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Mévente du sucre local : Un scandale industriel

Publié le vendredi 27 juin 2008 à 11h43min

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L’unique sucrerie du Burkina Faso, la Nouvelle société sucrière de la Comoé (SN-SOSUCO) connaît une mévente sans précédent de ses produits. Cette crise commerciale constitue une sérieuse menace pour les cinq mille (5000) emplois directs et indirects de l’entreprise ainsi que toute l’économie locale de la partie Ouest du pays. L’heure est actuellement à l’expectative. A moins que la nouvelle structure de sauvetage, la SODISUCRE, ne soit le vrai remède pour opérer un miracle.

Les difficultés éprouvées en ce moment par la Nouvelle société sucrière de la Comoé (SN-SOSUCO) pour écouler sa production sur le marché national résument en elles seules tout le paradoxe de l’industrie burkinabè. "Dans un pays dont la consommation annuelle de sucre est estimée entre 80 000 et 100 000 tonnes (t), l’unique fabricant local ne parvient pas à écouler ses 30 000 t", selon des statistiques du ministère du Commerce, de l’Entreprise et de l’Artisanat (MCPEA) sur le marché sucrier burkinabè. A la date du 21 avril 2008, 25 201 t de sucre sont toujours entassées dans les entrepôts et la cour du complexe sucrier de Bérégadougou à une quinzaine de kilomètres de Banfora, chef-lieu de la province de la Comoé et de la région des Cascades. Du jamais vu depuis la création de cette unité industrielle. Les grossistes se montrent bien rares. Ils se "pointent" quelques rares fois pour une infime commande qu’ils ne prennent même pas la peine d’enlever. L’astuce étant d’obtenir une autorisation pour importer la même quantité prise localement.

La grande pluie du mois d’avril 2008 qui s’est abattue sur la région des Cascades a même mouillé une partie importante du stock de mévente entraînant son déclassement. Le sucre local semble devenu "amer" pour les commerçants burkinabè au point qu’il est introuvable dans certaines localités sur le territoire national. "Nous avons été outrés de voir à Fada N’Gourma des consommateurs s’offusquer de la rareté du sucre fabriqué dans leur pays à Banfora", indiquent les délégués du personnel, membres de la Coordination des travailleurs des industries pour la lutte contre la fraude. La campagne 2007-2008 a l’ambition d’atteindre une production de trente et une (31 000) t.

Pour son démarrage, le 14 novembre 2007, elle a déjà hérité de sept mille (7 000) t des méventes de l’exercice précédent. La plus importante unité industrielle du Burkina Faso se trouve dans une impasse. Le pire est à craindre car elle ne fait qu’accumuler les dettes. Fleuron de l’économie nationale, la SOSUCO a été créée en 1968 pour, dans un premier temps, importer et conditionner le sucre et dans un second temps, depuis 1974 exploiter des champs de canne (4000 hectares), produire du sucre granulé et en morceaux. Elle emploie bon an mal an cinq mille (5000) travailleurs : 946 permanents, 452 saisonniers et 3 602 journaliers.

C’est le deuxième pourvoyeur d’emplois du pays après l’Etat. Après avoir fait la pluie et le beau temps des travailleurs et de toute la partie Ouest du pays, cette société d’Etat en proie à des difficultés de divers ordres a subi une cure en 1998. Privatisée cette année-là, elle tombe sous le contrôle du groupe "Agha Kan" précisément dans le giron de sa filiale "Industrial promotion services-west Africa" (IPS/WA). Cette mue va d’emblée susciter des espoirs de croissance pour la sucrerie avant que le cauchemar ne pointe à l’horizon. Dotée d’un capital initial de six (6) milliards de F CFA, la SN-SOSUCO reçoit des investissements cumulés (1998-2008) de 16,5 milliards de F CFA. Ce souffle financier permet à l’entreprise de réaliser des records depuis sa création, un chiffre d’affaires de 20,432 milliards de F CFA en 1999 et une production annuelle de plus de trente- sept mille (37 000) t au cours de la campagne 2002-2003.

