L’émergence : Le paradoxe de l’effet de mode dans le discours politique et de l’illusion dans les faits
L’ émergence utilisée pour des mandats de courte durée dans les slogans/projets de société de beaucoup d’hommes politiques africains est-elle réaliste dans les conditions actuelles de certains pays ?
En prenant le cas du Burkina Faso, l’auteur de cet article revient sur les conditions de l’émergence comparées à la situation actuelle du pays et aboutit à la conclusion que l’objectif d’atteindre l’émergence à court terme apparait utopique. Lisez plutôt
L’ émergence » semble être l’objectif visé par les « politiques » d’une bonne partie des pays africains. En effet, dans les discours politiques, elle a une occurrence très significative et apparait vraisemblablement comme le point de mire de l’exécution des projets de société qui boostera la marche vers la recherche du bien être des populations.
Certains n’hésitent pas à promettre dans leurs discours politiques qu’ils réaliseront cette émergence tant souhaitée une fois que les destinées des pays leur seront confiées :
Boni Yayi à sa prise de pouvoir en avril 2006 avait manifesté son ambition de faire du Bénin un pays émergent comme les Dragons de l’Asie au terme de son mandat ;
Alpha Condé, lors de la campagne électorale de 2010 avait promis de conduire le
pays vers le changement porteur de croissance et de développement,
bref faire de la Guinée un pays émergent ;
Alassane Ouattara dans son premier discours à la tribune de l’ONU a affirmé avoir l’ambition de faire de la Cote d’Ivoire un pays émergent à l’horizon 2020 ; - Mahamadou Issoufou à son arrivée au pouvoir n’a pas également caché son ambition pour le Niger : « faire de ce pays parmi les plus pauvres au monde un pays émergent d’ici une dizaine d’années » ;
Jeamille Bittar candidat malheureux aux élections présidentielles de juillet 2013 au mali s’est engagé pendant la campagne électorale à faire du Mali un pays émergent devant plus d’une dizaine de milliers de militants et de sympathisants ; Fossoun Houngbo, le Premier ministre du Togo à l’ouverture d’un Forum économique national affirme que l’ambition de son gouvernement est de faire du Togo, un pays émergent dans les 20 prochaines années ;
Laurent Bado lors de la campagne électorale pour les élections présidentielles de 2005 affirmait que : « J’ai besoin de 5 ans pour éradiquer la pauvreté et de 10 ans pour faire du Burkina Faso un pays émergent ».
D’autres vont plus loin et en ont même fait le mot clé de leur projet de société : Blaise Compaoré en 2010 : « Bâtir ensemble un Burkina émergent » ;
Beaucoup parmi ceux dont le pouvoir a été confié, semble être contredits par le temps en terme de réalisation de cette promesse de faire du pays un émergent pendant leur mandat.
Mais qu’est ce qu’un pays émergent en réalité ?
Pour François-Xavier Bellocq, « L’émergence, c’est la capacité d’un pays à transformer sa croissance en développement économique et social durable ».
De façon succincte, les pays ayant atteint l’émergence se distinguent par :
Leur fort taux de croissance du PIB ;
Leur niveau relativement élevé d’industrialisation et d’exportation de produits industriels ;
Leur fort taux d’ouverture à l’extérieur ;
Leur marché intérieur en expansion ;
Le niveau de vie des populations qui tend vers celui d’un pays développé ;
Le processus de l’émergence passe par deux phases : le développement économique et la recherche d’autonomie.
Elle est constatée à partir d’un certain nombre d’indicateurs et les conditions pour devenir un pays émergent sont entre autres :
L’annulation de la dépendance vis à vis de l’extérieur en terme d’aide financière ;
L’accroissement du capital humain (évolution de la scolarisation et du niveau de santé) ;
L’industrialisation qui permet l’exportation de quantités importantes de produits ;
L’accès aux services sociaux de base par la grande majorité des populations ;
Le développement des infrastructures et notamment les infrastructures routières ;
La lutte contre la corruption grâce à un système judiciaire efficace ;
Quels sont les pays émergents ?
Il n’existe pas une liste officielle des pays émergents car elle varie selon les dates, les institutions et les économistes. Mais le site « ECO INFO MONDE » signale qu’une liste indicative des pays émergents est constituée des pays suivants :
Mexique, Brésil, Argentine, Venezuela, Colombie, Chili, Pérou, Chine, Corée du Sud, Inde, Taïwan, Indonésie, Thaïlande, Hong Kong, Malaisie, Pakistan, Philippines, Singapour, Russie, Turquie, Pologne, République tchèque, Hongrie, Afrique du Sud, Egypte, Israël, Arabie Saoudite.
Selon ce site : « cette liste regroupe tous les pays qui sont qualifiés d’émergents mais dont la qualité d’émergents n’est pas reconnue par tous. C’est le cas, notamment, de l’Egypte, du Pérou, du Pakistan, des Philippines qui ne sont pas considérés par tous les spécialistes du développement comme ayant une économie émergente… ».
