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« Une si courte lettre » au président Roch Marc Christian KABORḖ : Ouaga 2000 : Aurore ou horreur !? (2/5)

Publié le lundi 15 août 2016 à 06h22min

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« Une si courte lettre » au président Roch Marc Christian KABORḖ :  Ouaga 2000 : Aurore ou horreur !? (2/5)

Monsieur le Président,

Un détail qui n’a aucune importance, mais je tiens tout de même à le souligner : je ne nourris aucune amertume envers les riches propriétaires de OUAGA 2000. En effet, Charles FOURRIER, dans son socialisme radical, faisait sans doute preuve d’exagération lorsqu’il alla jusqu’à condamner toute sorte de propriété.

Moi, en bon Moaaga, j’essaie de garder le sens de la mesure : « Wâamb kong wedre, n ye t’a miisa » (Le singe, mauvais perdant, juge amer le fruit qu’il n’a pas pu atteindre). Du reste, continuons de nous instruire de la sagesse moaaga, du moins, c’est mon petit frère Tibila, qui aime à le répéter, pour une fois qu’il se montre sage : « Sên salemd yègdegê wâ, wata tùbrê wâ » (Tout [insecte] ce qui caresse la joue menace déjà l’oreille). En d’autres termes, j’ai beau être naïf, je n’en suis pas à penser que le territoire burkinabè se limite à OUAGA 2000. Il y a aussi le champ que m’a légué mon père, dans mon village ; si l’on venait à me le confisquer, j’en serais à aller mendier dans les rues de OUAGA ou de BOBO.

Laissons donc à César ce qui est à César … Est-ce à cause de ma pauvreté congénitale, est-ce par manque d’ambition ? Je n’en sais rien. Mais je suis en mesure de le dire à qui veut l’entendre : j’ai fait le vœu perpétuel de ne jamais acheter le moindre mettre carré à OUAGA 2000. Qu’irais-je faire dans cet endroit où aucun enfant du quartier ne pourrait encore m’appeler : « Tonton Ecrou » !? Il paraît que c’est ainsi que l’on vit dans le monde occidental : chacun est enfermé chez lui, comme pour se protéger de ses voisins. Je ne suis pas sûr que même les morts qui dorment au cimetière aient cette froideur.

Autant dire que je rêverai toujours des prairies de mon village. C’est là que j’ai vu les premiers jours ensoleillés de ma vie, et il m’arrive encore de rêver que lorsque je fermerai les yeux pour toujours, je dormirai en paix, auprès de ceux que j’aimais tant et qui m’avaient mystérieusement quitté. En ces lieux, j’ai appris à marcher, à courir, à chasser du lièvre et du sanglier. En ces lieux, le rire des enfants rappelle à qui veut l’entendre combien la vie est mystérieuse et sacrée. C’est du moins ce que mon oncle Têesnongdo aimait à nous donner comme leçon, alors que nous étions encore tout petits, afin que nous ayons des repères stables pour le reste de nos jours. Je salue au passage la mémoire de mon oncle, qui vient de nous quitter, il y a moins de deux semaines. Je préfère cacher mon émotion derrière cette formule : « Têng rit yèla ! » (Cela pourrait, je crois, être traduit par : « Terre, qu’est-ce que tu peux porter comme mystère en ton sein ! »).

Pour les initiés, il me suffira simplement de rappeler qu’avant d’aller à la chasse, cet oncle nous réunissait autour de son fétiche nu. Puis, après avoir fait quelques incantations, il égorgeait un poulet, en faisant couler soigneusement son sang sur le fétiche ; ce dernier, peu à peu, se recouvrait de la peau de l’animal qu’il allait bientôt tuer. En d’autres termes, mon oncle tuait l’âme de l’animal chez lui, au village, et il ne se rendait ensuite en brousse que pour y récupérer sa viande.

Pour nous, notre bien-aimé Têesnongdo, parce que chasseur et détenteur d’un fusil, était l’homme le plus puissant du monde. Le paradoxe, c’est que, lui, plaçant l’éthique au-dessus de tout, tenait à distinguer ce qui relevait de la grandeur et ce qui relevait de la force. Il savait par conséquent, au plus profond de lui, qu’il n’était pas le vrai maître de la vie. Si seulement certains militaires de certains régiments de l’Armée burkinabè pouvaient s’élever à ce niveau de compréhension ! Il s’agit là d’une vision du monde somme toute simple, mais riche en enseignement : tous les êtres, parce que habités par le même souffle vital, sont reliés par une longue chaîne invisible qui réconcilie le grain de sable et la montagne, le roseau et le baobab, la grenouille et l’éléphant, les délivrant ainsi du cercle vicieux du clivage et de la hiérarchie. Extrême proximité, extrême écart ! Qui donc, de la bête et de l’homme, incarne plus de noblesse ? J’aurais tant aimé pouvoir trancher cette énigme.