Elle a même exporté ses produits vers l’Europe, le Mali, le Niger...Puis patatra ! Le printemps est fortement troublé. D’un bénéfice net de sept cent quarante (740) millions de F CFA en 2000, la SN-SOSUCO est passée à un déficit de cinq (5) milliards de F CFA en 2004. Malgré la stagnation de la production annuelle autour de trente mille (30 000) t, le gouffre ne cesse de se creuser. Sous le poids des dettes, le capital actuellement en reconstitution a chuté à dix (10) millions de F CFA. La SN-SOSUCO se montre aujourd’hui bien incapable de satisfaire à ses obligations vis-à-vis de ses fournisseurs. Elle croule sous des dettes évaluées à plus de dix (10) milliards de F CFA soit l’équivalant des ventes de son stock d’invendus. Bien que les salaires continuent à être payés, ils tombent parfois après le 30 du mois. Ce qui est inhabituel à la SN-SOSUCO. "La société vit au jour le jour", révèle Siaka Diallo, directeur financier et comptable. "La SN-SOSUCO présente tous les signes de la disparition d’une sucrerie", ajoute Michel Goffe, directeur du complexe sucrier de Bérégadougou. Les apports financiers exceptionnels des actionnaires (AKFED, Etat burkinabè, Etat ivoirien, SOBA) de 2003 à 2008 soit 11,220 milliards de F CFA pour tenter de remonter la pente semblent être injectés dans un "trou sans fond". Les retombées (dividendes) sont inexistantes. Aucune lueur de reprise des ventes du sucre local n’est perceptible à l’horizon.

La crainte d’un péril industriel et social

"La mévente du sucre a un impact démoralisateur sur les travailleurs de l’usine. Ils ont la hantise de voir leur production stockée faute de preneur. L’usine est parfois amenée à réduire ses capacités de production parce qu’il n’y a pas de place pour entreposer le sucre. Personne ne sait de quoi demain sera fait", confie Maixent Bassolé, chef de la division fabrication. La SN-SOSUCO n’est pas seulement la plus grande unité industrielle du pays. Elle joue un rôle prépondérant de régulateur de richesses. Elle distribue chaque année sept (7) à huit (8 ) milliards de F CFA à ses fournisseurs, cinq (5) à milliards de F CFA pour les salaires et quatre (4) milliards de F CFA sous forme de taxes. Outre cet apport considérable à l’économie nationale, la SN-SOSUCO intervient pour plus de cent (100) millions de F CFA au titre de la patente dans le budget de la commune urbaine de Banfora. La vie dans la région des Cascades et même au-delà est intimement liée à celle de la sucrerie. A chaque campagne, c’est la ruée de postulants de tout horizon vers Bérégadougou dans l’espoir d’une embauche.

Le directeur Culture, Yacouba Goumbani et son chef de service Main d’œuvre, Séraphin Dembélé font des pieds et des mains pour canaliser cette marée humaine dans les champs de canne. "La SN-SOSUCO est l’entreprise qui reflète au mieux l’esprit de la nation burkinabè. Elle regroupe toutes les ethnies du pays : du Touareg au Moaga. Elles y travaillent et envoient une partie de leurs revenus à leurs familles dans leurs localités d’origine", rappelle Mme Kohouvi Salimata née Gnanou, directrice des Ressources humaines. Pour la présente campagne, la société a reçu pour sa main d’œuvre 30% de metayers agricoles venus de Banfora, 30% de Bérégadougou, 15% de Toussiana, 5% de Niangoloko et 20% de la région du Sud-Ouest (Gaoua, Diébougou). "Les travailleurs vivent en permanence dans la peur de perdre leur emploi. Si la SN-SOSUCO ferme, une partie de la vie s’arrêtera à l’Ouest du pays. Des villages et des familles entiers vont disparaître. Aujourd’hui, la sucrerie est enrhumée mais Banfora tousse déjà.

Car la Société intervient dans la voirie, l’hydraulique, la santé, la patente de cette ville. Les sollicitations sociales sont énormes. Il n’y a pas un seul individu dans la zone qui ne bénéficie pas directement ou indirectement des retombées de la sucrerie", avertit Yacouba Goumbani. Les responsables de l’entreprise tentent de tenir leur promesse lors de la privatisation : "Ne jamais procéder à des compressions quoiqu’il advienne". A défaut d’offrir des emplois permanents, la direction générale minimise ses frais de fonctionnement en misant sur les départs à la retraite (environ 70 cette année) plutôt que sur d’éventuels licenciements. Une certaine catégorie de travailleurs (cadres) a consenti le sacrifice de renoncer aux augmentations salariales décidées par l’Etat et les syndicats à leurs doléances pour se serrer les coudes avec les responsables dans la recherche de solutions pérennes. "La situation de la SN-SOSUCO est catastrophique et visible à l’œil nu. Pourtant elle n’émeut personne. Avant de revendiquer de meilleures conditions de travail, il faut s’assurer de la bonne vente du produit à la base de la rémunération. En tant que travailleurs, nous en voulons à l’Etat.