Il est important de noter que l’ Afrique du Sud est le seul pays considéré comme émergent parmi les pays africains au Sud du Sahara.
Comparaison Burkina Faso et Brésil, Afrique du Sud, Chine
En prenant le cas du Burkina Faso et étant données les conditions de l’émergence, des points essentiels constituent un handicap majeur (difficile voir impossible à surmonter à court terme) dans notre marche vers l’émergence.
A titre d’exemples :
L’espérance de vie à la naissance en années des pays comme le Brésil, l’Afrique du Sud et la Chine étaient en 2011 respectivement de 73 ; 55 et de 75 tandis et au Burkina Faso, elle était de 55 ;
La durée moyenne de scolarisation en années en 2012 pour ces pays était respectivement de 7,2 ; 8,5 et 7,5 tandis qu’elle était de 1,3 au Burkina Faso (confère données PNUD).
L’aide publique au développement nette reçue par habitant en USD était en 2011 de 4, 28 et -0 respectivement pour des pays comme le Brésil, l’Afrique du Sud et la Chine tandis qu’elle était de 62 pour le Burkina Faso (confère données Banque Mondiale).
Le pourcentage de la population ayant accès à l’eau potable en 2011 pour des pays comme le Brésil, l’Afrique du sud et la Chine était respectivement de 97%, 92% et 92% tandis qu’il était de 80% au Burkina Faso.
Celui ayant accès à l’électricité en 2010 pour ces pays étaient de 98,7%, 75,8% et de 99,7%, respectivement pour le Brésil, l’Afrique du Sud et la Chine tandis que ce pourcentage était de 14,6% au Burkina Faso (confère données Banque Mondiale).
Au niveau du taux de croissance du PIB : à partir des taux de croissance du PIB et des PIB par tête des pays comme le Brésil, l’Afrique du Sud, la Chine (données Banque Mondiale) et du Burkina Faso (données des autorités du pays), déterminons par simulation le temps de rattrapage, c’est-à-dire le temps qu’il faut pour donner aux burkinabè le niveau de vie actuel des populations de ces pays.
Le premier ministre annonçait au cours de son discours sur la situation de la nation, que le pays a enregistré en 2012 une croissance record du PIB à 8%.
Les données de la Banque mondiale fixaient le PIB par tête du pays à 634 USD ;
Au vue des résultats de la simulation, toutes choses égales par ailleurs, il faudrait au Burkina Faso :
36 années pour offrir aux populations le même niveau de vie que celui actuel des brésiliens ;
31 années pour offrir aux populations le même niveau de vie que celui actuel des sud-africians ;
28 années pour offrir aux populations le même niveau de vie que celui actuel des chinois
Il apparait donc illusoire de vouloir atteindre l’émergence dans un délai très court tel un mandat présidentiel. Il est important de noter que le développement de façon générale et l’émergence en particulier est un processus structurel qui prend légitimement du temps. Egalement ils constituent un « continuum générationnel » où chaque génération devrait passer le relai à la suivante à un niveau considéré acquis et irréversible.
A court terme, ce serait déjà une prouesse de la part de la génération actuelle de s’attaquer aux changements de mentalités, d’instaurer une vision/culture de développement dans les pratiques quotidiennes et d’outiller les populations. En effet, au-delà des idées véhiculées dans un projet de société, l’émergence requière également des populations motivées et disposant des compétences et aptitudes nécessaires pour accompagner le « politique ».
Ainsi, il faudrait déjà :
Apporter les ressources et le suivi nécessaires aux politiques d’éducation et de santé ;
Résoudre la question de la sécurité alimentaire ;
Développer les infrastructures routières et améliorer les taux d’accès à l’eau potable, à l’électricité, à l’internet…
Participer plus aux échanges internationaux en tant que pays exportateurs de produits industriels et non en tant que potentiels importateurs ;
Si ces conditions deviennent des acquis dans notre pays, les générations suivantes passeront avec succès le corridor de pays en développement à pays émergent et ici référence est faite à la vraie émergence reconnue par tous.