Cela dit, Monsieur le Président, s’il n’y avait que vous et moi, je n’aurais pas eu besoin de passer par tout ce détour. Malheureusement, l’expérience m’a parfois montré combien les hommes sont peu enclins à la clémence. Ainsi, ma modeste lettre au président Michel KAFANDO était tombée dans les mains d’un certain Saksida, qui, pour toute réponse, m’invitait à m’exiler, car, selon lui, mon recours abusif à la langue moore montrait combien j’étais nuisible à la Terre des Hommes intègres. C’est dire que j’aurais pu être un fervent auditeur de Radio Mille Collines, qui, naguère, quelque part, semait la graine de la haine et de la terreur. Pour aller à l’essentiel, Saksida me reprochait une sorte de relent ethniciste qui, à terme, pourrait produire un véritable génocide au Burkina.

Face à de telles accusations, je dirais simplement que mon plus grand regret, c’est que cet internaute bien inspiré, qui n’est peut-être pas le seul à nourrir de tels sentiments à mon égard, porte tout de même le nom qui est le sien. En effet, le terme « Saksida » a une consonance moaaga, et, si je ne m’abuse, il s’agit d’une injonction à accepter la vérité. Rien que cela !

Pour ma part, j’aurais compris que mon adversaire portât le même prénom que mon cousin : Parogni (qui signifie littéralement « né nulle part ») ; cela n’est pas sans rappeler l’expression « né sous X », utilisée dans d’autres contrées. Faudra-t-il alors que j’aille jusqu’à évoquer le cri pathétique de Zarathoustra, plaignant son compagnon d’infortune, à savoir son ombre, qui le suit partout : « Ô éternel partout, ô éternel nulle part, ô éternel – en vain ! » (cf. Nietzsche : Ainsi parlait Zarathoustra) !?

Pourquoi aurais-je honte de l’avouer !? Je chante, je ris et je pleure en Moore. Par conséquent, si vous m’invitez sur le radeau de la Méduse, j’y monterai avec ce que j’ai de plus précieux, à savoir la langue de mes ancêtres ; et si vous me conviez au concert de la Tour de Babel, j’y ferai entendre mon son de cloche, qui vibre au même diapason que les bugla, le waaga, le kêma et le borgo.

MAIS, EN DERNIER RESSORT, POURQUOI DEVONS-NOUS AVOIR HONTE DE NOS ORIGINES ?

A tous ceux qui m’invitent à m’élever au niveau de l’universel (Hegel aurait dit : « L’universel abstrait »), j’ai presque envie de donner cette réponse : pendant de longues années, j’ai fréquenté les grands amphithéâtres de la Sorbonne, pour y entendre les professeurs chauves dispenser Le Savoir. Soit dit en passant : il paraît que la calvitie est une preuve d’intelligence. Ces Maîtres vénérés et vénérables, la cravate bien nouée à s’en étouffer, déclinaient leur Science en grec, en latin, en hébreu, en allemand, en français ; bref, toutes les langues savantes que l’esprit humain a empruntées, tels les Templiers, jadis, à cheval, au temps des Croisades. Fallait-il ajouter un mot que je préciserais simplement que cette cravate que ces Maîtres arboraient était loin d’être un accessoire : il s’agissait en réalité d’un signe de pudeur ; il s’agissait de s’acquitter d’une dette millénaire, d’une dette chrétienne, en dissimulant par tous les moyens la fameuse pomme de la discorde, l’histoire d’Adam et Eve étant racontée à tous les enfants, dès leur plus jeune âge. Après tout, peut-on oublier que la France est considérée comme la fille aînée de l’Eglise !?