Il n’a pas tenu ses promesses lors de la privatisation. Nous nous sentons aujourd’hui abandonnés. L’Etat ne protège pas assez les unités industrielles du pays contre la prédation commerciale. La passivité des autorités face à la fraude s’apparente à un encouragement tacite du phénomène. Même des pays qui ont des ports ne connaissent pas une telle concurrence déloyale. L’Etat doit prendre une décision courageuse comme au Mali pour imposer la consommation du sucre local avant d’autoriser toute importation", s’écrient les délégués du personnel, Jean Lambert Fayama, N’Golo Coulibaly, Moussa Mamboué. L’heure est à la psychose au sein des travailleurs et des populations locales. "La dépendance sociale et économique des localités voisines et de leurs habitants vis-à-vis de la SN-SOSUCO est si évidente qu’en cas de faillite, les conséquences seront très dramatiques pour tout le monde", prévient Souleymane Soulama, maire de la commune urbaine de Banfora. Des travailleurs comme Fakié Traoré, employé depuis 1974 à l’usine sont persuadés que la région se transformera en un terreau d’insécurité et de misère si son bassin sucrier venait à s’éteindre. La crainte d’un péril industriel et social se lit sur tous les visages. "Le cas de la SN-SOSUCO est très profond et présente de grands enjeux économique et social. Que peut être Banfora et son hinterland sans cette usine ?", interroge Paténéma Kalmogo, chef de la Coordination nationale de lutte contre la fraude (CNLF).

Employeurs, travailleurs et habitants de l’Ouest burkinabè sont unanimes : "Seule une volonté politique peut tirer la sucrerie de Bérégadougou d’affaires". Le pouvoir d’achat du chef-lieu de la région des Cascades s’est beaucoup effrité. Les activités commerciales de la localité en ont pris un coup. "On dirait que la population se prépare au pire. Elle est méfiante. Les travailleurs préfèrent économiser pour des lendemains incertains que d’accroître leur consommation", lâche un jeune commerçant au marché central de Banfora. La mauvaise santé de la sucrerie anime toutes les causeries aussi bien dans les établissements scolaires, les services administratifs que les foyers, les bars et autres lieux publics. Les actionnaires tentent, tant bien que mal, de maintenir la société en vie. Ils ont consenti des apports financiers importants pour garantir les salaires et les frais de fonctionnement. "Tout est fait pour que la sucrerie survive car les actionnaires sont conscients de sa place dans l’économie nationale. Ils fournissent d’énormes sacrifices pour la faire sortir de l’ornière. Mais la SN-SOSUCO ne peut pas demeurer une source d’appauvrissement pour des hommes d’affaires en quête de profit", avoue l’un des actionnaires.

Une impuissance face au gangstérisme d’affaires

La dérive de la SN-SOSUCO résulte en grande partie d’un "gangstérisme d’affaires" de plus en plus en vogue au Burkina Faso.
La privatisation a coincidé avec la libéralisation du marché du sucre, entrainant la fin du monopole du fabricant local. Lorsque la société a réalisé le chiffre record de production de trente-sept mille (37 000) t en 2003, elle a été confrontée à des difficultés internes pour l’écoulement. Avec la complicité de certains de ses responsables, des commerçants sont arrivés à enlever à crédit du sucre d’un montant de cinq (5) milliards de F CFA. Si les complices à l’intérieur de l’entreprise ont été démasqués et licenciés, les débiteurs courent toujours en toute impunité. Pis, ils ont su imaginer des scénarios fictifs pour se donner un statut d’insolvabilité ou mettre leur entreprise en faillite volontaire. Quand la SN-SOSUCO a esté en justice contre ses débiteurs, elle s’est vue formuler des propositions de remboursements "farfelues". "Un de nos débiteurs adulés par tous comme un grand opérateur économique a eu le culot de proposer au tribunal un plan de remboursement de un (1) million de F CFA par mois pour s’acquitter de sa dette de 425 millions de F CFA soit sur une période de 39 ans", dénonce Mouctar Koné, directeur adjoint du complexe sucrier de Bérégadougou. Pour ne pas tomber dans le même piège, des mesures (demande de caution, sucre payé soit au comptant, soit par chèques certifiés, soit encore par traite avalisée à 90 jours) ont été prises pour sécuriser les ventes.