Note méthodologique
Les nombres d’années qu’il faut au Burkina Faso pour atteindre le niveau de vie du Brésil, de l’Afrique du Sud et de la Chine ont été déterminés en retirant n de la formule du taux de croissance du PIB par tête :
n= nombre d’année qu’il faut au Burkina Faso pour atteindre le niveau de vie du pays ;
= PIB par tête actuel (2012) du pays (Brésil, Afrique du Sud, Chine)
=PIB par tête actuel (2012) du Burkina Faso
a= Taux de croissance actuel du Burkina Faso
Adama Tiendrebéogo
Economiste-statisticien
E-mail : tabz822@yahoo.fr
Vos commentaires
1. Le 4 octobre 2013 à 20:00, par LAGUI ADAMA En réponse à : L’émergence : Le paradoxe de l’effet de mode dans le discours politique et de l’illusion dans les faits
Vraiment Si tous les présidents Africains avaient l’Amour et l’esprit de la paix et du progrès comme son Excellence Mr Blaise Compaoré L’Afrique allait être un PARADIS terrestre pour l’humanité tout entière ! Vive le sénat , Vive le CDP Qu’Allah bénisse et protège son Excellence Mr Blaise Compaoré et sa famille
2. Le 4 octobre 2013 à 20:18, par Le Sage X En réponse à : L’émergence : Le paradoxe de l’effet de mode dans le discours politique et de l’illusion dans les faits
Monsieur TIENDREBEOGO , merci pour cette analyse Oh combien professionnel . Cependant il y a confusion des genres. La potilique politicienne est très différente de la politique économique. Tous ces hommes politiques n’ont fait que berner leurs masses analphabètes pour se hisser au pouvoir. Ils étaient parfaitement conscients des Abberantions contenues dans leurs discours.
3. Le 4 octobre 2013 à 23:23, par Pang Kayé, la wend waoga En réponse à : L’émergence : Le paradoxe de l’effet de mode dans le discours politique et de l’illusion dans les faits
Mon frère tu as totalement raison dans ton analyse mais il fallait préciser dans quelles conditions politiques, économiques, sociales et de gouvernance au cours de 36 années le Burkina pourrait rattraper le Brésil. Simple exercice de comparaison, le Burkina d’aujourd’hui est-il différent de celui d’il y a 4 ans où il etait promis à l’émergence au détour d’une campagne électorale ? Pour moi pas grand-chose. Même route pour aller au travail et en revenir, même route aller au village et en revenir, même route pour aller en belle famille et en revenir. Par contre le sucre, le carburant, le gaz, le transport ont vu leurs prix augmenter, Yalgado continue de s’inonder et quoi encore ?
4. Le 4 octobre 2013 à 23:44, par aristide BRIAND En réponse à : L’émergence : Le paradoxe de l’effet de mode dans le discours politique et de l’illusion dans les faits
BRAVO. Tres technique cet article. Sans etre economiste j’ai tjrs dit dans ce forum que l’on ne peut etre emergent sans avoir resolu la problematik de l’eau et l’electricité .
5. Le 5 octobre 2013 à 00:23, par Tenga En réponse à : L’émergence : Le paradoxe de l’effet de mode dans le discours politique et de l’illusion dans les faits
Merci beaucoup. Ce sont ces genres d’analyses que nous voulons voir dans les médias ; et même entendre de la part des contres-pouvoirs ( société civile, oppsition). Est-il possible que nos télés, radios ou journaux interviewent le président ou le 1er Ministre sur ces réalités ?
En tout cas David Tiombiano a un sujet.
Merci.
6. Le 6 octobre 2013 à 05:48, par bdahien En réponse à : L’émergence : Le paradoxe de l’effet de mode dans le discours politique et de l’illusion dans les faits
Merci petit-frère Adama Tiend. T’as fait ton job d’éclairage de statisticien
J’ai apprécié ton article. Super. Il se passe de commentaire.
Bon courage
7. Le 6 octobre 2013 à 22:39, par mialé En réponse à : L’émergence : Le paradoxe de l’effet de mode dans le discours politique et de l’illusion dans les faits
pour atteindre ce stade donc laissons la scadd et le capitalisme de coté, appliquons le communisme authentique, à travers la nationalisation de tous nos moyens de production et en quittant le franc cfa et crée notre propre monnaie.
8. Le 6 octobre 2013 à 23:10, par John Le Dur En réponse à : L’émergence : Le paradoxe de l’effet de mode dans le discours politique et de l’illusion dans les faits
Ainsi, dans le meilleur des cas, si c’est toujours avec Blaise Compaoré, nous attendrons encore 28 ans avant de voir le bout du tunnel !
En partant de la réalité que 40% des recettes internes du Burkina sont dissimulées et que la plupart des opérateurs économiques tels Alizet Gando, Khadafi, Ok...ne payent pas vraiment d’ impôt, le délai pour l’ émergence pourrait être raccourci si Dieu dans sa grande bonté mettait fin à ce régime.
9. Le 22 juin 2015 à 15:06, par Aziz Tiama En réponse à : L’émergence : Le paradoxe de l’effet de mode dans le discours politique et de l’illusion dans les faits
Je Valide l’analyse , vivement que nos politiciens se saisissent de cette question pour améliorer le vécu des Burkinabè et adaptent leur projet de société à la réalité sur le terrain.
10. Le 4 novembre 2015 à 11:11, par Yennega En réponse à : L’émergence : Le paradoxe de l’effet de mode dans le discours politique et de l’illusion dans les faits
Merci pour la qualité de l’analyse. J’adhère entièrement