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Rapport d’enquête sur les magistrats : Le juge Ibrahima Nana, épinglé, s’explique et dénonce à son tour

Déclaration

Publié le vendredi 10 novembre 2017 à 23h47min

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Rapport d’enquête sur les magistrats : Le juge Ibrahima Nana, épinglé, s’explique et dénonce à son tour

Le 6 juillet 2017, la commission d’enquête mise en place par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) sur des allégations de corruption au sein du corps a remis son rapport. Dans un communiqué, le CSM informait l’opinion que sur 51 dossiers, la commission a conclu à l’existence de manquement à l’éthique et à la déontologie dans vingt-neuf (29) dossiers et impliquant 37 magistrats principalement, et incidemment 3 avocats, 5 greffiers, 4 OPJ et APJ de la gendarmerie nationale. Par la suite, ce rapport a été publié par nos confrères Mutations et Le Reporter ; et on a ainsi connu nommément les mis en cause. Parmi eux, le magistrat Ibrahima Nana, qui s’explique dans cette déclaration et accuse à son tour des membres de la commission d’enquête.

Monsieur Ibrahima NANA,
Magistrat de grade exceptionnel hors hiérarchie
Avocat général près la Cour de cassation du Burkina Faso

A

Madame la présidente du Conseil Supérieur de la Magistrature

Objet : dénonciations conformément à l’article 33
de la loi organique n° 049-2015/CNT du 25 Août 2015

Madame la présidente,

J’ai l’honneur de venir très respectueusement vous exposer des griefs que je soulève suite à la publication du rapport de la commission d’enquête par les bimensuels Mutations n° 135 du 15 au 31 Octobre 2017 et Courrier confidentiel n° 142 du 25 Octobre 2017 ;

En effet suivant l’article 1 de la Décision N°002/2016 du 22 Novembre 2016, « il est mis en place une Commission chargée de mener des enquêtes sur des cas d’allégations de manquements à la déontologie et à l’éthique allégués par des magistrats » ; toutefois la désignation de ses membres a occasionné des collusions partisanes qui ont permis à une certaine majorité d’abuser de leurs attributions ;

C’est ainsi que des manquements très graves tenant dans un premier temps au contenu du rapport et, dans un second temps aux inconséquences de Monsieur Mazobé Jean KONDE Président de la Commission d’enquête nécessitent d’être relevés ;

1- Des manquements tenant aux conclusions de la Commission

La commission qui a travaillé deux(2) mois durant s’est volontairement abstenue de convoquer et d’entendre comme elle l’a fait pour d’autres, les magistrats SORY Moussa Stéphane et Hugues OUEDRAOGO (tous militants du SAMAB) qui ont par voie de presse, appris que des manquements à l’éthique et à la déontologie étaient mis à leur charge ;
Cette même Commission a pu cependant conclure dans son rapport que SORY Moussa Stéphane (qui n’a pas été convoqué ni entendu) a, en intelligence avec Ibrahima NANA, constitué une majorité de circonstance pour libérer le prévenu DUNEAU Nicolas ;

Et que, pour ce faire, nous avons reçu de l’argent d’un certain Pascal AGRESTA ;
De nous trois, j’ai été le seul entendu le 23 Mai 2017 ; j’ ai expliqué que la demande de mise en liberté provisoire de DUNEAU a été introduite par ses avocats , à savoir les cabinets SAGNON-ZAGRE et Abouba MAIGA du barreau de Bamako ;
Pour la gouverne, la Chambre correctionnelle que j’ai présidée n’ avait fait que suivre le Parquet général qui a requis la mise en liberté du prévenu aux motifs que le passeport du prévenu était retiré et détenu par le parquet ; que de ce fait il n’ y avait aucun risque de non représentation ; pour terminer un des enquêteurs me pose la question de savoir si je connais un nommé Pascal AGRESTA je réponds que non, en ajoutant c’ est qui lui ? On me répond que c’ est tout ;

Curieusement à la publication du rapport, je constate que je suis déclaré épinglé pour avoir reçu de l’ argent( sans en indiquer le montant) de ce personnage totalement inconnu de moi, que du reste, on ne m’ a même pas permis de confronter ; si ce n’ est un procès d’ intention, ce n’ est pas non plus loin du charlatanisme ?

