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Le Sri Lanka à la recherche de nouveaux ancrages diplomatiques du côté de… Ouagadougou.

Publié le jeudi 1er septembre 2011 à 17h16min

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S’il est un pays qui ne ressemble à aucun autre, c’est bien celui-là. Le Sri Lanka, une île à un jet de pierre de la pointe Sud-Est de l’Inde, le détroit de Palk ne mesurant que 50 km ! 65.610 km² et près de 21 millions d’habitants, soit une densité qui passe la barre des 300 ha/km². Ce pays s’appelait « Ceylan » jusqu’en 1972.

Un pays pluriel à l’histoire singulière : pôle d’ancrage du bouddhisme, colonisé par les souverains de l’Inde du Sud, puis les Portugais dès le XVIème siècle ; les Hollandais, ensuite, au XVIIème siècle ; les Anglais, enfin, au tout début du XIXème siècle. Le pays a obtenu son indépendance le 4 février 1948. Peuplée majoritairement de Cinghalais, l’île a été ravagée pendant près de quarante ans (1971-2009) par la guerre de sécession menée par les Tamouls, les fameux « Tigres » regroupés au sein du LTTE, les « Tigres de libération de l’Eelam [la patrie] tamoul » ; un conflit qui a fait entre 80.000 et 100.000 morts. Rappelons encore que c’est au Sri Lanka que, pour la première fois au monde, une femme, Sirima Bandaranaike, a été chef de gouvernement (elle était l’épouse du premier ministre en place, assassiné par un moine bouddhiste) ; premier ministre de 1960 à 1965, puis de 1970 à 1977 et, enfin, de 1994 à août 2000 (elle avait alors 84 ans !), elle était la mère de la présidente (1994-2005) : Chandrika Kumaratunga. Si la mère s’est fait remarquer par sa politique socialiste (nationalisation, politique sociale…) et son engagement aux côtés des non-alignés (rupture avec Israël), sa fille sera le chantre du libéralisme économique : privatisation, promotion des multinationales… et renouera les relations avec Israël, fournisseur d’armes contre la rébellion.

Voici quelques jours, le jeudi 25 août 2011, le président de la République démocratique socialiste de Sri Lanka, Mahinda Rajapakse, a annoncé la levée prochaine de l’état d’urgence dans le pays ; il avait été institué en… 1983. La défaite, en mai 2009, du LTTE et la cessation des activités terroristes, justifieraient cette décision. Le Sri Lanka était un Etat d’exception : détention prolongée des opposants avérés ou pas ; contrôle des médias ; emprisonnement des journalistes ; pressions constamment exercées sur les ONG... Il avait échappé à une enquête de l’ONU sur les crimes de guerre, réclamée par les « Occidentaux », grâce à ses connexions avec des régimes peu enclins à se soucier des droits de l’homme : Libye, Chine, Inde, Pakistan, Arabie Saoudite, Cuba. L’image du LTTE n’était pas plus brillante : attentats terroristes, enrôlement d’enfants-soldats, massacre des populations civiles utilisées comme boucliers humains, attentats-suicides (les « Tigres noirs »), fascination pour le martyre ; quant à son fondateur, Velupillai Prabhakaran, mort en mai 2009 (ce qui a provoqué la fin de l’insurrection), il était décrit comme un « chef autocrate et sanguinaire » (Françoise Chipaux, correspondante en Asie du Sud, Le Monde daté du samedi 21 octobre 2006). Le LTTE est considéré comme le responsable du meurtre du premier ministre indien Rajiv Gandhi en 1991.

C’est le 19 novembre 2005 que Mahinda Rajapakse a accèdé au pouvoir. Il est président de la République, ministre de la Défense, ministre des Finances et du Plan, ministre des Transports ferroviaires et de l’aviation, ministre des Infrastructures routières. Son premier ministre est, quant à lui, ministre du culte bouddhique et des Affaires religieuses.

Je l’ai dit, le Sri Lanka ne ressemble à aucun autre pays. Rajapaksa était arrivé au pouvoir avec l’ambition d’éradiquer militairement la rébellion. Il y est parvenu. Le 26 janvier 2010, il a été réélu pour un second mandat de six ans (constitutionnellement le dernier). La situation de guerre civile qu’a connue le pays pendant plusieurs décennies a empêché le Sri Lanka de jouer un rôle à la hauteur de ses ambitions sur la scène asiatique et mondiale.

