réalisée par Korotoumou Djilla (stagiaire)
Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 21 août 2019 à 15:31, par David N En réponse à : Littérature : David Sawadogo fait ses premiers pas avec « Les tuiles sur la tête »

    Pour avoir côtoyer Mr SAWADOGO, je dirai qu’il est un génie de la parole en plus d’être de la plume. Ceux qui ont lu son œuvre ou qui l’ont déjà écouté ne me diront pas le contraire. je recommande vivement son œuvre à tout ceux qui aimeraient savoir un peu plus de l’Afrique .Vous serez édifiés à travers ses improvisations et sa façon de communiquer assez spéciale.Bon vent à vous Mr SAWADOGO.

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