Comment cette Commission aurait su disculper, et partant les blanchir, si elle n’avait pas entendu monsieur Laurent PODA (dans les faits de dénonciation par la dame de Bobo-Dioulasso qui l’accused’extorsion de fonds) et monsieur Paulin BAMBARA (dans l’affaire de soustraction de pièces d’information dans l’affaire Ministère public contre monsieur YONLI Emmanuel ancien magistrat militant du SBM) ?

Est-ce parce qu’ils sont respectivement Procureur général et Secrétaire général du Ministère de la Justice au moment des travaux de la Commission ?ou simplement parce qu’ils sont du Syndicat burkinabè des Magistrats (SBM) qui avait quatre (4) représentants contre un(1) du SAMAB , parmi les six(6) membres ?

Par quelles techniques et méthodes d’ enquêtes cette Commission peut-elle formellementdéclarer suffisamment établis les faits mis à la charge de personnesqu’ elle a expressément tout fait pour ne pas entendre et, dans le même élan, exiger leur traduction immédiate devant le conseil de discipline, nonobstant ce gravissime manquement aux droits de la défense ?

Cette Commission avait-elle compétence pour écouter puis blanchir certains mis en cause et, dans les mêmes circonstances exiger que soient traduits devant le Conseil de discipline d’autres mis en cause qu’ elle n’ a pas voulu entendre ?

Non pas un OPJ(officier de police judiciaire), mais un simple stagiaire APJ (agent de police judiciaire) n’aurait jamais pu commettre une telle forfaiture ;
Quand je pense que parmi les célèbres membres de la Commission d’enquête y siégeaient au moins trois magistrats de grade exceptionnel…quelle honte ! Ou du moins quelle haine !

C’ est cette même Commission qui, sans en référer au CSM qui l’ a créée, s est arrogée le pouvoir d’ attraire un journaliste, en l’ occurrence monsieur Loukman SAWADOGO , devant le Tribunal correctionnel de Ouagadougou pour avoir simplement évoqué l’ existence d’ un gros poisson dans la Commission ; toujours sans en rendre compte au CSM , cette Commission de monsieur KONDE a exigé60.000.000 FCFA en guise de dommages-intérêts ; eh bien, moi j’ affirme avec humilité que, plus qu’ un gros poisson, il y avait bel et bien au moins deux requins dans ce club d’ enquêteurs ;

Aussi à la faveur de tout ce qui précède, il ne fait l’ombred’aucun doute que c’est une Commission qui a instruit :
 uniquement et volontairement à charge pour certains, et à décharge pour d’autres ;
 au mépris du principe élémentaire du contradictoire ;
 au mépris du sacro-saint principe de la présomption d’innocence ;
 aux antipodes de la loyauté et de l’impartialité ;
et le plus grave encore, par des professionnels de l’ application du droit ;

Quoique de confession musulmane je médite depuis lors sur cette parole du Christ(Luc chapitre 23, verset 31) qui dit : « Si vous traitez ainsi le bois vert , qu’en sera t- il du bois mort ? » ;

2 –Des griefs relatifs au Président de la Commission d’enquête

En effet, j’ ai eu l’ avantage d’ être également entendu par cette Commission d’ enquête (et y avoir été menacé par le Président KONDE d’ atteinte à mon intégrité physique si jamais j’ osais de nouveau traiter une question, à moi posée, d’ insensée) dans le cadre de deux dossiers intéressant l’ Ordre des médecins du Burkina Faso, notamment
 le Dossier Ministère public contre DABO Mamadou Chérif ( faux médecin) ;
 et le dossier Ministère public contre Charlemagne OUDERAOGO(diffamation) ;