Les responsables s’attellent également à réduire les coûts de production pour rendre le sucre local compétitif. A peine ces difficultés internes et structurelles résolues qu’un autre monstre plus puissant se dresse face aux activités de la SN-SOSUCO : la fraude. Les coups de la concurrence déloyale sont les plus durs à supporter. La mévente du sucre local est essentiellement due à la dérèglementation du marché mondial. Le sucre importé est généralement subventionné et coûte moins cher. Provenant principalement du Brésil, il coûte 120 000 F CFA la tonne et livré à moins de 200 000 F CFA au port d’Abidjan. La tonne du sucre granulé (poudre) de la SOSUCO s’élève à 370 000 F CFA et celle du sucre en morceaux (carreaux) 540 000 F CFA. Le choix des commerçants est vite opéré. La marge bénéficiaire très importante du sucre importé aiguise les appétits au détriment de celui produit localement. Grâce à une clause conclue sous l’égide du ministère du Commerce, la SN-SOSUCO et les commerçants importateurs ont convenu de la parité suivante : le tonnage du sucre local payé équivaut à une autorisation pour importer la même quantité. C’est là qu’a surgi le nœud du problème sucrier. Les importateurs vont habilement exploiter la faille de la simultanéité entre l’achat local et l’autorisation d’importer. Ils paient des milliers de tonnes de sucre SN-SOSUCO et l’abandonnent à l’usine. Leur but est d’obtenir l’agrément pour importer généralement au-delà de la quantité autorisée. A la date du 21 avril 2008, plus de quatre mille (4 000) t payées (versement effectif du montant réel) dorment toujours à l’usine. "Le sucre de Banfora a perdu de sa valeur comme le cacao du Ghana d’après Kwamé NKrumah", ironise un employé. Des commerçants vereux ne manquent pas de subterfuges pour passer entre les mailles de la douane et des services fiscaux avec d’importantes cargaisons de sucre importé. Bien qu’officiellement aucune autorisation d’importer du sucre n’ait été délivrée depuis un an au Burkina Faso, le sucre importé continue d’inonder le pays.

Des indiscrétions rapportent que quatorze mille (14 000 ) t attendraient actuellement au port de Lomé au Togo. La stratégie des fraudeurs consistent soit à utiliser les mêmes autorisations d’importer à plusieurs reprises, soit à établir de fausses déclarations sur la nature ou la destination réelles du produit transporté.
Sous le prétexte que le sucre local ne pourrait pas satisfaire la demande du mois de carême musulman (ramadan), cette période serait aussi l’alibi idéal pour délivrer des autorisations et inonder le marché. Il arrive aussi que des commerçants fassent croire que le sucre est en partance pour la Côte d’Ivoire. Une chose impossible car les autorités ivoiriennes ont pris des mesures drastiques pour empêcher l’importation du sucre. Appelé à infirmer ou confirmer ces allégations, le ministère du Commerce est resté muet comme une carpe. "Tout le monde sait qui fraude le sucre dans ce pays. L’on veut faire croire que ce sont des actionnaires de la sucrerie. C’est idiot. Personne ne mettra des milliards dans une affaire et la crouler volontairement", s’insurge l’un des patrons de la SN-SOSUCO.

En effet pendant ses periodes d’inactivités, la société est autorisée à importer du sucre pour le conditionner à son usine. Mais son agrément lui a été retiré en 2005 par le gouvernement. Elle s’est alors tournée vers l’un de ses actionnaires pour s’approvisionner et accomplir cette mission à elle dévolue depuis 1968. Conscients de la menace de la fraude sur leurs emplois, les travailleurs de la sucrerie ont initié des opérations de veille et d’alerte pour contrer les activités des "prédateurs commerciaux". Peine perdue. Le ratissage a permis d’identifier des camions et des wagons de sucre respectivement à Niangoloko (frontière de Côte d’Ivoire) et Bobo-Dioulasso sans qu’aucune action d’envergure ne soit menée pour décourager les fraudeurs. "Nous avons dénoncé les cargaisons de sucre fraudé à la Coordination nationale de lutte contre la fraude (CNLF), aux forces de sécurité (gendarmerie, police, douane) mais à notre grand étonnement, les charges ont continué leur chemin vers Ouagadougou", racontent les délégués du personnel, Jean Lambert Fayama, N’Golo Coulibaly et Moussa Mamboué de la Coordination des travailleurs des industries pour la lutte contre la fraude.