Cependant, il y en avait un qui souriait en silence dans cet univers monacal. C’était moi. En effet, peut-on parler du savoir au singulier, comme s’il n’y en avait qu’un seul ? Ainsi donc, j’écoutais sagement ces détenteurs du Savoir, mais jamais je ne pouvais oublier mes origines : la Terre africaine, avec ces mystères. Seul Maurice Merleau-Ponty m’aurait compris, lui qui laissait entendre cette parole profonde : « Tout ce que nous jetons aux autres a germé dans ce grand pays muet qui ne nous quitte pas. » (cf. Le visible et l’invisible). Autant dire que je savais que ces prétendus savants ne savaient rien du vieux Nobila de Manega. Sans avoir fréquenté la moindre faculté de médecine, ce dernier n’en disposait pas moins de la potion magique qui vous guérissait de tous les maux qui rongent vos entrailles, de l’ulcère gastrique à la colopathie. Malheureusement, le vieux Nobila est mort, sans révéler son secret. Et l’on ne peut que souscrire à cette affirmation du sage Amadou Hampâté Bâ : « En Afrique, lorsqu’un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui se consume ».

MAIS, QUE RESTE-T-IL DE CETTE AFRIQUE, PUISQUE LES AFRICAINS EUX-MÊMES ONT HONTE D’ÊTRE AFRICAINS !?

Ailleurs, en d’autres temps, on parlait de « Nègres marrons ». Encore faut-il que l’esclavage y ait été pour quelque chose. Chez nous, en Afrique, et plus précisément au Burkina Faso, il y a, de nos jours, de braves Dames qui, ignorance oblige, en sont à se dépigmenter la peau, avec des produits très toxiques, comme si la peau noire était synonyme de malédiction. Léopold Sédar Senghor en serait presque au regret d’avoir écrit son beau poème « Femme noire ». Et que dire de cette sagesse du Cantique des cantiques : « Nigra sed formosa » (« Je suis noire, mais je suis belle ») ?
Autant dire que tous ces fantômes qui peuplent nos villes et nos villages m’exaspèrent. Plus personne ne veut encore s’appeler Kiimse ; ce sera plutôt K. Benjamin. Et je vous laisse le soin de poursuivre la litanie : Yembila deviendra Y. Alexandre ; Basga deviendra B. Alexis, et Tipoko cèdera le pas à T. Pauline. Et que sais-je encore !? Pauvres de nous !

Je ne voudrais pas introduire ici les querelles philosophiques auxquelles s’étaient livrés les nominalistes. Je me contenterai seulement de dire que le nom n’est pas un passeport qui nous ouvre les portes de la réussite ; ce sont plutôt nos actes. Ainsi, je vous invite à considérer le nom de l’Ambassadeur des Etats-Unis dans notre pays, à savoir Son Excellence Tulinabo Salama Mushingi … S’il fallait pouvoir prononcer correctement son nom avant d’accepter ses lettres de créance, je ne suis pas sûr que ce grand diplomate aurait pu séjourner dans notre pays. Soulignons par ailleurs que cette consonance ne semble pas renvoyer à un arrière-petit fils d’Abraham Lincoln. Et pourtant, cet homme n’en honore pas moins la Bannière étoilée. Quel charisme ! Quel dynamisme ! Tous ses faits et gestes indiquent qu’un passé récent le lie à l’Afrique, et cela sans que l’on n’ait besoin de remonter à Lucie, l’arrière-arrière-grand-mère de l’humanité. Certes, les grands spécialistes en diplomatie me reprocheront ma naïveté, car ils ne voient en ce diplomate qu’un agent double de la C.I.A.

Si tel était le cas, qu’est-ce que l’on ne donnerait pas pour que l’Afrique tout entière fût peuplée par des agents de la C.I.A., que le Niger fût rattaché au Colorado, tandis que le Burkina serait rattaché au Michigan !? En un mot, l’amour que cet homme porte pour l’Afrique en général, et pour le Burkina en particulier, est à l’abri de tout soupçon. Et sans vouloir rabaisser cet illustre ôte de notre pays, qui évolue dans la cour des Grands de ce monde, je rêve de partager, avec lui, un poulet au rabille. Et, pour mon plus grand plaisir, il paraît qu’il en raffole.

J’aurais pu citer aussi le nom du Chef de Service des maladies infectieuses, à l’Hôpital Bichat, à Paris : Yazdan Yazdanpanah, et non pas Pierre-Edouard des Creux-Vallons. Je dis bien : Yazdan Yazdanpanah ! Rien que cela. Je vous vois, les uns et les autres, retenir votre souffle. Et pourtant, si vous étiez un jour de passage à Paris et que, par malheur, vous présentiez quelques symptômes d’Ebola ou de Zika, c’est dans le Service de ce grand spécialiste que vous seriez soignés, et je n’émets aucune réserve, quant à vos chances de guérison.

Ecrou (ecroupromo71@yahoo.fr)

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