Dès l’ entame de mon interrogatoire et à travers le ton du Président KONDE, j’ ai vite compris qu’en lieux et placesd’enquêteursj’avais en face de moi au moins un avocat de monsieur Charlemagne OUEDRAOGO ou, à tout le moins, de l’ordre des médecins ; une instruction totalement accusatoire et exclusivement à charge ;

C’ est cette Commission qui exige la traduction de la formation de la 1ère Chambre
correctionnelle de la Cour d’ appelque j ai présidée en 2015, devant le Conseil de discipline pour avoir fait droit à la demande de mise en liberté de DABO Mamadou Chérif ; à savoir le Conseiller SORY( qui n’ a jamais été convoqué ni entendu), le Conseiller DABONE Ervé et moi-même Président de la Chambre à l’ époque des faits en 2015 ;

Cherchant à comprendre pourquoi un tel acharnement j’ai donc entrepris moi aussi mes investigations sur la moralité de certains des membres de la Célèbre Commission, que monsieur ZONGO Touwendinda (leur défenseur) du Bimensuel Mutations n’entend même pas qu’on critique ;

C’est ainsi que je découvrais qu’à la clôture des travaux de la Commission courant mois de Juillet 2017, monsieur Mazobé Jean KONDE Magistrat du siège , Président de la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation du Burkina Faso, Président émérite de la Commission d’ enquête du CSM a été , par note de service N° : 003-2017/0NMB/CNO du 26 Juillet 2017 nommé Conseiller Juridique du Conseil National de l’ Ordre des médecins ;

Pourquoi attendre la fin des travaux de la Commission ? puisque pendant tout le temps qu’a duré mon audition(09h à 13h32) , plus qu’ un conseiller juridique, monsieur KONDE s’est comporté exactement comme un réel avocat commis par l’ ordre des médecins à mon endroit ;

Pour une simple nomination au poste de conseiller juridique , le haut magistrat , Président Mazobé Jean KONDE n’ a pas hésite un seul instant à vilipender l’ honneur et la dignité de ses trois collègues , que sont DABONE Ervé, SORY Moussa Stéphane et moi-même Ibrahima NANA ; quelle pitiologie… !

Tout comme s’il fallait mériter cette nomination à tout prix ? fut-ce-t-il au mépris de toutes règles de retenues morales ?

De même, et pour des faits qui ne me concernent pas, j’ ai pu lire dans le même rapport que les magistrats : NABI Amidou et DALLA Emile Conatié doivent être traduits devant le Conseil de discipline pour s’ être « constitués » aux côtés des prévenus afin qu’ une décision clémente soit rendue ; la Commission aurait pu , si ce n’ est des procès d’ intention produire leur lettre de constitution ; du reste sont-ils plus constitués que le Président KONDE dont la constitution est matérialisée par l’ acte de nomination de l’ ordre des médecins ci-joint ?

Puisque monsieur Mazobé Jean KONDE est un aîné, je m’en tiendrai là par éducation ;
Toutefois si c’ est cela l’ indépendance de la Magistrature, il lui faudra plus qu’ un garant, mais d’un tuteur pour grandir ;

Cependant quoiqu’ on veuille pardonner, cette nomination, au-delà de l’esprit dans lequel elle est intervenue, constitue une grave violation flagrante de la Loi Organique N° 050-2015/CNT du 25 Août 2015 portant statut de la Magistrature ;

3- Sur les inconséquences du Président de la Commission

L’article 106 alinéa 1 stipule clairement que « l’exercice des fonctions de magistrat est incompatible avec l’exercice de toute autre fonction publique et toute autre activité professionnelle ou salariée, commerciale ou non » ; monsieur KONDE est bel et bien un magistrat qui a été nommé à une activité professionnelle salariée ; alors que cette nomination est en porte-à-faux avec la loi ;