A qui profite ce crime industriel et économique ? "A de gros bonnets politiquement, économiquement et financièrement forts au point de tenir tête à tout un Etat", répondent-ils. "Par manque d’un peu de sérieux, des Burkinabè vont détruire leur beau pays. Comment des commerçants ont pu devenir aussi forts que l’Etat au point de le défier autant ?", s’étonne un retraité de la SN-SOSUCO, écœuré par la situation actuelle de son ancien employeur.

La fraude a vraiment plongé l’unique sucrerie du pays dans une profonde agonie : les débuts de campagne sont maintenant pénibles (règlement tardif des factures d’intrants et des pièces de rechanges) et les fins de mois angoissantes (difficultés de paiement des salaires). Selon un professionnel du secteur sucrier, le Burkina Faso est le seul pays au monde à ne pas protéger suffisamment sa sucrerie contre les affres des importations sauvages. "Les sucreries sont de grands pourvoyeurs de main-d’œuvre et de richesses. Ce sont des maillons essentiels de l’économie d’un pays. Elles ferment généralement suite à l’action du commerce local dont les acteurs trouvent un plus grand intérêt à vendre du sucre importé car la marge bénéficiaire est très grande. En Île Maurice dont l’économie dépend grandement du sucre, dès que l’avion s’apprête à atterrir, l’on annonce en anglais, en français et en créole qu’il est formellement interdit d’importer du sucre vers ce pays", explique-t-il. Fort de ses 35 ans d’expérience dans le domaine sucrier en République démocratique du Congo et en Angola, l’actuel directeur du Complexe sucrier de Bérégadougou, Michel Goffe partage cette remarque : "Si des solutions d’envergure ne sont pas trouvées pour sauver la sucrerie, elle court inexorablement vers une faillite. A dire vrai, les investissements dans le domaine sucrier sont si coûteux que lorsqu’une sucrerie ferme, il est quasiment impossible de la rouvrir". Pour la Coordination nationale de lutte contre la fraude (CNLF), la solution au problème de la SN-SOSUCO se trouve au ministère en charge du Commerce car ce sont ses services qui délivrent les certificats de conformité aux principaux importateurs de sucre.
Elle suggère, pour sauver cette unité, d’évaluer la consommation nationale, de dégager la production nationale et de définir le complément afin de privilégier la commercialisation du sucre local avant toute perspective d’importation.

"Il faut organiser tous les potentiels importateurs, les amener à enlever d’abord la production locale et partager ensuite le complément entre eux pour l’importation. Qu’il soit en granulés ou en morceaux, ce sucre doit être conditionné dans les emballages de la SN-SOSUCO. Comme cela, tout sucre d’un autre label tombe sous le coup de la fraude", propose son chef Paténéma Kalmogo. Ce son de coche semble être entendu par les pouvoirs publics et les industriels désemparés par la fraude. Les actionnaires de la sucrerie de Bérégadougou bénéficieraient déja de l’appui du gouvernement dans leur recherche de systèmes de commercialisation pérenne du sucre local. Sous la houlette du ministère du Commerce, une nouvelle structure, la SODISUCRE a été créée en mai 2008 et regroupe des acteurs de la filière sucre. Cette société a pour activité principale, la distribution du sucre local et l’importation du gap manquant au Burkina Faso.
Elle se fraie déjà un chemin honorable avec un premier achat de quatre (4) milliards de FCFA soit huit mille (8 000) t sur les vingt-neuf mille (29 000) t en stock à l’usine de Bérégadougou. Les actionnaires de la SN-SOSUCO perçoivent déjà en la SODISUCRE le remède idéal pour sortir leur entreprise de son état commercial grabataire actuel. Toutefois, ils restent vigilants : "La bataille contre la fraude continue car les trafiquants de sucre ne se sont jamais avoués vaincus".

Jolivet Emmaüs
joliv_et@yahoo.fr
Envoyé spécial à Banfora


Dos à l’industrie, ventre à la fraude

Les industriels burkinabè ont beau crier la superpuissance destructrice de leurs ennemis les fraudeurs, leurs complaintes et récriminations restent étouffées dans les forums, les ateliers et les états généraux. Après chaque rencontre entre le monde des affaires et les pouvoirs publics où les dénonciations ne manquent jamais, les trafiquants observent une pause, le temps d’imaginer d’autres plans d’attaque et les pratiques commerciales illicites repartent de plus belle.