Rajapaksa fréquentait Mouammar Kadhafi et Hugo Chavez, mais aussi la junte birmane et lorgnait du côté de Téhéran ; pas de quoi enthousiasmer l’Union européenne qui, cependant, avait accordé au pays le régime des préférences généralisées « GSP Plus ». C’est, dira Rajapaksa, « [qu’]aucun pays occidental ne m’invite ! Mais quand je suis convié dans un pays ami, j’y vais » (Le Figaro du mardi 8 septembre 2009 - entretien avec Pierre Rousselin). Il rappelle d’ailleurs, à l’occasion, que le Sri Lanka a été membre fondateur du mouvement des « non-alignés » (Belgrade - 1961) après avoir participé à la « conférence de Bandoung » (18-24 avril 1955) quand le « groupe de Colombo » (du nom de la capitale du Sri Lanka), qui rassemblait la Birmanie, l’Inde, l’Indonésie, le Pakistan et Ceylan (devenu le Sri Lanka), a lancé l’idée d’une grande conférence « asiatico-africaine » fondatrice du « tiers-monde ».

Rajapaksa entend renouer avec une diplomatie offensive. Sa population est active et sa croissance soutenue (entre 5 et 7,5 % par an au cours de la dernière décennie) : troisième producteur mondial de thé, c’est aussi un exportateur de caoutchouc et de produits du prêt-à-porter. Le pays bénéficie surtout d’une position géostratégique remarquable, dans l’océan Indien, entre golfe du Bengale et mer d’Oman, à mi-parcours des puissances émergentes asiatiques et des pays producteurs de pétrole du Moyen-Orient. Pékin l’a bien compris qui est devenu le principal investisseur, réalisant notamment à Hambantota (dans le Sud-Est de l’île) un port en eaux profondes dotées d’installations pétrolières (1milliard de dollars d’investissement).

Depuis 2007, Rajapaksa a pris ses habitudes à Pékin, où il a multiplié les déplacements et les contacts avec les autorités chinoises qui disposent ainsi, à Colombo, d’un observatoire privilégié de l’évolution de l’autre puissance asiatique : l’Inde. Rajapaksa vient d’ailleurs de participer, à Shenzhen, à la cérémonie d’ouverture de la 26ème Universiade après une visite d’Etat à Pékin à l’invitation du président chinois Hu Jintao.

C’est dans ce contexte que l’on apprend la visite à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, du ministre de l’Administration publique et des Affaires intérieures, W.D.J. Seneviratne. Un déplacement qui ne manque pas d’intriguer, d’autant plus que Colombo ne communique pas sur cette affaire et que l’ambassade à Paris n’en sait pas plus. Les connexions diplomatiques asiatiques de Ouagadougou sont connues ; ce sont, essentiellement, Tokyo et Taipei (le Burkina Faso faisant partie du dernier carré des pays africains restés fidèles à Taiwan), ces deux pays ayant des ambassadeurs résidents au Burkina Faso ; plus récemment, New Delhi. Quant à Colombo, ce n’est pas une capitale paraissant se préoccuper de l’Afrique, hormis bien sûr l’Afrique du Sud. Plus que le Burkina Faso stricto sensu, c’est le savoir-faire de Blaise Compaoré et de son équipe en matière de « médiation » et de « facilitation » qui paraît intéresser les responsables politiques sri lankais.

L’implication de Boureima Badini dans le dossier ivoirien et de Djibrill Bassolé, actuel ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, dans le dossier soudanais (au nom de l’ONU et de l’Union africaine) a rendu visible la diplomatie burkinabè sur la scène mondiale, d’autant plus visible que la « communauté internationale » est impliquée dans les deux dossiers et que Paris garde un œil (pour ne pas dire les deux yeux) sur la Côte d’Ivoire tandis que Doha, capitale du Qatar, est devenu un acteur majeur en Afrique qu’il s’agisse du Darfour ou de la Libye. Dans le sillage de ces « poids lourds » de la diplomatie mondiale, le Burkina Faso parvient, extraordinairement, à sortir son épingle du jeu. En un temps où le centre de gravité du monde se déplace vers l’Est, on ne peut que se réjouir qu’un nouveau pays asiatique vienne voir ce qui se passe en Afrique noire. Et, le cas échéant, en tirer des leçons.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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