Pour moi, se faire nommer conseiller juridique d’ un plaignant , après l’ avoir entendu en sa plainte en tant que magistrat du siège surtout, Président d’ une Commission d’ enquête, constitue un gravissime manquement à l’ éthique et à la déontologie ; il serait difficile pour le juriste fut-il myope, de ne pas y pressentir une corruption subséquente, si ce n’est de la concussion ; confère les articles 155, 156 et 157 du code pénal ;

L’article 108 renchérit en ces termes : « il est interdit aux magistrats, même devant les juridictions autres que celles où ils exercent leurs fonctions, de se charger du conseil et de la défense des parties quelles qu’elles soient et sous quelque forme que ce soit » ;

Là , il est suffisamment clair que c’ est une note de service avec en objet nomination d’ un conseiller juridiqueà compétence nationale d’ un haut magistrat du siège , Président de Chambre à la Cour de cassation ;

L’article 136 ajoute que :« tout manquement par un Magistrat aux devoirs de son état, à la réserve, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire, sans préjudice de sa responsabilité pénale ;
voici apportée sans haine, la preuve d’ un manquement violemment flagrant à l’ éthique et à la déontologie, par le haut Magistrat Mazobé Jean KONDE chargé par le CSM d’ une mission de salubrité dans la justice ;

Je n’ai pas eu besoin d’indemnités et de deux mois de travaux ; voici comment, contrairement au charlatan, travaille un magistrat ;avant d’ affirmer que voici mon rat, rassurez vous bien que vous tenez sa queue, auquel cas contraire c’ est le rat de dieu ;

De tout ce que je viens de dénoncer ; ensemble les articles 106,108 et 136 de la Loi
Organique précitée portant statut de la Magistrature ;

Je requiers qu’il plaise à votre autorité :
Notifier à monsieur Mazobé Jean KONDE Président émérite de la Commission d’enquête instituée par décision N°002/2016 du 22 Novembre 2016 les griefs qui sont soulevés contre lui ;
Lui mettre à sa disposition les pièces et les actes qui sont produits contre lui ;
Lui donner un temps présidentiel pour préparer sa défense ;
Lui permettre de bénéficier amplement du principe de la présomption d’innocence et du principe élémentaire du contradictoire ;
Lui permettre de commencer à restituer s’il a déjà perçu les salaires d’août, Septembre et Octobre 2017 découlant de cette nomination, étant donné que dans le même rapport, il est reproché au Président SININI Barthélémy d’ avoir perçu 500.000 FCFA de carburant du Tribunal militaire ;

Et enfin, dire au Président Mazobé Jean KONDEde se mettre lui aussi, es qualité, à la disposition du même Conseil de discipline comme 38ème magistrat épinglé ;
Et ce sera justice ;

Pour finir je voudrais réitérer ma simple conviction que l’Inspection Générale des Services Judiciaires avec le quart des moyens mis à la disposition de cette Commission aurait produit un rapport scientifique digne de magistrats intègres impartiaux et conformément aux droits de la défense et du sacro-saint principe de la présomption d’innocence ;

Et pour cela, il serait souhaitable que tous les autres magistrats déclarés coupables sans confrontation, sans respect des règles minimales de procédures et de défense, victimes de mesquins règlements de comptes sur fond de partisance et de haine, puissent bénéficier d’ un réexamen par l’ Inspection Générale des Services Judiciaires, le service du Ministère de la Justice, qui avait été expressément contourné pour les raisons ci-dessus évoquées ;

Pour ma part, je suis fin prêt pour répondre à tout moment devant le Conseil de discipline ;

Sur ce, je vous prie d’agréer, madame la Présidente, l’expression de ma parfaite considération.

Fait à Ouagadougou, le 8 Novembre 2017

Ibrahima NANA, Avocat général, près la cour de cassation

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