Des industriels ayant l’impression de prêcher dans le désert menacent de transformer leurs usines en entrepôts pour faire comme tout le monde : Import-export. Innocemment, le Burkina Faso est l’un des rares pays à ne pas disposer d’un département ministériel consacré à l’industrie. Ce mot n’apparaît dans aucun des postes repartis au sein du gouvernement. Qu’à cela ne tienne ! La direction générale dévolue à l’industrie dans le ministère du Commerce, de la promotion de l’Entreprise et de l’Artisanat (MCPEA) doit jouer sa partition pour que ce pan important de l’économie soit le levier véritable de l’émergence tant recherchée du Burkina Faso. L’industrialisation est l’une des voies peut-être la plus idéale pour ressembler un jour aux Emirats arabes unis (EAU), à la Malaisie, à l’Indonésie, à l’Inde, à la Chine. Ces pays qui servent d’exemples à longueur de journées ont compris de sitôt que ce secteur d’activités exerce un puissant effet d’entraînement des autres. A travers l’industrie, l’agriculture (le pilier de l’économie burkinabè) et les services peuvent prendre un essor considérable pour peu que l’on se mette au chevet des rares unités pour encourager des investisseurs à en créer d’autres.

A contrario la zone franche de Samandeni éprouvera d’énormes difficultés à décoller. Un dossier réalisé par le mensuel Carrefour africain n°1147 de novembre 2007 sur "l’Industrie burkinabè" relève les réalités (coûts des facteurs de production) et les maux (la fraude). La concurrence déloyale trouble l’envol de ce domaine. Elle prend de l’ampleur au point de s’inscrire volontairement comme une voie forcée pour réussir en affaires. Autant il faut assainir "l’import-export" pour que sa contribution à l’économie nationale soit plus efficace, autant il faut créer les conditions d’une révolution industrielle burkinabè au XXIe siècle, source d’emplois et de richesses. Car, à écouter les témoignages, il y a le feu en la demeure. Tout doit être entrepris pour vaincre le mal à la racine étant donné que les cerveaux semblent être connus de tous les décideurs.


Quelques tristes réalités industrielles

Aujourd’hui, la "bête noire" de Winner industrie, ce sont les piles asiatiques qui ont inondé nos marchés. "Ces piles, de qualité douteuse, ne sont soumises à aucune taxe si bien qu’elles sont vendues trois fois moins cher que celles que nous produisons", affirme, indigné le directeur commercial, Seydou Tiéné pour qui, "au-delà de nos industries qui perdent, c’est l’économie nationale qui perd". Et d’ajouter : "Winner ne craint pas la concurrence, mais souhaite qu’elle soit saine".
"Le marché est inondé de pneus et chambres à air à moindre coût et de mauvaise qualité, qui noient nos produits. Ce qui est dommage pour nous qui relevons du secteur formel et qui de fait, subissons la pression fiscale et supportons des coûts de production non négligeables. Notre compétitivité est réduite et nous battons sérieusement de l’aile", regrette Isabelle Garango, directrice générale adjointe, la n°2 de SAP Olympic.
"SAP Olympic va mal. Du fait de la concurrence déloyale, nous produisons à 50% de nos capacités", ajoute-t-elle.

La SIFA a fait partie des 12 premières sociétés les plus rentables à être privatisées en 1994 avec 58,75% pour les privés étrangers, 18,65% pour l’Etat, 20,25% pour Burkina Moto et 2,35% pour les petits porteurs. Aussi, elle a bénéficié de la part de l’Etat, l’avantage de pouvoir fonctionner avec le régime de TVA sur la marge jusqu’en 1999. Les problèmes vont recommencer pour la SIFA en 2000 avec la levée de cet avantage. Cela s’est ressenti avec la chute du chiffre d’affaires qui est passé de 15 milliards en 1999 à 9 milliards en 2000. Cette situation va s’empirer à partir de 2004 avec l’ouverture des marchés. Pour MM. Simporé et Tremou, cette ouverture a été une véritable source de problèmes pour leur société. "Nous sommes d’accord pour l’ouverture des marchés, mais nous exigeons que tout se passe dans les règles de l’art", ont-ils clamé.
La société souffre aussi de la contrefaçon avec l’imitation des vélos SIFA de marque Peugeot. Tous ces problèmes ont pour conséquences, la diminution des volumes de production avec 5000 vélos, 10 500 cyclomoteurs et 1 187 motocyclettes en 2006 et la diminution du personnel avec un effectif de 106 permanents de nos jours.

.J. E.
Source Carrefour Africain n°1 147 de novembre 2007

Sidwaya

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