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Jean Godfroid, directeur général français de l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations : « La France n’organise pas la fuite des cerveaux africains »

Publié le mardi 27 mai 2008 à 10h31min

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Présent à Ouagadougou dans le cadre de la réunion d’experts sur la coopération en matière de migration irrégulière, le directeur général français de l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations, Jean Godfroid s’exprime sur la question. Dans cet entretien réalisé, le 22 mai 2008, il lève le voile sur la politique française de la migration. Selon lui, la France n’organise pas la fuite des cerveaux africains, mais veut la maîtriser.

Sidwaya (S.) : Qu’est-ce qui a suscité la réunion des experts sur la coopération en matière de migration irrégulière de Ouagadougou ?

Jean Godfroid (J.G.) : En 2006, nous avons tenu une rencontre de ce genre au Maroc qui a accouché de la déclaration de Rabat instituant un partenariat euro-africain pour la migration et le développement. Il y aura en octobre 2008, une conférence de la même nature à Paris (France) qui rassemblera tous les Etats européens et les Etats du continent africain sur le thème de la migration et du développement. Pour préparer cette conférence de Paris, trois ateliers d’experts ont été programmés au préalable. Un s’est déjà tenu au Maroc sur le thème de la migration légale. Un autre se tiendra au Sénégal sur le thème du co-développement et du développement solidaire et celui de Ouagadougou, spécialement consacré aux dispositifs de lutte contre l’immigration illégale.

S. : Quels sont les résultats auxquels vous êtes parvenus ?

J.G. : Il s’est agi d’échanger entre les Etats africains et les pays européens pour identifier les bonnes pratiques permettant de lutter contre l’immigration illégale. Il ne peut pas avoir de gestion de l’immigration si on laisse celle illégale se développer. Et pour contrer l’immigration illégale, il y a toute une série d’échanges de bonnes pratiques, de coopération qui doivent intervenir entre les instances policières et celles qui gèrent l’état civil. L’Europe et l’Afrique ont intérêt à travailler de concert pour pouvoir organiser une véritable migration régulière et lutter contre l’immigration illégale qui est source de fraudes et d’exploitation de la personne humaine.

S. : Est-ce à dire que l’arsenal juridique mis en place en ce moment par les pays de l’Union européenne pour lutter contre l’immigration illégale n’est pas efficace ?

J.G. : L’Union européenne n’a pas la compétence juridique pour gérer la question. Chaque Etat membre de l’Union européenne reste souverain à l’égard de ses voisins. Il est vrai qu’il y a un espace Shengen qui a été créé entre un certain nombre d’Etats européens qui admettent la libre circulation à l’intérieur des territoires à partir du moment où l’une des frontières d’un des Etats membre a été franchie légalement. L’Union européenne a donc intérêt à ce que tous ses Etats membre aient une même approche sur la gestion des flux migratoires pour que si un étranger illégal franchi une frontière en France, n’aille pas ensuite en Espagne, en Italie ou en Allemagne sans aucun contrôle.

S. : Combien d’immigrés illégaux la France a pu rapatrier au cours de ces dernières années ?

J.G. : En 2007, il y a eu 25 000 étrangers en situation irrégulière qui sont repartis dans leurs pays d’origine sous l’impulsion des autorités nationales françaises. Ce qui est très important à souligner est que sur les 25 mille, il y avait 5 000 qui étaient des volontaires pour retourner, car la position de la France, c’est non seulement de contraindre les illégaux à retourner dans leurs pays, mais de les convaincre à y retourner volontairement. Et pour cela, de les aider à repartir dans leurs pays avec une aide financière en les aidant à s’y installer pour que le retour soit un retour durable. C’est ce que nous faisons depuis quelques mois en France et nous rencontrons un certain succès qu’il était intéressant de pouvoir partager notre expérience à cette rencontre de Ouagadougou.

