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Politique et coutume : un mariage dangereux

Publié le jeudi 19 mai 2005 à 07h43min

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Au Burkina, s’il y a un domaine où le vide politique n’existe pas, c’est bien celui de la chefferie traditionnelle. Mieux, certains tenants du pouvoir traditionnel se comportent souvent en véritables directeurs de campagne lors des campagnes électorales. Ainsi, ils organisent et accueillent chez eux des meetings politiques.

Autant de faits qui traduisent toute l’ingérence du politique dans les affaires coutumières. Si de prime à bord cette intrusion paraît normale parce qu’aucune loi ne l’interdit pour l’instant, à y voir de près, elle comporte de gros risques en termes de tolérance et de paix. En ce sens que les deux champs (politique et coutume) n’ont pas les mêmes missions. Le pouvoir traditionnel a toujours été garant des valeurs comme la tolérance, la paix. Dans bien des cas, le politique s’est détourné de ces valeurs pour des intérêts partisans.

Si l’action du chef coutumier répond le plus souvent à un souci de l’intérêt général, de la cohésion sociale, celle du leader politique a tendance à ne prendre en compte que les préoccupations de son clan. Bref, là où le chef coutumier raisonne en terme d’entente, de coexistence pacifique, le leader politique pense en terme de gain, par la pratique du diviser pour régner.

Alors, il devient évident que ce genre de mariage contre-nature se fait au détriment des valeurs de paix et de cohésion sociale. La chefferie traditionnelle est coulée désormais dans le moule politique et certains chefs traditionnels transformés en valets des managers politiques. Heureusement que l’on a encore des chefs coutumiers courageux et très soucieux de leur dignité.

On se retrouve bien souvent dans des situations où les acteurs politiques sont omnipotents et occupent tout le terrain social. Ils font la pluie et le beau temps. Ils divisent les populations, incitent, parfois avec la complicité de l’Administration, des hommes à confisquer des titres de chef aux titulaires encore en vie, créent des amalgames qui débouchent généralement sur des violences. Comme le dit l’artiste-musicien Ivoirien Tiken Jah, "ils allument le feu, l’activent et viennent après jouer aux pompiers".

On le voit, l’intrusion du politique dans le champ du pouvoir traditionnel n’est pas sans danger. Elle favorise l’instrumentalisation des chefs coutumiers. Ce qui entraîne à terme une perte de leur autorité en tant que rassembleur, autorité jadis facteur de cohésion sociale entre les populations au niveau local. Et en l’absence d’une personne qui rassemble au-delà des clivages ethniques et politiques, c’est un terreau fertile qui est ainsi offert à l’intolérance, avec tout ce que cela comporte comme risque d’implosion sociale.

Au regard de ces dangers, l’ingérence de la politique dans la stratification traditionnelle peut être suicidaire pour le Burkina.
Cela l’est davantage lorsque l’on observe l’indifférence des politiques vis-à-vis de certaines situations dans lesquelles leur intervention est capitale.

A ce niveau, ils préfèrent, pour des raisons égoïstes et très personnelles, se faire discrets, alors que leur simple prise de responsabilité aurait pu permettre de situer les fautes, de trancher et de désamorcer les tensions. Dans bien des cas la réactivité des autorités politiques devrait être manifeste, prompte et dénuée d’intérêt partisan ou individuel. L’absence de réactivité de la part du politique ou de l’Administration face à un conflit latent, dégénère souvent en drame.

Là où une enquête impartiale savamment diligentée aurait pu, permettre d’éviter des tragédies, on se tait, par laxisme, par complaisance ou par calcul. La Bonne gouvernance politique, c’est aussi savoir anticiper. Non pas en maintenant la situation en état de blocage (si on ne veut pas faire le jeu d’un camp) mais en y apportant rapidement la lumière par des enquêtes appropriées sur la base desquelles on tranche dans l’équité.

Pour autant, tout rapport entre le politique et la chefferie coutumière n’est pas condamnable. Seulement, cela doit se faire selon des règles saines et sans aucune confusion des rôles. Le parlement peut par exemple prendre des dispositions accordant des avantages aux chefs traditionnels dans l’intérêt général de la nation.

En clair, il doit exister une frontière franche entre le pouvoir politique et celui coutumier. Il importe de donner, par des textes de loi clairs, des moyens d’existence à la chefferie coutumière. Leur dignité serait ainsi préservée, leur autorité accrue, et leur rôle et statut valorisés. Il importe aussi que le politique ou tout autre profane, cesse de s’immiscer dans le domaine coutumier, patrimoine précieux s’il en est, et qui est notre référentiel en termes de culture.

Tout est donc une question de réglementation du champ de chaque pouvoir. Aussi est-il temps, pour le Burkina, de dissocier le politique du coutumier, s’il tient toujours à être cité durablement comme pays de paix et de stabilité.

Le Pays

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