S. : Les immigrés clandestins sont évalués à combien de nos jours en France ?

J.G. : Par définition, si les immigrés sont illégaux, on ne les connaît pas de façon précise (rire). Il y a cependant un dispositif en France qui s’appelle l’aide médicale d’Etat gratuite. N’importe qu’elle personne qui est malade en France est normalement couverte par l’assurance maladie. Mais quand on n’a pas de papiers, on n’est pas couvert par l’assurance maladie. Alors, pour ces personnes, il fallait se référer à l’aide médicale. Nous avons constaté ces derniers mois que les chiffres des aides distribuées par l’aide médicale d’Etat étaient en train de diminuer, c’est dire que la pression migratoire clandestine est d’une certaine façon maîtrisée. Cependant, il reste encore de nombreux clandestins en France et c’est la raison pour laquelle la France a décidé d’ouvrir la migration professionnelle légale. Nous avons chez nous des métiers en tension, où il n’y a pas de chômage, où les employeurs ne trouvent pas de mains d’œuvre. Dans ce cadre, non seulement nous passons des accords de coopération avec les pays d’origine pour faire rentrer leurs nationaux en France pour ces métiers, mais nous régularisons ceux qui sont déjà en France sur ces métiers.

S. : N’est-ce pas une façon d’organiser la fuite des cerveaux africains ?

J.G. : La fuite des cerveaux est un phénomène qui se produit lorsqu’il n’y a pas de gestion organisée de la migration du travail. La mondialisation fait que les employeurs, spontanément, iront chercher la main d’œuvre là où elle est moins chère et en sens inverse, les pays qui ont une main d’œuvre abondante et pas chère risquent de voir partir leurs cerveaux. La politique du gouvernement français est d’organiser cette migration des cerveaux, d’accepter que les cerveaux viennent en France dans une perspective temporaire et qu’ils retournent ensuite dans leurs pays. Nous avons pour cela, un instrument qui s’appelle la carte compétence et talent qui est ouverte à des gens pour six (6) ans, avec un projet en France et un projet de retour dans le pays d’origine. Voilà la politique française. Ce n’est pas la fuite des cerveaux que nous organisons, c’est la fuite des cerveaux que nous voulons maîtriser dans un concept de migration circulaire.

S. Depuis la mise en place de cette politique, combien d’Africains ont pu rentrer en France par l’immigration professionnelle ?

J.G. : Le processus est en train de démarrer tout doucement. La définition de ces métiers remonte au mois de janvier 2008. On ne peut pas encore faire un bilan définitif de la situation. Mais en tant que directeur général de l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations, je gère un dispositif qui est celui de la visite médicale. Et tous les étrangers, avant d’avoir des papiers, doivent y passer. Nous constatons très bien qu’au titre de la visite médicale, la migration professionnelle est en train d’augmenter, alors que la migration familiale se stabilise. Cela veut dire que la politique décidée par le gouvernement français est en train de produire ses effets. L’on constate, d’une période à l’autre, une progression d’un montant de 15 à 20%.

S. : Combien de Burkinabè vivent-ils en France de nos jours ?

J.G. : Je suis incapable de vous le dire. Ce que je peux vous dire, c’est que les Burkinabè qui rentrent en France sont très peu nombreux. Les Burkinabè vivant en France et qui repartent au Burkina Faso ne sont également pas nombreux. 585 Burkinabè sont entrés en France en 2007 de manière régulière ou ont été régularisés. Ils se repartissent comme suit : 70 pour raisons économiques, 243 pour des raisons familiales, 228 pour raisons d’études, trois (3) ont obtenu un statut de réfugiés et 42 pour d’autres raisons. Au titre de Burkinabè qui sont retournés au Burkina avec une aide de la France, le chiffre est très faible puisqu’il n’y a que cinq personnes qui n’avaient pas de papiers et qui sont retournés au Burkina Faso avec une aide. Ce sont des chiffres très modestes.

S. : Cela veut-il dire que le Burkina Faso n’est pas un pays à vocation de migration comme le Sénégal ou le Mali ?

J.G. : A travers les chiffres, cela est tout à fait exact. L’efficacité de 585 Burkinabè est à comparer avec l’effectif total en France qui est de deux cent mille (200 000). Deux cent mille étrangers viennent en France tous les ans. Le plus gros contingent étant ceux du Maghreb (l’Algérie, le Maroc, la Tunisie), mais aussi la Turquie et un peu moins le Mali, le Sénégal et le Cameroun.

Ali TRAORE (traore_ali2005@yahoo.fr)

Sidwaya

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